Sofia Sellami : la liberté sexuelle des personnes handicapées

Sofia Sellami (Ecole Doctorale Droit et Science Politique)  a reçu le prix de thèse Jean-Claude Cassaing 2018 décerné par l’Université de Limoges. Rencontre.

Quel est votre parcours à l’Université de Limoges ?

Je suis diplômée d’un Master en Droit privé général et européen, et j’ai poursuivi en doctorat avec le professeur Marguenaud.

Sur quoi portait votre sujet de thèse ?

Sur la sexualité des personnes handicapées. Celles-ci disposent de la liberté sexuelle, c’est-à-dire, de la liberté d’entretenir ou de ne pas entretenir des relations sexuelles. Mais elles sont parfois empêchées physiquement et/ou mentalement d’avoir ou de refuser une sexualité. Dès lors on peut légitimement s’interroger sur la signification de la liberté sexuelle si le droit ne prévoit aucun dispositif à destination des personnes handicapées qui ne peuvent jamais avoir une sexualité consensuelle. Ma thèse pose donc la question des procédés juridiques susceptibles d’être mis en place  afin de garantir l’effectivité de la sexualité des personnes handicapées.

Quels sont ces procédés ?

On pourrait mettre en place un procédé d’accompagnement à l’interruption de grossesse pour les personnes handicapées qui souhaiteraient interrompre leur grossesse mais auraient besoin d’être accompagnées et conseillées dans les démarches. Bien avant l’interruption de grossesse, on pourrait les assister à la contraception dans la mesure où elles ne veulent pas avoir d’enfant mais quelles ne sont pas assez autonome pour pouvoir mettre en œuvre leur contraception seule. On peut également prévoir un accompagnement à la sexualité pour les personnes n’ayant jamais accès aux plaisirs de la vie sexuelle sans l’aide d’un tiers. On pourrait aussi mettre en place une présomption de contrainte en faveur des personnes handicapées qui ne sont pas en mesure de consentir aux actes sexuels et qui sont généralement les victimes d’actes sexuels qui leur sont imposés. Elles sont 4 fois plus victimes d’agressions sexuelles que la population normale.

Avant de commencer l’écriture de ma thèse, j’ai rencontré pas mal de personnes issues du secteur médico-social : du directeur de structure à l’assistante sociale en passant par les médecins. Et bien sûr des personnes handicapées. Je pense ainsi avoir entendu la majeure partie des difficultés qui se posent sur le plan pratique. En outre, je me suis inspirée d’auteurs issus de disciplines extra juridiques.

Un exemple particulier ?

On s’oppose, en France, à l’accompagnement sexuel des personnes handicapées car l’accompagnement sexuel tomberait sous le coup de l’infraction de proxénétisme, et la loi pénale sur la pénalisation des clients de la prostitution etc… Je dis dans ma thèse que le fondement de l’accompagnement sexuel n’est pas un fondement pénal mais bien un fondement médical parce que l’accompagnement sexuel permet de soulager la souffrance de ceux qui sont privés de sexualité. Donc ceux qui sont frustrés de ne jamais avoir de sexualité.

Donc on aurait recours à une personne qu’on paierait pour avoir des actes sexuels ?

Tout à fait. Il s’agirait d’avoir recours à un accompagnant sexuel qui mettrait son corps à disposition d’une personne handicapée contre rémunération mais qui échapperait à la qualification de prostitué, en effet, l’accompagnant sexuel s’apparente davantage à un professionnel de la santé.

C’est assez révolutionnaire ?

C’est révolutionnaire en France, mais ça existe déjà dans un certain nombre de pays européens, notamment au Danemark, en Suisse. Donc je propose d’importer un procédé qui existe déjà ailleurs.

Dans quel laboratoire avez-vous fait votre thèse ?

A l’OMIJ. Ma thèse va prochainement être publiée aux Presses Universitaires de Nancy.

Que faites-vous actuellement ?

Je suis chargée d’enseignement en Droit des contrats/Droit des obligations à l’Université François Rabelais de Tours et j’espère pouvoir obtenir un poste de maitre de conférences un jour.

Que représente ce prix pour vous ?

Une victoire et une revanche sur la vie. J’ai grandi dans un milieu populaire, dans une cité, et faire des études a été le parcours du combattant car j’ai dû travailler tout au long de mes études. Je suis émue et très contente d’avoir pu remporter ce prix et d’avoir représenté les membres de la communauté universitaire des juristes.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent se lancer dans une thèse ?

Il faut être motivé, déterminé. Avoir beaucoup de courage, car lorsque l’on fait une thèse, il y a des moments difficiles.

Propos recueillis par Diane Daïan