Remarques sur les difficultés sémiolinguistiques de la traduction … du sensible

Ahmed Kharbouch

Faculté des lettres, Oujda

https://doi.org/10.25965/as.1487

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Mots-clés : langue, sémiolinguistique, traduction

Auteurs cités : Émile BENVENISTE, Jean-François Billeter, Karl Bühler, Jean-Claude COQUET, Antoine Culioli, Wilhelm von Humboldt, Philippe Jacottet, Claude LEVI-STRAUSS, Jean PETITOT, Paul RICOEUR, Norbert Wiener

Texte intégral

Note de bas de page 1 :

 Claude Hagège cite quelques uns dans son  ouvrage L’homme de paroles, Fayard, 1985, p. 47 : «  pauvre envers d’une tapisserie (Cervantès), utopie (Ortega y Gasset), ou au contraire quête juste et obstinée jusqu’aux horizons de l’intraduisible (Goethe) ». 

Note de bas de page 2 :

 Antoine Culioli, Pour une linguistique de l’énonciation, II, Ophrys, 1999, p. 161.

Note de bas de page 3 :

 Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, 1963, p.169.

Note de bas de page 4 :

 Cité par François Récanati, La transparence et l’énonciation. Pour introduire à la pragmatique, Seuil, 1979, pp. 35-36

Malgré les jugements de valeur souvent négatifs dont elle fait l’objet1, personne ne peut nier que la traduction est toujours possible. En effet, cette activité de langage nous met face au « paradoxe  qui consiste à affirmer, d’une seule voix et sans contradiction, que les langues sont irréductiblement spécifiques, mais que le passage d’une langue à l’autre est possible ».2 Les seules difficultés qu’on reconnaît depuis des siècles à ce procès langagier sont surtout  décrites comme « des difficultés (…) de stylistique et de poétique », et presque jamais d’ordre sémiolinguistique, c’est-à-dire relatives à la signification par les formes linguistiques. En effet, « tous ceux qui traitent des difficultés de la traduction sont persuadés qu’ils saisissent le sens à traduire, persuadés qu’ils peuvent exprimer ce sens d’un texte, comme on exprime le jus d’une orange ». Cette manière de concevoir la traduction repose sur un postulat fondamental, «le postulat qu’on peut toujours et tout communiquer tout de suite, le postulat de l’unité de l’expérience humaine, de l’identité de l’esprit humain, de l’universalité des formes de la connaissance ».3 Ce point de vue propre à la pensée classique a été remis en partie à l’ordre du jour par la conception logistique du langage de la philosophie analytique et de certaines théories « pragmatiques ». Cette conception conclut à la transparence du langage comme l’affirme clairement B. Russell en parlant justement de traduction4 : « Ce que je dis exprime une pensée qui pourrait être traduite dans n’importe quelle autre [langue]. Les mots ne sont nécessaires que pour exprimer la pensée ; ils sont (…) transparents ».

Note de bas de page 5 :

 Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction, op. cit., pp.41-58 et Claude Hagège, L’homme de paroles, op. cit., p.141.

Note de bas de page 6 :

 « Théorie de l’information » est une traduction impropre, selon Georges Mounin (Linguistique et philosophie, P.U.F, 1975, p. 117), de Mathematical theory of communication, dont on a adopté les formulations sans précautions dans la linguistique des années cinquante et soixante, ce qui a donné lieu à une véritable « rougeole terminologique »  et sans que « la nouvelle terminologie ajoute quelque chose à notre connaissance des faits ». Malheureusement, cette « rougeole », comme chacun peut le voir actuellement, n’a pas été totalement éradiquée…

Note de bas de page 7 :

 Cité par Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Hachette, 1979, p. 39

Note de bas de page 8 :

 Jacqueline Guillemin-Flescher, « Traduction », Encyclopaedia Universalis, édition 2004.

Mais même quand les obstacles sémiolinguistiques de la traduction sont pris en compte, comme on le fait depuis que la linguistique ou, plus généralement, ce qu’on appelle « les sciences du langage » sont appelées à la rescousse, deux attitudes se sont distinguées clairement. L’une, qui trouve ses appuis théoriques chez W. Humboldt et L. B. Whorf5,  consiste à conclure à la presque impossibilité de la traduction, car la distance qui sépare une langue de l’autre ou, plus exactement, une vision du monde de l’autre, étant donné qu’une langue n’est que la mise en forme de la vision du monde de la communauté qui la parle, est tellement grande que la traduction ne peut jamais être que trahison. L’autre attitude, tout aussi extrême, soutient que tout est traduisible car, comme le voulait le postulat de la pensée classique et logistique évoqué plus haut, tout est communicable. Une langue étant un code, la seule différence entre le texte d’origine et le texte traduit est une différence de codage, car la quantité et la qualité de l’information encodée est la même dans les deux textes. L’origine de cette attitude naïve qui, malheureusement a retrouvé de la vigueur avec l’essor de l’Internet et de l’informatique, est la « théorie de l’information » (partie de la cybernétique) qu’on a essayé de transposer, avec beaucoup d’enthousiasme, au domaine de l’étude du langage, après la fin de la seconde guerre mondiale6. Ainsi le fondateur de la cybernétique N. Wiener, un des tenants de cette attitude, a pu affirmer que le chinois n’est que de l’américain encodé en chinois !7 Cette prise de position naïve et extrême qui conçoit, en fin de compte, les langues historiques comme de simples mécanismes formels et quantitatifs, objets tout désignés de l’ingénieur et du mathématicien et non comme, ce qu’elles sont en fait, des phénomènes socioculturels, a été la source des espoirs excessifs et vite démentis de pouvoir faire de la « traduction automatique ». Aujourd’hui, avec beaucoup de prudence et de bon sens, on parle seulement de « traduction assistée par ordinateur ».8

Note de bas de page 9 :

 Sur la diversité et la typologie des « instances énonçantes », origines de l’activité de langage ou, plus généralement, de l’activité signifiante, voir J.-C. Coquet, Phusis et Logos. Une phénoménologie du langage, Presses Universitaires de Vincennes, 2007, p. 23 etss.

Dans tous les cas, le traducteur doit affronter des difficultés d’ordre divers et en être conscient. De la même conscience doit aussi faire preuve le récepteur ou le lecteur des traductions. Ces difficultés sont avant tout d’ordre sémiolinguistique dans la mesure où il s’agit pour le traducteur de signifier quelque chose, déjà dite dans telle langue, à travers les formes d’une autre langue.  Le statut instanciel9 du traducteur n’est pas simple, ressemblant d’ailleurs à celui de l’exégète ou du commentateur. En effet, il est d’abord une instance de réception, interprétant le texte d’autrui, puis une instance énonçante à l’origine de son propre texte qui est censé rendre communicable ou compréhensible le premier texte. La réussite de sa « performance » de traducteur repose essentiellement sur sa « compétence » d’instance de réception : est-il sensible ou non et jusqu’à quel degré aux différentes facettes de l’activité de langage dont le texte d’autrui est le produit ?

Note de bas de page 10 :

 Seule l’écriture constitue un code car ses conventions sont toujours explicites (apprentissage des règles de l’orthographe de sa langue maternelle, par exemple). Mais l’écriture n’est pas la langue ; elle n’est qu’un système sémiotique dérivé d’elle.

Note de bas de page 11 :

 Pierre Guiraud cité par Roland Barthes, L’aventure sémiologique, Seuil, 1985, p. 24

Note de bas de page 12 :

 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Hermann, 1980 (1972), p. 8

Note de bas de page 13 :

 La distinction entre « étranger » et « étrange » concernant la traduction est empruntée à  Jean-Claude Coquet  (Phusis et Logos. Une phénoménologie du langage, op. Cit., pp. 159-166) qui se réfère de son côté à Wilhelm von Humboldt et à Antoine Berman.

Le point de départ de tout processus de traduction doit être, nous semble-t-il, la prise en considération du fait qu’une langue naturelle n’est pas un « code », comme le voulait la théorie de l’information et comme le sous-entend la conception logistique du langage, et que la traduction n’est pas un simple « ré-encodage » dans une autre langue d’une information déjà encodée dans la langue d’origine. En effet, l’identification d’une langue naturelle avec un code de communication ne peut être acceptée que comme une comparaison didactique10 dans la mesure où si les conventions constitutives du code sont nécessairement explicites et conscientes pour ses usagers, les conventions de la langue comme fait socioculturel sont toujours implicites, inconscientes et tacites.11 En plus, soutenir que les langues naturelles constituent des codes de communication  revient à « admettre du même coup que tous les contenus exprimés grâce à elles sont exprimés de façon explicite », dans la mesure où « ce qui est dit dans le code est totalement dit, ou n’est pas dit du tout »12. La simple expérience quotidienne de l’échange parlé montre clairement au contraire que nous disons plus de choses implicites qu’explicites. L’explicite n’est, pourrait-on dire, que la partie apparente de l’iceberg de la signification linguistique, car, dans le cas contraire, les divers exégètes et commentateurs seraient réduits au chômage ! La forme d’implicite à laquelle se trouve d’emblée confronté le traducteur est ce qui constitue l’ « étrange » dans le texte « étranger »13 à traduire, autrement dit, tout ce qui est constitué par  le non-dit textuel relatif aux rapports au monde collectifs et/ou individuels qui, bien que non formulés directement, supportent le discours traduit et lui donnent sa signification singulière.

Note de bas de page 14 :

 Pour l’anthropologue, la société humaine n’est qu’ « vaste système de communication entre les individus et les groupes, au sein duquel on discerne plusieurs étages : celui de la parenté, qui se perpétue par des échanges de femmes entre des groupes d’alliés ; celui des activités économiques, où les biens et les services s’échangent entre  producteurs et consommateurs ; et celui du langage, qui permet l’échange de messages entre des sujets parlants » (Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Plon, 1996 (1973), p. 84

Note de bas de page 15 :

 Notre présentation (essentiellement didactique) ne vise pas à mettre en avant le seul déterminisme économique. Le lecteur ne doit pas oublier en effet les leçons d’un M. Weber montrant d’une manière convaincante comment il arrive que des faits symboliques tels que « les conceptions religieuses » peuvent constituer « un déterminant des conduites économiques ». C’est le cas, pour lui,  du calvinisme par rapport au capitalisme (Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967, p.530).

Note de bas de page 16 :

 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, II, Gallimard, 1974, p.54. Voir aussi la page 95 du même ouvrage où l’auteur soutient « deux propositions conjointes : premièrement, la langue est l’interprétant de la société ; deuxièmement, la langue contient la société ».

Note de bas de page 17 :

 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, 1980 (1916), p. 40

Note de bas de page 18 :

 Algirdas Julien Greimas, « L’actualité du saussurisme », Le français moderne, 3, 1956, p. 196

Quelle est la conception de la langue que doit faire sienne le traducteur ? Disons qu’avant tout il ne doit pas oublier que la langue naturelle est un système sémiotique et qu’en tant que telle, elle fait partie des autres systèmes sémiotiques qui constituent ce qu’on appelle la culture. En reprenant la conception de l’anthropologie culturelle14, on peut dire que la société est constituée par un étagement de structures économiques, de structures de parenté et de structures langagières (« structures » au sens précis d’organisations systématiques inconscientes). En se représentant ces trois types de structures comme les couches superposées d’un oignon, on peut dire que les structures économiques constituent le « noyau » dur de l’oignon, car une société a avant tout besoin de survivre en tant que telle. Ce noyau est enveloppé par les structures de parenté avec tout ce qu’elles impliquent sur le plan économique. Enfin, la couche qui enveloppe le tout est la couche constituée par les structures langagières (ou plus généralement symboliques), car ce sont les discours tenus par les membres de la société sur leurs activités d’échange de biens et de services ainsi que sur les alliances impliquées par l’échange des femmes, qui viennent donner sens et valeur à la fois aux structures économiques et aux structures de parenté15. En quelque sorte, si les structures économiques et de parenté se manifestent sous forme de comportements sociaux prescrits, interdits ou permis, les structures symboliques constituent des comportements verbaux et non verbaux qui, en quelque sorte, expliquent aux yeux des intéressés les interdictions et les prescriptions et justifient les permissions. De ce point de vue, la langue apparaît comme le signifiant de toute la culture qu’elle soit matérielle ou spirituelle : la culture, produite par la société, se manifeste dans la langue, plus exactement dans les discours qui la configurent. Envisagée de cette manière, « la langue occupe une situation particulière dans l’univers des systèmes de signes » car « les signes de la société peuvent être intégralement interprétés par ceux de la langue, non l’inverse. La langue sera donc l’interprétant de la société »16. En effet, en adoptant le point de vue de ce que Saussure appelle « la linguistique externe »17, c’est-à-dire en ne considérant pas seulement la langue  en elle-même et pour elle-même,  mais en la  situant dans « le contexte social global », elle peut être envisagée, en dernière analyse, comme « une sorte de condensé de la totalité des messages humains échangés, le signifiant linguistique recouvrant alors un vaste signifié dont l’extension correspondra, à peu de choses près, au concept de culture ».18

Note de bas de page 19 :

 Georges Mounin, Les problèmes théoriques de la traduction,  op. cit., p. 268

Dans cet ordre d’idées, le traducteur doit, en plus de connaître la langue d’origine du texte qu’il a à traduire, avoir une connaissance approfondie des spécificités culturelles, largement présupposées ou implicites, de la société où ce  texte a été produit. Ainsi certains traducteurs « préconisent les voyages dans le pays dont ils traduisent la langue : ils vont acquérir ou contrôler sur place une corrélation pratique entre le contenu sémantique des énoncés purement linguistiques d’une part, et l’ensemble des traits sémantiquement pertinents des situations auxquelles ces énoncés se référent ».19 Cette idée que tout texte fait référence à des situations culturellement marquées est importante pour le traducteur qui doit être conscient que son travail ne consiste pas seulement à faire passer des formes linguistiques dans d’autres formes linguistiques, considérés comme équivalentes du point de vue sémiolinguistique, mais à faire passer un rapport au monde spécifique à telle société dans la langue d’une autre société et à le rendre intelligible pour ceux qui parlent cette langue. Dans les termes à la mode actuellement, nous dirons que la traduction met en avant des procès de communication interculturels.

Note de bas de page 20 :

 Cette attitude est exemplairement illustrée par A. J. Greimas dans son travail sur la mythologie lithuanienne (Des dieux et des hommes, P.U.F, 1985, p. 8) quand il affirme que le but de l’ethnologie est de « développer la dimension cognitive des sociétés concernés, ce véritable folklore qu’est, mot à mot, ‘le savoir des peuples sur eux-mêmes’, de ces peuples qui ne sont ni géniaux ni bêtes, mais qui se donnent la peine de réfléchir sur leur faire et sur eux-mêmes ».

Note de bas de page 21 :

 Jean-Claude Coquet, « L’expérience et sa prise en compte par le langage », Communication inédite faite à l’université Lille III le 5 décembre 2006.

Note de bas de page 22 :

 Antoine Culioli, Variations sur la linguistique (entretiens avec F. Frau), Klincksieck, 2009 (2002), p. 27. Le texte latin et sa traduction française sont reproduits à la page 238 du même livre.

Note de bas de page 23 :

 Dans la mesure où l’on va de « l’incorporel » ou de l’« exprimable », c’est-à-dire de ce que les Stoïciens appellent le Lecton  (plan de l’immanence) à l’incarnation dans les formes linguistiques (plan de la manifestation).  Sur le Lecton, voir, outre Antoine Culioli, op. cit., pp. 26-27,  Sylvain Auroux, La philosophie du langage, P.U.F., 1996, p. 140 et ss.

Là aussi une difficulté surgit s’agissant du rapport au monde collectif ou individuel. Généralement, il est réduit à être un rapport cognitif, un  savoir sur le monde ou un contact avec les choses médiatisé par la réflexion et le jugement20, alors que, comme nous l’apprend la phénoménologie, notre contact avec le monde qui nous environne et dans lequel nous sommes immergés est d’abord immédiat et corporel. En tenant compte de ces deux types de rapports au monde, nous dirons que le langage en tant qu’activité signifiante a « une forme de Janus : d’un côté, il est tourné vers le monde et apte à le percevoir et à l’éprouver (…) ; de l’autre, il est apte à mettre en forme cette perception, ce sentir ».21 Pour faire comprendre cette « ambivalence » du langage, nous prendrons appui sur un passage classique de Sénèque (Lettres à Lucilius, 117, 13) convoqué par A. Culioli pour conforter sa conception de « l’énonciatif »22 et qui nous permettra de rendre plus intelligible notre conception de l’activité de langage. Il nous semble que dans ce texte, Sénèque retrace, en quelque sorte, le « parcours génératif »23 de l’énoncé Cato ambulat (Caton se promène) qui, pour lui, est constitué de deux phases temporellement ordonnées et qui supposent deux types de contacts avec le monde : « Par exemple, je vois Caton se promener [video Catonem ambulantem]. Les sens me le montrent [activité perceptive], ma pensée y croit [activité cognitive et judicative]. C’est un corps que je vois, qui occupe mes yeux [le monde environnant vient vers nous, a prise sur nous], ma pensée. Ensuite je dis :’Caton se promène’ ». Si nous suivons la réflexion de Sénèque, une activité perceptive, suivie d’une activité judicative sont présupposés par l’énoncé produit : « voir » puis « penser » avant « dire de ». Le Lecton (l’incorporel énonçable) n’est donc que les modes d’être pensés et énoncés des corps préalablement perçus.  En transposant le propos du philosophe dans les catégories de la sémiotique du discours, nous dirons que l’instance énonçante à l’origine de l’énoncé « Caton se promène » est d’abord une instance corporelle (support du prédicat implicite « voir ») avant d’être une instance judicative (prenant en charge le procès présupposé « penser »). Pour généraliser, nous dirons que l’activité de langage relève du « sentir » ou de « l’éprouvé » avant toute assertion ou assomption. L’expérience perceptive, singulière, se trouve « traduite » ou « transposée », pour être comprise et partagée dans le procès de communication social, dans les « mots de la tribu » (Mallarmé), dans les termes du « code » commun aux deux personnages du dialogue. Même si ce qui est apparent et saute aux yeux est généralement l’expérience de pensée, il ne faut pas oublier quand même pour une réelle compréhension des faits langagiers, qu’elle repose sur ce socle qu’est l’expérience sensible.

Note de bas de page 24 :

 Karl Bühler, Théorie du langage, Agone, Marseille, 2009 (1934), pp. 104-105

Note de bas de page 25 :

 André Martinet, La linguistique synchronique, P.U.F., 1974, p. 9

Note de bas de page 26 :

 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, I, Gallimard, 1966, p. 25

On nous fera peut être remarquer que cette conception de l’activité langagière n’a rien de bien original dans la mesure où plusieurs théories du langage conçoivent le monde dans lequel nous sommes immergés et que nous pensons comme un stimulus qui déclenche en réaction notre jugement et notre énonciation. C’est ce qui découle de cet exemple donné par K. Bühler, pour qui notre activité de langage est fondamentalement le résultat de réactions soit au monde environnant, soit aux énonciations d’autrui : « Imaginons (…) deux individus dans une salle. Le premier remarque un crépitement, regarde à la fenêtre, et dit : « Il pleut ». L’autre regarde à son tour à la fenêtre, soit directement en entendant la phrase, soit qu’il est y amené en regardant le locuteur »24. Un autre tenant du fonctionnalisme linguistique, A. Martinet, adopte à peu près la même conception. En effet, il constate25que « la fonction fondamentale du langage humain est de permettre à chaque homme de communiquer à ses semblables son expérience personnelle. Par ‘expérience’, il faut entendre tout ce que l’homme ressent ou perçoit, que le stimulus soit interne ou externe, que cette ‘expérience’ prenne la forme d’une certitude, d’un doute, d’un désir ou d’un besoin. La communication à autrui pourra prendre la forme d’une affirmation, d’une question, d’une demande ou d’un ordre, sans cesser d’être communication ». E. Benvensite fait des affirmations comparables en réfléchissant lui aussi sur le « fonction du langage ». Pour lui, en effet, « celui qui parle fait renaître par son discours l’événement [ce qu’il se passe dans le monde et qui nous sollicite] et son expérience de l’événement [réaction singulière à la sollicitation mondaine] »26. Cependant, ce qui nous semble le plus important dans la conception que nous avons mise en avant est l’affirmation que l’instance énonçante, l’origine de l’activité langagière, a un statut complexe, dans la mesure où en plus d’être l’agent d’une activité cognitive et judicative, elle est aussi le support d’une activité perceptive et somatique fondamentale qui constitue le soubassement de l’activité de langage dans son ensemble.

Note de bas de page 27 :

 Il est à remarquer, comme on nous l’a fait noter, que  fier  dans l’est de la France signifie « âcre » et renvoie lui aussi à une expérience perceptive.

C’est la présupposition centrale de ce soubassement qui passe souvent par pertes et profits dans le procès de traduction, le traducteur misant surtout sur l’intelligibilité cognitive et gommant toute référence à l’expérience corporelle mise en forme et transmise par la « langue » collective ou le « discours » individuel. Ainsi, l’expression figée de l’arabe marocain : qalbu h’âr [cœur-à-lui piquant (épicé ; pimenté)] a été traduite, comme nous avons pu le constater, par la phrase française : Il est fier. En français, le prédicat « être fier » ou la « fierté » est une dénomination conceptualisant un certain type de comportement. Il s’agit du résultat d’une activité judicative de classement où l’on ramène un cas particulier à une classe générale. Par contre, le prédicat marocain « h’âr » fait référence à une expérience sensible, gustative en l’occurrence (h’âr bh’âl al-falfla « aussi piquant qu’un piment ») et relative aux catégorisations culinaires bien connues de la culture marocaine. C’est l’« étrangeté » de l’énonciation de cette expérience perceptive qui doit retenir le traducteur et non seulement son aspect « étranger » facilement équivalent à une conceptualisation. En effet, l’énoncé marocain fait référence à une « saveur » et non à une qualité morale comme la « fierté »27.

Note de bas de page 28 :

 Paul Ricoeur (Temps et récit, I, Seuil, 1983, p. 11) affirme que la métaphore est une forme d’« innovation sémantique » qui « consiste dans la production d’une nouvelle pertinence sémantique par le moyen d’une attribution impertinente ». L’impertinence en question est-elle toujours saisissable par les acteurs qui parlent la même langue ? La réponse à cette question permettrait de faire le partage entre la « métaphore vive » et la « catachrèse ».

Note de bas de page 29 :

 « Re-présentation » s’oppose à « représentation » comme en allemand s’opposent les termes « Darstellung » et « Vorstellung ». Le premier renvoie à « la figuration par le langage », alors que le second fait référence à « un acte ou un objet de pensée » ou encore à une «  image mentale » ou  « idée ». (K. Bühler, Théorie du langage, op. cit., « glossaire des termes », p. 654)

Certains vont soutenir que l’expression marocaine est une simple métaphore et que le traducteur peut ne pas tenir compte du sens figuré et ne retenir, pour les besoins de la compréhension, que le sens littéral. C’est oublier qu’une métaphore, même devenue catachrèse, est une façon de dire quelque chose du monde environnant (le Umwelt  de la phénoménologie de Husserl) qui ne peut être dit que de cette façon dite métaphorique. Autrement dit, la métaphore, comme le soutient Ricœur28 par exemple, est une forme de référence, spécifique à une culture donnée et qui ne peut être faite que de cette manière,  aux « traits sémantiquement pertinents d’une situation », pour reprendre la formulation de G. Mounin citée plus haut. On peut dire que dans la culture marocaine traditionnelle, le type de comportement que le français conceptualise sous forme d’idée dénommée « fierté », n’est intelligible que par référence à une expérience corporelle, celle de « goûter » une saveur particulière et il n’est pas par conséquent « représenté »  mais « re-présenté ».29 Un traducteur qui n’est pas sensible à cette « étrangeté » figurée par le langage ne peut produire qu’une « belle infidèle ».

Prenons un autre exemple de métaphore ou catachrèse concernant toujours le même référent : le « cœur ». Cette fois, il s’agit d’une expression du berbère marocain, plus exactement du rifain. Sur les pages d’un quotidien marocain en français, on avait traduit un poème en rifain, composé à l’occasion du tremblement de terre qu’a connue la ville marocaine d’Al-Hoceima en 2004, qui commençait ainsi :

 Via ittuqz ûr an-nam [Via, en train d’exploser cœur-à-toi]

Ce vers rifain traduit en français donnait :

Ô Via [diminutif de « Via San Jorge », premier nom espagnol de Al-Hoceima] tu languis ! »

Notons comment le passage du rifain à la langue de Molière s’est fait en ignorant superbement l’expérience corporelle impliquée par l’événement « ton cœur est sur le point d’exploser ». En effet, en plus du fait que le verbe « TQZ » dénomme un procès ponctuel et « languir » un procès duratif,  le prédicat français recouvre selon les dictionnaires d’usage, en l’occurrence le Petit Robert,  deux acceptions, l’une vieillie : « éprouver une souffrance qui épuise le corps et l’esprit », l’autre moderne : « manquer d’activité, d’énergie », et dans les deux cas, l’expérience « étrange » manifestée par le prédicat rifain qui correspond à un procès qui tend inéluctablement vers son achèvement d’ordre auditif (l’« explosion » ), est totalement oblitérée.

Note de bas de page 30 :

 Lucrèce, De la nature des choses, Editions sociales, 1954, p. 93, note 1. Précisons cependant que la natura latine est plus exactement « la chose comme elle est », alors que la Phusis grecque est « la chose comme elle vit ». Voir Emile Benveniste,  Noms d’agent et noms d’action en indo-européen, J. Maisonneuve, 1975 (1948), pp. 78-79 et 103 (nous sommes redevable à J. C. Coquet d’avoir attiré notre attention sur cette référence).

Il ne faut pas imputer ces traductions à l’incompétence des traducteurs, ce qui n’est pas d’ailleurs le cas en l’occurrence : les auteurs des deux traductions citées sont des universitaires, spécialistes des langues en question. Il s’agit, en fait, d’une attitude très largement et très naturellement adoptée en traduction. Ainsi, G. Cogniot a pu remarquer, dans une de ses notes qui accompagnent la traduction française de De Natura rerum de Lucrèce, que le titre de ce poème philosophique a été souvent traduit par « De la nature » et non, comme il se doit par « De la nature des choses ». Pour lui, « l’expression latine n’est pas rendue exactement si l’on supprime (…) l’équivalent du mot rerum, ‘ des choses’ (…). On peut, si l’on veut, traduire aussi : ‘De la nature du monde’, puisque le pluriel latin, res, désigne souvent l’ensemble des choses réelles et matérielles ». On s’expose, selon lui, au « contre-sens philosophique » si le second terme est omis dans la mesure où, trait culturel que le traducteur Français ne doit pas méconnaître, « la ‘Natura’ de Lucrèce est la ‘Physis’ des Grecs, c’est-à-dire le principe interne de croissance et d’organisation des choses » et non, comme dans la tradition philosophique française, « quelque chose comme un être personnel, l’esprit du monde, lequel justement n’existe pas selon Lucrèce ».30

Note de bas de page 31 :

 Leçons sur Tchouang-tseu,  Allia, 2002, pp. 25-28. C’est la lecture du livre de J. C. Coquet, Phusis et Logos, op. cit., loc. cit., qui a  attiré notre attention sur cet exemple ainsi que sur certains de ceux qui vont suivre.

Presque le même cas de méconnaissance des spécificités culturelles dans le rapport au monde sensible se présente avec cet exemple de la traduction en français d’un dicton de la culture chinoise classique. Le dicton en question, rapporté au sage Lao Tseu, est très connu et a été traduit en français par : « Celui qui sait ne parle pas et celui qui parle ne sait pas » ou, formulation équivalente :  « Quand on sait, on ne parle pas et quand on parle, on ne sait pas ». Pour le sinologue français J. F. Billeter31, cette traduction est « absurde » ! L’origine de cette absurdité est l’équivalence établie par le traducteur entre le prédicat chinois tche et le verbe français savoir.  En effet, alors que « savoir » n’implique pas le contact direct avec la chose sue, le terme chinois « tche » suppose, au contraire, une relation de proximité avec « un objet conçu comme présent d’une façon ou d’une autre ». Une traduction respectueuse de l’implicite expérienciel « étrange » de la culture chinoise classique  traduirait le verbe chinois par un prédicat français du genre « percevoir » ou « étreindre », ce qui donnerait le texte suivant plus respectueux du rapport au monde du discours d’origine : « quand on perçoit, on ne parle pas ; quand on parle, on ne perçoit pas » ou, formulation équivalente : « celui qui étreint [les choses] ne parle pas et celui qui parle n’étreint pas ». L’implicite culturel propre à la chine classique est de relever l’incompatibilité, non pertinente pour un esprit cartésien, entre le contact direct et charnel avec les choses (le monde environnant, le Umwelt) et le discours où se formule la pensée des choses.

Est-ce dire qu’il y a des langues d’arrivée des traducteurs comme le français qui ont tendance à faire passer tout texte étranger sous « les meules de la raison » (Lévi-Strauss) ? Nous ne le pensons pas et nous croyons que l’attitude qui consiste à traduire dans la langue d’arrivée les concepts « étrangers » et non les expériences humaines « étranges » est largement partagée, aussi bien autrefois que dans l’actualité, par les traducteurs de différentes langues.

Ainsi, on a vu Saint Jérôme au IVeme siècle, rendre, dans sa traduction de la Bible de l’hébreu en latin, par le très connu : « Vanitas vanitatum, omne est vanitas », le début du livre de l’Ecclésiaste (ou Prédicateur) qui, à l’origine, renvoyait à une expérience perceptive : « Buée des buées, tout est buée ». En effet, le mot hébraïque habel rendu dans la traduction latine par vanitas renvoie à un phénomène « étrange », très bref  et de caractère perceptif : la buée et non pas à l’ « idée » de vanité. L’expérience de l’évanescence des choses est avant tout perceptive pour la culture hébraïque qui a vu naître la Bible. Saint Jérôme efface par sa « vanitas » cette référence aux choses même et table sur les seules idées, de la même façon que le traducteur du vers rifain.

 Plus près de nous, on a vu A. Robbe-Grillet protester contre un de ses traducteurs qui a rendu dans la langue d’arrivée le syntagme français présent dans un de ses romans : « un paquet bleu de cigarettes » par la formulation jugée équivalente : « un paquet de Gauloises ». Le traducteur a cru bien faire ici, car avec l’expression « paquet de Gauloises », c’est tout le monde culturel français qui devient explicite pour le lecteur étranger de Robbe-Grillet. Pourquoi donc cette protestation de l’écrivain français ? Nous le comprendrons si nous tenons compte du fait que la majorité des traducteurs pensent qu’une  bonne traduction doit avant tout transmettre une information, c’est-à-dire, respecter le credo commun de la « langue-code » et être un procès transparent de communication. Cependant, pour le romancier français, le traducteur devait reprendre le syntagme d’origine qui fait référence explicitement à un procès somatique (la perception de la couleur bleu) et ne pas le traduire par un procès cognitif (la reconnaissance d’un objet typiquement français: le paquet de Gauloises).

Note de bas de page 32 :

 Selon les termes de Benveniste (Problèmes de linguistique générale, I, op. Cit., pp. 24-25), la « fonction » du langage, à distinguer de sa « forme », consiste à re-produire la réalité : « cela est à entendre de manière la plus littérale : la réalité est produite à nouveau par le truchement du langage ».

Note de bas de page 33 :

 Dans l’un de ses commentaires bien connus des romans de Robbe-Grillet, Roland Barthes note que (Essais critiques, Seuil, 1964, p. 199-200) le « réalisme » de cet auteur est fondé, comme tout réalisme, sur « un rapport d’analogie », mais que « cette analogie ne renvoie à aucune transcendance » et « prétend survivre fermée sur elle-même, satisfaite lorsqu’elle a désigné nécessairement et suffisamment le trop fameux être-là de la chose ». En d’autres termes, c’est un réalisme qui table plus sur l’instance corporelle que sur l’instance judicative.

Le traducteur en tant qu’instance de réception du texte « étranger » doit être sensible à l’expérience « étrange » que ce texte re-produit32et ne pas tabler sur la seule instance judicative comme unique composante de son instance énonçante d’origine. Il doit aussi identifier et tenir compte de l’instance corporelle sur laquelle l’instance judicative prend appui. Pour reprendre l’exemple de Robbe-Grillet, son énoncé implique avant tout une instance de perception qui ne fait que voir la couleur bleue du paquet de cigarettes33 (plus exactement, cette couleur s’impose à elle), alors que le traducteur mise avant tout sur une instance judicative qui reconnaît un objet et l’identifie comme faisant partie de tel contexte culturel.

Note de bas de page 34 :

 Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Stock, 2004, pp. 116-117

Note de bas de page 35 :

« Phénoménologie et sémiotique : le débat », Nouveaux actes sémiotiques no 114, https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/

Ce dédoublement instanciel que le traducteur méconnaît, nous fait penser aux traductions d’un passage bien connu de l’Odyssée (XVII, 290-310) dont a parlé P. Ricœur dans un de ces derniers livres34 : il s’agit de l’épisode des retrouvailles entre Ulysse et son chien Argos.  La traduction classique à laquelle fait référence Ricœur (celle de V. Bérard) dit : « Il [Argos] reconnut Ulysse en l’homme qui venait et, remuant la queue, coucha les deux oreilles ». J. C. Coquet stigmatise cette traduction au cours de son « débat » avec J. Petitot.35 Pour lui, les traducteurs ont « fait erreur sur le verbe (…). Cela tombe sous le sens : il s’agit de l’expérience sensible d’un animal (…). D’où cette traduction rectifiée (…) : ‘Dès que le chien Argos eut flairé son maître dans cet homme qui s’approchait, il remua la queue et coucha les deux oreilles ».  Pour lui, le prédicat à utiliser pour respecter le texte original qui fait état d’une expérience sensible est « flairer » et non « reconnaître ». Il faut dire que certains traducteurs de l’Odyssée ont respecté la « re-production » de cette expérience. Ainsi la traduction de Ph. Jaccottet (Maspero, 1982) donne la version suivante:

Un chien affalé là dressa la tête et les oreilles
c’était Argos, le chien d’Ulysse (…).
Or, sitôt qu’il flaira l’approche de son maître,
il agita la queue et replia ses deux oreilles…

Note de bas de page 36 :

 Il est vrai que Philippe Jaccottet est un poète sensible à la complexité de l’activité de langage. Voir les remarques que formule Antoine Culioli  à propos d’un de ses textes (Antoine Culioli et Claudine Normand, Onze rencontres sur le langage et les langues, Ophrys, 2005, pp. 30-31 et 40-42)

Par le choix du verbe, on peut dire qu’ici le traducteur en tant qu’instance de réception n’est pas resté sourd au « discours » de l’instance corporelle36 dans le texte d’origine.

Note de bas de page 37 :

 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, II, op. cit., p. 217

Note de bas de page 38 :

 André Martinet, Eléments de linguistique générale, Armand Colin,  1991 (1962), p. 12

Note de bas de page 39 :

 Jean-Claude Coquet, op. cit., p. 161. Par référence à la tradition philosophique grecque, l’auteur dénomme respectivement les deux dimensions du langage « phusis » et « logos ».

Récapitulons pour terminer ces brèves remarques. Les principales difficultés sémiolinguistiques de la traduction viennent, nous semble-t-il, de la conception de la langue qu’adoptent en général les traducteurs. En effet, celle-ci est assimilée souvent à un code, un moyen commode permettant de transmettre de l’information, c’est-à-dire un contenu de pensée, un savoir sur le monde. Mais le traducteur ne doit pas oublier que « bien avant de servir à communiquer,  le langage sert à vivre »37 et que, par conséquent, l’information n’est pas le tout de l’activité langagière dont le fondement ou le socle est l’expérience somatique ou le contact irréfléchi et immédiat avec les choses. Si, comme le souligne fort justement A. Martinet,38 une langue constitue toujours « une organisation particulière des données de l’expérience », il faut préciser en plus que cette expérience n’est pas exclusivement cognitive mais aussi et surtout charnelle et somatique car elle met en avant la perception du monde et le mouvement dans le monde.  La difficulté sémiolinguistique majeure que doit, croyons-nous, affronter la traduction, surtout la traduction des textes importants d’une société (sacrés, poétiques, philosophiques, …), est « moins de savoir rendre compte de l’ ‘étranger’,  ce qui dans le texte, écrit dans une langue donnée, est l’indice d’une autre culture (…) que d’accéder à l’ ‘étrangeté’ ». Celle-ci procède du « jeu » que réalisent les cultures et les textes qui les manifestent sur les deux dimensions du langage : la dimension du sensible correspondant  au contact charnel et immédiat avec le monde et la dimension de l’intelligible ayant trait au rapport cognitif et médiatisé par le jugement avec le monde.39