« Quand le Musée s'affiche »
la célébration du bicentenaire du Musée des Beaux-Arts de Lyon en 2004

Odile Le Guern

Université Lumière-Lyon 2

https://doi.org/10.25965/as.1209

Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : affichage, ethos, isotopie, musée, situation, support

Auteurs cités : Jacques FONTANILLE, Louis MARIN

Texte intégral
Note de bas de page 1 :

Jacques Fontanille, « Signes, textes, objets, situations et formes de vie : les niveaux de pertinence sémiotique », Les objets au quotidien, sous la direction de Jacques Fontanille et Alessandro Zinna, NAS, PULIM, 2005, p. 198.

Le Musée des Beaux-Arts de Lyon a fêté, tout au long de la programmation des activités de la saison 2003-2004, son bicentenaire. Les lignes qui suivent se présentent comme le compte-rendu un peu journalistique, parfois anecdotique, d'une expérience d 'information, de communication, mais aussi de médiation, autour de l'événement que constitue la célébration de ce bicentenaire. Cette célébration se présente comme une « situation sémiotique » complexe, comme « une configuration hétérogène qui rassemble tous les éléments nécessaires à la production et à l'interprétation de la signification d'une interaction communicative »1, éléments et paramètres que nous avons simplement essayé de classer, ensemble de matériaux envisagés comme manifestation de l’affichage du bicentenaire. Complexe parce qu’hétérogène, cette situation sémiotique est également inconfortable à analyser parce qu’elle semble bien vouloir se prolonger sur l’année 2005, qu’elle est en cours d’actualisation. Nous sommes dans l’inachevé d’une situation faite de projets déjà réalisés, mais aussi abandonnés ou différés. Autrement dit, sa « dimension stratégique » est toujours virtuellement révisable. Cela pour dire aussi qu’on ne peut pas séparer l’affichage proprement dit des activités proposées par le Musée, ces activités ayant fait l’objet d’une forme d’affichage, mais surtout ayant été conçues elles-mêmes comme une forme d’affichage, ce qui nous amènera à distinguer l’événement (englobant), des événements (englobés) du bicentenaire, qui vont rythmer la saison.

Initiative de départ.

Note de bas de page 2 :

L'exposition s'est déroulée du 9 octobre au 15 décembre 2003.

Note de bas de page 3 :

 Le service culturel organisait aussi « Des Affiches en mots et en couleurs » pour les primaires et «  Affiches, Slogans et publicité » pour les collèges et lycées, le 8 octobre.

Le service communication, dont la fonction habituelle est de concevoir des affiches ou autres documents pour informer sur les collections permanentes ou les expositions temporaires, devait en principe en concevoir pour informer le public lyonnais ou de passage sur l'événement que constitue cet anniversaire, en choisissant des modes (affiches) et des lieux de diffusion (abri bus) pour le rejoindre dans l'espace urbain. Pour des raisons budgétaires, politiques, etc., la stratégie de communication et d'information choisie par le Musée fut pourtant tout autre. Cet affichage de l'événement s'est réalisé par l'initiative conjointe du service communication et du service culturel de solliciter le public, scolaire, associatif ou individuel, en lançant un concours d'affiches sur le thème du bicentenaire à l'issue de la première exposition temporaire de la saison consacrée à Cappiello2. Cette première exposition était l’occasion d’une réflexion sur le genre de l’affiche et ses différentes fonctions, esthétiques et rhétoriques. Cette exposition, en raison du caractère métasémiotique et de la fonction didactique dont l’investit le Musée, lance la célébration du bicentenaire sans faire toutefois partie de l’événement. En témoigne l’affiche, qui n’est pas encore marquée par les constantes de la charte graphique que nous retrouverons systématiquement par la suite (le bandeau « bicentenaire » à droite). Il faut noter aussi que l’exposition ne présentait que des œuvres du fonds Cappiello du Musée, constitué par une donation effectuée par la veuve de l’artiste en 1961. À travers les affiches ou projets d’affiches de Cappiello présentés, seul le Musée des Beaux-Arts de Lyon, dans une démarche très réflexive, « s’affiche ». Il ne fait appel à aucune autre collection et inscrit cette exposition dans le cadre d’un ensemble d’activités regroupées sous le titre : « le Musée s’affiche »3. Le Musée, par cette première manifestation, souhaitait transmettre au public sollicité pour le concours un savoir faire, mise en place d’une compétence qui place virtuellement le public comme sujet d’une énonciation encore à venir mais qui tire son inspiration aux origines du genre de l’affiche.

Note de bas de page 4 :

Qualité de la composition et du rendu du travail, qualité et originalité de l'invention et lisibilité des intentions.

Le cahier des charges pour la réalisation des affiches était simple : « donner sa vision du Musée, donner envie d'y venir ». D'un point de vue plus formel, l'affiche devait être de format barlong, répondre à des critères de clarté, d'originalité et de lisibilité4 et porter le texte suivant : « Le Musée des Beaux-Arts de Lyon fête ses 200 ans ». Ce qui a retenu notre attention, c’est d’abord le fait que le Musée soit lui-même l’objet du discours des affiches qu’il sollicite auprès de son public, et il l’est en tant qu’institution, lieu de regroupement de collections mais aussi lieu d’activités autour de ces collections, institution qui s’inscrit dans l’histoire de la ville et qui a sa propre histoire. C’est ensuite le fait que, plus encore que pour une exposition temporaire, l’affichage constitue un événement dans cette histoire, comme le bicentenaire dont il doit informer. Manipulation ou retournement du dispositif énonciatif et temporalité sont les deux caractères forts de la forme d’affichage choisie par le Musée pour célébrer son bicentenaire.

Construire une situation sémiotique avec des acteurs.

Le service communication et le service culturel pour le Musée d'une part et le public d'autre part constituent les deux pôles du dispositif énonciatif. Le public est envisagé collectivement (scolaires, associations, etc.) et il entretient alors souvent des relations dites « partenaires » avec le Musée, donc des relations privilégiées voire de complicité pour certaines activités, mais il faut tenir compte aussi du public constitué par les visiteurs individuels, plus anonymes, qu'il faut également atteindre. Ces deux acteurs sont différemment impliqués en termes de modalités : il y a le vouloir ou devoir faire du Musée engageant un savoir-faire (les compétences du service communication), à la mesure de son pouvoir faire (contraintes budgétaires) et un public, soit tout à fait ignorant de l'événement et donc dépourvu d'attente particulière en termes d'information, soit un public plus averti, en situation d'attente, non pas par rapport à l'information elle-même, mais par rapport aux formes qu'allait prendre la campagne de communication, l'affichage, autour de l'événement bicentenaire. Le décalage entre des formes plus attendues de communication et ce qui a été proposé a pu surprendre, mais surtout a renforcé des liens entre le Musée et ses partenaires. Autrement dit, la stratégie choisie visait moins un élargissement quantitatif du public qu'un travail sur la qualité des relations déjà existantes, envisageait moins son action en termes d'extension qu'en termes d'intensité, ce qui lui a valu parfois le reproche d'une célébration en toute confidentialité.

Il faut ajouter à la liste de ces acteurs les étudiants, sortes d'intermédiaires entre le Musée et le public, un peu dans le rôle d'adjuvants, dans la réalisation du projet pour le Musée, dans une nouvelle forme d'appropriation du Musée, objet de quête, par le public. En fait, par l'intermédiaire des étudiants ou représenté par eux, une partie du public se trouve en position de médiateur culturel. En mettant le public en position de sujet pour la conception des objets supports et une participation active aux activités de médiation, le Musée assure une cohérence de stratégie qui incite à englober dans le processus d'affichage à la fois les objets et les activités de médiation.

Il faut prendre aussi en compte le jury, constitué de personnalités internes au Musée (responsables des services culturel et communication, conservateurs) et de personnalités extérieures qui représentent en fait une partie du public, celle constituée par les partenaires privilégiés du Musée (universitaires, inspecteurs d'académie ou enseignants en arts plastiques, etc.). Il est aussi constitué par des professionnels de l'affiche (agences de communication), sorte d'instance neutre, plus impartiale que les deux premières, moins impliquée dans leurs enjeux respectifs. Ce jury se présente donc également comme un ensemble mixte, intermédiaire entre le public et le Musée, entre des émetteurs concepteurs, à la compétence reconnue mais non sollicités, sinon à titre de récepteur et pour une évaluation des productions du public, et des usagers, habituellement consommateurs d'affiches sollicités pour l'occasion comme producteurs. Ce jury d'une certaine manière sanctionne les réalisations proposées par le public puisqu'il va opérer une sélection parmi les deux cent soixante-dix affiches finalement réalisées.

Retournement du dispositif énonciatif et des rôles actantiels de l'affichage.

Note de bas de page 5 :

Pour le public informé de l'événement et de la forme d'« affichage » de l'événement, souvent constitué de parents, d'amis, de collègues, et autres relations des participants au concours, on peut aussi envisager une forme de transitivité, où A informe B qui informe C, qui réalise la conjonction de A et de C et offre ainsi au Musée l'occasion d'élargir son public, mais par un cheminement de proximité, par le relais du public partenaire.

Note de bas de page 6 :

 Le genre « concours d'affiches » n'induit pas forcément ce passage de la réflexivité à la réciprocité. La récente campagne pour la sécurité routière, à l'initiative de Renault, semble au contraire dire de manière très explicite le caractère réflexif de l'argumentation, mais en situant cette réflexivité du côté du récepteur de la campagne, ceci par la publication de l'affiche gagnante accompagnée d'un texte inscrivant sa réalisation dans le cadre d'un concours, opérant donc un retour aux circonstances de production, mais surtout par l'utilisation de la deuxième personne par l'initiateur du concours à l'intention des participants, à la fois énonciateurs et énonciataires de l'affiche. Il est clair que, par le même type d'initiative, le Musée prend en charge plutôt une valeur de « réciprocité », affirmée fortement lors de l'un des samedis à thème (27 mars 2004) sur le Musée « partenaire » et où l'on a beaucoup entendu les termes : partage, échange, etc.

Le Musée, au lieu de prendre en charge la réalisation des affiches, sollicite donc son public. C'est ce public qui va construire un discours sur le Musée, discours forcément polyphonique alors que si le Musée avait pris traditionnellement en charge la promotion de l'événement, le discours aurait été plus recentré autour de certaines valeurs en nombre sans doute plus limité. Mais surtout, cette prise en charge par le public contredit en apparence le slogan « le Musée s'affiche » dans la réflexivité énoncée par la forme pronominale ou incite à reconstruire une réciprocité : le Musée affiche son public, qui, à son tour, affiche le Musée. Le public est, métonymiquement, l'objet de cet acte d'affichage, par l'affichage des objets supports ou espaces de représentation que sont les affiches. Sorte de discours rapporté sur le Musée, que le Musée assume et répercute. Le public devient sujet de l'affichage du Musée par le contenu même des images, par l'espace représenté, par les choix opérés par les participants parmi les objets des différentes collections pour représenter le Musée par synecdoque. Double énonciation, avec mise en abyme de l'une dans et par l'autre. L'idée du concours d'affiches n'est pas originale. C'est dans le passage de cette réflexivité énoncée par le slogan à la réciprocité induite par le retournement énonciatif qu'il propose que ce concours trouve sa spécificité5. Cela dit, l’enchâssement de l’un des discours dans l’autre, celui du public sur le Musée dans l’acte d’affichage du public par le Musée, témoigne du fait que le Musée assume le discours du public et permet de réenvisager sans doute une forme de réflexivité6.

Le public choisira, quant à lui, par l'intermédiaire des objets des collections cités, de mettre en avant d'autres valeurs, liées à la nature de l'événement et à son caractère festif et ludique. Ce qui frappe, c'est le caractère dynamique des valeurs choisies de part et d'autre, toujours liées à une forme de temporalité engageant des acteurs. Pas de référence exclusive aux collections, aux bâtiments eux-mêmes en tant que patrimoine, en tout cas de manière synchronique et figée. Ce ne sont pas les collections en l'état actuel qui sont envisagées mais la constitution des collections, ce n'est pas non plus le bâtiment tel qu'il s'offre aujourd'hui au visiteur mais le bâtiment dans son histoire et ses métamorphoses. L'affichage n'est pas seulement interaction particulière, il se fait image d'une forme d'interaction que le Musée voudrait privilégier par les différentes formes de médiation culturelle proposées.

Construire une situation sémiotique dans un environnement particulier, ou l'extension spatiale de la célébration du bicentenaire.

Note de bas de page 7 :

Comme musée municipal, il est d'ailleurs sous tutelle de la mairie.

Il convient également d'envisager l'espace du Musée comme premier lieu d'affichage. Du point de vue du contexte urbain, le Musée s'inscrit au cœur de la ville, constitue la façade sud de la place des Terreaux dont la façade est occupée par à l'Hôtel de ville. Par ce voisinage, il fait donc figure de bâtiment officiel7, par l’orientation de sa façade vers la Croix-Rousse, vers un quartier à l’identité extrêmement hétérogène, à la fois populaire et branché, ouvrier et intellectuel, habité par une population étrangère (Maghreb) mais aussi lyonnaise de souche, il désigne d’une certaine façon la diversité des publics que visent les activités que propose la programmation tout au long de l’année. Pris entre le caractère officiel de l’organisme de tutelle dont il dépend et la diversité du public visé, dont le quartier de la Croix-Rousse est une mise en figure, il n’envisage pas, au moins dans un premier temps, l’opération « bicentenaire » par une projection de son image et de sa fonction hors les murs, par un affichage dans l’espace urbain, à la rencontre du public. L’exposition des affiches sélectionnées par le jury reste à l’intérieur des murs.

Note de bas de page 8 :

Il faut noter que les lyonnais désignent rarement ce monument par l'intitulé de sa fonction actuelle, « musée des Beaux-Arts », et préfèrent l'appeler « Palais Saint-Pierre ». Les aménagements les plus remarquables ont été menés par des architectes de renom comme Thomas Blanchet, à l'initiative des abbesses Anne et Antoinette de Chaulnes.

La configuration architecturale actuelle du Musée date du XVIIè siècle. Il était alors le couvent des bénédictines de Saint-Pierre8, La Révolution contraint au départ les dernières religieuses et change radicalement la destination du bâtiment, qui devient musée par le décret consulaire du 1er septembre 1801. Le monument, comme texte, affiche donc une double isotopie ou une double identité, religieuse et muséale, et joue parfois de la contamination des valeurs de l’une sur l’autre, alors que les actions de médiation combattent cette contamination du muséal par le religieux, qui sacralise les collections et fige les relations que le public pourrait avoir avec le Musée.

Note de bas de page 9 :

Il faut noter que l'une de ces œuvres majeures est tout de même L'Ascension de Pérugin, qui relève du muséal comme objet (espace de représentation) mais du religieux par la thématique (espace représenté).

Note de bas de page 10 :

Les affiches non sélectionnées ont été affichées au premier étage, le long du couloir qui longe l'amphithéâtre Focillon.

Note de bas de page 11 :

 James Pradier, Odalisque, 1841, marbre.

Le religieux et le muséal, qui se succédaient sur l'axe du temps, se distribuent sur l'espace selon l'opposition intérieur/extérieur : rien, en façade, ne rappelle l'ancienne fonction du bâtiment alors que l'architecture du cloître impose encore fortement l'identité religieuse. Puis, à la manière d'une organisation spatiale en boîtes gigognes, cette identité religieuse s'efface de nouveau au profit du muséal à l'intérieur des salles d'exposition. La double isotopie concerne donc principalement les espaces de transition. Le cloître en constitue la manifestation la plus évidente, avec le jardin qu'il enserre. Il se présente comme un espace public, lieu de promenade en accès libre, mais il abrite aussi des sculptures (Rodin), ce qui fait de lui le jardin du Musée et plus tout à fait un jardin public ordinaire. Entre la ville et le Musée, l'extérieur et l'intérieur, le public et le « privé », il est le lieu où se manifeste le plus fortement la double identité du Musée, religieuse et muséale : aux indices architecturaux du religieux, s'ajoutent les figures du muséal que constituent les statues et la présence des cartels, signes d'une forme de prise en charge de cet espace par l'institution musée. Les figures du religieux animent encore, mais de manière plus discrète, les espaces d'accueil, billetterie et réfectoire (vestiaire), où des œuvres majeures9 cohabitent avec un mobilier tout à fait fonctionnel (vestiaire, présentoirs de prospectus, etc.), cohabitation qui témoigne d’une concurrence entre diverses activités : le visiteur est déjà, mais pas tout à fait, encore dans son rôle de contemplateur d’œuvre d’art. Les espaces de transition le préparent à jouer ce rôle tout en différant, dans le temps de la visite, le moment où il l’endossera complètement, son regard tout entier porté sur des œuvres mises en valeur par la neutralité du décor. Ainsi, de passant déambulant dans un espace urbain offrant une multiplicité d’activités possibles, il devient progressivement visiteur de musée en quête d’un unique objet, la collection, par une unique activité de contemplation, portée bien sûr par son déplacement.
Alors que son parcours dans ces espaces de transition lui a permis de changer de statut et d'endosser le rôle de contemplateur d'œuvres d'art après avoir joué celui de passant dans l'espace urbain, alors qu'il vient d'acheter son billet, de faire face au retable de l'Ascension de Pérugin, le visiteur découvre, au pied de l'escalier Thomas Blanchet, c'est-à-dire avant de s'engager dans l'enfilade des salles où sont exposées les collections, les affiches sélectionnées10. On se rend compte alors que les isotopies, du religieux et du muséal, que nous avions opposées jusque-là, sont complémentaires, et que l’isotopie du religieux sert une certaine image du muséal, crée notamment une qualité de silence qui induit un comportement qui confirme la sacralisation de l’art et du patrimoine culturel. Les affiches véhiculent au contraire des valeurs liées au festif, au ludique, parfois à l’irrévérencieux. Cette autre rupture, de nature axiologique cette fois, pouvait être vécue comme une provocation, le Musée souhaitant en effet casser son image et provoquer un changement d’attitude du public. Ceci est surtout valable pour le public qui arrive au Musée en ignorant tout sur l’opération « concours d’affiches » lancée pour célébrer le bicentenaire, et qui apprend en même temps que ce Musée est une institution déjà ancienne et donc vénérable et que l’on peut s’y instruire mais aussi s’y « amuser » ! Mais l’ambiguïté du dispositif énonciatif permet aussi au Musée de se dédouaner en rappelant à son public qu’il est bien l’auteur de cette odalisque11 en string (Fig. 1). Tout au long du parcours d’accès aux salles, le Musée conforte auprès du visiteur un ethos préalable qui sera reconfiguré par l’ethos en action de l’affichage des productions du public lui-même.

Fig. 1

Fig. 1

Note de bas de page 12 :

Ce sont en effet les réalisations originales et non des reproductions.

Dernier détail du dispositif d'exposition des affiches : installées à l'intérieur du Musée et non à l'extérieur, elles sont également présentées sur des chevalets12, ce qui leur donne statut d’œuvres d’art et non plus simplement d’objets supports d’information et de communication. Dans le retournement du dispositif énonciatif évoqué plus haut, le public n’est plus seulement assimilé au Musée, il rejoint aussi la foule des nombreux artistes représentés dans les collections. À une différence près : l’exposition sur chevalet ne manque pas d’aspectualiser son discours dans le sens d’une réalisation toujours inachevée.
Notons enfin que pour pallier le caractère un peu confidentiel de l'opération, qui encore une fois est constitué par un affichage qui ne sort pas des murs, il est en projet de mettre en ligne les affiches sélectionnées sur le site de la mairie de Lyon, à la page des informations culturelles, le Musée ne disposant pas de site autonome. Le public atteint par cette voie pourra certes être plus large, plus hétérogène, il inscrira sa démarche dans une volonté de quête d'informations dont il est véritablement le sujet ; jamais le public ne subit une campagne d'affichages, au sens traditionnel du terme, dans l'espace urbain.

Construire une situation sémiotique sur une période déterminée : La célébration du bicentenaire et son extension temporelle, entre l'affiche d'exposition temporaire et l'affiche « musée ».

Note de bas de page 13 :

En effet, beaucoup plus implicites ou allusives sont les informations portant sur le Musée lui-même, qui accueille et organise l'exposition, et sur les actions de médiation qu'il propose au public autour de l'exposition, sur le rôle qu'il se donne dans l'histoire que constitue cet événement. Ce n'est bien sûr pas l'objet du support envisagé, l'affiche ; d'autres viendront dire la programmation des visites guidées par exemple, plus riches sans doute en indices visuels qui permettront au récepteur de se livrer à un certain nombre d'inférences sur le Musée, sur son une identité propre et la manière dont il l'articule avec l'événement.

Note de bas de page 14 :

 Louis Marin, De la représentation, Gallimard-Seuil, 1994.

Pour une exposition temporaire et pour le musée qui doit en informer, il s'agit tout simplement au départ de signaler l'événement. Son action s'inscrit dans un programme qui vise à dire et à faire connaître l'existence de cette manifestation, la nature de l'exposition, son contenu thématique mais aussi, en termes de promotion, le caractère exceptionnel de l'événement qu'elle constitue. Cette temporalité relève du ponctuel et non de la durée, ce qui est le cas pour les actions menées dans l'ordinaire du quotidien et parfois dans la répétition par une institution. L'affiche et l'affichage témoignent de cette variation aspectuelle également dans la manière dont l'institution s'y inscrit : celle-ci a sans doute plus tendance à s'effacer derrière l'événement ponctuel alors qu'elle affirme plus fortement son identité et son rôle de destinateur pour informer des activités qui s'inscrivent dans la durée d'une saison13. Transitivité, mais au sens de Louis Marin14 cette fois, puisque le Musée construit un discours dont il n’est pas l’objet, et ponctualité, tels seraient les modalités actantielles et aspectuelles de l’affichage concernant les expositions temporaires.

Note de bas de page 15 :

Il faut noter également que ce type d'affiche tend à s'effacer au profit des affiches d'expositions temporaires dont la programmation tend à se développer et que souvent elles ont été liées elles-mêmes à une autre forme d'événement concernant le musée lui-même : réouverture de salles après travaux par exemple.

Note de bas de page 16 :

 Jawlensky, Tête de femme « méduse », 1923, huile sur carton, 42 X 31.

Note de bas de page 17 :

 Le tableau de Jawlensky, comme L'Odalisque de Pradier, a été souvent cité par les participants au concours d'affiches, alors que ces œuvres ne font pas forcément figure d'œuvres phares mais elles ont déjà été utilisées par le Musée pour ces supports d'information. Il faut y voir la projection d'une compétence des participants au concours par rapport aux activités du Musée, à leur programmation et aux supports d'information.

L'affiche d'exposition temporaire s'oppose à l'affiche « musée », celle qui, telle une enseigne, signale au passant la présence du Musée sur la façade du bâtiment qui l'abrite, que l'on peut retrouver ailleurs dans la ville mais aussi dans le hall d'accueil du Musée lui-même. Cette affiche, dans sa forme, est temporellement déterminée, mais les collections qu'elle invite à aller voir sont dites permanentes, même si se renouvellent d'année en année les activités proposées autour de ces collections. Fonction déictique de l'enseigne qui, tel le cartel pour le tableau, désigne au passant l'identité d'un lieu et la nature des activités qui s'y déroulent. Fonction informative et incitative auprès du public, pour susciter une demande d'informations complémentaires. Il s'agit donc là d'une communication liée à un lieu et à l'institution muséale qu'il abrite même si, en retour, la demande d'informations pourra porter sur des dates, des horaires de programmation, etc.15 Fonction réflexive : le Musée informe sur lui-même, se désigne lui-même. Il faudrait souligner le rôle de l’œuvre phare dans cet acte de désignation, comme synecdoque, ou d’un motif particulièrement prégnant comme le regard de la Méduse16 dans l’affiche Jawlensky, qui sollicite mon propre regard et thématise le regard comme l’action principale du visiteur dans sa quête de l’œuvre d’art17. Cet affichage-là s’inscrit dans la durée.

Note de bas de page 18 :

Fausse ponctualité cependant, puisque la célébration du bicentenaire se prolonge, ou ponctualité réinterprétée sur le mode de l'itératif.

Il est vrai que dans l'affichage de l'exposition temporaire, ce que l'institution propose n'est pas seulement un ensemble d'œuvres mais aussi une mise en espace particulière de ces œuvres liée à la configuration même de ses bâtiments et un ensemble d'activités particulièrement organisées autour de l'exposition. Le musée, en tant qu'organisateur de l'exposition, est clairement le destinateur de l'information véhiculée par l'affiche, le sujet d'une mise en discours de l'exposition par sa mise en espace et d'un ensemble de discours sur l'exposition par les activités proposées et les supports d'information diffusés pour l'occasion, mais il s'efface comme lieu de collections permanentes derrière l'événement que constitue cette exposition. Il y a donc une tension entre effacement nécessaire du musée à la promotion de l'événement et l'affirmation de son rôle de destinateur et de son identité alors que l'affiche « musée », moins liée au temps et à l'événementiel, peut être toute entière consacrée à l'affirmation de cette identité. Il y a donc déjà du compromis dans l'affichage de l'exposition temporaire, une tension entre affirmation d'une identité et effacement au profit de l'événement. Entre le caractère ponctuel et transitif de l'affichage de l'exposition temporaire et celui, réflexif et duratif, de l'affichage concernant le Musée lui-même, l'affichage du bicentenaire se présente comme une figure de compromis, reposant moins sur des variations d'intensité de l'affirmation de son identité que sur le fait qu'il associe réflexivité et ponctualité18.

Note de bas de page 19 :

Toutes les expositions de l'année sont réalisées exclusivement à partir des collections du musée, sans emprunt à d'autres collections, que l'une d'entre elles exposent les œuvres d'un peintre, Buraglio, qui réinterprète, propose des variations autour des œuvres, qu'une autre enfin est consacrée à Focillon, ancien conservateur du Musée des Beaux-Arts de Lyon.

En fait, l'affichage du bicentenaire va articuler affirmation forte de l'identité du Musée et temporalité19 et se servir de la temporalité pour scander, tout au long de la saison 2003-2004 dans un premier temps, sa programmation par le rappel du bicentenaire. Car il s’agit bien de rythmer une saison par LES événements du bicentenaire alors que parler de l’événement du bicentenaire commence de plus en plus à relever de l’oxymore puisque sa célébration semble bien vouloir se prolonger au-delà de la saison même 2003-2004. Ainsi, tous les mois, le Musée a « affiché » une activité nouvelle à l’aide de cartes postales répondant toujours à la même charte graphique, avec le bandeau « bicentenaire » à droite et la tripartition de la partie gauche pour trois photographies en plan très rapproché ou de détail d’œuvres du Musée (Fig. 2). Il faut noter enfin que la programmation se greffe sur le calendrier local et national, fête des lumières, journée de la femme, fête des pères, etc. Une façon de dire : « nous souhaitons notre anniversaire en même temps que nous vous fêtons ! ». Entre réflexivité et transitivité, le Musée retrouve une forme de sociabilité autour du thème de la fête, que beaucoup de participants au concours d’affiches ont exploité.

Fig. 2

Fig. 2

Les objets supports : les documents « musée » et les affiches réalisées par le public.

Deux types d'objets vont retenir notre attention, les cartes postales et les propositions d'affiches faites par le public, que nous envisageons à la fois comme supports (dans leur matérialité et dans les circuits qu'elles empruntent) et comme iconotextes.

Note de bas de page 20 :

Pierre de Cortone, César remet Cléopâtre sur le trône d'Egypte, vers 1637, huile sur toile, 255 X 266 cm.

Pour ce qui est des cartes postales, elles constituent la part officiellement assumée par le Musée parallèlement aux affiches produites par le public. Ces cartes postales n'étaient, elles aussi, accessibles qu'à l'intérieur du Musée, dans l'espace billetterie. Ces cartes postales affichent une programmation d'activités, et non de simples expositions d'objets, qui engagent des acteurs dans des processus, dont témoignent les nombreux infinitifs : créer, accueillir, accompagner, interpréter, etc., dont témoignent aussi la polyvalence fonctionnelle des figures sollicitées : c'est la main comme motif (détail de Pierre de Cortone20), mais aussi la main qui crée, qui accompagne. Dynamisme et effet de rythme aussi dans l’écho du motif de la main repris d’une carte postale à l’autre. Ces cartes postales, très utilisées comme supports d’information et communication en milieu culturel mais aussi en publicité, empruntent-elles les mêmes circuits que la carte postale traditionnelle, qui va d’un destinateur qui ne se trouve pas dans son cadre habituel de vie (voyage) et va rejoindre un destinataire dans l’ordinaire de son quotidien. N’ont-elles de la carte postale que les caractères de format, de qualité et de texture de papier ? Pour celles du Musée des Beaux-Arts de Lyon, cela semble s’arrêter là en effet. Le verso est entièrement occupé par la programmation du mois. On est invité à les récupérer sur les présentoirs du Musée pour un usage personnel : je la laisse traîner quelque temps sur mon bureau et l’envoie finir sa carrière comme marque-page. D’autres au contraire jouent le jeu de la fonctionnalité de la carte postale et envisagent leur prise en charge par les circuits du courrier postal et une circulation de l’information soit sur le mode de la réciprocité : l’usager l’adresse à une institution pour une demande d’information à son intention, soit sur le mode de la transitivité : l’usager transmet à son tour une information qu’il a lui-même reçue d’une institution. Cela dit, et implicitement, le Musée espère bien que la carte postale ne s’endormira pas entre les pages d’un livre mais circulera. Il investit donc le visiteur qui récupère cette carte au Musée d’un pouvoir informer qui reste virtuel mais s’inscrit bien dans cette transitivité. Le Musée, institution, être collectif et public, se réserve donc un support qui relève de l’individuel et du privé et délègue à son public un support, l’affiche, qui relève de la communication de masse. C’est dans cet échange, comme dans le retournement du dispositif énonciatif évoqué plus haut que se réalisent ces relations de réciprocité et de transitivité, qui concernent à la fois l’information véhiculée et le processus d’affichage qui la prend en charge.

Car il s'agit bien d'impliquer le public en lui donnant un vrai rôle actantiel dans le processus d'affichage, et non pas seulement de le réduire au rôle de figurant par sa mise en scène dans l'iconotexte.L'Opéra de Lyon a affiché sa programmation 2004-2005 en accompagnant celle-ci de l'énoncé : « C'est décidé, cette année j'y vais », énoncé attribuable au public comme entité collective mais dans lequel, et par l'emploi de la première personne du singulier, chaque passant est invité à se reconnaître, comme énonciataire. L'affiche est donc porteuse à la fois d'une proposition de programme émanant de l'opéra et d'un acquiescement fictif et artificiel de la part du public, qu'il renvoie à l'opéra ou transmet à un tiers. Mais le dialogisme inscrit dans l'iconotexte de l'affiche n'implique pas nécessairement réciprocité ou transitivité au niveau de l'affichage. On peut sans doute faire la même remarque pour le prospectus annuel du Musée, qui met en figure le thème de la rencontre par la juxtaposition d'œuvres et de photos de visiteurs, en réduisant la distance entre les collections et le public par des rapprochements formels (regard camera, cadrage, etc.), par le fait que les photos de visiteurs sont en noir et blanc et non en couleur comme les œuvres citées, pour dire leur statut d'image se rattachant à un genre précis : ce ne sont pas des visiteurs mais des portraits de visiteurs. De l'intérieur du Musée, et au bout d'un questionnement adressé au Musée, ces visiteurs interrogent par le regard et la deuxième personne de la dernière question (« Et vous, quelles sont vos œuvres préférées ? ») le public lecteur du prospectus. Il faut voir là une mise en représentation de cette transitivité au niveau de l'iconotexte du prospectus, que le Musée essaie de réaliser au niveau du processus d'affichage par les cartes postales et le concours d'affiches.

Avant d'en venir aux affiches réalisées par le public, il convient d'évoquer l'ambiguïté des objets qui constituent les collections du Musée, supports de représentation eux-mêmes, donc de texte au sens le plus large du terme, peintures, sculptures, mais aussi monnaies, portes solennelles, sarcophages, etc., dans la mesure où ils sont cités, mis en abyme, par les affiches. La fonction première de certains d'entre eux n'est pas d'être support de texte, mais ils peuvent l'être à la faveur d'une inscription, d'un décor peint ou sculpté, etc. Par ailleurs, ces différents objets font l'objet d'une mise en espace particulière, dans les différentes salles dont la succession s'organise en parcours ou plus exactement en propositions de parcours. Cette mise en espace constitue à son tour un autre texte, d'autres propositions textuelles dont l'architecture du Musée serait à son tour le support. Ainsi, l'objet d'art, support de représentation est lui-même pris en charge par le support architecture. Cette double mise en abyme correspond à une double contextualisation, celle d'un motif par l'œuvre, celle de l'œuvre par l'espace du Musée. Le Musée s'affiche classiquement en citant les œuvres qu'il renferme, et dans la manière de les citer pour l'élaboration des affiches et documents « bicentenaire », on assiste à une double décontextualisation, qui manifeste souvent une tension entre l'objet de la collection et sa fonction d'objet support, entre l'objet support, ou espace de représentation, et la représentation elle-même ou l'iconotexte, l'objet support, si l'on veut bien admettre que l'œuvre puisse être envisagée comme tel, étant mis en représentation, mais en représentation partielle seulement ou « focalisée », par l'affiche,.

Note de bas de page 21 :

Scarabée d'Aménophis II, pierre émaillée, XVIIIè dynastie, vers 1427-1401 avant J. C.

Le Musée, dans ses documents d'information, a déjà joué de ces tensions et de ces ambiguïtés. C'était le cas, dans une ancienne brochure du service culturel, pour le scarabée d'Aménophis21, dont le graphisme avait été retravaillé pour estomper le relief, dont la cadrage était très étroit pour neutraliser l’objet-support, le texte hiéroglyphique devenant à son tour support ou fond pour une autre figure, celle de l’Odalisque de Pradier. Quelques pages plus loin, un cadrage plus large permet de découvrir l’objet dans son intégralité, qui servira de point final en fin de brochure. Ce passage du graphique au photographique lui rend son statut d’objet, le ramène du fond vers la figure. Sur la page de couverture, c’est l’Odalisque de Pradier qui, par la réécriture qu’elle subit, détourage, orientation, recadrage, mise en page, noir et blanc, fait office de texte, ou tout au moins, de guide de lecture : désolidarisée de son socle, elle invite, du regard et par l’orientation de son bras droit, le lecteur à entrer dans la brochure. La citation se fait réécriture. Le cadrage serré des mains de César et Cléopâtre sur les cartes postales réalise cette décontextualisation du motif qui fait oublier l’objet-support et sa fonction réflexive (au sens de Louis Marin). On nous donne à voir une image des mains de César et Cléopâtre et non plus une image d’image. Réduction de la mise en abyme et de la distance qui sépare l’univers représenté par les œuvres de l’univers spectatoriel, lui-même mis en représentation par la carte postale. Il y a aussi topicalisation du motif de la main, non plus comme synecdoque de l’œuvre, elle-même synecdoque des collections, mais comme figure métonymique d’un faire (créer, accueillir, accompagner) que le Musée présente comme un pouvoir ou un savoir faire auprès de son public. Et ce détournement rhétorique, réalisé, il est vrai, par l’ancrage du texte, relève plus de l’affichage que de la seule affiche comme iconotexte. Le Musée s’affiche moins comme lieu de conservation d’un ensemble d’objets que comme un lieu qui propose des activités réglées par une programmation.

Note de bas de page 22 :

Philippe Durey, Guide des collections, 1998, p. 276.

Note de bas de page 23 :

 Henri Fantin-Latour, La Lecture, 1877, huile sur toile, 97 X 130 cm.

Pour revenir à l'Odalisque de Pradier, elle est souvent citée par les participants au concours d'affiches comme si elle était devenue une œuvre emblématique du Musée, et, à ce titre, elle est encore figure de synecdoque pour dire l'ensemble des collections, mais il y a surtout de l'intertextualité fondée sur les compétences du public, ses savoirs concernant les supports d'information déjà produits par le Musée. On assiste donc à la reproduction mais aussi à la transformation de cette figure, qui de simple objet devient le thème d'un acte prédicatif lorsque l'un des concurrents l'affuble d'un string, écho et amplification du jugement porté sur cette œuvre considérée, « malgré le prétexte orientaliste », comme « une audace inacceptable pour les classiques » lorsqu'elle fut exposée au Salon de 184122. Même effet d’amplification pour La Folle Danseuse, dite aussi La Vierge folle de Rik Wouters (bronze 1912) affublée, quant à elle, d’un baladeur. Effet d’écho car au niveau thématique, on a toujours des valeurs que l’on peut juger négatives, caractère irrévérencieux, exubérance (traduite aussi par l’adjectif du titre du bronze de Wouters), etc, mais la recontextualisation de ces figures, à la fois par l’iconotexte que constitue l’affiche, par la situation sémiotique qui l’intègre (célébration du bicentenaire), transforme ces valeurs, les oriente axiologiquement du côté du ludique ou du festif. La transformation s’est manifestée parfois de manière encore plus radicale, c’est le cas pour le tableau de Fantin-Latour23. Sur le plan du contenu, elle relève de l’oxymore : l’impression de solitude et de silence que dégage habituellement ce tableau est totalement niée par l’ajout de motifs, cotillons, serpentins, etc., relevant de l’isotopie de la fête, sur le plan de l’expression, c’est une remise en cause de la sacralisation de l’art, ces motifs évoquant fortement une écriture en graffitis, sur le tableau qui en devient le support.

Pour conclure :de la réflexivité à la réciprocité et à la transitivité.

D'un discours sur lui-même et qu'il prendrait lui-même en charge, le Musée des Beaux-Arts de Lyon essaie de glisser vers d'autres modes de communication. Si les activités s'inscrivent dans une démarche très réflexive (conception et thèmes des expositions, samedis à thème, etc.), les objets supports (affiches et autres documents d'information) vont permettre ce passage aux modes réciproque et transitif. Mais pour aller plus loin, ce passage n'est effectif qu'à la condition que le public puisse jouer un rôle actantiel dans l'affichage qui dépasse celui, tout à fait fictif, que peut lui donner sa seule mise en présence par l'iconotexte de l'affiche. Il est toujours possible, on l'a vu, d'impliquer la cible visée dans l'affiche. C'est un procédé rhétorique des plus classiques. On peut mettre en scène, mettre en représentation ces jeux sur le dispositif énonciatif, ces relations de réciprocité et de transitivité entre les différents partenaires de l'interaction communicative. Ce que le Musée des Beaux-Arts de Lyon a essayé de faire par le concours d'affiches, c'est de faire en sorte que son public potentiel, de figurant à l'intérieur de la mise en scène proposée par l'affiche, devienne le sujet réalisant effectivement ces relations de réciprocité et transitivité et donc le sujet de l'acte d'affichage de l'événement. C'est à son tour de mettre en scène le Musée, en lui donnant d'autres valeurs : on passe de valeurs statiques liées au patrimoine à des valeurs plus dynamiques (l'événementiel, le festif, etc.).

Note de bas de page 24 :

 Déplacement des enjeux, qui s'affichent comme plus sociaux que commerciaux : la FNAC, qui fête au même moment ses cinquante ans, investit ses clients du rôle d'homme-sandwich (transitivité) par les emballages fournis aux caisses à l'issue des achats et invite sa clientèle à endosser, comme elle, le rôle de pourvoyeuse de livres, dans une logique du don et non plus dans une logique commerciale, en participant à une collecte de livres.

Certaines propositions d'affiches ont fait disparaître le Musée comme thème au niveau de l'image (plus aucune référence par citation d'œuvre, par représentation des bâtiments, etc.), au profit de ce qui était prédicat dans le slogan, « Le Musée des Beaux-Arts de Lyon fête ses 200 ans », mis en figure simplement par un gâteau d'anniversaire. Le prédicat subit ainsi une forme de topicalisation. En affichant des valeurs liées à l'événementiel, au ludique et au festif, certaines propositions ont clairement eu recours au registre des émotions, avec une emblématique très traditionnelle (un cœur), mais revisitée, au registre des sensations, par des manifestations graphiques relevant du code de la bande dessinée par exemple, pour faire entendre par le visuel les échos de la fête. Ces propositions opèrent une disjonction par rapport au thème toujours présent par le texte du slogan (le Musée lui-même), elles expriment davantage un faire (la célébration) qu'un objet de discours (le Musée) et manifestent ainsi plus fortement l'affichage comme procès même si elles relèvent de l'affiche comme objets supports. Elles réalisent aussi un déplacement axiologique des valeurs24 : le Musée n’est plus seulement envisagé comme lieu de connaissance mais aussi comme lieu d’émotions partagées. Enfin, cet affichage-là marque le moment de l’anniversaire en laissant dans l’inexprimé, au moins au niveau du visuel, le Musée dans sa permanence.