Intégration Sensorielle d’Ayres : État des lieux de la pratique auprès des enfants avec des Troubles du Spectre de l’Autisme Ayres Sensory Integration: State of practice with children with Autism Spectrum Disorder

Lou Deconchas ,
Camille CHAUFFOUR ,
Clélia Philippe ,
Emilie BICHON ,
Louise Robin 
et Brigitte Devanneaux 

Contexte : Les Troubles du Spectre de l’Autisme (TSA) constituent un handicap fréquent dans la population pédiatrique. L’intégration sensorielle d’Ayres apparait dans la littérature comme étant une méthode d’intervention pour répondre aux problématiques sensorielles de ces enfants. Son utilisation est désormais reconnue. Cette étude observationnelle a pour objectif de documenter la pratique de l’Intégration sensorielle d’Ayres en ergothérapie auprès des enfants avec un TSA et en particulier ceux présentant un trouble du traitement de l’information sensorielle.
Methode : L’étude est basée sur une enquête, par questionnaire, à destination des ergothérapeutes exerçant avec des enfants avec TSA et étant formés à l’Intégration Sensorielle d’Ayres par l’intermédiaire de l’Association Nationale Française des Ergothérapeutes.
Resultats : L’utilisation de l’intégration sensorielle varie en fonction des professionnels, en fonction de leurs caractéristiques identitaires. Cependant, l’étude nous permet de mettre en lumière des tendances de pratiques en lien avec la population autistique, notamment l’utilisation de méthodes d’intervention en compléments. Les professionnels rencontrent des freins dans leurs pratiques et mettent en place des moyens alternatifs pour faciliter leur intervention.
Conclusion : Cette étude nous donne une vision limitée sur la pratique de l’Intégration sensorielle par les ergothérapeutes français auprès des enfants TSA. Néanmoins, nous pouvons identifier un delta entre la théorie de l’intégration sensorielle et la pratique.

Context: Autism Spectrum Disorder (ASD) are a common disability in the pediactric population. Ayres Sensory Integration is recognized in the literature as an intervention method to adress sensory issues of these children. This use is now widely recognized. This observational study aims to document the practice of Ayres sensory integration in occupational therapy with children with ASD, particularly those with sensory processing disorder.
Method: The study is based on a survey questionnaire targeting occupational therapists working with ASD children and who have received training in Ayres sensory integration through the French National Association of Occupational Therapists.
Results: The sensory integration practice varies among professionals based on their individual characterisctics. However, the study highlights practices trends related to the autistic population, including the use of additional intervention methods. Professionnals encounter obstacles in their practice and implement alternative means to facilitate their interventions.
Conclusion: This study provides a limited insight of the practice of sensory integartion by french occupational therapists working with ASD children. Nevertheless, a gap between theory of sensory integration and practice can be identified.

Sommaire
Texte

Introduction

L’Intégration sensorielle d’Ayres est une approche théorique et également une méthode d’intervention (1), dont l’appellation de Ayres Sensory Intégration® (ASI) a été déposée (2). L’ASI répond à des critères de pratiques fondés sur la preuve et est reconnu comme étant une Evidence-Based Practices (3).

L’ASI a pour but de développer les apprentissages et les comportements adaptatifs par le biais de l’utilisation d’activités signifiantes et riches en découvertes sensorielles. Les sensations vestibulaires, proprioceptives et tactiles sont privilégiées, car elles ont des effets puissants sur les mécanismes de régulation du le système nerveux. (4,5). Cette thérapie nécessite l’engagement et la motivation de l’enfant dans les activités. L’intervention se fait à travers le jeu avec du matériel thérapeutique spécifique (6) : balançoires, ballons géants, …

Le processus d’intervention décrit dans la littérature implique une phase d’évaluation de l’enfant afin d’établir son profil sensoriel. Ensuite, le thérapeute établi des objectifs et détaille son intervention (7). L’intervention se poursuit avec des réévaluations afin de mesurer l’atteinte des objectifs et de quantifier les changements observables sur le comportement de l’enfant.

Il existe 10 critères de fidélité encadrant la méthode (8) Une étude menée sur la fidélité du processus d’intervention en lien avec les principes thérapeutiques de l’ASI, met en lumière une faiblesse méthodologique dans la littérature, notamment la représentativité du traitement : la majorité des études décrivent moins de la moitié des éléments du processus théorique d’intervention. Le critère le plus abordé est la présentation d’opportunités sensorielles aux patients (9).

L’ASI est une des approches sensorielles utilisée auprès des enfants avec un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). En effet, 95 % des enfants avec un TSA possèdent des troubles du traitement sensoriel (SPD), pouvant impacter tous les sens, à différents degrés (10). Ils se manifestent de manières variées, en réponse à un stimuli sensoriel et à différentes étapes du traitement de l’information. Ils entraînent des comportements inadaptés qui entravent ou compliquent les activités de la vie quotidienne (11–13). Il existe plusieurs SPD impactant le fonctionnement global de l’enfant (12,14–17). Cependant, la majorité des enfants avec TSA présentent des difficultés de modulation (18). Les SPD perturbent les capacités adaptatives des enfants dans leur vie quotidienne, en limitant leurs possibilités d’indépendance dans leurs activités (19). Cela génère des situations de handicap pour ces enfants (20). De plus, les schémas sensoriels contribueraient à la gravité du TSA (21).

Tous les enfants avec un TSA, quels que soient leurs profils et leur âge, peuvent être affectés par des réactivités sensorielles et peuvent bénéficier d’une prise en charge en ergothérapie. (22) Les ergothérapeutes peuvent intervenir spécifiquement sur les difficultés sensorielles de l’enfant. L’accompagnement nécessite une observation clinique pour subvenir aux besoins de l’enfant et proposer des aides adaptées (23). L’utilisation continue d’intervention sensorielle en ergothérapie est soutenue dans la littérature, pour remédier aux difficultés de communication et de comportement des enfants avec TSA (24). Cependant, Le choix de travailler sur ces troubles doit être guidé par l’analyse des difficultés que rencontrent l’enfant et sa famille (25).

L’utilisation de l’ASI auprès des enfants atteint d’un TSA a des effets positifs dont des améliorations dans l’interaction avec l’adulte, les interactions sociales l’initiation, la maitrise du jeu et la conscience environnementale avec notamment une diminution des comportements non-engagés et autistique (26–30). Une revue systématique de la littérature a montré les bénéfices d’une intervention ASI sur l’amélioration des objectifs de fonctionnement et sur la participation individuelle. (31). De récentes études apportent des éléments supplémentaires sur les bénéfices de l’ASI au niveau des activités de la vie quotidienne (soins personnel, activités sociales) (32,33).

L’ASI se développe de plus en plus en France où les formations se multiplient, mais nous n’avons pas de retour sur la mise en place de la méthode post-formation. L’association National Française des ergothérapeute (ANFE) propose une formation, en 3 modules, qui respecte les critères de validité internationale de l’ASI.

L’ASI est décrite dans la littérature de manière stricte, avec des protocoles d’intervention intensifs et organisés (26,28–30,32). La fréquence d’intervention varie en fonction des études, allant de 2 à 3 séances par semaine de 40 à 60 minutes (28,32,34). Ces conditions ne sont pas représentatives du cadre de travail les ergothérapeutes français. Ainsi, à travers cette étude, nous nous posons la question suivante : Comment les ergothérapeutes appliquent l’intégration sensorielle d’Ayres dans leurs pratiques auprès d’enfants avec un TSA ?

Méthode

Objectifs de l’étude

L’étude observationnelle repose sur une enquête menée par questionnaire dans le but de faire un état des lieux de la pratique actuelle de l’ASI et de documenter l’utilisation de la méthode par des ergothérapeutes français intervenant auprès des enfants TSA. Afin de garantir un socle commun de connaissances respectant les critères de validité de l’ASI, l’échantillon d’étude est réduit aux ergothérapeutes formés à l’ASI par l’intermédiaire de l’ANFE.

Description de la population

L’échantillon d’étude comprend donc l’ensemble des ergothérapeutes formés à l’ASI par l’ANFE et intervenant actuellement auprès des enfants TSA présentant des troubles du traitement de l’information sensorielle, sans distinction de lieux d’exercice, ni de niveau de formation (module1, 2 ou 3). Sont exclus de l’étude tous les ergothérapeutes n’exerçant plus auprès d’enfants avec TSA.

Mode de diffusion et de selection

La diffusion du questionnaire a eu lieu sur une période de 1 mois du 15 février au 15 mars 2023. Le questionnaire a été diffusé de manière numérique avec une brève explication de l’étude et le lien hypertexte renvoyant au questionnaire.

Plusieurs méthodes de diffusion ont été utilisées :

  • Transmission par mail, avec une relance hebdomadaire, à des professionnels susceptibles de répondre au questionnaire. La liste de diffusion a été créée grâce à l’annuaire des professionnels figurant sur le site de l’ANFE.

  • Transmission par mail de plusieurs membres de l’ANFE, afin de transmettre le questionnaire à l’ensemble des ergothérapeutes formés par leur intermédiaire.

  • Diffusion sur les réseaux sociaux, sur des groupes Facebook de professionnel ergothérapeutes (ILFOMER-Ergos, Ergothérapie en Pédiatrie, Mémoire ergothérapie, Ergothérapie (idées et activités)) ainsi que sur le réseau professionnel LinkedIn

  • Transmission par mail à toutes les structures médico-sociales figurant sur le site du Centre Ressource Autisme Limousin.

  • Transmission par mail aux professionnels rencontrés aux cours de stage de formation.

L’outil méthodologique

Pour réaliser cette étude, un questionnaire a été créé avec le logiciel SphinxOnline. Il s’appuie sur les critères de fidélité de l’ASI (8). Et a été réalisé en concertation avec un ergothérapeute ayant reçu le premier module de formation de l’ANFE. Il L’enquête se compose de 6 parties (informations sur le professionnel, formation à l’ASI, pratique de l’ASI, profils des enfants suivis avec l’ASI, limites de l’ASI, analyse de la pratique de l’ASI). Au total, 34 questions composent l’enquête. Le questionnaire est constitué d’une majorité de question fermées : réponses à choix multiples avec pour la majorité d’entre-elles la possibilité de spécifier sa réponse à l’écrit. L’ensemble des questions comportait l’option « réponses obligatoires » afin de permettre une collecte de données suffisante pour l’analyse.

L’analyse des résultats

Les résultats ont été recueillis et analysés de manière quantitative grâce au logiciel Sphinx. Afin de faire l’analyse des résultats de manière qualitative, les résultats ont été exportés dans le logiciel Excel. La double analyse par l’intermédiaire des deux logiciels permet de combiner les approches et d’avoir une prise en compte globale des résultats en respectant les contraintes de chaque logiciel.

Résultats

Au total, 60 ergothérapeutes ont été contactés et 12 structures médico-sociales.

Dix ergothérapeutes ont participé à l’étude, les caractéristiques des professionnels sont décrites dans le tableau 1. Dans le but de respecter les critères de sélections préétablies, les données en lien avec la participante n° 3 n’ont pas été prises en compte puisqu’elle ne mettait pas en place l’ASI.

Les ergothérapeutes inclus dans l’étude ont des niveaux de formation différents (module 1, 2 ou 3). Il est à noter que la majorité des ergothérapeutes (n =7) possède des formations complémentaires liées à l’exercice en pédiatrie. Cinq des ergothérapeutes formés à l’ASI possède la formation sur le profil sensoriel et/ou formation sur le TSA.

Le temps de mise en place de l’ASI est hétérogène, celle-ci est plus ou moins rapide en fonction des professionnels.

Tableau 1 : Caractéristiques des professionnels participants à l'étude (n =10).

Note de bas de page 1 :

« E » signifie ergothérapeutes : les réponses sont répertoriées de manière anonyme.

Note de bas de page 2 :

Institut médico-éducatif

Note de bas de page 3 :

Service d’éducation spéciale et de soins à domicile

Note de bas de page 4 :

Dispositif d’autorégulation

Note de bas de page 5 :

Centre d’action médico-sociale précoce

Note de bas de page 6 :

Unité d’enseignement maternelle autisme

E1

Genre

Tranche d’âge

Année d’obtention du diplôme

Temps d’exercice auprès des TSA

Région d’exercice

Lieux d’exercice

1

F

35 - 45 ans

2003

10 – 20 ans

Haut-de-France

IME2 – SESSAD3 -Libéral

2

F

25 – 35 ans

2012

5 – 10 ans

La Réunion

Libéral

3

F

25 – 35 ans

2021

Moins de 5 ans

Nouvelle-Aquitaine

SESSAD

4

F

45 – 55 ans

1996

5 – 10 ans

Nouvelle-Aquitaine

IME – SESSAD – Libéral – DAR4

5

F

25 – 35 ans

2016

5 – 10 ans

Corse

Libéral

6

F

25 – 35 ans

2020

Moins de 5 ans

Pays de la Loire

Libéral

7

F

25 – 35 ans

2020

Moins de 5 ans

Pays de la Loire

CAMPS – Libéral

8

F

25 – 35 ans

2016

Moins de 5 ans

Provence-Alpes-Côtes-d ’Azur

IME – Libéral

9

F

35 - 45 ans

2005

10 – 20 ans

Provence-Alpes-Côtes-d ’Azur

CAMPS5 – Libéral

10

F

35 - 45 ans

2012

10 – 20 ans

Nouvelle-Aquitaine

SESSAD – UEMA6

Les résultats concernant le niveau de formation, la fidélité de l’intervention par rapport à la littérature et la perception de la pratique du professionnel sont regroupés dans le tableau 2.

Tableau 2 : Niveau de formation des ergothérapeutes en lien avec les critères de fidélité de l’ASI (n =9).

Niveau de formation (Module)

1

(n =1)

2

(n =5)

3

(n =3)

Effectif Total

Critères de fidélité de l'ASI

S'assurer de la sécurité physique de l'enfant

0

5

3

8

Présenter une variété d'opportunités sensorielles, particulièrement tactiles, vestibulaires et sensorielle

1

5

3

9

Utiliser les activités et l'environnement pour soutenir l'enfant dans son autorégulation

0

2

3

5

Stimuler les ajustements posturaux, oculaires, oraux, ou le contrôle moteur bilatéral

1

5

2

8

Stimuler les praxies et l'organisation

1

4

2

7

Collaboration avec l'enfant dans le choix de l'activité

1

4

3

8

S'assurer que les activités représentent un juste défi en regard des capacités de l'enfant

1

5

2

8

S'assurer que l'enfant est capable d'accomplir les activités proposées

1

5

3

9

Stimuler sa motivation intrinsèque

0

4

2

6

Etablir une alliance thérapeutique avec l'enfant

0

0

2

7

Quatre des ergothérapeutes ont sélectionné l’ensemble des critères de fidélité, deux d’entre eux ont reçu l’ensemble des modules de formation de l’ANFE. Les critères les plus respectés sont ceux concernant la présentation d’une variété d’opportunités sensorielles et la capacité de l’enfant à réaliser les activités proposées.

Les évaluations utilisées en amont de la mise en place de l’ASI sont variées : les observations cliniques d’Erna Blanche et celles d’Ayres et Talbot, le profil de Dunn, le Sensory Integration and Praxis Test, Test of Sensory Functions in Infants, le Sensory Processing Measure, Pediatric Interest Profiles, la Batterie d’évaluation du mouvement chez l’enfant (M-ABC), le bilan neuropsychologique de l’enfant (NEPSY) . Néanmoins, nous pouvons identifier que l’ensemble des ergothérapeutes qui mettent en place l’ASI (n =9) utilisent le profil de Dunn et la M-ABC. De plus, 8 d’entre eux utilisent la NEPSY pour évaluer les enfants. Au demeurant, 8 ergothérapeutes réalisent des réévaluations au cours de leur intervention pour réajuster leur accompagnement auprès des enfants.

L’environnement utilisé pour les séances basées sur l’ASI est variable en fonction des ergothérapeutes : un espace dédié avec un matériel fixe (n =5), un espace modulable pouvant être transformé en espace dédié avec du matériel amovible (n =3), sans espace dédié (n =3). Certains ergothérapeutes combinent plusieurs types d’environnement dans leur pratique. Parmi les répondants, deux ergothérapeutes utilisent l’ASI dans l’environnement de l’enfant (à l’école ou à la maison).

La majorité des ergothérapeutes interrogés combinent plusieurs méthodes d’intervention avec l’ASI, principalement l’approche Treatment and Education of Autistic and Related Communication Handicapped Children (TEACCH) (n =6) et Applied Behavior Analysis (ABA) (n =6). En deuxième position, apparaît l’outil Picture Exchange Communication System (PECS) (n =4). Enfin, d’autres approches sont utilisées plus ponctuellement comme le Makaton, la guidance parentale et l’utilisation de pictogramme. Seul un ergothérapeute utilise l’ASI sans la combiner à une autre méthode.

Concernant la fréquence d’intervention, 7 ergothérapeutes réalisent une séance basée sur l’ASI par semaine avec l’enfant. Un ergothérapeute réalise une séance ASI par mois. Enfin, un ergothérapeute a répondu « autre » mais n’a pas spécifier sa fréquence d’intervention.

L’étude met en lumière une modification dans l’organisation du travail de l’ergothérapeute pour mettre en place l’ASI. La majorité des ergothérapeutes ont réalisé une réorganisation de l’espace de travail, dont un en cours de réorganisation (n =5). Une minorité d’ergothérapeutes n’ont pas réalisé de changement dans leur travail, un précise que le cabinet dans lequel il exerce était déjà équipé à son arrivée (n =2). Un ergothérapeute a fait des modifications temporelles dans l’accompagnement des enfants. Enfin, un ergothérapeute n’a pas précisé le type de réorganisation opérée.

L’enquête permet d’identifier plusieurs freins à la mise en place de l’ASI : des freins matériels (n =8), environnementaux (n =7), financiers (n =6), organisationnels (n =3), temporels (n =2)et autres (n =2).

Les aides perçues pour mettre en place l’ASI sont hétérogènes, certains ergothérapeutes n’ont reçu aucune aide (n =4), d’autres des aides financières (n =4), des aides humaines (n =3) et des aides matérielles (n =3). Un ergothérapeute ayant répondu « autre » a précisé être en attente d’aides. Les aides financières reçues sont en lien avec la formation, en particulier la mobilisation du fond interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIFPL). Les aides humaines englobent les conseils des formatrices ou de collègues formés à l’ASI concernant l’aménagement d’un espace dédié à l’ASI (optimisation de l’espace avec le choix de matériels adaptés). Enfin, les aides matérielles mobilisées sont en particulier du prêt ou de la seconde main. Un ergothérapeute évoque la recherche de matériel dans des magasins de bricolage.

L’ensemble des ergothérapeutes identifie des changements après l’utilisation de l’intégration sensorielle. Ceux-ci sont répertoriés dans le tableau 3

Tableau 3 : Observations des ergothérapeutes sur l'évolution des enfants après une prise en charge basée sur l'ASI (n =9) *verbatim d’un ergothérapeute n’ayant pas coché la réponse : « évolution de la communication » mais pouvant être classé dans cette réponse.

Types de changement

Effectifs

(n =9)

Verbatims

Changement de comportement

6

"Limitation des stéréotypies (parfois)"

"Comportement plus adapté " "Moins de troubles du comportement"

"Capacités à gérer les informations sensorielles" 

"Moins de surcharges sensorielles et émotionnelles"

"Diminution des comportements de recherche"

Evolution de la motricité (fine ou globale)

6

"Amélioration au niveau de la motricité fine et des praxies gestuelles" "Motricité globale et fine meilleure, praxie meilleure"

"Meilleur contrôle postural, meilleures capacités motrices globales et fines et coordination oculo-manuelle" "Amélioration de certaines praxies"

Evolution de la communication

1

"Augmentation des échanges (regards adressés, plaisir partagé, attention conjointe), émergence du langage"

"Amélioration dans la communication, la relation. "*

Evolution de l'engagement dans les activités

8

"Amélioration de l'investissement de l'enfant auprès des activités proposées"

"Plus d'engagement dans les activités sensorielles"

" Engagement dans la tâche meilleure "

"Augmentation de l’autonomie dans les AVQ et des centres d’intérêts" "Amélioration dans certains apprentissages scolaires"

Autres

2

"Pas encore de changement, je suis formée module 2 que depuis 2 semaines"

Discussion

Les ergothérapeutes interrogés ont des environnements de pratique différents : de par le lieu d’exercice et l’environnement d’intervention (espace de pratique, matériel à disposition). Selon l’approche d’Ittelson, l’individu est dirigé par des objectifs et son comportement est le résultat de la confrontation permanente des motivations internes avec les opportunités qu’offre l’environnement (35). Le cadre environnemental dans lequel évolue le professionnel influence donc sa pratique. Ainsi, nous pouvons corréler le lieu d’exercice et la pratique de l’ASI, l’espace réservé à la pratique est dépendant du mode d’exercice de l’ergothérapeute (libéral ou structure médico-sociale). De plus, l’espace dédié à la pratique est au cœur de l’approche de l’ASI puisque l’environnement de l’enfant conditionne ses réactions (36). La majorité des ergothérapeutes interviennent dans un espace dédié ce qui est bénéfique pour l’application de l’ASI, notamment pour respecter les critères de fidélité. (37).

La fréquence d’intervention de l’ASI telle qu’elle est décrite dans la littérature scientifique n’est pas observable dans l’échantillon testé. La majorité des répondants intervient une fois par semaine auprès de l'enfant contre 2 à 3 fois dans les protocoles cliniques d’études sur l’ASI (28,32,34). Cette différence peut s’expliquer par les contraintes liées à la structure d’exercice des ergothérapeutes. La majorité des répondants exerce en libéral, leur fréquence d’intervention est donc restreinte. La fréquence d’intervention en libéral est comprise entre 40 à 60 minutes, une fois par semaine (38).

L’étude met en évidence deux types de pratiques : la pratique « fidèle » de l’ASI (respectant l’ensemble des critères de fidélité) et la pratique « non-fidèle » (ne respectant pas l’ensemble des critères) (8). Selon l’ANFE, l’application « fidèle » de l’ASI est possible après la passation du module 2 (39) et notre étude confirme cet argument-là. Cependant, la formation complète du professionnel n’implique pas nécessairement une application « fidèle ». Également, notre étude corrobore le résultat obtenu par Parham, concernant l’existence d’un critère principal de l’ASI, plus respecté que les autres : la présentation d’opportunités sensorielles (9).

En parallèle de ces constats, nous observons une tendance générale se dégager : l’utilisation de méthodes/outils d’intervention plus globales et spécifiques aux TSA en complément de l’ASI :

  • TEACCH : Programme qui permet d’intervenir sur tous les aspects de l’environnement en structurant l’espace et en mettant en place un emploi du temps visuel afin de pallier les difficultés des enfants (40).

  • ABA : Méthode suivant une approche comportementale intensive, qui vise à modifier le comportement grâce au renforcement et l’utilisation de procédures (guidance, chaînage, estompage...)(41).

  • PECS : Méthode basée sur l’utilisation de pictogrammes afin de développer l’échange et la spontanéité dans la communication des enfants TSA (42).

Ces combinaisons d’approches sont parfois utilisées dans la littérature (28,43). Cela permet d’avoir une intervention globale auprès de l’enfant, comme il est recommandé dans la littérature (44). De nouvelles recommandations permettraient de préciser le type d’intervention à proposer aux enfants avec TSA, en accord avec les récentes découvertes sur l’utilisation de l’ASI auprès de ce public (45).

Les évaluations choisies en majorité pour identifier les problématiques des enfants sont : le profil de Dunn, la MABC et la NEPSY. L’utilisation de ces bilans standardisés et la réévaluation de l’enfant au cours de son accompagnement rejoint la littérature concernant le processus d’évaluation en ergothérapie, en pédiatrie (31,46,47). Cependant, il reste à évaluer la fréquence de ces réévaluations et leurs impacts sur l’accompagnement des enfants.

Malgré une pratique majoritairement « non-fidèle », les ergothérapeutes identifient des évolutions bénéfiques chez les enfants avec TSA, notamment concernant l’engagement dans les activités, les comportements et la motricité. L’évolution de la motricité globale et fine apparait comme étant un des effets principaux de l’intervention ASI dans l’échantillon testé. Cependant, peu d’étude documentent le sujet : des effets positifs ont été identifié sur la coordination motrice et les capacités combinées (sensorielles, motrices et cognitives) chez des enfants TSA de haut niveau. (48) De plus, les résultats de notre étude appuient l’argument d’un impact positif de l’ASI concernant l’engagement des enfants, comme illustré dans la littérature (28). En revanche, peu d’ergothérapeutes rapportent une amélioration dans la communication et l’interaction. Cependant, ces modifications de comportements sont similaires aux résultats de l’étude menée par Linderman et al (29). Enfin, l’étude met en évidence un délai dans l’apparition de ces changements. En ravanche, l’apparition des effets de l’ASI n’a été mesuré qu’à court terme (28).

La pratique de l’ASI demande un investissement particulier, les professionnels recensent des freins matériels, financiers, environnementaux, organisationnels et temporels. Cependant, les ergothérapeutes mobilisent des aides pour appliquer l’ASI, en particulier des aides financières, matérielles et humaines. Celles-ci sont associées à une réorganisation de la pratique tant spatiale que temporelle.

Les freins matériels sont en lien avec les contraintes budgétaires et environnementales du lieu d’exercice. La difficulté des thérapeutes est de faire coïncider ces deux exigences pour leur pratique. Le choix du matériel conditionne la présentation des opportunités sensorielles et de ce fait la prise en charge. Ainsi, pour faire face à ces difficultés, les ergothérapeutes ont recours à des moyens alternatifs pour se procurer du matériel à plus faible coût. De plus, l’aspect financier de l’ASI est très important compte tenu de l’investissement fait par les professionnels pour se former, pour aménager leur espace de travail et pour se procurer des outils d’évaluations normés. Les freins financiers restent importants malgré certaines aides et adaptations. Les aides mobilisées sont en lien avec la pratique libérale, les professionnels sollicitent les fonds interprofessionnels de formation des professionnels libéraux. Pour ceux exerçant en structure, l’étude n’apporte pas d’information supplémentaire. L’organisation et les financements de la structure médico-sociale apparaissent alors déterminants dans la mise en place de la pratique.

Les freins environnementaux et organisationnels sont également inhérents à la structure d’exercice. L’exercice en structure est soumis à un cadre hiérarchique qui disparaît dans l’exercice libéral. Un ergothérapeute rapporte ainsi avoir changé de lieu d’exercice pour pouvoir mettre en place l’ASI.

En regard des observations précédentes, l’exercice en libéral réduit en partie les freins précédemment énoncés, par la mobilisation de ressources propres à ce type d’exercice et par une liberté dans la pratique. Nous pouvons supposer que le libéral est un lieu de pratique privilégié pour les ergothérapeutes mettant en place l’ASI. Cependant, cette hypothèse est à nuancer avec les contraintes inhérentes à ce type d’exercice (fréquence d’intervention, durée d’intervention par séance, coup du matériel et de la formation, …).

Limites de l’étude et perspectives

Compte tenu du choix des critères d’inclusion de l’étude, la population-cible est relativement restreinte en comparaison à la population d’ergothérapeutes français formé à l’ASI. L’étude comprend un échantillon relativement réduit (n =9) et jeune (moins de 10 ans de diplôme). Il faut donc rester prudent sur la généralisation de ces résultats.

De plus, le questionnaire implique quelques biais méthodologiques : la formulation des questions, leur compréhension, la densité de l’ensemble des questions posées. Le questionnaire s’appuie sur les critères de fidélité de la pratique de l’ASI mais les données recueillies ne sont pas issues d’une évaluation normée. Il subsiste donc dans les réponses une valeur subjective.

Cette étude donne une vision des tendances de pratiques de l’ASI en France. Les ergothérapeutes français combinent l’ASI avec d’autre méthodes d’intervention et utilisent l’environnement et le matériel qu’ils ont à disposition. La pratique n’est donc pas fidèle à la littérature. Néanmoins le critère principal de fidélité (« Présenter une variété d’opportunités sensorielles, particulièrement tactiles, vestibulaires et sensorielles ») est respecté par l’ensembles de l’échantillon étudié. L’ASI est soutenue par le raisonnement clinique de l‘ergothérapeute pour s’adapter aux besoins de l’enfants accompagné.

Conclusion

L’application de l’ASI est hétérogène, elle semble être influencée par de multiples facteurs : lieux d’exercice, environnement, fréquence. La pratique de l’ASI n’est pas conforme aux interventions décrites dans la littérature, illustrant les effets de celle-ci. Cependant, les professionnels identifient des effets positifs sur le comportement des enfants TSA.

L’ASI est majoritairement appliquée de manière non-fidèle aux critères énoncés dans la littérature. Et elle est combinée avec d’autres méthodes pour intervenir auprès des enfants avec TSA.

La pratique est influencée par les moyens alternatifs que mettent en œuvre les professionnels pour adapter l’ASI à leur type d’exercice. Ces moyens témoignent d’une volonté d’utiliser la méthode malgré les freins rencontrés lors de sa mise en place.