ARENES
Arènes du sport - scènes et fabrique(s) de l’événement sportif


Introduction
La pandémie de Covid-19 et les matchs fantômes désolants ont montré que le football ne se résume pas à des ballons et des buts et que les arènes du sport ne sont pas de simples bâtiments fonctionnels destinés à accueillir des compétitions sportives. Au contraire, les arènes du sport – stades, terrains de jeu, lieux de combat, palais des sports, vélodromes, hippodromes, mais aussi des espaces éphémères et informels, constitués par la pratique sportive en commun – constituent des lieux emblématiques bien au-delà du sport et des points de référence dans la vie des individus et des groupes. Les stades du sport sont des points de cristallisation des rapports socio-économiques et politiques, des dynamiques et des relations culturelles, dans lesquels différentes visions du monde se manifestent et se disputent souvent publiquement la souveraineté d’interprétation. Séparées du monde extérieur par l’espace, l’atmosphère et la symbolique, les arènes du sport se constituent par l’interaction entre les sportifs / sportives et les spectateurs / spectatrices et servent d’espaces d’expérience pour des spectacles de masse à fort potentiel émotionnel. Mais il s’agit également de sites à multiple charges politiques qu’il s’agisse d’édifices voulus et toujours « instrumentalisables » pour la reconnaissance et la représentation d’acteurs et d’actrices politiques, qui se sont retrouvés au centre des débats publics mondiaux lors des Jeux olympiques en Chine, ou de « phares » mondiaux de protestation contre les discriminations de toutes sortes ou contre la violence guerrière, comme l’invasion de l’Ukraine par la Russie actuellement. Enfin, les arènes du sport sont des lieux de performances fascinantes et héroïques qui évoluent en permanence au fil du temps et qui témoignent des tendances à la professionnalisation, à la commercialisation et à la mondialisation du sport de haut niveau et de la société.

Équipe du projet

Dietmar HÜSER

Professor | Universität des Saarlandes

Le présent projet de recherche ARENES a pour objectif de générer des connaissances synchrones et diachroniques sur la pertinence, la forme, la médiatisation, l’impact et la qualité scientifique des arènes du sport au cours du long XXe siècle, dans un contexte franco-allemand, européen et mondial. L’équipe de recherche qui s’est constituée semble doublement prédestinée à la réalisation de ce projet ambitieux : d’une part, en raison de son profil hautement européen et international, tel qu’il se manifeste dans ses publications, ses conférences invitées, ses séjours de recherche, ses implications dans des projets de recherche collaborative, etc. ; d’autre part, en raison de la coopération entre les sciences historiques, littéraires et culturelles en ce qui concerne l’importance sociale et culturelle du sport, envisagée pour la première fois dans le cadre d’un projet DFG-ANR et déjà pratiquée de manière conséquente et fructueuse avant le dépôt de la demande. Le gain de connaissances attendu se fonde sur des études interdisciplinaires qui couvrent plusieurs décennies, comparent plusieurs pays – et donc contextes sociétaux – et analysent les emprunts, les influences et les processus de transfert ; les études de cas empiriques envisagées sont en outre étroitement liées entre elles par le biais de problématiques – présentés ultérieurement en détail – qui guident les connaissances. La coopération franco-germano-européenne et interdisciplinaire, ainsi que le fait que les sous-projets se rapportent les uns aux autres sur le plan thématique, temporel et spatial, de même que sur le plan de la conception de la recherche et des questions directrices, constituent la valeur ajoutée de l’ensemble du projet.


Le projet veut associer deux champs disciplinaires voisins, l’histoire contemporaine et les études littéraires et culturelles, pour envisager l’étude de cet espace, en général un équipement urbain, au cours du long XXe siècle, qui est apparu après les écoles, universités, hôpitaux, bibliothèques ou hippodromes : le stade. Le choix d’une perspective franco-allemande, qui doit en même temps être (re)mise en perspective dans son contexte européen et mondial, n’est pas fortuit. Les deux pays partagent une culture sportive dans laquelle la gymnastique a servi de premier socle, sur lequel sont venus s’adjoindre la vélocipédie, la natation et les sports dits anglais (athlétisme, boxe, football, rugby, tennis). Allemagne et France ont vu la construction aux mêmes époques des équipements sportifs comme les vélodromes, les salles couvertes (Vélodrome d’hiver de Paris, Sportpalast de Berlin), les stades olympiques (Paris 1924, Berlin 1936) ou les enceintes municipales de taille variée. Même si les cultures sportives ont aussi une dimension nationale, l’approche transnationale adoptée met en évidence la réalité transfrontalière complexe du sport et offre un choix varié et riche autant pour des études empiriques reposant, d’un côté, sur un vaste corpus d’archives (archives municipales et sportives, presse, etc.) et, de l’autre, sur des documents artistiques de différentes formes médiatiques (littérature, théâtre, cinéma, musique). En outre, il devient possible d’étudier l’objet culturel qu’est le stade, non seulement comme lieu et espace de simple production d’événements ou de spectacles sportifs, mais aussi de circulation de valeurs, d’expériences, d’émotions et de représentations. La dimension scientifique des émotions constitue en particulier un lien interdisciplinaire important du projet. D’une part, parce que dans le cadre de ce que l’on appelle affective ou emotional turn (Clough / Halley 2007 ; Verheyen 2010), les émotions sont désormais prises en compte dans les différentes disciplines sous les mots-clés « histoire et émotions » (Frevert 2009 ; Corbin / Vigarello / Courtine 2016 ; 2017) ou « littérature / culture et émotions » (Koppenfels / Zumbusch 2016) : par exemple dans l’étude des normes et des règles émotionnelles (Reddy 2001), des communautés émotionnelles (Rosenwein 2002) ou des affective societies (Kahl 2019 ; Slaby / Scheve 2019) ou encore dans l’analyse de la poétique affective (Meyer-Sickendiek 2005) et du Doing Emotions (Scheer 2015 ; 2019). D’autre part, parce que la composante émotionnelle est davantage articulée dans l’art – particulièrement dans le domaine du sport – que dans d’autres sources.

Les sous-projets envisagés doivent permettre de mener une approche comparative et d’envisager les jeux de regards croisés et les influences entre les deux espaces. Ce dessein sera mené à bien par une équipe franco-allemande réunissant à nombre égal des historiennes et historiens du contemporains (3) et des spécialistes des études littéraires (3). Leurs recherches ont pour objectif d’envisager sur un temps relativement long, de la fin du XIXe siècle au début du IIIe millénaire, l’installation des arènes du sport dans l’espace urbain comme un lieu de mise en scène du spectacle et du corps sportifs et de production et de circulation de diverses formes de représentation. L’étude du corps et de la geste sportifs comme pratique et représentation, permettra d’envisager la nature et les fonctions des arènes sportives qui, pour ne citer que quelques exemples, sont autant des lieux d’émancipation, de revendication identitaire, de consommation que de contrôle autoritaire ou totalitaire. L’équipe de recherche veut donc associer un regard historique croisant les perspectives politiques, sociales, culturelles et économiques, avec l’apport d’une réflexion sur des modèles culturels et des formes esthétiques spécifiques dans la littérature et d’autres médias, qui déterminent la perception des arènes du sport dans la société. En s’efforçant de croiser les analyses des deux champs, il s’agira de retracer l’évolution des formes des stades, de leurs usages et de leur environnement, qui intègre le contexte culturel, c’est-à-dire les potentiels d’interprétation liés à l’utilisation et à la perception du stade. D’observer au plus près, dans une perspective notamment sociale et genrée, la communauté des spectateurs et spectatrices, fans et supporters et aussi sportifs et sportives qui les peuplent et les font vivre. Les arènes sportives permettent à elles seules d’observer l’interaction constitutive entre les sportifs / sportives et le public, caractéristique centrale du sport moderne. Il s’agira notamment d’appréhender l’expérience sensorielle qu’est la présence au stade que l’on soit actrice et acteur du spectacle sportif ou simple membre du public


Une expérience marquée aussi par l’ubiquité qui dépasse le niveau concret de la pratique sportive et met en exergue une triple dimension virtuelle : premièrement, la presse écrite – du journal à la littérature –, la radio, puis la télévision ou le cinéma consentent à l’amateur de sport de vivre une expérience à distance, virtuelle du stade. Cette expérience esthétique, marquée par des questions éthiques, ne doit pas occulter le fait que l’action sportive elle-même possède une dimension esthétique (qui s’attache au corps, à son mouvement, aux formes qui lui sont associées et à leur déploiement dynamique dans l’espace). La performance sportive est dans ce sens une performance artistique, sans cesse renouvelée, qui s’inscrit dans la circulation continue des flux de différents champs socioculturels et qui atténue les frontières entre haute culture et culture populaire. Deuxièmement, la dimension virtuelle du stade se réfère au fait qu’au-delà des stades en tant qu’unités architecturales, infrastructurelles ou institutionnelles concrètes, les arènes du sport peuvent être constituées par la pratique sportive elle-même et donc comme résultat d’une action sportive informelle et éphémère. La pratique sportive commune, le mouvement du corps, la délimitation d’un terrain de jeu, l’observation mutuelle, toutes ces activités et d’autres encore permettent l’émergence d’un espace hautement dynamique, principalement indéterminé par des facteurs externes, qui, dans la littérature autobiographique, mais aussi dans les romans de développement et de formation, peut devenir l’espace de probation de leurs protagonistes. Troisièmement, les arènes sportives sont virtuelles et omniprésentes dans les textes littéraires et autres médias, car les stades apparaissent régulièrement dans la littérature et d’autres arts comme des espaces symboliques sans nom qui regroupent et généralisent le potentiel d’expérience que recèlent certains stades concrets.