Compréhension sur le rôle du gouvernement chinois dans l’accueil des étrangers--le cas des commerçants étrangers à Yiwu Understanding of the government’s role in the acceptance of foreign residents – the case of international traders in Yiwu

Can Cui 

https://doi.org/10.25965/trahs.2434

La ville de Yiwu est une ville de très petite taille (à l’échelle chinoise). Elle est considérée comme une ville sous-préfectorale, dans la hiérarchie administrative chinoise : un statut relativement bas. Ainsi, elle est largement moins connue que Pékin ou Shanghai, de grandes métropoles internationales. Toutefois, l’existence du plus grand marché au monde de petits articles très bon marché explique l’arrivée et l’installation, récente, de commerçants étrangers. Notre article s’intéresse à la fois à la façon dont cette communauté internationale s’adapte à la ville de Yiwu et au rôle joué par le gouvernement local dans la vie de cette population migrante. Cela nous éclairera sur la qualité de l’accueil du gouvernement chinois envers les étrangers, notamment pour une telle petite ville et sur les privilèges dont ils jouissent, contrairement à ce qui a cours dans les grandes villes.

Si consideramos el tamaño de las ciudades chinas, la ciudad de Yiwu es relativamente pequeña, lo que significa también, desde un punto de vista administrativo, un lugar y un estatuto inferiores a los de las otras ciudades – siendo Pékin o Shanghai las metrópolis más internacionalmente conocidas por los extranjeros. Sin embargo, la presencia del mayor mercado de articulitos de consumo, con bajos costos y enormes ganancias, explica la llegada e instalación, reciente, de negociantes extranjeros. Nuestro artículo tiene por meta estudiar el proceso de adaptación de dicha población, el papel del gobierno local y la manera cómo la administración local influye en la vida de los residentes internacionales. Este análisis nos permitirá comprender mejor cómo reciben los gobiernos locales chinos a los residentes internacionales, especialmente en el caso de las ciudades pequeñas, donde la comunidad internacional viene a ser más importante que la local y las ventajas de las que goza.

A cidade chinesa de Yiwu é uma cidade de pequeno porte na escala da China. Ela é considerada uma « sub prefeitura » na hiearquia de poder administrativo da China, com um status relativamente baixo. Portanto ela é menos conecida que Pequin ou Shangai : grandes metrópoles internacionais. A chegada de uma população estrangeira em Yiwu édecorrente da maior feira do municipio, voltada ao comércio de pequenos artigos, onde se encontram produtos com os menores preços e um interesse econômico crescente. Os estrangeiros, comerciantes na sua maioria, ao tomarem conhecimento de que a maioria dos produtos vendidos na China vinham de Yiwu migraram e se instalaram na cidade. Este artigo se interssa no nivel de adaptaçao desta comunidade internacional, bem como no papel do governo chinês neste processo. Isso pode contribuir para melhor compreendermos a política de acolhimento do Governo Chinês junto aos estrangeiros, sobretudo em uma pequena cidade. O resultado da nossa análise mostra que em Yiwu os estrangeiros possuem um privilégio que não se vê em outras cidades grandes chinesas.

As a relatively small city in China, the city of Yiwu ranks low in the country’s administrative system. As such, in the eyes of international residents, it is much less known than big metropoles in China. Looking into the motives of the arrival of such a big international community, it can be found that one of the world’s largest market of small commodities might be the key. In the eyes of international traders, the market itself represents low costs and huge profits. Upon realizing that most of the small articles sold in China originate in Yiwu, they quickly switched their focus from Guangzhou to this small Chinese city and settled down afterwards. This article tries to looker closer, apart from the adaptation process of such a population, into the role of the local government and how its administration influences the lives of international residents. The analysis would allow us to better understand how the local Chinese governments are receiving international residents, especially in small cities when the international community might prove to be more important to the local one. The result confirms such a hypothesis by presenting the advantages that the international residents would enjoy.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

Note de bas de page 1 :

Elle fait référence au programme des réformes économiques menées à partir de 1978 en République populaire de Chine. Elle est mise en œuvre par les réformistes au sein du Parti communiste chinois, notamment sous la direction du nouveau secrétaire général du Parti, Deng Xiaoping.

La Chine n’a pas été, jusqu’alors, un pays d’immigration. En effet, elle n’a commencé à accueillir, réellement, des étrangers qu’après la réforme économique chinoise intitulée ‘réforme et ouverture’1. Aujourd’hui, on observe facilement la présence de nombreux étrangers partout dans le pays ; dans les grandes villes, notamment. Par exemple, la ville de Guangzhou, plus connue sous le nom de “Canton”, accueille la plus grande communauté africaine en Chine. Cependant, les petites et moyennes villes sont également appréciées par les non autochtones. Yiwu, une ville sous-préfectorale de la province de Zhejiang, en fait partie.

Fig. 1 – Localisation de Yiwu (Chine de l’Est)

Fig. 1 – Localisation de Yiwu (Chine de l’Est)

Auteur : Can Cui.

Note de bas de page 2 :

Source : http://www.stats.gov.cn/

Note de bas de page 3 :

Source : pré-enquête.

Dans ce texte, nous nous intéressons à Yiwu, une ville bien plus petite, en émergence, qui accueille un nombre croissant d’africains. Ce choix s’explique pour deux raisons. Premièrement, si la ville de Guangzhou n’a pas été sélectionnée, c’est parce qu’elle est environ sept fois plus grande que Yiwu en superficie2 et la population africaine qui y réside y est dix fois plus nombreuse3. Même si cela peut être aussi intéressant, voire plus, les ressources et le travail nécessaires pour traiter un tel échantillon dépassent les capacités d’une chercheuse individuelle vivant à l’étranger. De plus, le nombre de recherches faites sur la population africaine à Yiwu reste très faible alors que celui sur Guangzhou est bien plus fort. Une contribution dans ce domaine peut donc être plus utile.

Dans l’objectif d’obtenir les informations d’une façon directe, onze visites sur le terrain ont été réalisées sur une période de 99 jours (entre 21 septembre 2014 et 22 septembre 2016). Au total, 81 questionnaires valides avec des commerçants étrangers ont été collectés et 32 entretiens réalisés avec des commerçants africains. Des entretiens avec des commerçants d’autres pays, des commerçants chinois ainsi que des fonctionnaires locaux de Yiwu ont été également effectués pour servir de références.

Note de bas de page 4 :

Source : entretiens sur le terrain 2014-2016.

Note de bas de page 5 :

Ibid.

 Selon des sources informelles (entretiens, questionnaires et discussion en privé)4, il existe actuellement au moins 20 000 personnes étrangères installées à Yiwu. Parmi elles, environ 7 000 à 8 000 sont des Arabes, 3 000 à 4 000 des Africains noirs et entre 1 000 et 2 000 des Indiens et Coréens5. Cette population largement masculine (91 %), dont la moitié est mariée, travaille dans la grande majorité des cas dans le milieu commercial international (90.9 %), surtout l’exportation (85.71 %), en compagnie des amis et de la famille. La plupart de ces commerçants, étrangers à Yiwu, viennent des pays en voie de développement.

Par ailleurs, on constate que :

  • Ce sont majoritairement des hommes entre 20 et 50 ans, avec une éducation de type universitaire.

  • L’Islam, le christianisme et l’hindouisme sont les trois religions les plus pratiquées à Yiwu.

  • Les entreprises créées par les commerçants africains sont généralement de jeunes et petites entreprises. Elles sont souvent enregistrées dans le système administratif local, même si une partie des employés n’est pas déclarée.

Ces éléments significatifs de la population étrangère correspondent au profil de Yiwu. La ville a vécu, de fait, une transformation remarquable. À l’origine, c’était une ville très modeste, où l’agriculture était le noyau de l’économie ; puis, des marchés sont apparus graduellement à partir des années 1980, suite à l’ouverture du pays. Grâce à l’ouverture d’esprit des dirigeants de la ville ainsi qu’à des politiques avantageuses à l’époque, elle a été l’une des premières villes à s’intégrer dans des activités économiques de marché. Petit à petit, ces marchés se sont agrandis, avec une plus grande variété de produits, venant même d’autres régions limitrophes. Cet accroissement a donc attiré de plus en plus de commerçants chinois, que ce soit des fournisseurs ou des grossistes. En une dizaine d’années, le marché des petits articles de Yiwu est devenu l’un des plus grands de Chine, voire de la scène mondiale.

Ville connue pour la vente de petits articles à bas prix, elle attire plutôt des personnes venant de pays et régions en voie de développement, où la demande est forte. Les produits de Yiwu auraient plus de mal à pénétrer les marchés occidentaux, car la qualité risquerait de ne pas répondre à certains critères. Comment s’intègre donc la population en question à Yiwu et surtout, quel est le rôle des autorités locales ? Nous nous intéresserons d’abord à la transformation de leur fonction d’une façon générale.

I- Une transformation des fonctions de la municipalité dans la vie publique

Note de bas de page 6 :

La Chine populaire avait un système d'économie planifiée jusqu'en 1978, mis en place Mao, afin de réduire l'extrême pauvreté en entreprenant de grands travaux d'infrastructure (centrales électriques, irrigation...) et l'extension des terres cultivables.

À l’époque où l’économie planifiée6 était appliquée, les ressources étaient distribuées par l’administration. Les activités concernant le citoyen, la société, la production, la distribution, les échanges au sein d’une entreprise, voire la consommation étaient toutes contrôlées par l’État.

Ce fonctionnement a paralysé la société et a bureaucratisé les actions des gouvernements locaux. En conséquence, les habitants sont devenus moins actifs et moins motivés (Yu Ning, 2008 : 34). Ainsi, par exemple, durant cette période d’économie planifiée (1949-1978), une ‘entreprise nationale chinoise’ (danwei 单位) responsable de tous les aspects de la vie (salaire, assurance, santé, mariage, funérailles…) a constitué le noyau de leur existence. Cette unité a pris la forme d’une entreprise d’état. Plusieurs danweis ont alors formé une pyramide permettant à l’État de maintenir fortement son contrôle sur la vie de tous ses citoyens : Etat – danwei – individu (Bu Guangqing, 2004 :21). Les Chinois sont donc devenus de plus en plus dépendants de l’Etat.

Après la réforme et ouverture de la Chine en 1978, la valeur du marché et d’une économie de marché ont été reconnues : l’économie de marché remplaçant graduellement l’économie planifiée. Pendant cette période, le travail des autorités de Yiwu s’est d’abord centré sur l’urbanisation - leurs contrôles se faisant de moins en moins lourds dans le secteur privé. Le passage d’un modèle de « gouvernement fort » vers une « société faible » s’est donc opéré modèle de « gouvernement faible » vers une « société forte » (Yu Ning, 2008 : 35).

La gouvernance s’est alors vue limitée au management social et aux services publics. En même temps, elle a dû appliquer un mécanisme de marché et briser la monopolisation par l’introduction d’un mécanisme de compétition. Durant cette même période, la conscience du peuple a commencé à s’éveiller. Des habitants se sont rendus compte qu’ils voulaient plus de liberté et de droits, matériellement et spirituellement. Cette réalité a obligé, dans un deuxième temps, à une transformation encore plus profonde des autorités gouvernementales.

En 1982, avec le développement de Yiwu, le territoire urbanisé est passé de 3,5 kilomètres carrés en 1993, à 56 kilomètres carrés en 2007 (He Zuojing, 2008 : 24). Au cours des cinq années qui ont suivi, ce chiffre est monté à 38 et le niveau d’urbanisation a atteint 55 %. Cette expansion économique de la ville a fait prendre conscience au gouvernement local des inconvénients de l’ancien modèle économique ; De fait, cette focalisation sur l’économie a affaibli le développement de la société, créant ainsi un déséquilibre. Des changements étaient en route.

Note de bas de page 7 :

Des représentants sont élus pour cinq ans par un système de vote très indirect, fonctionnant comme un sénat : ses membres sont issus des instances exécutives des territoires.

En 1993, un document intitulé « Plan sur des réformes du conseil des affaires d’État » publié par l’Assemblée Générale chinoise7, signifie le début de nouvelles réformes, dont l’objectif repose sur l’amélioration de l’efficacité du travail au sein du système administratif et l’établissement graduel d’une administration au service du développement économique.

Fig.2 - Dépenses gouvernementales dans le domaine social

Fig.2 - Dépenses gouvernementales dans le domaine social

Source : Rapports économiques annuels de Yiwu. Auteur : Cui Can

En 2000, la municipalité de Yiwu décide d’abandonner l’ancienne gouvernance et de repenser le rôle de cette dernière. La conséquence directe en est une diminution de la part économique dans les rapports gouvernementaux et une augmentation des investissements en ce qui concerne le développement social local (Error: Reference source not found).

Les autorités locales comprennent l’importance d’accorder une pleine autonomie de gestion à des organismes spécialisés dans le management. Elles donnent également le droit de diriger la production, le management des entreprises et des affaires sociales aux agences sociales (He Zuojing, 2008 : 29). En 2003, pour la première fois dans l’histoire, la notion d’un « gouvernement au service du peuple » (fuwuxingzhengfu 服务型政府) est proposée. Elles comprennent aussi l’importance d’harmoniser la relation entre le gouvernement, l’entreprise, le marché et la société. En 2008, elles proposent de consacrer les deux tiers de leurs revenus financiers à l’amélioration de la qualité de vie, de l’éducation, l’emploi, la santé, la sécurité sociale, le logement, le transport, la protection environnementale et la sécurité. Ce changement s’observe par le biais d’investissements (allocations financières) au profit des activités de subsistance.

À partir de 2003, la municipalité se concentre sur le développement du commerce international, en favorisant l’accueil de la population étrangère. Pendant cette période, le gouvernement local institue une façon particulière, de créer un esprit d’initiative aux commerçants et marchés locaux, en limitant son rôle à quatre secteurs : celui de décideur (la décision de légaliser le petit commerce et l’existence de marchés durant les premières étapes du développement économique), d’organisateur (par exemple les tentatives de politiques avantageuses des villes plus grandes), de coordinateur (la distribution des ressources matérielles et immatérielles) et de superviseur (une surveillance et un contrôle seulement en cas de besoin) (Zhang Minjie, 2012 : 29) – politique qui va contribuer au développement économique de la ville.

Quand les premiers marchés de Yiwu sont apparus, un grand nombre de paysans a choisi de quitter la campagne pour faire du « business » dans des régions relativement plus urbanisées, comme Yiwu. Cependant, assez pauvre à l’origine, Yiwu ne pouvant accueillir ces nouveaux habitants, il fallut résoudre ce problème par un projet de construction d’infrastructure. Ce qui fut fait en 1988 par les autorités locales. Sans financement, elles ont d’abord vendu des terrains constructibles puis utilisé la somme d’argent obtenue pour construire des équipements et ce, pour 17 millions de yuans (Wang Weiping et Zhang Jinchun, 2005 : 56). Deux ans après, le projet était achevé.

Note de bas de page 8 :

L’Ouverture de Yiwu, recueil des reportages en 2001, Bureau de propagande du gouvernement de Yiwu, 2001, p. 62

La municipalité appliqua la même méthode les années suivantes. En 1995, 350 000 mètres carrés de terrains sont transférés pour une somme de 27 millions de yuans. Cette démarche permet le financement des projets de construction d’infrastructures pour la ville (Wang Weiping et Zhang Jinchun, 2005 : 62). Depuis lors, à part des projets de constructions nationales comme des ponts, des canalisations et des protections contre les inondations, tous les projets de services sont intégrés dans un système de marché, tel que le droit de publicité dans des quartiers peuplés ou la propriété des taxis en ville. Les revenus sont investis dans la construction d’institutions publiques : université, hôpital, centre de sport et marchés de gros, d’autant plus difficile en raison du manque de financement8 de cette région.

Note de bas de page 9 :

En 1998, une somme de 3,5 millions de yuans a été collectée pour construire 15 toilettes publiques payantes. Des investisseurs ont le droit de les gérer pendant une période, après laquelle le gouvernement en récupérera la propriété.

Cette façon d’agir relève de ce que l’on appelle du « laisser-faire » (wuwei 无为). Elle désigne plus précisément le fait que le gouvernement ne consacre qu’une petite partie de ses financements à des projets publics - la plupart d’entre eux étant issus des secteurs privés. L’avantage pour les investisseurs réside dans le fait qu’ils sont les premiers à bénéficier de ces projets9 (Wang Weiping et Zhang Jinchun, 2005 : 89).

Il existe également une méthode que des chercheurs appellent « agir » (youwei 有 ) (Pei Jizhuang, 2006 : 37). Dans un entretien avec un jeune garçon issu d’une famille commerçante du quartier, il a dévoilé un dysfonctionnement de la société : les propriétaires n’ayant pas besoin de travailler peuvent gagner bien plus que ceux qui louent leur boutique. Cela décourageant beaucoup de commerçants, chinois et étrangers.

Note de bas de page 10 :

Entretien avec l’auteure, Octobre 2015.

Je connais un laoban (老板) (pour dire un commerçant) qui ouvrait un hôtel et il me disait qu’il gagnait environ 40 millions de yuans par an. Quand j’entendais cela, je me disais à moi-même, pourquoi travailler si dur quand je peux simplement louer ma boutique dans le marché pour 30 millions de yuans par an ?10

Ainsi, de nombreuses personnes locales, qui sont des propriétaires des boutiques sur le marché, peuvent gagner assez d’argent uniquement en vendant ou louant leur boutique, sans travailler. En raison du dynamisme économique de Yiwu, ils trouvent facilement des chinois ou étrangers pour acheter ou louer leur boutique, à des prix intéressants. Ce phénomène est assez commun. Pour motiver les personnes qui travaillent et décourager celles qui en profitent, le gouvernement a décidé d’appliquer des mesures plus strictes. Par exemple, ceux qui sollicitent une place au marché doivent absolument fournir la preuve qu’ils se sont acquittés d’une taxe pour montrer qu’ils ont réellement travaillé dans ce marché pendant au moins trois ans (Huang Zuhui et Zhang Dongliang, 2007 : 98). De cette manière, il est impossible pour les boutiques d’être vendues ou louées librement. Les propriétaires qui, autrefois vivaient de leur loyer, sont obligés maintenant de travailler car ils ne peuvent plus vendre ou louer leur boutique.

C’est ainsi que le gouvernement de Yiwu contrôle fortement des éléments qu’elle juge cruciaux pour le développement de la ville, à savoir le loyer des marchés et laisse une grande liberté au secteur privé pour investir dans la construction de la ville mais surtout parce qu’elle manque de ressources en raison de son statut limité. En effet, un statut sous-préfectoral se trouve relativement bas dans le système hiérarchique chinoise.

II- Des politiques ciblées sur les commerçants étrangers, pour faciliter le commerce

En raison de son statut sous-préfectoral, Yiwu a des contraintes dans bon nombre de domaines administratifs. Néanmoins, son développement économique lui a permis d’obtenir des droits qui ne sont pas partagés par d’autres villes qui disposent de la même réglementation. Une partie de ses maires adjoints sont issus du Ministère du Commerce et du Ministère des Affaires Étrangères (Enquête sur terrain), ce qui montre l’intérêt de la capitale pour son développement. Elle est également, souvent, la première ville à bénéficier des nouvelles politiques, lesquelles une fois appliquées à Yiwu, sont mises en place dans d’autres régions, en particulier dans le domaine économique et financier (taxes, douane, aides financières), l’administration judiciaire et les procédures administratives.

Note de bas de page 11 :

Journal du Commerce International, Ma Yisheng, 26/03/2008.

Note de bas de page 12 :

Les marchés de Huangyuan et de Fushipin n’exigent plus de taxe au moment de la saison basse, lors de fêtes du printemps, par exemple.

Depuis 2008, le Bureau des taxes de Yiwu utilise un « modèle d’évaluation » pour le contrôle du prélèvement des taxes et la sécurisation du processus, en fonction de différentes catégories de produits. Grâce à des méthodes mathématiques reconnues par l’autorité, la capacité de production peut être calculée. Ces données sont ensuite transférées aux différents bureaux administratifs et utilisées dans la déclaration des impôts, l’analyse de leur estimation ainsi que la définition des seuils. Ce modèle rend le travail du Bureau des Taxes plus efficace.11 A partir de 2016, les commerçants, chinois et étrangers, ont la possibilité de payer leurs taxes en fonction de leur domaine d’activité et de leur chiffre d’affaires. Le seuil et les périodes de paiement sont définis différemment selon les situations12.

Note de bas de page 13 :

Journal de Jinhua, Lou Zhiming, 14/09/2015.

Plus récemment, des administrations se sont tournées vers la suppression de certaines taxes. Depuis 2013, des résultats ont commencé à être observés. Par exemple, le montant des taxes collectées sur les marchés a diminué de 8,6 % en 2014. Le taux de diminution a atteint 15,1 % en 2015. Après ce changement, soixante millions de yuans furent économisés en 201613.

Note de bas de page 14 :

Ibid.

Note de bas de page 15 :

Ibid.

Suivant la direction de l’État central, Yiwu a appliqué des politiques favorables pour les entreprises de taille petite et moyenne. Le ministère des finances de l’État chinois a décidé de diminuer leurs taxes : jusqu’à fin 2017, le seuil minimum est passé de 200 000 à 300 000 yuans et les entreprises ou individus avec un chiffre d’affaires mensuel inférieur à 20 000-30 000 yuans sont dispensés de taxes14. Depuis la mise en place de cette politique, 24 800 entreprises en ont été bénéficiaires, soit 93,23 % des contribuables. La somme dispensée est estimée à plus de 84 700 000 yuans15. 46 000 commerçants individuels ont également bénéficié de cette politique : la somme est estimée à plus de 0,4 milliard de yuans. Une variété de méthodes est utilisée pour sécuriser la mise en place de ces politiques. Différents sites, annonces, brochures sont proposés pour diffuser le message. La mise en ligne a permis aux commerçants de suivre les procédures sans se déplacer.

Note de bas de page 16 :

Une ville préfectorale voisine de Yiwu.

La douane, composant important du commerce, connaît également des changements favorables à tous les commerçants. En 2002, le bureau douanier ainsi que le Bureau d’Administration des Entrées et Sorties de Jinhua16 ont ouvert une antenne à Yiwu, dans l’objectif de faciliter et accélérer les processus administratifs qui seraient propices aux bons déroulements des activités économiques dans la ville. En même temps, le Bureau des Quarantaines et Inspections de Yiwu a reçu les mêmes droits que ceux de niveau municipal, qui n’appartenaient pas à Yiwu, une ville sous-préfectorale. L’année suivante, en 2003, presque 30 000 conteneurs ont transité par le port de Yiwu, faisant de lui le port le plus grand de Chine.

Note de bas de page 17 :

Journal du Commerce International, Wang Wei, 19/09/2007.

Des politiques sont également proposées pour faciliter le transport des marchandises. Des conteneurs partant de la ville sont souvent remplis de petits articles de toutes sortes, ce qui complique leur déclaration, aussi pour accélérer le traitement des demandes, seule la plus grande quantité de produits nécessite une déclaration. Aujourd’hui, trois minutes suffisent pour qu’un dossier soit évalué17, Yiwu devenant la plus grande douane intérieure en Chine.

La même attention a été accordée à la finance. En 2006, plus de 70,3 milliards de yuans ont été déposés dans des banques. Cependant, la somme des prêts était beaucoup moins importante (Ma Bin, 2008 : 32). Les branches des institutions financières dans les villes-districts n’avaient le droit de prêter que plusieurs millions de yuans. Cette somme était loin d’être suffisante pour beaucoup d’entreprises. De plus, les banques exigeaient souvent de lourdes démarches administratives. Ainsi, un certain nombre d’organisations civiles sont apparues. Selon une estimation à Yiwu (Jing Jinglu,2008 : 48), les prêts entre acteurs privés comptaient pour environ 34,3 % de ceux réalisés légalement. Il y a généralement trois façons de prêter de l’argent en privé : entre individus, par la collecte illégale de fonds, et par des « banques » privées. Ces organisations ne sont pas toutefois reconnues par l’État. L’intérêt des commerçants n’est donc pas protégé.

Ces inconvénients ont vite suscité l’attention des autorités et des demandes exceptionnelles ont été acceptées par le gouvernement provincial. Jusqu’à fin 2015, vingt-quatre institutions financières ont été établies à Yiwu, avec 244,514 et 209,532 milliards de yuans en dépôt et en prêts.

Note de bas de page 18 :

gonghang工行、nonghang农行、zhonghang中行、jianhang建行、jiaohang交行

Note de bas de page 19 :

Journal de la Finance de Shanghai, Ding Hongjia, 17/02/2017.

Note de bas de page 20 :

Ibid.

Yiwu est aujourd’hui la première ville de district disposant des locaux de cinq banques nationales18. Des prêts de petites sommes sont disponible pour des commerçants étrangers19. De plus, des tarifications avantageuses sont proposées aux petites et moyennes entreprises. Plus de 100 millions de yuans ont été économisés de cette manière en 201620.

En termes judiciaires, Yiwu n’était pas qualifiée pour juger les affaires concernant des personnes ou entreprises étrangères au début du 21e siècle. Seule la ville capitale (Hangzhou) et deux autres villes préfectorales du Zhejiang (Wenzhou et Ningbo) en ont le droit. En conséquence, sans moyens judiciaires, certains commerçants finissaient par prendre des mesures illégales. Il y avait des incidents : liberté des commerçants étrangers contrôlée illégalement par leurs partenaires commerciaux ; produits enlevés sans l’accord de leur propriétaire (Hu Guofu, 2009 : 77).

Note de bas de page 21 :

Ibid.

À partir de 2005, la Cour Suprême de l’État chinois accorde au tribunal de Yiwu le droit de traiter des affaires internationales. Elle devient ainsi la seule cour de district à s’occuper de ce type d’affaires. Le seuil maximum pour qu’une affaire puisse être traitée par la cour locale était d’un million de yuans. Ce seuil a augmenté régulièrement : trois millions de yuans en 2007 et cinq millions de yuans en 2009. Les plaintes concernant des commerçants étrangers sont enregistrées, acceptées par la cour locale et peuvent donner lieu à l’interdiction de quitter la Chine. En trois ans depuis sa mise en place (2005-2008), 82,26 % des affaires judiciaires ont été retirées et résolues par médiation21 .

En outre, en 2009, une plateforme d’alerte (yiwuyujingpintai 义乌预警平台), sur Internet, est créée par la police de Yiwu qui collabore avec marchés. En effet, la police relève les personnes ou entreprises qui ne sont pas enregistrées correctement dans le système ou qui n’ont pas respecté certaines règles et fait intervenir le Bureau d’Industrie et de Commerce. Les « hors-la-loi » figurent sur la plateforme, Ce qui permet aux fournisseurs chinois, avant de s’engager pour telle ou telle entreprise, de vérifier si elle n’a pas fait l’objet d’une condamnation pour fraude. Ce signalement peut aussi être renseigné par des particuliers qui ont connaissance ou subi des fraudes de la part des étrangers. Cette plateforme, accessible à tous, donne la possibilité de partager facilement des informations par le plus grand nombre et évite ainsi des pertes potentielles.

Note de bas de page 22 :

Depuis fin mars 2017, la demande ainsi que toutes les procédures concernant l’établissement d’une entreprise sont accessibles via Internet.

Ces évolutions ont été bien accueillies par les commerçants étrangers (Fu Baishui, 2007 : 39) car une fois que les autorités de district ont possédé plus de pouvoirs, les démarches administratives sont devenues beaucoup moins lourdes. Cela favorise leur vie et travail quotidien. À partir de 2004, dès l’arrivée des premiers commerçants étrangers, ils ont eu la possibilité de créer leur propre entreprise (Hu Guofu, 2009 : 32). Depuis, la population étrangère peut légalement exercer des activités économiques : il ne faut pas plus de trois jours pour traiter la demande de création d’une entreprise étrangère, deux jours pour des entreprises chinoises. Dans certains cas particuliers, la demande de création peut même être immédiate22. (Yiwu, 2014 : 36)

Avant ces réformes dans le Zhejiang, toutes les procédures administratives de Yiwu devaient passer par la ville de Jinhua afin d’être finalisées. Pour demander un document administratif à Yiwu, par exemple, il fallait d’abord passer par les autorités locales, puis par l’échelon supérieur, soit les autorités de Jinhua, et finalement la province. Une demande d’utilisation d’un territoire pouvait prendre deux mois (Sha Huju, 2009 : 68). Depuis, tout se fait à Yiwu.

Note de bas de page 23 :

Enquête réalisée par nos soins à Yiwu le 26 novembre 2015.

Au cours de ces différentes réformes, la grande majorité des procédures intermédiaires, notamment celles qui devaient passer par l’autorité municipale, ont été éliminées. L’autorité locale a reçu le droit de traiter les affaires administratives. En outre, elle a décidé d’établir un centre administratif. En 2002, un établissement intitulé « Centre 365 » a été édifié. Dans ce centre, 274 personnes ont traité en totalité 332 affaires concernant l’autorisation administrative, l’évaluation de dossiers ainsi que d’autres services pour les résidents de la ville23.

Dans cet établissement, il existe également des guichets qui traitent uniquement de certains domaines comme le transport et les taxes. En fait, il regroupe la majorité des démarches administratives, améliorant ainsi l’efficacité du système. Plus largement, un centre de services du commerce international a été créé au sein des marchés, uniquement pour les commerçants. (Yiwu, 2014 : 36) Dans ce centre, des commerçants étrangers peuvent facilement régler toutes les procédures qui régissent leur vie quotidienne et leur vie professionnelle.

III- Des politiques administratives pour faciliter la vie pratique des commerçants étrangers

Le Bureau des Affaires des Étrangers et Chinois d’outre-mer de Yiwu a rédigé et publié un manuel pour les résidents étrangers (Error: Reference source not found). Dans ce manuel, outre une brève introduction sur la ville, les différentes politiques concernant la vie et le travail des étrangers sont clairement indiquées comme le visa, le permis de travail, le logement, la santé, l’éducation, la croyance religieuse et le mariage.

Figure 3 : Annonce en centre-ville pour les personnes étrangères, en chinois et en anglais

Figure 3 : Annonce en centre-ville pour les personnes étrangères, en chinois et en anglais

Source : Enquête réalisée par nos soins à Yiwu le 2 Mars 2016.

En 2005, Yiwu est devenue la seule ville de district en Chine où la municipalité est autorisée à traiter des demandes de visas et de permis de séjour (Hu Guofu, 2009 : 34). Actuellement, il existe 17 types de visas pour entrer en Chine. La plupart des étrangers à Yiwu possèdent un visa Z qui est celui qui est accordé aux personnes travaillant en Chine. Selon mes enquêtes de terrain, pour obtenir ce visa, les étrangers bénéficient souvent d’un contrat de travail de l’entreprise d’un ami ou d’un compatriote. Après leur arrivée, ils cherchent à monter leur propre entreprise. Un autre type de visa souvent utilisé est le visa L : un visa de tourisme. Avec ce visa, ils peuvent entrer dans la ville et y rester pour une courte période. Ensuite, une fois que le visa arrive à expiration, ils passent à l’extérieur de la Chine continentale comme Hongkong ou la Malaisie pour le renouveler. Certains commerçants arrivent même à rester à Yiwu pendant plusieurs années en utilisant cette méthode. Naturellement, elle n’est pas légale. Le visa S est destiné, quant à lui, aux membres de la famille de personnes résidant en Chine et qui n’ont pas encore obtenu la nationalité chinoise. Enfin, parmi les plus utilisés, existe le visa X, délivré aux résidents étrangers qui sont venus en Chine pour des études, de longue ou courte durée.

Les étrangers peuvent entrer à Yiwu avec n’importe quel visa. Ceux qui possèdent un visa Z, J1, Q1, S1, X, doivent, dans les vingt-quatre heures suivant leur arrivée à Yiwu, remplir un formulaire intitulé « Formulaire d’enregistrement de l’hébergement temporaire pour les personnes étrangères ». Sept jours avant la fin de la validité du visa, ils sont obligés de demander auprès de la police un permis de séjour légal. Si ils changent de logement, même temporairement, ils doivent informer la police de ce changement dans les vingt-quatre heures après leur départ. Les locaux de la police se trouvent à deux endroits : un dans le Bureau de Police et un autre au Marché International de Yiwu. Ce dernier a été établi dans l’objectif de diminuer les déplacements.

Seulement cinq types de visas permettent à leurs possesseurs de vivre à Yiwu :

  • le permis Z pour les travailleurs étrangers en Chine,

  • le permis X pour les étudiants,

  • le permis J pour les journalistes,

  • le permis Q pour les personnes dont une partie de la famille est chinoise,

  • le permis S pour les personnes dont la famille est étrangère mais réside en Chine.

Un grand nombre d’entreprises peut prendre en charge les procédures administratives pour un visa ou un permis de séjour. Pour faciliter la demande, un centre des services internationaux a été créé par le Bureau des Étrangers et des Chinois d’outre-mer. Cet établissement est chargé du contact avec les ambassades et consulats étrangers en Chine, les institutions de commerce international et des relations amicales avec les villes jumelle (Zhang Jiancheng et Wang Zhehuai, 2006). Les autorités de Yiwu ont pris l’engagement de traiter une demande de visa sur un délai de 7 jours ouvrés et de 15 jours ouvrés pour un permis de séjour. Depuis 2015, les étrangers ont le droit d’avoir un visa de deux ans alors qu’auparavant il fallait le renouveler tous les ans. Tout cela montre que les autorités locales s’intègrent activement dans la vie des étrangers.

Le droit de travailler est accordé à tout étranger en Chine. Mais, pour ce faire, il doit demander une autorisation de recrutement auprès de la municipalité, ainsi qu’une autorisation de travail de l’État. Muni de ces documents, il est qualifié pour demander un visa de travail auprès de l’ambassade ou du consulat chinois qui se trouvent dans son pays d’origine. Une fois en Chine, au cours des premiers quinze jours de son arrivée à Yiwu, il doit passer par le Bureau des Ressources Humaines, pour obtenir une « licence de travail pour étrangers ». Cette démarche lui permet d’être en situation régulière pour vivre et travailler dans la ville. Depuis 2007, les autorités locales ont le droit d’accepter directement les demandes des étrangers (Hu Guofu, 2009 : 32). Ainsi, ils ne sont plus obligés d’aller à Jinhua ou Hangzhou pour mener leurs démarches.

Note de bas de page 24 :

Une résidence en Chine (Xiao Qu) désigne un ensemble de bâtiments projetés, construits et gérés par une même entreprise. Une résidence est souvent fermée à ses propriétaires et locataires par des portes digitales et on trouve généralement des boutiques, à côté, proposant différents services quotidiens. Une résidence est l’équivalent d’un quartier en France, à une échelle plus petite.

Pour se loger, toute personne, quelle que soit sa nationalité ou son origine, est libre de louer un appartement et/ou d’acheter des propriétés. Elle est néanmoins obligée de passer par Internet ou de se rendre auprès des autorités pour s’inscrire dans le système administratif. Le reste des procédures est identique à celui suivi par les Chinois. Un certain nombre de résidences24 ou quartiers a pris la forme de résidences internationales. Cela est souvent dû à leur localisation proche des marchés, avec un bon rapport qualité/prix et une forte présence d’étrangers. Ainsi, un quartier peut compter plus de 1200 étrangers venant de plus de 60 pays. Cette population participe aux activités de la résidence ; certains jouent même le rôle des gestionnaires (Hu Guofu, 2009 : 96), ce qui peut être comme un symbole de la reconnaissance des étrangers, ce qui contribue également à améliorer leur niveau d’intégration.

Des résidences internationales se sont créées à côté des résidences avec une forte présence étrangère. Par exemple, au sein de la résidence Jiang Dong, un quartier arabe anime toujours les soirées. Un grand nombre de musulmans y habitent et on trouve une grande quantité de restaurants et de boutiques musulmanes, facilitant ainsi la vie des étrangers, surtout ceux qui sont venus avec les commerçants : leurs familles. Dans ce genre de situation, souvent, les membres de la famille (femme, parents, enfants) ne parlent pas le chinois. L’existence de ces quartiers permet de les intégrer les intégrer plus facilement dans la vie quotidienne.

Pour ce qui est du domaine sanitaire, avant 2008, les étrangers étaient obligés de se déplacer à Hangzhou (environ 2 heures en voiture) pour toute visite médicale. Ce fonctionnement était compliqué (temps, coût). De fait, seul 0,4 % des étrangers entrés à Yiwu, à cette date ont effectué cette démarche (Hu Guofu, 2009 : 55). Aussi, à la fin de cette même année, le Ministère de la Santé et le Ministère des Affaires Étrangères ont autorisé la création d’un centre de santé. Depuis, des procédures administratives ainsi que des traitements médicaux peuvent être réalisés dans la ville même et, aujourd’hui, tous les hôpitaux de Yiwu ouvrent leurs portes aux étrangers, avec des tarifications identiques à celles des Chinois.

L’éducation des enfants de parents étrangers est une thématique qui mérite de l’attention. Un accès à une éducation de qualité peut aider à attirer et retenir une personne. Pour les plus jeunes, un large choix d’écoles primaires et de collèges est offert aux écoliers internationaux. De plus, dans certaines écoles chinoises et locales, des classes étrangères ont été établies, destinées uniquement aux enfants de nationalité étrangère. Les parents peuvent alors choisir s’ils veulent inscrire leur enfant dans une classe avec des enfants chinois ou non. Plus récemment, des « écoles » étrangères ont commencé à ouvrir ; c’est un phénomène plutôt récent mais non reconnu par les autorités locales. Ce sont des lieux privés où les enfants étrangers peuvent recevoir une éducation selon leur origine, souvent organisés et financés par leurs parents commerçants venant de l’étranger. Ces parents forment une équipe pour la construction de l’école, son management ainsi que le recrutement et l’accueil des enseignants de leur pays d’origine.

Le fait est surtout observé dans des quartiers arabes. Malheureusement, sans la reconnaissance et le soutien du gouvernement municipal, ces « écoles » restent peu connues. Certains étrangers s’interrogent même sur la qualification des professeurs et le motif de la création de ces établissements, les soupçonnant d’être purement établis à but lucratif. De plus, sans inscription dans une école officielle, il est impossible de renouveler le visa des enfants étrangers.

En termes de religion, toute personne, chinoise ou étrangère, est libre de choisir sa croyance. Les autorités de Yiwu ne possèdent aucun pouvoir dans ce domaine. Au contraire, les dirigeants de la ville y attachent une grande importance. Avec l’accord et le soutien du gouvernement, les mosquées de Yiwu ont été refaites à plusieurs reprises : chaque fois elles sont devenues plus grandes. Aujourd’hui, on y trouve la mosquée la plus grande de toute la Chine.

Les locaux eux-mêmes tolèrent les différentes croyances et il n’est pas rare, dans la journée, en se promenant sur les marchés, de rencontrer des commerçants étrangers qui s’arrêtent en plein milieu d’une discussion pour prier. Pendant ce temps, les fournisseurs chinois, habitués à la situation, partent faire autre chose et la conversation reprend après la prière. Le pragmatisme des commerçants de Yiwu contribue à cette attitude accueillante. Tant que leur intérêt commercial n’est pas mis en jeu ils adoptent une attitude plutôt indifférente.

Note de bas de page 25 :

Source : enquêtes sur le terrain ainsi que l’observation de l’auteure.

Cette liberté de croyance s’observe aussi dans la politique matrimoniale. Administrativement, il n’existe aucun obstacle pour des unions internationales. Le mariage est un choix libre aussi bien pour les Chinois que les étrangers et, même si bon nombre de familles restent méfiantes à l’égard des mariages mixtes, ils ont tendance à augmenter25.

Par-delà ces politiques prêtant attention aux bénéfices des étrangers, les dirigeants de Yiwu n’hésitent jamais à souligner leur reconnaissance et appréciation envers cette population extérieure. Cette attitude est visible avec l’introduction d’une « carte d’ami commercial », une carte distribuée à tous les résidents étrangers depuis juillet 2016. Cette carte est considérée comme la version étrangère d’une carte de résident pour les Chinois. Elle contient des données d’identité. Ainsi, au lieu de sortir toujours avec leur passeport, les résidents étrangers peuvent garder cette carte sur eux pour toute demande de pièce d’identité. En outre, elle peut également être utilisée lors du paiement pour des services publics comme le bus, la location de vélos. De cette manière, les étrangers peuvent bénéficier des mêmes facilités administratives que les résidents chinois.

La délivrance de cette carte est favorable pour le niveau d’adaptation des étrangers, d’une façon non seulement pratique mais aussi symbolique. En possession de cette carte, les détendeurs se sentiraient plus reconnus par le gouvernement local et se sentent moins comme un ‘passant’ temporaire dans la ville. Ce changement dans la mentalité serait propice à l’installation des commerçants étrangers ainsi que leur niveau d’adaptation à la vie quotidienne et au travail.

La municipalité de Yiwu investit beaucoup pour créer un bon environnement pour les étrangers. Ils sont souvent invités à des conférences et séminaires gouver­nementaux pour exprimer leurs besoins et faire des suggestions, qui sont souvent respectées et mises en place par les autorités. Dans l’autre sens, des dirigeants sont toujours prêts à participer à des événements étrangers en vue de montrer leur soutien réel. Un certain nombre d’étrangers, surtout les premiers arrivants, peuvent se sentir importants pour la ville. Un Sénégalais, résident depuis plus de douze ans, m’a raconté sa relation avec les dirigeants de la ville :

Note de bas de page 26 :

Le logiciel le plus populaire pour former et garder un réseau via Internet en Chine, comme Facebook.

Note de bas de page 27 :

Entretien avec l’auteure, Yiwu le 6 mars 2015.

Moi je les connais bien. Ils sont toujours très à l’écoute de nous. Peut-être c’est parce que ça fait longtemps que je suis là, je trouve que les dirigeants, par exemple le maire adjoint X, mettent beaucoup d’attention à ce que je dis. J’ai leur contact personnel. Je les ai même sur WeChat26. En effet, je peux les appeler quand je veux. Je pense que ce n’est pas le même cas dans d’autres endroits et ici, je me sens très pris au sérieux.27

En donnant un statut important à certains étrangers, les dirigeants de Yiwu cherchent à être appréciés en retour des communautés étrangères. Ils ont compris la relation étroite existant entre les compatriotes étrangers : les premiers arrivés sont aujourd’hui les plus respectés dans leur communauté, considérées par les nouveaux arrivants comme des ‘grands frères’ qui ont réussi dans le commerce et possédant d’importantes connaissances sur la ville.

De cette manière, ils souhaitent que cette population puisse diffuser la bonne réputation de l’administration au sein de sa communauté. De plus, les leaders des communautés étrangères possèdent certain privilège en comparaison avec leurs compatriotes et les résidents locaux. Ainsi, ils se sentent plus responsables.

Ainsi, la ville peut les satisfaire, non seulement dans un sens matériel mais aussi psychologique. Cette façon de faire facilite également la gouvernance locale. D’un côté, les dirigeants de la ville possèdent plus de moyens pour connaître et comprendre la population étrangère, d’un autre côté, les politiques officielles peuvent toucher plus facilement et directement les étrangers, surtout les nouveaux arrivants qui n’ont pas encore assez de connaissances sur la langue chinoise et la culture locale. Cela crée ainsi un cercle vertueux.

Conclusion

Dans toute la Chine, il est difficile de trouver une ville où la population étrangère bénéficie d’un meilleur statut qu’à Yiwu. Les traders internationaux qui s’y sont installés sont aujourd’hui des leaders dans leur entourage et proches des autorités locales. Mais les nouveaux arrivants bénéficient également des politiques avantageuses destinées aux étrangers, afin de faciliter leur vie sur place et de les maintenir dans la ville, ce qui se voit se voit rarement dans des grandes villes en Chine. En même temps, sans la présence des étrangers, le commerce de Yiwu n’aurait pas atteint son niveau d’aujourd’hui.

Cette particularité s’explique par le besoin mutuel des commerçants étrangers et le gouvernement de Yiwu. Les commerçants étrangers, généralement venant des pays en voie de développement apprécient les produits vendus sur le marché de Yiwu : en raison de leur bon rapport qualité/prix, et ils peuvent faire de forts profits en exportant ces produits dans leur pays d’origine. Les autorités de Yiwu, ayant compris l’importance du commerce international pour le bien-être de la population locale ainsi que le développement économique de la ville, s’efforce à de créer un environnement propice à la vie et aux activités commerciales des étrangers. Contrairement à Guangzhou ou d’autres villes métropoles, Yiwu a fort besoin de cette population extérieure. Ce besoin la motive à devenir un gouvernement appréciable, notamment par les résidents internationaux.

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Pour citer ce document

Cui, C. (2020). Compréhension sur le rôle du gouvernement chinois dans l’accueil des étrangers--le cas des commerçants étrangers à Yiwu. Trayectorias Humanas Trascontinentales, (6). https://doi.org/10.25965/trahs.2434

Auteur
Can Cui
Docteur en Géographie humaine, Université de Clermont Auvergne (France), Master en langue et littérature françaises, Université de Wuhan (Chine).
Département de la langue française
Institut des Relations Internationales
Pékin, Chine
cancancancui@gmail.com
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