Diversité des modes de gestion des pâturages dans les zones humides : effets des pratiques sur la prolifération du Jonc diffus

Résumé du projet

Conséquence des activités anthropiques, la dégradation des milieux engendre une perte de la biodiversité et des services écosystémiques.

Les zones humides sont particulièrement touchées affectant les nombreuses fonctions qu’elles remplissent (hydrologiques, épuratoires, réservoir de biodiversité, fonction éducative). La diversité des statuts (terre agricole, aire pr otégée, collectivité) et des acteurs en charge de la gestion des zones humides impliquent des pratiques variées mais qui peuvent répondre à des problématiques communes. C’est le cas pour la prolifération du jonc diffus Juncus effusus ), une plante souvent indicatrice des milieux perturbés qui limite la présence de nombreuses espèces végétales et animales. L’objectif du projet est de comprendre les effets des modes de gestion sur la biodiversité et sur la prolifération du jonc diffus dans les zones humide s. Pour cela, nous analyserons les différentes pratiques de gestion dans les prairies humides du bassin de la Vienne à travers trois volets :

I) un suivi écologique caractérisera la diversité animale et végétale ainsi que le régime hydrique ;

II) une étude ethno historique s’intéressera à la diversité et l’évolution des pratiques ;

III) une approche de political ecology analysera les discours au sein des instances de
gestion et identifiera les convergences et les disparités existantes entre les acteurs impl iqués. Ces trois approches complémentaires permettront d’identifier des solutions adaptées à chaque contexte.

Objectifs et description du projet

Conséquence du changement climatique et des activités anthropiques, le déclin de la biodiversité constitue un enjeu majeur de notre siècle et est souvent dû à la dégradation des milieux naturels [1]. 

Cette dégradation se traduit par la disparition de certa ines espèces et/ou le remplacement par d’autres suite à des changements de conditions (climatiques, chimiques, hydriques…). Les zones humides, caractérisées par un sol saturé en eau et par une biodiversité spécifique, sont particulièrement concernées et le ur dégradation affecte les nombreuses fonctions qu’elles assurent (fonctions hydrologiques, fonctions épuratoires, réservoir de biodiversité et fonction éducative). En France, la moitié des zones humides aurait disparu entre 1960 et 1990 [2] et les dernières estimations évaluent que près de 30% du territoire national seraient propices à la présence de zones humides, présentant une grande diversité de typologies (tourbières, praires, marais…) [3]. Des mesures de protection et de gestion ont permis un ralenti ssement de la tendance depuis une trentaine d’année (ex : le dispositif européen Natural 2000) et la France a adopté son 4ème plan d’action pour les milieux humides en 2022 dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité. Celui ci fixe notamme nt comme objectif la restauration des milieux dégradés et l’accompagnement pour la gestion des milieux humides. Cela nécessite d’approfondir les connaissances sur l’impact de certaines pratiques et de
mobiliser les différents acteurs afin de formuler des p réconisations adaptées à chaque contexte. Les acteurs concernés par la gestion des zones humides sont multiples (agriculteurs, gestionnaires d’aires protégées, collectivités, comité de bassin versant…) et les moyens d’actions sont donc variés (politique ag ricole commune, plan de gestion d’aires protégées, plan local d’urbanisme, schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux…). Cependant, des problématiques communes permettent de fédérer ces acteurs afin de rendre compte de la diversité des contextes et de trouver des solutions adaptées. 

C’est le cas de la prolifération du jonc diffus (Juncus effusus ) observée depuis une cinquantaine d’années dans les prairies humides utilisées par l’agriculture et l’élevage. Cette espèce, présente dans le cortège vé gétal de zones humides, possède une grande tolérance aux perturbations (tassement du sol, variabilité de la teneur en eau…) qui lui permet de remplacer les espèces plus sensibles et de devenir ainsi dominante. Or, les jonçaies, caractéristiques donc des mi lieux perturbés, présentent un cortège floristique pauvre et limitent la présence d’espèces à forte valeur patrimoniale [4]. Il en résulte une perte de biodiversité (végétale et animale) et une perturbation des fonctions assurées par les zones humides (rég ime hydrique, épuration…). Alors que l’élevage extensif est considéré comme une
des activités socio économiques à soutenir pour préserver les milieux humides [5], certains itinéraires techniques associés à cette activité sont susceptibles de les dégrader e t de favoriser la prolifération du jonc diffus (mécanisation, enrichissement du sol…), ce qui diminue également la quantité et la qualité des pâturages. Ce constat est apparu prégnant au sein du Réseau des zones humides du Limousin où de nombreux adhérents ont sollicité le Conservatoire des Espaces Naturels, animateur du réseau, afin de trouver des solutions pour limiter la prolifération du jonc diffus. Le Limousin comprend plus de 26 000 étangs et 2850 tourbières et son territoire contient près de 9% de zones humides [6].

L’élevage extensif est la principale activité agricole en Limousin et les prairies représentent plus de 80% de la Surface Agricole Utile [7]. Les prairies humides du bassin de la Vienne sont donc au coeur d’un enjeu majeur qui consiste à concilier élevage extensif et préservation des zones humides. Pour cela, il est nécessaire de comprendre les effets des différentes pratiques de gestion sur la présence et la prolifération du jonc diffus. Cela implique également d’étudier l’évolution de ce s pratiques, les cadres institutionnels qui les ont façonnés et les représentations de l’environnement qui y sont associées.

L’objectif principal de ce projet est d’étudier la diversité des pratiques de gestion des zones humides et leurs impacts sur la biodiversité notamment sur la présence et l’abondance du jonc diffus (Juncus effusus). Pour cela, nous développerons trois volets complémentaires qui permettront de répondre à des objectifs spécifiques

  1. Un volet écologique permettra de caractériser les zones humides par les espèces végétales et animales présentes ainsi que par le régime hydrique ;
  2. Un volet ethno historique étudiera l ’évolution des pratiques, des savoirs et des représentations associées aux zones humides et au jonc diffus 
  3. Un volet de political ecology s’intéressera aux arguments politiques et écologiques mis en avant au sein des différentes instances de gestion (collectivités, comité de bassin, chambre d’agriculture…) afin de rendre compte des convergences et des disparités existantes.

Etant directement issue de questionnements formulés par des agriculteurs membres du Réseau Zones Humides du Limousin, le projet sera développé dans le bassin de la Vienne, et plus particulièrement dans le sous bassin de la Vienne Amont (87), où les pâturag es en zones humides sont nombreux (9% du bassin versant, dont principalement des prairies de joncs et tourbières) et où un réseau de partenaires a déjà été consolidé :

  • Le Conservatoire des Espaces Naturels de Nouvelle Aquitaine (CEN) : association en charge de la gestion de nombreuses aires protégées, elle possède une solide expertise dans le recensement des espèces végétales et animales présentes dans les zones humides. Elle assure l’animation du réseau des zones humides qui regroupe plusieurs centaines d’agriculteurs et de gestionnaires de zones humides dans le département de la Haute Vienne.
  • Le Syndicat d’aménagement du bassin de la Vienne (SABV) : cet établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau (EPAGE) regroupe une centaine de communes du bassin de la Vienne et assure notamment des missions d’aménagement et d’entretien du bassin versant.
  • L’UMR Géolab : cette unité de recherche en géographie physique et environnementale regroupe des chercheur.ses spécialisé.es dans l’étude des régimes hydriq ues et de la biodiversité des zones humides, de l’histoire des milieux pastoraux et des mutations des milieux ruraux.

Pour parvenir aux objectifs, un échantillon de plusieurs zones humides de type prairies humides (n=50) sera sélectionné afin de représent er la diversité des modes de gestion (parcelles agricoles, collectivité, aire protégée), des contextes écologiques (gradient d’abondance du jonc diffus) et des pratiques (durée et fréquence du pâturage, chargement en bétail, interventions mécaniques…). Une analyse préliminaire, basée sur les cartes pédologiques, l’inventaire des zones humides et une typologie des pratiques de gestion, permettra de sélectionner les prairies humides à étudier et dans lesquelles des méthodes d’étude spécifiques aux trois volet s seront mises en oeuvre. 

Volet écologique : caractérisation de la biodiversité et du régime hydrique

Des relevés systématiques de la flore et de la faune des zones humides étudiées seront effectués en appliquant les protocoles de référence afin de prod uire des indicateurs pour évaluer l’état des zones humides (Boîte à outils LigérO [8]). Ces relevés seront réalisés au printemps et au début de l’été afin de faciliter l’identification des espèces végétales. La localisation des parcelles de recensement sur chaque site sera déterminée par un tirage aléatoire au sein des ensembles de végétat ion pré identifiés et homogènes. Ces ensembles de végétation seront identifiés grâce à l’expertise des partenaires (CEN) lors d’une mission de reconnaissance, en compagnie des propriétaires et/ou gestionnaires permettant de tenir compte également des aspec ts historiques de la gestion de ces ensembles et de leur évolution.

L’étude du régime hydrique se fera grâce à un suivi du niveau d’eau réalisé par l’installation de piézomètres (10 dispositifs) équipés de sondes de pressions sur un cycle annuel (automne année n à automne année n+1). Ces dispositifs seront répartis au sein de différentes parcelles présentant des caractéristiques différentes (abondance jonc diffus, itinéraire technique) mais avec des contextes hydriques comparables (distance au cours d’eau, topographie) afin d’évaluer l’effet du régime hydrique sur l’abondance du jonc diffus dans différents contextes de gestion.

Volet ethno historique : diversité et évolution des pratiques et des savoirs

Pour rendre compte la diversité des pratiques et le ur évolution, ce volet se basera sur des entretiens semi directifs et des observations participantes (comité de gestion, interventions techniques…) auprès des différents acteurs (gestionnaires, agriculteurs, conseillers agricoles…) intervenant sur les parc elles suivies. Ces entretiens et observations participantes seront réalisés tout au long du projet, permettant de suivre les différentes pratiques mises en oeuvre selon les saisons et les calendriers d’intervention. Une analyse textuelle des discours et une mise en perspective historique des pratiques (à partir d’éventuelle sources archivistiques) permettront de mettre en évidence les différentes représentations anciennes et plus récentes des zones humides et du jonc diffus existantes ainsi que
les changemen ts ayant eu lieu.

Volet political ecology : enjeux politiques dans la gestion des zones humides

Ce volet s’appuiera sur des entretiens et une participation aux instances de gestion des zones humides ainsi que sur la littérature grise associée (procès ve rbaux, comptes rendus…) pour analyser les arguments politiques et écologiques. Cette analyse discursive, mise en relation avec les modes de gestion, permettra de révéler les convergences et les disparités existantes entre les différents acteurs, les interdépendances structurelles des acteurs et les causes de conflits éventuels.

Etapes pour la mise en oeuvre du projet

Ce projet est prévu sur 18 mois afin d’assurer le suivi du régime hydrique sur 12 mois et d’avoir le temps d’analyser les données et de comp iler les résultats des trois volets. La mise en oeuvre du projet sera assurée par F. Pennec (porteuse), en collaboration avec les partenaires mentionnés selon leur domaine d’expertise (hydrographie et écologie des zones humides Geolab, SABV ; relevés écologiques CEN ; enquêtes et entretiens Geolab). Les stagiaires recruté.es seront de niveau master 2 et seront encadré.es par F. Pennec et un des partenaires (selon les thématiques). Deux stages porteront sur le suivi écologique et un stage sur l’étude et hno historique des pratiques.