Colloque « Dériver en ville : variations sensibles et dynamiques aléatoires en espaces urbains »

La ville est le chronotope par essence de la modernité (Bakhtine, 1978 ; Keunen, 2007). Au long du XIXe siècle, l’accélération du progrès technique investit progressivement les espaces, à mesure que la pensée positiviste se diffuse et finit par devenir l’aune à laquelle l’urbanisme mesure son rendement social et politique, mais surtout économique. De Charles Baudelaire à Walter Benjamin, la figure du flâneur définit un nouveau rapport la ville, à la fois spectateur et témoin des mutations et de l’accélération de son rythme au profit de l’industrialisation. Les avant-gardes prolongent ce paradigme, concentrant une partie de leurs innovations esthétiques autour d’une possibilité de réappropriation subjective et sensible de la ville (de Dada au surréalisme, sans oublier la célébration futuriste des avatars de la technique).

Lorsqu’en 1956 Guy Debord imagine la dérive urbaine pour « remettre en question le sens de l’espace (…) » (Vachon, 2008), il actualise la figure du flâneur pour redéfinir le rapport à la ville : il faut la vivre, l’éprouver. En réaction aux villes modernes qui seraient déterminées par les urbanistes, il propose de remettre au cœur de l’espace les effets émotionnels et subjectifs qu’il peut susciter. Avec la dérive, la ville est conçue comme un lieu support des affects de ses citoyens, et non un lieu d’aliénation. Le sujet devient un actant de l’espace. Pourtant, aujourd’hui, le statut des villes est plus que jamais soumis à des politiques publiques visant à les rendre attractives et commercialement exploitables, donc à devenir lisibles (Fontanille, 2015).

Paradoxalement, une telle simplification discursive se déroule concomitamment à l’explosion des frontières symboliques et physiques de l’espace urbain. Malgré les tentatives de Lefebvre (1968) en sociologie, de Perec en littérature (1974) et Sansot dans son versant essayiste (1971), plaidant pour un « droit à la ville » ou un droit à la sensibilité urbaine, la ville, simplifiée, lissée, serait, selon Choay (1994), « morte ».

La ville, déchirée entre une explosion rythmique, spatiale, et une implosion symbolique, ne pourrait-elle pas retrouver sens dans la dérive urbaine ? Si, comme le note Westphal (2007), la sensorialité « concourt à la structuration et à la définition de l’espace », la dérive urbaine ne serait-elle pas, plus que jamais, d’actualité dans un monde où les sens sont sursollicités (Simmel, 1907) ? Est-elle toujours possible dans une ville diluée, infiltrée de non-lieux (Augé, 1992) ?

En mobilisant la dérive, il devient possible de questionner la perte progressive de substance des espaces urbains, notamment en interrogeant la place de l’individu, et plus particulièrement celle du corps et de sa capacité esthésique. Il semble aussi intéressant de réfléchir à la capacité énonciative de ce même corps ainsi mobilisé dans la ville. Comme l’écrit De Certeau (1980) : « l’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation (le speech act) est à la langue ou aux énoncés proférés (…). La marche semble donc trouver une première définition comme espace d’énonciation ».

Que peut le corps, celui de l’écrivain ou de l’habitant, lorsqu’il se trouve plongé dans la ville ? Ce colloque interdisciplinaire, également conçu à la croisée de multiples perspectives culturelles, invite à poursuivre le travail phénoménologique initié par Debord. Ce sera aussi l’occasion de questionner l’héritage légué par ses prédécesseurs flâneurs ou autres, en interrogeant la dimension sensible de la ville, dans ses variations comme dans ses dynamiques, faites de leur part de contingence et d’aléatoire.

La dérive urbaine, fil rouge de ces deux journées, peut-elle nous permettre de saisir les possibilités pour le sujet de produire ou de se réapproprier le sens, les sens, voire l’essence, de la ville ?

Organisé par les doctorants de l’école doctorale Humanités de l’Université de Limoges (ED 612),  des équipes de recherche EHIC (EA 1087) et CeReS (EA 3648).

Comité scientifique :

Alexandre Bueno Cateb (Université Fumec) ;
Pierluigi Cervelli (Université de Rome) ;
François Coadou (ENSA Limoges) ;
Nedret Oztokat Kiliçeri (Université d’Istanbul) ;
Nathalie Roelens (Université du Luxembourg) ;
Didier Tsala Effa (Université de Limoges) ;
Bertrand Westphal (Université de Limoges).

Comité d’organisation :

Lucile Bethomé (CERES, Université de Limoges) ;
Yvan Chasson (EHIC, Université de Limoges) ;
Fulvia Giampaolo (EHIC, Université de Limoges) ;
Michelle Mouenga Makinda (EHIC, Université de Limoges) ;
Urbain Ndoukou-Ndoukou (EHIC, Université de Limoges) ;
Nicolas Piedade (EHIC, Université de Limoges).

Contact :

Le colloque, qui se déroulera sous une forme hybride, sera également accessible à partir du lien suivant : https://bbb.unilim.fr/b/pie-vhs-ckp-eh0

 

Vous pouvez télécharger le programme ici.

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
39E rue Camille-Guérin
87036 LIMOGES Cedex
Tél. +33 (5) 05 55 43 56 00
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