Négation et conflit : la double face passionnelle et culturelle

Lydie Ibo

Université de Bouaké, U.F.R.CM.S. De Bouake, Côte d’Ivoire

https://doi.org/10.25965/as.1497

Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : conflit, négation, niveaux de pertinence, pratique, schéma narratif, schéma tensif, transversaux

Auteurs cités : Joseph COURTÉS, Ivan DARRAULT-HARRIS, Jacques FONTANILLE, Algirdas J. GREIMAS, Youri LOTMAN

Plan

Texte intégral

Introduction

Note de bas de page 1 :

 Ivan Darrault-Harris et Jacques Fontanille, (dir.), Les âges de la vie. Sémiotique de la culture et du temps, Paris, PUF, 2008.

Les recherches que nous entamons depuis ces trois dernières années portent, en priorité, sur la question de l’éthosémiotique ou sémiotique du comportement1. A cela, il faut ajouter le volet des pratiques culturelles qui s’avère être très important et d’une actualité brûlante. En effet, à la suite des études que nous avons faites sur la sémiotique des passions, il nous a paru intéressant de nous pencher sur les comportements particuliers relevant de déviation chez les femmes et la spécificité culturelle auxquels ils renvoient. Si la sémiotique des passions pose son regard sur les formes de l’expression de l’état de l’âme, l’éthosémiotique, qui s’exprime sur les déviations des comportements, a été influencée par la sémiotique narrative et tensive. C’est, entre autres, l’articulation des modalités de l’être et du faire qui permet d’envisager le rapport entre ces deux dimensions de la sémiotique. Par ailleurs, la perspective des pratiques culturelles s’est imposée, dans cette réflexion, au détriment de l’éthosémiotique, dans la mesure où semblent se manifester des particularités liées aux aires culturelles, des praxis révélant des « transversaux » culturels. C’est en cela que notre étude intitulée « Négation et conflit : la double face passionnelle et culturelle » s’appréhende sous ces deux aspects de la sémiotique. L’analyse tend à montrer qu’au sein de la sémiotique, la négation et le conflit sont un moteur de sens « hypothétique », soumis à condition. Et à partir de cette logique des structures de la théorie, l’avènement du conflit, tant accidentel que provoqué, est inhérent aux pratiques individuels et de groupes, plaidant pour une combinatoire des universaux et « transversaux » de ces pratiques. C’est ainsi que nous nous appuierons sur les formes de la négation et du conflit que comporte le parcours génératif de la sémiotique. Ce qui nous permettra de distinguer par le biais des niveaux de pertinence des différents sujets privilégiés, ce que nous entendons par les transversaux.

I. De la mise en rapport entre la négation et le conflit

Note de bas de page 2 :

 Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Sirey, 1971

Note de bas de page 3 :

 Jean de La Fontaine, « Le loup et l’agneau » in Œuvres complètes I. Fables, contes et nouvelles, France, Editions Gallimard, 1954, p. 39

Note de bas de page 4 :

 Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, Limoges, Pulim, 2003, pp. 21-22

Note de bas de page 5 :

 Paul Robert, Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaire Le Robert, 2004, p. 1718

Note de bas de page 6 :

 Larousse, Le petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 1993

Note de bas de page 7 :

 Paul Robert, Le Nouveau Petit Robert, idem, pp. 510- 511

Note de bas de page 8 :

 Larousse, idem., p. 258

Note de bas de page 9 :

 Larousse, idem, p. 720

Note de bas de page 10 :

 Paul Robert, Le Nouveau petit Robert, idem, p. 1789

Deux citations permettent de mener la réflexion, à savoir « L’homme est un loup pour l’homme »2 et « La raison du plus fort est toujours la meilleure »3. Les isotopies de la négation, de la domination et du conflit contenues dans ces citations justifient les différents liens que nous avons établis entre les notions de négation et conflit. Précisément, la nature du rapport entre les deux termes que sont la négation et le conflit, outre le fait qu’elle soit paradoxale, parce qu’il y a cette intrusion de la syntaxe dans la définition sémantique de négation, indique non seulement la complémentarité de ces deux notions, mais aussi une difficulté à cerner le terme de négation, en dehors de sa structure syntaxique. Et la recension axée sur la sémantique, ne veut pas s’appuyer sur la syntaxe. Ce qui va donc fonder le rapport que nous établissons provient précisément de la signification4 ou des définitions en extension qu’un lexique peut présenter. C’est ainsi que négation est glosé par « Acte de l’esprit qui consiste à nier, à rejeter un rapport, une proposition, une existence ; expression de cet acte » ; « Action, attitude qui va à l’encontre d’une chose, qui n’en tient aucun compte »5 et « nier quelque chose (…) ne faire aucun cas de »6. Quant au terme conflit, il est présenté comme une « Lutte, combat » ; « rencontre d’éléments, de sentiments contraires, qui s’opposent : antagonisme, conflagration, discorde, lutte, opposition, tiraillement »7 et « antagonisme, opposition de sentiments, d’opinions entre des personnes ou des groupes »8. La logique du pouvoir et de la force est décelée dans les synonymes « antagonisme » et « opposition ». Cependant, cette définition de conflit peut s’approfondir par des éclaircissements apportés au terme opposition déterminé comme : « contraste », « différence extrême, contradiction ; situation de choses ou de personnes qui s’affrontent » ; «action de s’opposer, de résister, de faire obstacle à quelqu'un, à quelque chose »9 ou bien « rapport de choses opposées qui ne peuvent coexister sans se nuire ; de personnes que leurs opinions, leurs intérêts dressent l’une contre l’autre » ; « contraste »10. Fondamentalement, les points communs entre ces deux lexèmes négation et conflit se retrouvent dans le terme « conflit » qui apparaît en quelque sorte prédisposé à la « négation ». Pris séparément, les diverses significations de négation renvoient à l’idée de refus, de rejet. Mais véritablement, l’existence de la négation est comprise dans la définition du conflit, par la présence du mot opposition qui en lui-même constitue un élément de négation. C’est dire que le sème de la négation est perceptible dans les différentes acceptions de conflit, par les expressions « ne peuvent coexister sans se nuire » et « résistance ». La résistance est entendue comme « lutter pour ne pas succomber à ce qui attire, séduit » et « ne pas être atteint par les effets des actions auxquelles quelque chose est soumis ». L’entrée résister comporte spécifiquement l’emploi de la négation grammaticale « ne…pas ». C’est donc un rapport syntaxico-sémantique qui lie ces deux termes, à première vue et que nous allons aborder par un autre rapport, celui de la passion et de la pratique de l’individu. Car, dans ce bref parcours définitionnel, il apparaît que la tensivité donne la forme passionnelle et au-delà, le choix stratégique individuel le mieux adapté.

II. La négation et les formes de conflits dans la sémiotique

Note de bas de page 11 :

 Jacques Fontanille, Sémiotique du discours, ibidem.

Note de bas de page 12 :

 Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1993, p. 251.

Qu’il s’agisse des parcours narratifs ou tensifs, la sémiotique contient non pas uniquement les éléments de la négation, mais elle entretient surtout la signification par des structures différentielles et oppositives de plusieurs sortes11. L’hypothèse consisterait à dire qu’à partir du moment où ces dispositions théoriques qui favorisent la présence de ces notions existent, elles seraient adaptées pour apporter les réponses à nos interrogations. Sous quelles formes la sémiotique manifeste-t-elle la négation et le conflit, entendu que le dictionnaire sémiotique définit la négation12, « du point de vue paradigmatique » comme étant : « l’opération qui établit la relation de contradiction entre deux termes dont le premier, objet de la sommation négative, est rendu absent, alors que le second son contradictoire, acquiert une existence « in praesentia »».

Note de bas de page 13 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, idem, p. 284

Note de bas de page 14 :

 J. Fontanille, Sémiotique du discours, idem., p. 58. L’auteur a indiqué que « La question des complémentaires, dans le carré sémiotique, est donc essentielle, car ce sont eux qui font des structures élémentaires des structures de médiation, et pas seulement d’opposition ». Nous pensons qu’il est également un principe de fonctionnement par hypothèse.

Note de bas de page 15 :

 A.J. Greimas et J. Courtés., idem, p. 284

Note de bas de page 16 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, ibidem, p 131

Note de bas de page 17 :

 J. Fontanille, Sémiotique du discours, idem, p. 118

Note de bas de page 18 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, idem, p 108

En lui-même, le schéma narratif, du point de vue syntagmatique et paradigmatique, est une structure polémico-logique. Il est fondé sur le vécu humain ou « l’activité humaine »13 qui contient un versant fortement polémique, fait de confrontations servant de mesures. C’est d’abord, en structure discursive de surface, le carré sémiotique, qui souligne à la fois la négation et entretient l’idée de l’existence logique du conflit conséquent à la négation, dans les oppositions et différences qu’il véhicule. Précisément, les deixis oppositions, contraires et présuppositions montrent que le sens se trouve dans la négation, mais à condition14 qu’il y ait le « principe polémique »15, qu’il ait l’idée de conflit. Dans la logique des formes de la différence suscitant le sens, cette structure qu’est le carré sémiotique confirme ce détail du sens dans la négation et le conflit. Cependant, dans l’articulation du parcours narratif, l’épreuve, propre à la dimension syntagmatique du schéma narratif, manifeste le caractère de la domination, puisque le sujet et l’anti-sujet s’affrontent pour l’acquisition de l’objet. Le contrat est doublement établi pour les deux sujets qui s’avèrent opposés et il se crée ainsi le conflit. Dans le déroulement du programme narratif, la confrontation de ces deux programmes narratifs contraires donne lieu à une « disjonction transitive»16, dans la logique de la syntaxe narrative de surface et à un anti-programme narratif, en structure profonde. En outre, la théorie a prévu les termes de conjonction et disjonction qui illustrent la logique des différences portant le sens. Cette notion de domination et de conflit nous est rappelée, en ces termes : « Le schéma de l’épreuve est défini traditionnellement comme la rencontre entre deux programmes narratifs concurrents (…) Parfois même, l’enjeu du conflit peut se limiter à cette seule confrontation »17. Subséquemment, la disjonction18 et la conjonction qui sont les deux faces de la catégorie de la jonction manifestent la relation polémique entre des sujets tendus vers le même objet. La disjonction, en elle-même comprend les sens de l’absence dans la continuité d’un parcours (n’avoir pas quelque chose) et l’absence dans un moment précis du parcours, n’avoir plus quelque chose.

Note de bas de page 19 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, idem, p 399

Note de bas de page 20 :

 La communication participative est un des modes de transfert des objets dont la particularité est de contenir dans son fonctionnement, les catégories de la jonction.

Note de bas de page 21 :

 J. Fontanille, Sémiotique du discours, idem, p. 205

Lorsque l’on aborde le niveau narratif du texte, c’est la phase finale du programme, c’est-à-dire la sanction, qui confirme l’existence conflictuelle dans laquelle les actions sont menées et les actants engagés. La sanction déclenche les procédures de la véridiction du récit dont le carré de la véridiction est une continuité de la question du sens dans la différence ou dans les formes de la négation et les structures conflictuelles. Le contrat véridictoire, entre /être/ et /non-être/, /paraître/ et /non-paraître/ désigne cette évolution du sens, par les antagonismes. Et dans le déroulement du programme narratif, avec la question de la véridiction se pose celle de la circulation des objets. A ce propos, il y a lieu de dire que, dans le transfert19 de l’objet de valeur, l’ensemble des cinq (05) possibilités de communication de l’objet de valeur conséquente à l’opération de conjonction, dont l’acquisition, l’attribution, l’échange, le don20 et à l’opération de disjonction ou de la perte de l’objet, comprenant la dépossession ainsi que la renonciation, la négation et le conflit se retrouvent à ces deux niveaux de la jonction. La négation, comme privation de l’objet valeur, est révélée par la renonciation et la dépossession. Tandis que la dimension conflictuelle se manifeste par cette présence de la conjonction et disjonction qui est porteuse de signification. A cela, il faut ajouter les modalités qui signifient, par l’existence de leur versant négatif, la négation. Et ce n’est donc presque pas une surprise si c’est encore dans la dimension tensive que les agencements modaux conflictuels apparaissent le mieux, car si « le conflit est donc inhérent à la logique de l’action »21, la négation et le conflit sont aussi consubstantiels, inséparables des logiques actionnelle et tensive.

Note de bas de page 22 :

 A.J. Greimas et J. Fontanille, Sémiotique des passions. Des états de choses aux états d’âme, Paris, Seuil, 1991, pp. 40-43 et 75-77

Note de bas de page 23 :

 A.J. Greimas et J. Fontanille, Sémiotique des passions. Des états de choses aux états d’âme, idem, p. 23-26

Il convient de préciser cependant, que, si le schéma narratif évoque l’idée de la négation, comme un moyen dont dispose la théorie pour sa propre articulation, le schéma tensif procède assez différemment. La négation et le conflit qui sont parmi les éléments de base de la théorie sémiotique restent fortement présents. Toutefois, la négation et le conflit n’ont un fonctionnement probant que par rapport aux pôles extrêmes, non obligatoirement antagoniques, qui constituent des alternatives caractérisées par l’intensité. Cela revient à dire qu’avec le tensif, la place de la négation et du conflit d’intérêt se dégage, non plus comme un moteur de l’activité du sujet mais comme un repère. De ce fait, dès les préconditions de la signification, le rapport négation/conflit fait son apparition dans le développement de la sensation. C’est ainsi que l’attraction/répulsion qui s’exerce dans le champ de présence de l’espace protensif est articulée sur le mode de la négation de l’un au profit de l’autre. La forme conflictuelle réside dans l’intensité diversifiée de l’objet attracteur. En outre, il faut noter que par rapport à l’existence du sensible, comme appartenant au phénomène fluctuant, ce qui en justifie son étude en tant que négation et confrontation réside dans la fluctuation, le va et vient entre évanescence et permanence. Le schéma tensif procède donc parfois par la négation, en niant ce qui existait, pour créer la signification. A un niveau de structure discursive de surface, cela correspond à la phase de la sommation suivie de la catégorisation permettant l’avènement de la signification22. Outre cela, le moment de l’expérience sensible est un moment fluctuant au cours duquel l’activité sensible se déploie en passant du tout à l’unité. Ce passage de la totalité à l’unité23 est réalisé sur la base tenue de la négation. En lui même, il génère des formes de négations et de conflits pour signifier la prépondérance des tensions.

III. Des situations pratiques entre négation et antagonisme

C’est à partir des deux citations que sont « L’homme est un loup pour l’homme » et « La raison du plus fort est toujours la meilleure » que nous avons orienté notre réflexion sur les questions liées à la négation et au conflit. Nous avons sélectionné quelques situations courantes vécues. La lecture sémiotique que nous en faisons veut aboutir à une variable invariante et des stratégies prises en charge différemment par la sémiotique.

Note de bas de page 24 :

 Larousse, idem, p. 894

Note de bas de page 25 :

 Paul Robert, Le Nouveau Petit Robert, idem, p. 2311

Note de bas de page 26 :

 P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, idem, p. 1788

Note de bas de page 27 :

 P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, idem, p. 332

Note de bas de page 28 :

 P. Robert, Le Nouveau Petit Robert, idem, p. 145

Note de bas de page 29 :

 Le petit Larousse illustré, idem, p. 91

La première citation illustre le mieuxle comportement des rivaux et peut correspondre à toute situation de rivalité. Les rivaux ou le rival est identifié comme étant une « personne, groupe en compétition ouverte avec d’autres pour l’obtention d’un avantage ne pouvant revenir qu’à un seul…»24 ou bien une « personne qui prétend aux avantages, aux biens qu’un seul peut obtenir, et qui s’oppose à autrui pour les lui disputer »25. La deuxième citation, pour être plus précise, convient au cas de figure pour lequel nous avons opté, celui du monde du travail qui satisfait à la logique de l’ambition (ou besoin) personnelle. Cette ambition peut être étendue à un groupe, une communauté. Et dans cette perspective, nous privilégions le contexte de l’opportuniste, du calculateur, de l’arriviste. L’opportuniste se définit par une « personne qui se conduit avec opportunisme, c’est-à-dire comportement d’une personne qui règle sa conduite selon les circonstances, qui subordonne ses principes à son intérêt momentané »26. Le calculateur est présenté comme celui « qui calcule, combine, cherche à prévoir et détermine ainsi sa conduite » ou bien « qui calcule ce qui lui est profitable et agit en conséquence »27. Quant à l’arriviste, il apparaît comme une « personne dénuée de scrupules qui veut arriver, réussir dans le monde par n’importe quel moyen (carriériste)»28 ou bien « personne qui veut réussir à tout prix ; ambitieux peu scrupuleux »29. Ce qu’il faut alors noter dans ces quatre cas de figure, c’est que leur existence n’a de sens que dans le cadre de la compétition permettant l’expression de leur besoin, pour la recherche de quelque avantage. Une question importante justifie leur faire dans le monde : comment ignorer, éliminer ou supprimer l’autre pour atteindre leur objectif et assouvir leur besoin ? Fondamentalement, ce que révèlent ces quatre sujets consistent en des formes d’ambition fondée sur la négation et l’entretient du conflit d’intérêt. La lecture que la sémiotique peut faire de tels sujets est donc logique et presqu’aisée pour elle, puisqu’elle a en son sein des dispositions favorables.

Note de bas de page 30 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, Paris, PUF, 2008, p. 22

C’est ainsi que du point de vue discursif et narratif, les quatre sujets sont des sujets individuels et collectifs. En ce sens, il s’établit une relation, un lien tel que ces différents sujets énoncés n’ont d’existence que par rapport à la collectivité, au groupe ou au couple dans lequel ils évoluent. C’est une énonciation interactive30 qui les fait être, dans le cadre du monde du travail et dans celui de l’expression d’un besoin, l’intention de dominer. Ils se distinguent comme des sujets sensibles qui organisent leur univers comme une tension vers en un monde sensible au cœur d’un univers d’action, dans la mesure où c’est leur rapport au monde qui les définit. Les modalités qui les déterminent sont celles du /savoir-être/ pour un /savoir-faire/ auxquelles sont associées les modalités négatives du /devoir-être/ pour un /devoir-faire/ ; un /vouloir-être/ pour un /vouloir-faire/ et un /pouvoir ne pas être/ pour un /pouvoir ne pas faire/.

Pour l’acquisition d’un poste, l’opportuniste commence d’abord par nier tout ce qu’il est habituellement. C’est donc un /devoir ne pas être/ et un /devoir ne pas faire/ qui le définit à ce moment là, et de façon momentanée. Il entre alors en conflit ouvert, provoqué, avec les autres membres du groupe ou de la communauté, puisque cette négation de lui-même, pour être supportable et être efficace doit nier les autres. Envers eux, il se distingue par le /vouloir ne plus être/, le /pouvoir ne plus être/ et le /savoir ne plus être/. La variante de la négation stricte ne…pas est modalisé comme une restriction avec ne…plus, aspectualisé par la terminativité. Ce terminatif qui traduit l’inscription du sujet dans un moment inhabituel, est recomposée par l’attraction de l’univers. Le comportement est spontané, momentané, dure le temps de la compétition ; c’est une activité sensible de type esthésique. Chez le calculateur, cependant, la négation de l’entourage n’est pas systématique puisqu’il fait le calcul de leur utilité pour lui. L’attitude plus réfléchie que celle de l’opportuniste se modalise par un /devoir-être/, un /vouloir être/, un /pouvoir ne plus être/ et un /savoir être/. Sa prévoyance par le calcul de ses intérêts en fait un sujet moins conflictuel que l’opportuniste. En revanche, l’arriviste s’inscrit dans la logique de la négation de tout ce qui ne lui permet pas de parvenir à ses fins. Sa constitution modale est celle du /devoir ne pas être/, /vouloir ne pas être/, /pouvoir ne pas être/ et /savoir être/. Il n’est pas un sujet sensible, capable de régresser. Il se définit de manière permanente, en créant les circonstances favorables. Il est celui qui nie dès le départ toute forme d’opposition. Il crée le conflit permanent. Quant aux rivaux, la réalité de leur existence opposée est déclinée par des modalités en partie contraires, quand il s’agit d’une saine émulation. Dans ce cas, leurs modalités variables sont tantôt le /devoir être/ opposé, le /vouloir ne pas être/ et le /vouloir ne plus être/, le /pouvoir ne pas être/ et le /pouvoir ne plus être/ et enfin le /savoir-être/. Lorsque la rivalité est déraisonnée, de l’ordre de l’affect, le tumulte modal est un /devoir ne pas être/, un /vouloir ne pas être/, un /pouvoir ne pas être/ et un /savoir être/. Les formes de la négation qui déterminent les rivaux indiquent, en conséquence, non seulement une absence de compromission, mais aussi une dissemblance prouvant qu’ils n’ont rien en commun.

Par ailleurs, ces sujets ont une existence similaire, une forme de vie décrite par la négation apparaissant comme un régime reproduit, de manière cohérente, chaque fois que nécessaire et induisant, potentiellement, un conflit. Néanmoins, tous peuvent faire de mauvais choix. C’est dire qu’en amont, les valences non maîtrisées constituent un élément de conflit et de perte des avantages auxquels ils aspiraient. Il convient de rappeler également que, pour ces différents sujets, l’existence conflictuelle exprime une solution qui, du point de vue de l’aspectualité et du rythme, est indiquée par l’itération et l’irrégularité des contraintes ou contingences. Avançons encore que c’est le degré de moralisation qui apporte plus de précisions sur les différents sujets. Ainsi, l’opportuniste ne relativise pas son être au monde, en sorte que dans un espace où la valeur est celle de la réussite à tout prix, la négation des autres sujets est perçue positivement comme normale. Nonobstant ces spécificités, l’arriviste est perçu négativement. Le calculateur et les rivaux sont discernés avec plus d’indulgence. C’est la compréhension de leur être au monde qui leur accorde une plus-value morale. Tout se passe comme si leurs attitudes se justifiaient. Et s’ils ne sont pas encensés, ils ne sont pas véritablement décriés. L’ajustement est donc lié à la valeur accordée.

Note de bas de page 31 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, idem, pp. 410-412

Note de bas de page 32 :

 Youri Lotman, La sémiosphère, Limoges, Pulim, 1998, p. 55

Par ailleurs, il convient de présenter la problématique des « transversaux ». Précisément, à côté des universaux31du langage, peut exister « les transversaux » correspondant aux éléments communs entre ces quatre sujets. Leur fonctionnement serait le fait d’ajustement et d’accommodation indiquant une praxis propre à des aires culturelles similaires. La similarité résidant dans les nombreux points communs. Ce serait donc plus proche de ce que La sémiosphère32énonce comme des éléments propres à une aire culturelle précise : « Les systèmes sémiotiques se trouvent dans un état de flux constant. Telle est également la loi de la sémiosphère qui est sujette au changement en ce qui concerne à la fois sa structure interne et sa totalité. Dans le cadre formel de chacune des sous-structures qui composent la sémiosphère, des éléments fixes voisinent avec des éléments dotés d’une relative liberté de mouvement ».

IV. Les niveaux de pertinence et les « transversaux »

Note de bas de page 33 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, idem, pp. 410-412

Note de bas de page 34 :

 A.J. Greimas et J. Fontanille, Sémiotique des passions. Des états de choses aux états d’âme, Paris, Seuil, 1991, p.11

Note de bas de page 35 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, idem, pp. 410-411

Note de bas de page 36 :

 A.J. Greimas et J. Courtés, ibidem.

En nous appuyant sur les universaux33 sémiotiques « qui fonctionnent à l’intérieur des cultures et des univers individuels »34 et que le dictionnaire sémiotique définit comme « un problème de métalangage (…) »35 et « ainsi s’explique l’apparent paradoxe selon lequel les universaux, en tant qu’«objets» sur lesquels s’exerce la visée sémiotique, sont de nature sémantique (et, comme tels, susceptibles d’être soumis à l’analyse sémantique) et qu’en même temps ils puissent être considérés comme formels (désémantisés) et servir ainsi de matériaux aux constructions syntaxiques et logiques »36, il est possible d’établir un parallèle pour les considérer comme des substrats à partir desquels peuvent exister les « transversaux ». De manière précise, les transversaux seraient un métalangage bâti sur des opérations complémentaires de négation et de confrontation (de conflit) qui pourraient être utiles à l’étude des scènes pratiques. Et dans le contexte des pratiques sémiotiques, les « transversaux » intégrés aux niveaux de pertinence existeraient dans les processus énonciatifs qui seraient similaires, pour des aires culturelles fortement différentes.

Note de bas de page 37 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p 15

Note de bas de page 38 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 26

Dans l’application, c’est le principe concordant37 de la discontinuité permettant la signification, dans le sens où il satisfait à une analyse des différents plans et niveaux, qui sert de base à notre essai de démonstration. Ainsi, il y a lieu d’étudier les niveaux de pertinence, étant donné que le cadre que nous avons privilégié est celui de la situation en acte38.

Note de bas de page 39 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p 17

Note de bas de page 40 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, ibidem.

Note de bas de page 41 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, ibidem.

Dans le détail, l’étude des quatre sujets se réalise en tenant compte du fait qu’ils expriment, sur le plan de l’expression, les formes de l’ambition et du pouvoir. Ces cas de figure actualisent39 les deux citations par les significations qu’ils portent et que nous avons formulées par les différentes isotopies. Sur le plan existentiel, qui avec le plan de l’expression constitue le premier niveau de leur analyse, ces sujets virtuels deviennent donc des sujets actualisés, dans des situations ou scènes pratiques que sont les situations professionnelles et les rivalités. Ces figures actualisées par les sujets apparaissent comme des « contenus de signification »40 décrits par l’ambition et la rivalité qui les opposent aux autres sujets. Dans le même temps, les structures actantielles de leur relation paradoxale ne peuvent les faire exister qu’investis dans des programmes narratifs impliquant fortement la présence des autres sujets en tant qu’anti-sujets. Tout cela structure les premiers niveaux de leur articulation41 et conçoit l’idée d’une homogénéité de la théorie et son adaptation aux mêmes cas de figures.

Note de bas de page 42 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 22

Note de bas de page 43 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 23

Note de bas de page 44 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, pp. 23 et 34

Note de bas de page 45 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 24

Note de bas de page 46 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 24

Ces quatre sujets sont donc à considérer comme des niveaux « pertinents de l’analyse sémiotique ». Par la relation qu’ils ont obligatoirement avec les autres sujets des contextes professionnels ou de rivalités, ils figurent tous ensemble la situation en acte. Précisément, ces situations vécues par les sujets manifestent un tout qui se partage en figures de l’ambition ou expression de besoin et en figures de la puissance ou du pouvoir. Les intentions qui sous-tendent ces quatre situations sont celles des avantages dans la vie professionnelle dont les retombées personnelles sont importantes ainsi que des besoins de domination. A un troisième niveau de pertinence, elles se lisent sur le plan de l’immanence. Ce plan de l’immanence, l’expression et son contenu, est doublement utilisé et de manière complémentaire, tantôt par le sujet et tantôt par ce même sujet intégré au groupe. Ce dédoublement du sujet permet d’intégrer trois pratiques, c’est-à-dire « d’enchâsser trois pratiques et trois thématiques de procès différentes »42 : premièrement, le besoin pressant ou l’urgence du besoin ; deuxièmement, la suppression des obstacles ou bien la négation ; troisièmement, l’opposition conflictuelle, l’affrontement dans la perspective de la réussite. Il faut noter également que ce qui est susceptible de faire la différence entre ces différentes actions ou interactions, c’est la nature du contenu du sujet qui, dans ce cas précis est un objet non matériel peint comme l’ambition, la rivalité. Il se manifeste par la négation et l’antagonisme. Cet objet est modalisé par les trois pratiques évoquées ci-dessus et il se distingue par son invisibilité, sa constitution immatérielle, sa perception inégale pour tous les sujets. Il a un aspect non matériel et est utilisé de deux manières différentes, à la fois comme un ensemble de prédispositions composant la forme syntagmatique43, avec la négation et comme un ensemble de dispositions créant le conflit. En revanche, ce sont les résultats de toutes ces pratiques qui restent visibles. Et à partir de là, cet autre niveau indique le niveau de pertinence des pratiques mentionné déjà un peu auparavant. « La morphologie praxique44 » à laquelle elle correspond est celle de la réalisation des pratiques professionnelles en pratiques de négation-conflit, pratiques de manipulation des autres sujets, en pratiques d’élimination-domination. En réalité, c’est le « principe d’intégration progressif »45 qui débute par la forme syntagmatique intégrée au texte-énoncé, c’est-à-dire la pratique. La forme syntagmatique est donc ce qui correspond ou bien est compris comme celle de l’énonciation. Il faut également préciser qu’en tant qu’objet immatériel, l’ambition et la rivalité ont donc plusieurs usages tels que nier tout ce qui précède pour l’opportuniste ou nier en partie pour le calculateur. Ces usages qui sont alors considérés comme des « empreintes (…) énonciatives »46 sont tous placés à des niveaux différents. Ce qui souligne la hiérarchie existant entre tous ces trois niveaux de pertinence relevés. Dans la même logique, la discontinuité de leur analyse apparaît et permet d’utiliser également une approche tensive. Cependant, ce qu’il y a lieu de retenir c’est que l’étude de ces trois niveaux de pertinence indique les prédispositions (créées par la négation) et une interface entre le sujet et les autres sujets qui soulignent les dispositions (créant le conflit). Cette pratique de la négation et du conflit, comme plan d’immanence, apparaissant sous la forme de l’ambition et de la rivalité est décrite par les stratégies.

Note de bas de page 47 :

 J. Fontanille, Pratiques sémiotiques, idem, p. 28

C’est alors le lieu de dire que ce qu’il faut indiquer de paradoxal, et qui vérifie les emboitements entre universaux et transversaux que nous proposons de faire, se remarque chez les quatre sujets. L’opportuniste se distingue de tous les autres sujets par des agencements modaux qui le caractérisent virtuellement. C’est dire que les valences qui le constituent lui servent de choix définitif. A la manière d’un sujet esthésique, il est dans la posture de la confusion. En immanence, la stratégie qui se dégage est celle d’une accommodation avec les autres qui n’a pu se réaliser. L’opportuniste, en effet, n’est pas en présence d’une confluence des scènes de dénégation et de conflit. Et c’est l’urgence de l’expression du besoin qui agit comme un obstacle empêchant de trier les valences et de choisir des valeurs. Les ajustements qui auraient dû se faire par le tri n’existent donc pas. L’intégration de l’ensemble des scènes pratiques d’antagonismes n’a pu avoir lieu et c’est ce qui le différencie du calculateur qui tient compte des scènes pratiques de négation et de conflit. Il opte pour des accommodations avec les autres sujets qui le préservent. Il ajuste et procède au tri. Chez les rivaux, les valences n’ont de sens que par rapport à l’intensité et l’extensité de leur présence mutuelle dans le champ de présence. Le besoin est créé par l’attraction mutuelle que l’objet déclenche. Et sa saisie est fonction de cette présence mutuelle dans l’univers. Les accommodations et les ajustements se font non seulement en lien avec leur présence mutuelle mais bien entendu en fonction du déploiement actoriel47. Quant à l’arriviste, le besoin est exprimé par l’attraction plus ou moins intense de l’objet. En quelque sorte, les accommodations avec les autres sujets constituent le dépassement des valences par le choix de la valeur. Et le tri qu’il fait l’ajuste dans le champ de présence. Outre ces éléments de l’analyse, ce qui peut distinguer ces quatre sujets c’est la valeur accordée et la moralisation. C’est ainsi que d’une aire culturelle à une autre, les quatre sujets se construisent par des universaux du langage et des « transversaux » parce qu’ils sont également définis par des similarités des pratiques qui traversent des aires culturelles totalement différentes et qui peuvent tenir compte des facteurs du temps et de l’espace. Ils sont tout à la fois figés et en mouvement. Figés dans le rapport négation/conflit et dynamique dans leur mouvement dans des espaces culturels véritablement éloignés. Cette dynamique statique est également liée à l’intensité de la valeur et à la moralisation qui permettent de reconnaitre ses scènes pratiques, quelque soient les aires culturelles. Les transversaux que sont les opérations de négation/conflit ou confrontation n’auraient aucun intérêt sans l’intensité de la valeur et la moralisation.

Conclusion

Notre propos a été de présenter les formes de la négation et du conflit dans la sémiotique. Il est donc apparu dans cette réflexion que l’opération négation/conflit déterminait une signification par « des hypothèses ». Les analyses menées ont également eu pour base les scènes pratiques à partir desquelles l’étude du tensif a pu être intégrée. Ce qu’il faut retenir comme proposition provient de la notion de transversaux. Ces transversaux que sont les opérations de négation/confrontation nous sont apparus comme des opérations sur les niveaux de pertinence et le tensif. Ils sont reconnaissables par les faisceaux de traits communs dans les scènes pratiques et par les spécificités de l’intensité de la valeur et de la moralisation. Il convient de dire que cette notion de transversaux doit pouvoir être étoffée par d’autres opérations.