Retraverser Françoise Bastide

Giacomo Festi

Nuova Accademia di Belle Arti, Milan

https://doi.org/10.25965/as.7967

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques
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Texte intégral

La rédaction des Actes Sémiotiques, suite à la numérisation des Documents et Bulletins antérieurs à l’année 1987, repropose ici un dossier d’auteur qui rassemble certains des écrits d’une figure clé de l’histoire de la discipline : Françoise Bastide, élève de Greimas et biologiste de formation. En guise d’ouverture, rappelons que Greimas lui-même, dans sa note commémorative qui ouvrait le numéro de Documents de 1987, immédiatement après la disparition de l’auteur, la présentait comme « la conscience de la sémiotique » et comme une figure exemplaire d’une vie conforme à un projet de recherche.

Les Actes Sémiotiques poursuivent leur projet de numérisation des anciens numéros de la revue. Dans cette livraison nous mettons à l’honneur le travail de Françoise Bastide, pionnière dans la recherche en sémiotique de la science et dont des nombreux textes restaient introuvables en français. Les textes que nous avons pu récupérer et que nous mettons aujourd’hui à votre disposition sont les suivants :

La rédaction

Notes bibliographiques

Le recueil de textes présenté ici permet non seulement de remettre en circulation certaines des analyses de l’auteur, mais aussi de rendre ces essais plus facilement accessibles à un plus large public de chercheurs, sémioticiens ou non, qui ne se trouveraient pas nécessairement à proximité d’une bibliothèque garnie des Actes Sémiotiques antérieurs à 1987. En Italie, par exemple, seules cinq bibliothèques dans trois villes possèdent les Documents, avec un nombre légèrement plus élevé pour les Bulletins. En bref : le dossier peut aussi être pour beaucoup une découverte d’œuvres qui, au moins en partie, ont disparu du radar des bibliographies disciplinaires.

Il faut dire cependant que la situation italienne est relativement privilégiée en ce qui concerne l’accessibilité des textes de Bastide : en effet, Paolo Fabbri avait demandé à Bruno Latour de rassembler une série d’essais – pas moins de 8 – de l’auteur dans un texte anthologique, publié ensuite en 2001 par l’éditeur Meltemi sous le titre Una notte con Saturno. Scritti semiotici sul discorso semiotico. L’anthologie avait en outre le mérite de contenir la bibliographie complète des textes publiés par Bastide. Le livre a ensuite été mis en libre accès sur le site de la revue E/C de l’association italienne de sémiotique, avec l’ajout louable, toujours en traduction, d’un texte de Bruno Latour, présenté lors d’un colloque à Urbino sur les images scientifiques en 2007, publié en français dans Visible (n° 5). Cette dernière communication a été consacrée précisément à la réévaluation, vingt ans après, de l’expérience théorico-analytique de et avec Françoise Bastide dans le cadre de la sociologie des sciences.

Toujours pour le public italien, un autre essai de l’auteur sur le traitement de la matière, son dernier texte et une sorte d’héritage, a été republié en traduction italienne dans Semiotica in nuce, vol. 2 (Fabbri et Marrone, 2001), puis republié dans une anthologie sur la gastronomie éditée par Marrone et Giannitrapani (2012).

En ce qui concerne les traductions anglaises, Bastide s’est toutefois arrêtée à trois essais principaux : l’essai publié avec Latour (1986), le long essai sur l’iconographie des textes scientifiques (1990) et l’article sur la vulgarisation scientifique (1992), qui contient en outre une note du traducteur Myers dans laquelle il raconte l’impact du texte sur ses recherches consacrées à la vulgarisation scientifique. Ces essais traduits sont en effet les seuls cités et repris par un public international non sémiotique, même s’il faut signaler, hélas, la disparition de celui sur l’iconographie dans la deuxième édition de l’anthologie sur le statut de la représentation dans les pratiques scientifiques (Coopmans, Vertesi, Lynch et Woolgar, 2014).

En présentant ce dossier, je propose quatre coupes différentes, quatre façons d’imaginer la présence toujours vivante de Bastide pour la sémiotique, chacune jumelée à une métaphorisation chimique, plutôt tendancieuse, en hommage à la formation de biologiste de l’auteur. Dans un premier temps, les textes de Bastide invitent à un regard archéologique sur l’histoire de la sémiotique française, soulignant notamment sa capacité d’analyse (un solvant textuel) ; dans un deuxième temps, on peut saisir les signes du lien avec ce qui sera bientôt la sémiotique des années 90 et au-delà, avec un changement de priorité de recherche (en chimie, le précurseur). Comme troisième voie, il convient de rappeler le lien réciproque de Bastide avec les travaux de Latour et, moins connu, de Callon (catalyseur des relations pluridisciplinaires). Enfin, une lecture interprétative consacrée davantage à l’actualisation ne peinera pas à trouver des indices pour faire dialoguer Bastide avec certains sites théoriques de la recherche contemporaine (c’est encore une matière à laquelle il faut se confronter).

1. Bastide solvant

Une première piste de relecture va dans le sens d’une archéologie sémiotique, d’une reconstruction de l’histoire disciplinaire. En fait, la production scientifique de Bastide s’étend de 1979 à 1987 : huit ans seulement. Si nous voulons la considérer dans le contexte de la tradition française, nous pourrions dire qu’elle se situe idéalement et presque parfaitement entre la publication du premier Dictionnaire raisonné de Greimas et Courtés (1979) et le tome 2 (1986), dont il a elle-même rédigé quelques entrées significatives, telles que « faire interprétatif », « observateur », « point de vue », « présence » (parmi d’autres).

Dans le passage du premier au second tome du Dictionnaire, on connaît le poids croissant accordé d’une part aux langages du visible et d’autre part aux modèles de la dimension cognitive, centrés sur le thème de l’observation. La contribution de Bastide va dans les deux sens. Aux yeux de Fabbri, Bastide incarne « le tournant sémiotique », comme Fabbri lui-même intitulera plus tard son texte le plus ambitieux sur le plan théorique (1997). Bastide passe du signe au texte, c’est-à-dire aux constructions discursives, et d’un cadre logiciste, qui soutient une tradition de pensée scientiste, à une version plus rhétorique-argumentative, montrant la complexité et la sophistication des opérations discursives à plusieurs niveaux (le feuilletage, si cher à Latour). Le (re)lecteur pourra se livrer à un exercice de révision : les analyses minutieuses témoignent parfaitement de la méthode et du lexique greimassien de ces années-là, reflet de préoccupations théoriques bien définies. Souvent le corpus de référence est réduit : parfois il s’agit d’un seul texte ou de deux articles savants mis en tension réciproque ; excavation en profondeur qui met continuellement à l’épreuve l’étanchéité de l’appareil catégoriel de la sémiotique plus classique. Dans son tout premier essai, ici encore accessible (1979), Bastide entre dans le discours d’un champion de la méthode scientifique moderne tel que Bernard dans le domaine de la médecine, en essayant de complexifier les preuves issues de la première enquête de Greimas sur le discours scientifique (1975). Il faut souligner la reconnaissance d’une dimension polémique implicite (d’où le rôle des controverses pour la science) et la complexité des parcours figuratifs, ouvrant un front d’analyse sophistiquée en matière d’aspectualisation.

2. Bastide précurseur

Une deuxième valence de la relecture de Bastide peut être trouvée dans sa capacité à identifier ou à lancer précisément des thèmes de recherche persistants dans la sémiotique à venir. C’est le cas, par exemple, du long essai sur la logique de l’excès et de l’insuffisance (Bastide 1986b), dans lequel l’auteur tente d’interroger la performance du carré sémiotique face à des logiques sémantiques graduelles, en mobilisant différents modèles théoriques complémentaires, comme les groupes de Klein ou un pentagone de positions qui, à ma connaissance, n’ont plus été repris dans la littérature. Les cinq sommets d’un pentagone contiennent deux extrêmes polarisés, deux positions graduées et un point de médiation et de retournement à un hypothétique sommet central du penta-modèle. Un tel sommet répondrait à une forme d’optimisation, qui peut devenir une distance juste dans le cas d’un raisonnement topologique. Dans ce type d’analyse, Bastide semble anticiper le tournant des années 90 de la sémiotique tensive, précisément en commençant à approfondir la logique du continuum, la recherche de la précision catégorielle étant de temps à autre remise en question. L’application analytique, dans son cas, n’est jamais un étalage ou une exhibition d’une instrumentation : l’enjeu, de nature plus herméneutique, est expliquer le phénomène discursif. L’essai sur la démonstration (Bastide 1981) reste un texte d’ouverture thématique repris ensuite, par exemple, par Beyaert-Geslin (2011) dans une relance collective de la recherche sur ce thème (programme ANR sur les images et les dispositifs de visualisation scientifique).

L’essai inaugural sur l’iconographie des textes scientifiques, en revanche, ouvre un sujet très sondé dans la première décennie des années 2000, qui a culminé dans le numéro double de Visible (5 et 6) et dans le texte plus expérimental de Dondero et Fontanille (2012). À l’époque, Bastide avait rassemblé un mini-corpus sous la bannière de l’hétérogénéité, montrant comment un essai scientifique doit recomposer des photographies, des schémas, des diagrammes, des tableaux. Sa comparaison et son commentaire à Lynch (1985) au sujet du traitement des images photographiques dans une pratique de mathématisation la placent à la pointe de la recherche de l’époque, la mettant en polémique avec Lynch sur le statut de la mathématisation elle-même, un débat qui mériterait d’être repris et relancé. D’autre part, la recherche de semi-symbolismes, marquée par des propositions à la Floch, aborde et anticipe l’investigation des infographies (cf. Manchia 2020 et 2022, entre autres).

3. Bastide catalyseur

Bastide est connue pour son dialogue constant avec les recherches de Latour, encore à l’état embryonnaire à l’époque. Par exemple, elle ne manque pas de citer Laboratory Life, premier texte significatif sur l’ethnographie de la recherche scientifique, d’où elle part pour examiner la centralité des textes-documents qui « sortent », en tant qu’objets actifs, d’un laboratoire scientifique. L’intérêt de Latour pour les inscriptions, en revanche, montre le filtre textuel inévitable de la pratique scientifique. L’expression « non-humain », si présente jusqu’au bout dans la production textuelle de Latour, trouve certainement une référence importante dans les analyses de Bastide. Par exemple, dans Bastide (1985), il y a un paragraphe intitulé précisément « les acteurs non humains » dans lequel on souligne comment le récit scientifique place les acteurs non humains au centre, dans une sémantique actorielle différente des récits typiques des traditions humaines mais avec des propriétés syntactiques et sémantiques superposables. Il s’agit de la vérification ultime de la généralité des modèles narratifs développés au cours des années précédentes. Il y a là un paradoxe intéressant, peut-être le signe avant-coureur des malentendus dans le dialogue permanent, mais pas simple, entre la sémiotique et les Science and Technology Studies (STS). D’une part, tant Latour que Callon, autre champion de la recherche sur les sciences économiques et les formes d’innovation, reconnaissent la valeur de la textualité et donc des disciplines textualistes comme la sémiotique, précisément parce que, fondamentalement, ils reconnaissent l’altérité du plan des pratiques. Prenons le cas de Callon : l’entretien que lui a accordé Bastide (1985), alors qu’il dirigeait le Centre d’Innovation à Paris, porte sur son modèle lexical, centré donc sur le pouvoir révélateur de l’inévitable médiation linguistique. La discussion de sémantique lexicale et des stratégies de recherche méthodologique pour étudier les formes d’innovation et le rôle des controverses est apparemment une possible extension in nuce d’une sémiotique discursive. On pourrait dire la même chose de Latour, qui a été parmi les premiers à considérer la production d’articles scientifiques, donc de textes, comme une production nécessaire des laboratoires, des lieux rhétoriques dans lesquels on peut saisir des stratégies complexes de relation non seulement à la « nature », mais aussi à l’état de l’art sur les sujets de débat et à d’autres lieux potentiellement compétitifs dans l’investigation de phénomènes similaires. Callon et Latour sont donc les premiers à valoriser un regard détaillé sur les productions des inscriptions. D’ailleurs, précisément au sujet des inscriptions, en les étendant à toutes les productions de traces et donc aux dispositifs de visualisation scientifique, Latour a marqué un tournant dans la recherche en STS dès le milieu des années 80 (cf. Latour 1986). L’alignement possible avec les propositions plus sémiotiques de Bastide apparaît alors encore plus radical. Observons comment Bastide encadre le caractère expérimental des sciences :

Le paradoxe d’une science expérimentale est qu’elle s’efforce de construire un objet et en même temps de montrer qu’il existe indépendamment de la construction, comme un objet du monde. (Bastide 1986a, p. 252 dans la traduction italienne, 2001)

Cette formulation revient de nombreuses fois chez Latour, diversement retravaillée. C’est le cas de l’invention du terme faitiche, une crase de fait et de fétiche, dans laquelle cette construction cherche à se transcender. Dans la synthèse plus récente des modes d’existence, on retrouve encore une position similaire, au cœur du cadre latourien. Le fait est, cependant, que les deux auteurs accordent une valeur égale à l’enquête ethnographique, orientée du côté des pratiques, afin d’approcher ce qui échappe à l’observation des inscriptions et à leurs logiques les plus rigoureuses. Le texte le plus récent de Callon (2017) est un grand éloge et une synthèse de diverses ethnographies des marchés ; un texte dont le but est d’observer les dispersions des ajustements pratiques, à différents niveaux, entre les acteurs humains et non humains dans l’établissement et la reproduction des « formes de marché ». Latour lui-même, par exemple dans le texte qui veut refaire la sociologie (2007), illustre la nécessité d’un regard ethnographique qui suit les acteurs sociaux dans leur faire et reconstruit la chaîne des médiations. La textualité, comprise de façon étroite comme une forme d’inscription lisible (dans la mesure où elle peut être ramenée à la production de signes), n’est qu’un moment d’un parcours plus large qui intègre la composante pratique, qualitativement différente des productions textuelles. Le paradoxe ici est qu’une partie de la recherche sémiotique s’est ouverte à une investigation différente des pratiques (cf. Basso Fossali 2009) sans que la sociologie des sciences ait pu reconnaître et intégrer cet apport, malgré les efforts d’autres figures-passerelles comme Dondero (2017) ou Mattozzi (2006), capables de prolonger le dialogue avec Latour. Latour lui-même, par ailleurs, fidèle à cette première manière de lire la sémiotique, a progressivement épuré le lexique sémiotique technique, finissant par se débarrasser même du concept d’énonciation dans le cadre de sa théorie sur les modes d’existence (pour une reconstruction critique, voir Famy, 2017). Le paradoxe est donc que la sémiotique, comme la sociologie des sciences, peut désormais reconnaître une séparation des regards ou des méthodes pour enquêter sur le sens pratique, mais la cristallisation d’une sémiotique textualiste rend la comparaison difficile.

La réinterprétation de ce morceau d’histoire par Latour (2011) provoque la sémiotique et l’invite à prendre une position qui n’a finalement jamais été explicitée. En effet, Latour soutient que Bastide a pu réaliser ses précieuses analyses en vertu d’une expérience directe de la chaîne de transformations qu’implique la pratique expérimentale

Cette expérience n’est pas encore intégrée dans le cadre de la sémiotique et, pour le dire de manière provocante, je pense que la sémiotique est très mal équipée pour traiter cette question de la chaîne référentielle. (Ibid., p. 7)

Latour rejette le couple signifiant-signifié au profit du constat, à prouver, du maintien d’une constante dans les modifications du plan d’expression. On peut répliquer qu’une sémiotique des cultures, capable de reconnaître des expériences différentes (le texte comme totalité configurée, la pratique comme accommodation), est déjà un principe de réponse aux défis posés par les STS. C’est précisément la reconstruction de plans d’expression différenciés qui rend possible un nouveau regard sur les formes d’intégration descendantes et ascendantes (cf. Fontanille 2008).

4. Bastide matière

Bastide ouvre également un terrain de relectures consacrées à mettre au jour des aspects qui ont échappé à d’autres lectures avisées, ou au contraire à les actualiser dans le cadre de la recherche contemporaine : en somme, son corpus redevient matière, ressource pour de nouvelles relectures créatives. Indiquons quelques endroits qui sont aussi récalcitrants qu’incitants. Le dernier essai de Bastide, précisément celui consacré au traitement de la matière, a été diversement repris par la sémiotique italienne (par exemple, plusieurs fois dans Marrone et Giannitrapani 2013, dans Marrone 2017 ou dans Pozzato 2019) et, plus récemment, lors du récent colloque de l’AISS sur la matière qui s’est tenu à Palerme (entre autres, Costanzo 2022). L’utopie d’une réduction à l’élémentaire, rappelant un structuralisme lévi-straussien, coexiste chez Bastide avec une proposition méthodologique relativement nouvelle, à l’époque, du point de vue de l’analyse de corpus, qu’elle appelle « saturation figurative » (Fabbri en fera également état dans son souvenir de Zilberberg, cf. Fabbri 2020). Le corpus n’est pas fixe au départ : il s’élargit progressivement jusqu’à ce que l’on continue à trouver des solutions qui ne peuvent être rattachées à des articulations déjà effectuées. C’est une tension asymptotique vers l’épuisement du rendu sémantique du corpus lui-même. Il s’agit donc d’un corpus en devenir, en expansion et en stabilisation. On retrouve un processus similaire dans le corpus de publicités pour parfums et déodorants analysé par Basso Fossali dans La promozione dei valori (2009).

Un deuxième terrain fertile à considérer concerne le thème des collectifs, de l’arrière-plan d’un actant collectif, garant d’une confiance nécessaire pour comprendre le caractère situé et historique des pratiques scientifiques. On en retrouve la trace dans Bastide (1981, 1985). L’essai sur Saturne (1983) pose non seulement le problème du statut de la vulgarisation et du continuum qui relie la littérature scientifique, les magazines de vulgarisation scientifique et les journaux, mais il passe également en revue les possibilités narratives de la vulgarisation déjà dans une clé productive. Comment rendre une histoire attirante pour un lecteur non-scientifique ? Comment le thème du jeu ou du voyage peut-il compenser le manque de connaissances dans lequel s’inscrit la nouveauté scientifique ? L’opportunité de suivre les vicissitudes des images des anneaux de Saturne prélude alors à une multiplicité de stratégies d’intéressement passionné. Le thème de la vulgarisation appelle aujourd’hui une revitalisation, notamment en raison de l’apparition des nouveaux médias. Les magazines de vulgarisation ont largement été remplacés par des profils de vulgarisateurs dans les médias sociaux, capables de s’exprimer sur Twitter ou Tik Tok. Une thèse de doctorat récente en Italie (Stancampiano 2021) est entièrement traversée par un dialogue avec l’essai de Bastide, une accroche méthodologique essentielle même pour une enquête de matrice pragmatique plutôt que sémiotique.

Enfin, Bastide peut redevenir un terrain fertile ou un pivot à reconsidérer dans le débat récent sur les logiques du vivant ; un terrain de rapprochement entre la sémiotique structuraliste française et la biosémiotique (cf. Fontanille 2019). En effet, l’article sur la linguistique et la biologie (Bastide 1985), où l’auteur revient sur l’appariement des deux « systématiques » afin de sonder les concepts qui constituent des « faux amis », ne semble pas être fréquenté par les sémioticiens. Il nous semble que la double expérience formative de Bastide la conduit à des mises en garde qui pourraient être révisées de manière productive aujourd’hui, en ce qui concerne l’invention du sens alignée sur la productivité des variantes biologiques. L’invitation finale de cet essai pourrait devenir la nôtre : « Fabriquons le plus possible de chimères, c’est la meilleure heuristique de découverte » (ibid., p. 28).