De la santé à la maladie et vice-versa : des procès de transition d’un état à l’autre From health to illness and vice versa: processes of transition from one state to another

Ivan Darrault-Harris

Université de Limoges, CeReS (Centre de Recherches Sémiotiques)

https://doi.org/10.25965/as.8411

Existe Définie comme un des droits fondamentaux de tout être humain, la santé, pour l’OMS, est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste donc pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Cette redéfinition ambitieuse multiplie, on le voit, les sources de mal-être et autant de nécessaires transitions, à examiner, pour atteindre et maintenir sur toutes ces dimensions un bien-être total. On envisagera dans cette perspective certains modes de transition emblématiques entre ces deux états : ainsi la guérison – sans transition - miraculeuse et instantanée, la guérison comme processus complexe impliquant une gradation des étapes soumises à la véridiction, voire une inscription, avec la maladie, dans la chronicité. Ainsi l’actuelle épidémie pose le problème d’un allongement duratif et inédit des symptômes, dans le cas du « Covid long » : transition interminable vers l’état de santé et dénonçant une illusoire guérison. Mais l’examen, si minutieux soit-il, de la temporalité transitionnelle ne saurait éluder la question des actants, multiples, convergents ou non, du changement, intimement liés à l’économie même des types de transition.

Are Defined as one of the fundamental rights of every human being, Health, for the WHO, is a state of complete physical, mental and social well-being and therefore does not consist only of an absence of disease or infirmity. This ambitious redefinition multiplies, as we see, the sources of discomfort and as many necessary transitions to examine, in order to achieve and maintain total well-being on all these dimensions. We will consider in this perspective certain emblematic modes of transition between these two states: thus, the healing - without transition - miraculous and instantaneous, healing as a complex process involving a gradation of the stages subject to veridiction, even an inscription, with the illness, in chronicity. Thus, the current epidemic poses the problem of a lasting and unprecedented prolongation of symptoms, in the case of “long Covid”: interminable transition towards the state of health and denouncing an illusory cure. But the examination, however careful it may be, of transitional temporality cannot avoid the question of the multiple, convergent or not, actants of change, intimately linked to the very economy of the types of transition.

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Mots-clés : aspectualité, nosologie, santé, sémiotique, transition

Keywords : aspectuality, health, nosology, semiotics, transition

Plan
Texte intégral

1. Conséquences de la redéfinition de la santé

Définie comme un des droits fondamentaux de tout être humain, la santé, pour l’OMS, est donc un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste donc pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. D’où cette première mise en carré, destinée à être remise en question, car c’est bien l’implication allant du terme contradictoire de non-maladie/non-infirmité au terme santé qui est rejetée :

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Renonçant à une définition négative centrée sur une absence de maladie ou d’infirmité, qui pourrait figurer comme terme contradictoire de celui de maladie, la nouvelle définition est positive, créant un terme tout nouveau : une sensation de bien-être complet se déployant sur trois isotopies complémentaires, celle du corps physique, celle de la psyché et enfin celle, distincte et inédite, de l’inscription dans le social.

Cette redéfinition ambitieuse multiplie donc les sources de mal-être et autant les nécessaires transitions, à examiner, pour atteindre et maintenir sur toutes ces dimensions un bien-être total.

Un carré sémiotique bien différent va se substituer au précédent, qui prend en compte les deux termes constituant la définition en les soumettant aux opérations logiques bien connues

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Pour Jean-Pierre Rolland, « le bien-être subjectif n’est pas simplement l’absence de facteurs négatifs fournies par la plupart des échelles de mesure de santé mentale, il inclut également [la présence et le poids] des composantes positives (émotions agréables) » (Zeidan 2012)

La santé est donc le résultat d’une sensation éminemment subjective, d’une auto-évaluation sur la triple isotopie physique, mentale et sociale. On s’éloigne donc fortement de l’évaluation diagnostique fournie par les examens bio-médicaux.

Il a donc fallu superposer les deux carrés sémiotiques pour aboutir à une définition acceptable de la santé concerna la globalité du sujet.

2. Regard sur les classifications des maladies

Si nous parvenons à isoler cette entité unique et remarquable de la santé-bien-être complet, il va de soi que les sources de mal-être et de maladies sont légion, comme le prouve la lecture déprimante de la classification internationale des maladies organiques validée par l’OMS, tout comme le DSM, manuel diagnostique et statistique des maladies mentales.

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Voici la liste des codes des maladies répertoriées par la classification internationale (CIM) :

  • I A00-B99 Certaines maladies infectieuses et parasitaires

  • II C00-D48 Tumeurs

  • III D50-D89 Maladies du sang et des organes hématopoïétiques et certains troubles du système immunitaire

  • IV E00-E90 Maladies endocriniennes, nutritionnelles et métaboliques

  • V F00-F99 Troubles mentaux et du comportement

  • VI G00-G99 Maladies du système nerveux

  • VII H00-H59 Maladies de l'œil et de ses annexes

  • VIII H60-H95 Maladies de l'oreille et de l'apophyse mastoïde

  • IX I00-I99 Maladies de l'appareil circulatoire

  • X J00-J99 Maladies de l'appareil respiratoire

  • XI K00-K93 Maladies de l'appareil digestif

  • XII L00-L99 Maladies de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané

  • XIII M00-M99 Maladies du système ostéo-articulaire, des muscles et du tissu conjonctif

  • XIV N00-N99 Maladies de l'appareil génito-urinaire

  • XV O00-O99 Grossesse, accouchement et puerpéralité

  • XVI P00-P96 Certaines affections dont l'origine se situe dans la période périnatale

  • XVII Q00-Q99 Malformations congénitales et anomalies chromosomiques

  • XVIII R00-R99 Symptômes, signes et résultats anormaux d'examens cliniques et de laboratoire, non classés ailleurs

  • XIX S00-T98 Lésions traumatiques, empoisonnements et certaines autres conséquences de causes externes

  • XX V01-Y98 Causes externes de morbidité et de mortalité

  • XXI Z00-Z99 Facteurs influant sur l'état de santé et motifs de recours aux services de santé

  • XXII U00-U99 Codes d'utilisation particulière

On notera donc l’extrême pauvreté des maladies mentales et l’absence quasi complète des sources de mal-être plutôt social (notées en rouge), même si l’OMS met en rapport corrélatif constant la présence et l’intensité des maladies et les ressources disponibles.

Si les maladies qui atteignent le corps bénéficient donc d’une classification internationale validée par l’OMS (la CIM dont la onzième édition est parue en 2019), tout comme les maladies mentales (le DSM 5 date de 2015, édité par l’APA), l’inventaire des symptômes et diagnostics des maux à origine sociale reste totalement à concevoir. Et l’exemple de la prise en compte des facteurs environnementaux de la maladie mentale est fort peu convaincant.

Et si l’on peut admettre que les symptômes de bien-être physique et mental peuvent se manifester et être perçus, évalués, il n’en va pas de même pour ce qui est du bien-être social.

3. Processus de transition santé-maladie et vice-versa

Le sujet sain devient porteur d’une maladie, ainsi infectieuse, par contagion ou contamination (mais le plus souvent un cancer est à origine inconnue, une anomalie chromosomique ou une malformation congénitale expliquent l’état morbide du patient, le vieillissement peut atteindre organes et fonctions).

Une fois porteur d’une maladie, le patient peut s’inscrire dans deux processus extrêmes :

  • Celui du miracle, soit la guérison instantanée de la maladie ou de l’infirmité :

La scène est à Lourdes au milieu des malades en fauteuil que l’on conduit vers la grotte. Une amie thérapeute traditionnelle exerçant à La Réunion (Mme Visnelda) entre par hasard en contact corporel avec une femme en fauteuil, paraplégique, qui ne s’était pas levée depuis vingt ans. Elle est saisie de découvrir (grâce à sa faculté de voir l’intérieur des corps) que cette femme n’a aucune lésion cause de son immobilité. Elle se plante devant elle et lui lance : « Madame tu n’as rien, alors lève ! ». La femme se lève alors, saluée par la foule qui s’est amassée autour d’elle.

Cette guérison miraculeuse n’a pas été validée par les instances compétentes, en l’absence d’une intervention divine avérée.

Cette scène du miracle présuppose l’intervention d’un acte surnaturel (la vision radioscopique de la thérapeute) sans oublier l’injonction illocutoire. Le tout sous le signe aspectuel de la ponctualité.

Cela dit, on peut noter qu’une large majorité des miracles accomplis par Jésus sont des guérisons, sans oublier les résurrections.

  • Celui, hélas ! de l’installation dans un état morbide permanent : c’est le cas des maladies dites incurables (neuro-dégénératives : Alzheimer, Parkinson, sclérose en plaques, Charcot).

Il n’existe aucun traitement curatif pour ces maladies dont, en plus, l’étiologie reste souvent quasi inconnue. On ne peut guère que ralentir la progression de la maladie, marquée donc par la durativité. Dans le cas des conséquences d’une lésion irréversible : hémi-, paraplégie par exemple, la durativité est inscrite dans une permanence annulant la dimension temporelle.

Fort heureusement, entre ces deux processus extrêmes, il y a bien des transitions possibles et réussies entre la maladie et la santé, via un traitement adapté élaboré à partir d’un diagnostic, acte de repérage des symptômes renvoyant à une maladie spécifique (signes cliniques, examens biologiques, radios, scanners, IRM, etc.). Un pronostic peut être élaboré et communiqué, qui introduit la dimension temporelle dans le processus, dimension nulle dans le miracle instantané (sous le signe de la ponctualité) et démesurément prolongée dans la maladie incurable.

Une maladie bénigne, ainsi la grippe, se caractérise, au contraire, par un début, une durée, une fin aisément prévisible, tout comme la guérison à court terme.

Maladie

Dimension aspectuelle de la maladie

Guérison

Paraplégie

Durativité

Ponctualité miraculeuse ou
imperfectivité

Bénigne
(Grippe)

Inchoativité /durativité/
Terminativité

Perfectivité prévisible

Chronique
(Asthme)

Itérativité
(durativité discontinue)
(rechutes)

Itérative mais non perfective

La dimension aspectuelle s’impose donc aussi dans la maladie dite chronique, comme l’asthme, avec la réitération des symptômes et des crises, séparés par des moments de rémission.

3.1 Remarque : rechute ou récidive ?

La rechute traduit un nouveau départ d’une maladie existante, traitée et en voie de guérison. Il est vrai qu’elle est souvent provoquée par une mauvaise observance du traitement, par exemple lorsque le malade soulagé s’estime guéri et cesse de prendre ses médicaments. Elle peut aussi être due à un traitement mal adapté auquel le germe responsable de la maladie résiste.

La récidive elle, se définit comme la réapparition d’une maladie dont un sujet déjà atteint avait complètement guéri. Son existence justifie un examen clinique rigoureux et des examens complémentaires. Ainsi cette démarche est-elle systématique chez les femmes qui souffrent plus de 4 fois par an de cystites provoquées par des souches bactériennes différentes.

Mais c’est la dimension véridictoire qui apparaît avec ce que l’on nomme le Covid long. : la guérison s’avère illusoire avec la réapparition de symptômes 3 ou 4 mois après le début d’une infection guérie.

Covid 19 long

Réapparition différée des symptômes
(récidive)

Perfectivité

Mensongère

Classiquement, on définit le « Covid long » par une persistance d’un ou plusieurs symptômes de la Covid-19, et ce 3 mois après le début de l’infection, que les personnes aient été hospitalisées ou non pour la prise en charge de leur maladie. Le Covid long pourrait concerner environ 15 % des patients 8 mois après l’infection selon une étude parue en avril 2021 dans le Journal of the American Medical Association. Il toucherait préférentiellement les femmes, mais ne serait pas favorisé par la sévérité originelle de la maladie, d’après une autre étude.

Note de bas de page 1 :

Fiche en ligne de la H.A.S. : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-03/reco459_symptomes_prolonges_enfant_mel.pdf

Les symptômes du Covid long sont multiples et peu spécifiques. Sur son site Internet, la Haute Autorité de Santé précise que : « les symptômes les plus fréquemment rencontrés sont une fatigue, des troubles neurologiques (cognitifs, sensoriels, céphalées), des troubles cardiothoraciques (douleurs et oppressions thoraciques, tachycardie, dyspnée, toux) et des troubles de l’odorat et du goût. Des douleurs, des troubles digestifs et cutanés sont également fréquents »1.

On ne comprend toujours pas les causes de cette réapparition qui peut rendre le quotidien très handicapant.

Un tableau général rassemble les modes de transition examinés :

Maladie

Dimension aspectuelle de la maladie

Guérison

Paraplégie

Durativité

Ponctualité miraculeuse

Bénigne
(Grippe)

Inchoativité /
Terminativité

Perfectivité prévisible

Chronique
(Asthme)

Itérativité
(durativité discontinue)
(rechute)

Itérative mais non perfective

Covid 19
Long

Réapparition différée des symptômes
(récidive)

Perfectivité mensongère

Incurable
(Parkinson)

Durativité

(continue)

Imperfective

Nous sommes ici confronté à deux actions simultanées, deux faire renvoyant d’une part à la maladie à l’œuvre, d’autre part à un actant éventuellement collectif (la bonne nature, le médecin, les médicaments, le patient lui-même) agissant pour guérir la maladie en proposant un traitement.

Ces deux actions une fois soumises à un point de vue d’observation deviennent des procès, des déroulements marqués par l’apparition de la dimension aspectuelle.

Ainsi la guérison miraculeuse n’introduit-elle aucune temporalité, mais seulement l’aspect de ponctualité alors que, par contraste, l’absence de guérison dans le cas de la maladie incurable s’installe dans l’aspect de durativité continue, la temporalité limitée à la progression inexorable du procès morbide. On ne peut guère agir qu’en en ralentissant le tempo.

4. Pour conclure : attendre aux urgences

Cette mise en lumière de la prégnance de la dimension aspectuelle dans la typologie des transitions maladie-santé éclaire tout particulièrement, par exemple, les ressentis et les attentes des patients dans les services d’urgence.

Bien qu’accompagné, la plupart du temps, par une ébauche de diagnostic, l’attente aux urgences s’avère peu supportable. On met en avant le temps d’attente trop long, qui peut atteindre quelquefois une bonne douzaine d’heures, sur un brancard, dans un couloir, abandonné du personnel.

Soit, mais si la source d’angoisse, voire de révolte, n’était pas due d’abord au temps excessif ? À la dimension temporelle ?

Mais plutôt à attribuer à la dimension aspectuelle marquant cette attente, soit la durativité continue ? Et, justement, la disparition de la dimension proprement temporelle.

Durativité qu’il faudrait mettre en cause, interrompre en installant le commencement de quelque chose, voire d’un presque rien. Car, nous rapportent les patients, aucun geste, aucun acte, aucune parole à valeur inchoative ou terminative ne vient rompre le flux duratif générateur d’angoisse, voire de désespoir.

Or nous savons que le marqueur aspectuel de la maladie incurable est bien la durativité.

La Santé, c’est bien la Vie toujours recommencée et la Mort la Durativité.

Un de mes jeunes patients psychotiques, à l’hôpital, m’avait dessiné un bonhomme à tête de mort. À ma question, certes discutable : est-il vivant ou mort ? il m’avait répondu, un peu agacé : il est mort et le pire, avait-il ajouté avec le plus grand sérieux, c’est qu’on reste mort !