Le partenariat entre parents et ergothérapeutes dans l’accompagnement des Troubles Alimentaires Pédiatriques The partnership between parents and occupational therapist in the support of Pediatric Eating Disorders

Clélia Philippe ,
Mathilde Cellié ,
Lou Deconchas ,
Grégoire Goubeau 
and Stéphane MANDIGOUT 

https://doi.org/10.25965/rse2r.124

Contexte :
Les Troubles Alimentaires Pédiatriques (TAP) concernent entre 13 % et 50 % de la population pédiatrique. Cet obstacle dans le quotidien de l’enfant, bouleverse les habitudes de vie de la famille entière. Ainsi, l’inclusion des parents dans les prises en soin est primordiale. C’est ici qu’est suggéré dans la littérature la notion de partenariat thérapeutique. Néanmoins, nous n’avons pas de recul sur la manière dont les ergothérapeutes s’approprient cette notion et l’appliquent dans leurs accompagnements. Cette étude a pour but de comprendre comment les ergothérapeutes mettent en place un partenariat avec les parents dans l’accompagnement des Troubles Alimentaires Pédiatriques (TAP).
Méthode :
Cette analyse de pratique professionnelle a été menée via un questionnaire à l’intention des ergothérapeutes accompagnant ou ayant accompagné des enfants souffrant de TAP.
Résultats :
Les ergothérapeutes connaissent et appliquent de manière générale le partenariat et les principes de ce dernier. Néanmoins, les principes du partenariat ne sont pas toujours respectés à l’identique. De plus certains ergothérapeutes différencient peu la collaboration du partenariat. Ils doivent tenter d’adapter cette relation particulière à l’ensemble des caractéristiques inhérentes à la famille qu’elles soient culturelles ou socio-économiques, pour proposer un accompagnement optimal.
Conclusion :
Les ergothérapeutes appliquent le partenariat dans leurs accompagnements, cependant ils doivent perfectionner leurs pratiques pour atteindre un partenariat optimal et en accord avec la littérature. Le partenariat reste un idéal vers lequel l’ensemble des professionnels de santé doivent tendre.

Context:
Pediatric Feeding Disorders (PFD) affect between 13% and 50% of the pediatric population. This significant challenge in a child's daily life disrupts the entire family's routines. Therefore, involving parents in the care process is crucial. The literature suggests the concept of therapeutic partnership in addressing this issue. However, there is limited understanding of how occupational therapists embrace and implement this notion in their interventions. This study aims to understand how occupational therapists establish a partnership with parents in the management of Pediatric Feeding Disorders.
Method:
This analysis of professional practice was conducted through a questionnaire targeting occupational therapists who have accompanied or are currently accompanying children with PFD.
Results:
Occupational therapists generally have knowledge of and apply the principles of partnership. However, adherence to partnership principles may vary. Furthermore, some occupational therapists struggle to differentiate between collaboration and partnership. They must strive to adapt this unique relationship to the diverse characteristics of families, including cultural and socioeconomic factors, to provide optimal support.
Conclusion:
Occupational therapists employ partnership approaches in their interventions; however, they need to refine their practices to achieve an optimal partnership in line with the existing literature. Partnership remains an ideal that all healthcare professionals should aspire to.

Contents
Text

Introduction

Selon la psychologue, Cindy Mottrie, nous pouvons poser le diagnostic de trouble de l’oralité alimentaire dans le contexte suivant : « Lorsqu’un enfant ne peut pas consommer une alimentation équilibrée appropriée pour son âge (solides et liquides) pour permettre une croissance et un développement harmonieux. » (1) Selon la CIM 11, le Trouble Alimentaire Pédiatrique (TAP) est une : « Perturbation de l’apport oral en nutriment, inappropriée pour l’âge, d’une durée d’au moins deux semaines et associée à un ou plusieurs des éléments suivants : dysfonctionnement médical, nutritionnel, des compétences oro-sensori-motrices et retentissement psycho-social »(2). Les spécialistes parlent d’une prise alimentaire inappropriée lorsque les aliments et/ou liquides ingérés ne correspondent pas aux besoins nutritionnels et d’hydratation nécessaires pour assurer une croissance et un développement harmonieux : c’est-à-dire selon les normes établit par le corps médical. (3) Le TAP touche environ 25 % de la population générale (enfants, adultes et personnes âgées compris). (4)

Nous pouvons considérer que 25 à 40 % des consultations pédiatriques, d’enfants entre 1 an et 3 ans, ont pour motifs des problématiques d’alimentation. (5) Les troubles alimentaires pédiatriques concernent entre 13 % et 50 % de la population pédiatrique ordinaire (1) et environ 80 % des enfants ayant un trouble du neurodéveloppement. (6)

Les professionnels de l’enfance, tel que le pédiatre Praveen Goday, s’accordent sur quatre grandes familles d’étiologie du TAP (1,3) : un dysfonctionnement sensoriel, un dysfonctionnement moteur, une origine cognitive et/ou traumatique (naissance prématurée, nutrition artificielle) ou encore une altération organique (résultat d’une malformation).

Les signes observables en présences d’un TAP peuvent être divisés en trois groupes. Les signes comportementaux (réaction d’évitement de la nourriture, cambrures, raidissement, pleurs, refus), les signes fonctionnels ou oromoteurs (développement des capacités motrices orales retardé, des toux/nausées, une incapacité à synchroniser la respiration et la prise alimentaire ce qui peut provoquer des fausses routes ou des étouffements lors du repas) et enfin les signes sensoriels (sélectivité de la nourriture en fonction des textures, des couleurs, de la température ou de l’environnement). (7)

Les signes observables du TAP sont très variées, ce qui rend parfois son accompagnement complexe. (8) Le traitement pluriprofessionnel des troubles alimentaires pédiatriques permet d’offrir une prise en soin complète. (9) Les orthophonistes, Lucie Briatte et Lauriane Barreau-Drouin (10), répertorient les professionnels suivants comme étant les intervenants les plus fréquents : l’orthophoniste, le psychomotricien, le psychologue, le diététicien, l’ergothérapeute.

L’enfant est souvent en difficulté lors de l’activité repas, ainsi face à une succession d’expériences « négatives », la relation avec le donneur de soin (principalement le parent) peut devenir compliquée. (1) Alors, quelle est la place des parents dans ce trouble ?

Une étude portant sur 135 enfants Turcs identifiés comme ayant des troubles alimentaires, a conclu que conseiller ou soutenir le principal responsable des soins (dans ce cas les parents) pourrait atténuer les effets négatifs des troubles (11). Selon l’étude de Bryant-Waugh (12), l’association d’une approche comportementale par le professionnel et de l’intervention familiale dans la prise en charge, permet une diminution significative des troubles alimentaires chez les enfants rencontrant ces difficultés.

Dans le cas de trouble alimentaire pédiatrique, l’ergothérapeute intervient, car l’activité de soin personnel liée au repas est perturbée. L’ergothérapeute grâce à sa vision holistique connaît les liens qui unissent l’enfant, son environnement et ses activités. (13) Or en tant que professionnel des activités de vie quotidienne, nous ne pouvons pas nous intéresser uniquement à « notre patient », ici l’enfant ; nous devons prendre en compte l’environnement humain, ici les parents (ou référents) pour proposer un accompagnement global. Inclure les parents dans la prise en soin des enfants ayant un trouble alimentaire pédiatrique est primordiale. Ils ne doivent pas être considérés comme la cause du problème, mais bien comme les acteurs les plus qualifiés pour faire évoluer le comportement de leur enfant. (14)

L’inclusion des parents est nécessaire, de ce fait il faut établir une relation entre parents et professionnel : c’est ainsi qu’émerge dans la littérature la notion de partenariat.

Pour Pelchat et Lefebvre, le partenariat est : « Une association interdépendante de la famille et des professionnels qui se fixent des buts et objectifs communs de soins. Chacun reconnaît les compétences et l’expertise de l’autre : le parent l’expertise disciplinaire du professionnel ; le professionnel l’expertise du parent dans la situation de l’enfant » (15). La Haute Autorité de Santé (HAS) recommande aux professionnels d’établir un partenariat avec les patients afin de soutenir l’engament de ces derniers dans les soins. (16)

Pour préciser la nature du partenariat, Blue-Banning, décrit six critères : la qualité de communication, l’engagement, l’égalité, les compétences personnelles, la confiance et le respect. En présence de ces critères nous pouvons considérer que nous sommes face à une relation de partenariat. (17)

Dans la littérature il existe donc une définition et des critères à ce partenariat. Nous l’avons vu plusieurs auteurs et la HAS, recommandent un partenariat dans le soin. En ergothérapie, notamment pédiatrique, l’inclusion des parents est primordiale, afin que l’accompagnement soit pleinement bénéfique pour l’enfant. Malgré tout peu d’auteurs nous indiques par quels moyens ce partenariat est mis en place ou encore de quelles façons les ergothérapeutes s’approprient cette notion et l’appliquent directement dans leurs pratiques professionnelles.

Toutes ces réflexions nous amènent à la problématique suivante : De quelle manière les ergothérapeutes établissent un partenariat avec les parents d’un enfant ayant un trouble alimentaire pédiatrique ?

L’objectif principale de notre étude est de mettre en lien les critères de la littérature concernant les partenariats thérapeutiques et les pratiques des professionnels sur le terrain. L’objectif secondaire sera de définir les principales actions menées par l’ergothérapeute pour construire ce partenariat.

Méthode

Mode de diffusion et de sélection :

Les participants à l’étude devaient répondre aux critères suivants : être ergothérapeute, exercer ou avoir exercé auprès d’enfant souffrant de TAP, sans distinction du nombre d’année de pratique, parler et comprendre le français. Les participants ont été contactés par mail, via une liste de diffusion, dans plusieurs territoires francophones (Belgique, France métropolitaine, Île de la Réunion, Luxembourg, Suisse). Cette liste était composée d’ergothérapeutes diplômés d’état décrits comme étant formé pour l’accompagnement de TAP. Cette liste de diffusion comptait 181 adresses mail.

L’outil méthodologique :

Un questionnaire en ligne a été créé avec le logiciel Sphinx online (version 4.30) afin d’interroger la pratique professionnelle des ergothérapeutes. Le format numérique permettait une diffusion vaste, et une liberté dans les réponses des professionnels afin de minimiser le sentiment de jugement de valeur et de respecter les emplois du temps de chacun.

Le questionnaire comptait 43 questions au total. Il se composait de questions fermées (réponses « oui/non »), à choix multiples (liste de réponses possibles et champ « autre » pour préciser) et de questions ouvertes.

La majorité des questions sont dites « fermées » afin de limiter les interprétations personnelles et donc faciliter le traitement des réponses. Néanmoins, sept questions sont à réponses ouvertes, c’est-à-dire à réponse texte. Le but ici est de permettre au professionnel de préciser ses pensées et/ou lui laisser l’opportunité de s’exprimer avec ses propres termes.

Enfin, le questionnaire contenait des questions « filtres » conditionnant l’apparition de questions « précisions » selon la réponse apportée précédemment. Le temps de passation pour les participants était d’environ 9 minutes.

Corps du questionnaire :

Le questionnaire était divisé en quatre parties : les informations du professionnel (exemple : année de diplôme, formation suivie, lieu d’exercice), l’accompagnement des TAP (exemple : fréquence et lieux des séances, déroulé de ces dernières), la relation entre l’ergothérapeute et les parents (exemple : moyen de communication, rendez-vous, inclusion et place des parents), le positionnement de l’ergothérapeute vis-à-vis du partenariat (exemple : type de relation mise en place, éléments obstacles/facilitateurs à la relation parents/enfants).

Dans le questionnaire les définitions suivantes ont été précisées et répétées afin de permettre une bonne compréhension des termes utilisés.

  • La coopération se définit comme une relation où les rôles et les tâches sont partagés, il n'y a pas de notions d'échanges des savoirs. (18)

  • La collaboration se définit comme un processus de travail ensemble, en commun ; où la notion d’échange et d’investissement ne sont pas précisés. (18)

  • La guidance a pour définition : "Prendre en charge une personne, lui indiquer une voie intellectuelle ou morale à suivre". (19)

  • L'alliance thérapeutique désigne une union par engagement mutuel dans le cadre d'un traitement. (20)

  • Le partenariat thérapeutique a pour définitions : "L’association interdépendante de la famille et des professionnels qui se fixent des buts et objectifs communs de soins. Chacun reconnait les compétences et l’expertise de l’autre." (15)

Pour la construction de ce questionnaire nous nous sommes basés sur les six critères énoncés par Blue-Banning. (17) Nous avons donc interrogé les professionnels à propos de la qualité de leur communication avec les parents, l’engagement en tant que professionnel et en tant que parent, l’égalité entre parents et professionnel, les compétences personnelles des parents, la confiance entre professionnel et parents. Le sixième critère de respect n’a pas été interrogé dans notre étude.

Ces six critères sont définis ci-après :

La qualité de communication : Il est important que les échanges soient réguliers au cours de la prise en soin et que les partenaires soient ouverts aux remarques. C’est une communication bilatérale et honnête, composée d’écoute d’attentive et d’absence de jugement.

L’engagement : Cette notion est apportée par les parents qui souhaitent percevoir un engagement fort de la part du professionnel dans son travail. Ils souhaitent également être « engagés » dans la prise en soin, c’est-à-dire que le professionnel reconnaisse que la relation avec les parents est aussi importante qu’avec les enfants.

L’égalité : Le sentiment d’égalité, repose sur la collaboration, le partage des informations, des idées et des tâches à accomplir. L’inclusion des parents et le développement de leur motivation sont primordiaux, afin qu’ils soient de véritables décisionnaires.

Les compétences personnelles : Cela signifie prendre en compte les savoirs de chacun et reconnaitre le caractère unique de chaque situation et donc de chaque famille. La méconnaissance est acceptée si elle est explicitée aux parents et si le professionnel est capable d’effectuer des recherches pour apporter des réponses.

La confiance : Elle est abordée selon 3 sens : la fiabilité (faire ce qui est dit et dire ce qui est fait réellement), la sécurité (laisser sereinement l’enfant avec le professionnel) et la discrétion (les informations à propos de la famille restent confidentielles).

Le respect : Identifier l’enfant et non pas la pathologie, être polie, ponctuel et reconnaître les efforts de chacun sont les clés du respect dans ce partenariat.

L’analyse des résultats

Les réponses ont été récoltées par le logiciel Sphinx, ce dernier éditant une première analyse des résultats. Nous avons par la suite exporté les résultats afin de réaliser une analyse plus approfondie de ces derniers sur le logiciel Excel. Le but était de générer des graphiques afin de rendre les résultats plus visuels et donc de faciliter l’interprétation et la compréhension pour l’ensemble des lecteurs.

Afin de présenter nos résultats, nous avons créé des graphiques présentant les réponses des ergothérapeutes selon deux groupes, ceux déclarant mettre en place un partenariat et ceux déclarant mettre en place un autre type de relation (collaboration, guidance, ou autre). La taille des deux groupes étant très disparate, nous avons calculé des ratios : Image 10000200000000710000001F7DBDFA3A002ECBE9.png

Ces graphiques ont deux buts principaux : savoir si les ergothérapeutes « partenaires » respectent les critères de la littérature et savoir si les relations des ergothérapeutes « non-partenaires » peuvent correspondre aux principes du partenariat.

Résultats

Les participants :

Le questionnaire diffusé a obtenu 64 réponses. Tous les participants travaillent ou ont déjà travaillé avec des enfants possédant un TAP. Parmi les participants de l’étude, nous avons recensé 63 femmes et 1 homme. Trente-deux répondants sont diplômés depuis 10 ans ou moins. La pratique en libéral est largement répandue dans l’échantillon (n =63). Cinquante-six ergothérapeutes affirment avoir suivi une formation certifiante concernant les TAP et leurs accompagnements en ergothérapie. Les séances d’ergothérapie ont lieu principalement en cabinet (n =57) ou à domicile (n =31) avec en moyenne 3 séances par mois.

Dans le tableau 1 ci-après, sont présentés les caractéristiques des répondants selon deux groupes : les ergothérapeutes déclarant mettre en place un partenariat dans la colonne de gauche et les ergothérapeutes déclarant ne pas mettre en place de partenariat dans la colonne de droite.

Tableau 1 : Caractéristiques des répondants (n =64)

Ergothérapeute déclarant mettre en place un partenariat n =59

Ergothérapeute déclarant ne pas mettre en place un partenariat n =5

Année de diplôme

2022-2018

9

1

2017-2013

22

2

2012-2008

19

1

2007-2003

3

0

2002-1992

6

1

Secteurs d'activité

Libéral uniquement

44

3

Libéral mixte

14

2

SESSAD

5

0

IME/IEM

5

0

Foyer

0

1

Autre

7

1

Travail en collaboration

52

5

Formé au TAP

51

5

La relation entre les parents et l’ergothérapeute :

Les ergothérapeutes considèrent que la relation qu’ils mettent en place avec les parents correspond à la définition du partenariat thérapeutique (n =59). Les ergothérapeutes confirment donc avoir des buts et des objectifs communs avec les parents (n =57) et reconnaissent l’expertise du parent (n =53) ; vingt ergothérapeutes affirment que la relation avec les parents est une association interdépendante (n =20).

Cinq ergothérapeutes ne s’identifient pas à la définition du partenariat et considèrent plutôt mettre en place des relations de collaboration et/ou de guidance.

D’après les répondants, les critères les plus importants pour un partenariat parents/ergothérapeute sont : la communication (n =52), la confiance (n =39), l’engagement (n = 26) et la volonté commune (n =26).

Les critères de la relation parents/ergothérapeute :

Nous avons décidé de présenter les résultats de notre étude selon les critères du partenariat énoncés dans la littérature par Blue-Banning et définis dans notre méthodologie. (17)

La qualité de communication est reconnue par une régularité des échanges, où la communication est bilatérale via une écoute attentive et sans jugement. Ainsi, tous les ergothérapeutes interrogés déclarent communiquer avec les parents à propos des activités réalisées durant la séance (n =64). Cette communication à lieu après la séance via une restitution orale (n =48), par restitution écrite (n =21), ou par appel téléphonique (n =11). Vingt et un ergothérapeutes ont coché la case « autre » et précisent majoritairement faire une restitution orale en temps réel pendant la séance (n =21). La communication est ainsi multimodale.

Les ergothérapeutes organisent des rendez-vous (« rdv étapes ») avec les parents afin de discuter des progressions de l’enfant (n =35), ces rendez-vous ont lieu en moyenne 1 fois par mois. Selon les ergothérapeutes ces différents temps d’échanges permettent à l’ensemble des acteurs d’ajuster leurs actions.

L’engagement est décrit comme une qualité du professionnel à s’engager dans le soin. Il s’agit également pour le professionnel de reconnaître que la relation avec le(s) parent(s) est aussi importante que la relation avec le patient. Dans notre étude, cinquante-neuf ergothérapeutes invitent les parents à participer aux séances d’ergothérapie de leur enfant (n =59).

L’égalité est définie comme un partage des informations, des idées et des tâches à accomplir par les acteurs. De ce fait, le parent doit être considéré comme un décisionnaire du soin, ayant autant à apporter que les professionnels de santé. Parmi les ergothérapeutes interrogés, cinquante-cinq affirment que les objectifs de l’accompagnement sont construits avec les parents et l’enfant afin d’obtenir un plan de soin commun (n =55). Les parents sont considérés comme des acteurs de la prise en soin pour la majorité des ergothérapeutes (n =63).

Le fait de reconnaître les compétences personnelles de chacun et le caractère unique de chaque relation est le quatrième critère énoncé par Blue-Banning. Dans cette étude, 63 ergothérapeutes sur 64, considèrent posséder des habiletés de communication, d’interaction sociale et d’empathie pour nourrir la relation de partenariat avec le parent.

Les ergothérapeutes mettent en avant que les parents doivent posséder des compétences similaires afin d’entretenir la relation de partenariat (habiletés d’interaction et de communication, capacités d’écoute et respect). L’intérêt de ces compétences est « d’instaurer un partenariat parental efficace et bénéfique à la rééducation de l’enfant ». Une ergothérapeute complète : « Selon moi, il faut aussi ajouter confiance dans le thérapeute et motivation à la maison ». Malgré tout, une ergothérapeute précise que les compétences énoncées sont « favorables (mais n'empêchent pas un accompagnement si elles ne sont pas présentes) ».

La figure 1 expose les compétences parentales nécessaires selon les ergothérapeutes. Les réponses des ergothérapeutes « partenaires » (n =59) et des ergothérapeutes « non-partenaires » (n =5) sont présentés sous forme de ratio : Image 10000200000000710000001F7DBDFA3A002ECBE9.png

Figure 1 : Compétences nécessaires aux parents, selon les ergothérapeutes, en fonction de la mise en place au non d’un partenariat. (N =64)

Figure 1 : Compétences nécessaires aux parents, selon les ergothérapeutes, en fonction de la mise en place au non d’un partenariat. (N =64)

Dans l’idée d’une relation unique, nous avons interrogé les ergothérapeutes concernant la potentielle variabilité d’intégration des parents lors des séances. Trente-neuf ergothérapeutes interrogés affirment que l’intégration des parents aux séances varie en fonction de leur environnement social (condition de vie/de travail, situation socio-économique, niveau socioprofessionnel, aspects communautaires/culturels, relation à la maladie, relation avec l'enfant) (n =39). L’adhésion au traitement, la situation socio-économique et la compréhension de la maladie sont les facteurs les plus fréquemment cités comme impactant la décision du professionnel d’intégrer ou non le parent durant les séances.

Une ergothérapeute précise modifier les objectifs de la prise en soin selon les possibilités d’implication des parents : « Je ne vais pas fixer les mêmes objectifs si le parent peut être très présent ou peu présent ». Pour une ergothérapeute ayant répondu que l’implication des parents ne varie pas, les critères énoncés ont un autre impact « j'ai répondu non cela n'influe pas sur le fait que je fonctionne en partenariat parental par contre ça influe sur la qualité du partenariat et la rapidité à laquelle on obtient un partenariat intéressant. ».

Ainsi, la figure 2 expose les critères impactant l’intégration des parents lors des séances d’ergothérapie. Les réponses des ergothérapeutes « partenaires » (n =59) et des ergothérapeutes « non-partenaires » (n =5) sont présentés sous forme de ratio : Image 1000020000000080000000203AF49976752D51A3.png

Figure 2 : Critères impactant l’intégration parentales selon la mise en place au non d’un partenariat. (N =64)

Figure 2 : Critères impactant l’intégration parentales selon la mise en place au non d’un partenariat. (N =64)

Enfin, les ergothérapeutes ont été interrogés concernant leur sentiment de confiance personnelle dans la relation qu’ils entretiennent avec les parents. Les ergothérapeutes se sentent, de manière générale, en confiance dans leurs relations avec les parents : tout à fait en confiance (n =20) et plutôt en confiance (n =32). Cependant, certains ergothérapeutes expriment que ce sentiment de confiance est variable et dépend des familles accompagnées (n =12)

Discussion

Cette étude visait à décrire les relations établies par les ergothérapeutes avec les parents d’enfants suivis pour TAP. L’analyse des résultats a permis d’identifier que les participants connaissent et appliquent le partenariat de manière similaire. Les résultats qui ont émergé de cette étude seront discutés en regard de trois idées maîtresses : l’initiation de la relation (1), le nom de cette relation (2) et enfin le caractère unique de cette relation (3).

Initier la relation :

Les ergothérapeutes admettent que les parents sont les experts de leur enfant dans le quotidien, ils possèdent les connaissances concernant l’enfant : son caractère, ses habitudes, ses réactions, ses goût, ses besoins. C’est en cela qu’ils doivent être interrogés et écoutés attentivement. Les ergothérapeutes reconnaissent donc les compétences des parents et expriment la nécessité de les exploiter : cette démarche est fidèle aux principes du partenariat énoncés dans la littérature.

La relation entre le thérapeute et les parents participe au partage d’information. Le partage des informations détenues par les parents transite par la communication. Dans notre étude, selon les répondants, l’ergothérapeute est tenu de communiquer avec les parents et cela pour les trois raisons suivantes :

  • L’ergothérapeute doit communiquer sur ses méthodes de travail : expliciter clairement les tenants et aboutissants de son intervention et des moyens utilisés

  • L’ergothérapeute échange avec les parents car il reconnait l’importance des informations détenues par le parent (en tant qu’expert de l’enfant)

  • L’ergothérapeute doit interroger la volonté des parents d’être inclus ou non dans la prise en soin de leur enfant et plus précisément lors des séances.

Au-delà de la communication, le parent doit être un acteur et donc un décisionnaire du soin. En ce sens, les participants précisent construire les objectifs de l’accompagnement avec les parents. Les ergothérapeutes souhaitent que les parents appliquent et comprennent les conseils, les outils et qu’ils transposent les apprentissages abordés en séance à la maison. Cependant, notre étude ne permet pas de déterminer si les parents sont sollicités dans l’évaluation et dans le réajustement de la prise en soin. Nous ne pouvons donc pas savoir si les parents ne font qu’appliquer les conseils du professionnel ou s’ils ont la possibilité d’apporter des remarques et/ou des modifications concernant l’accompagnement de leur enfant.

Type de relation et termes polysémiques :

Parmi les ergothérapeutes interrogés, seulement 5, affirment ne pas mettre en place un partenariat, mais davantage une collaboration avec les parents. Dans nos résultats, nous avons comparé, à plusieurs reprises, les réponses des ergothérapeutes réalisant un partenariat et les réponses de ceux ne réalisant pas de partenariat. Les deux groupes ont des réponses similaires, voir identiques, pour la majorité des questions. Néanmoins, les ergothérapeutes affirmant ne pas faire de partenariat ont tendance à moins inclure les parents lors des séances, mais à réaliser davantage de rendez-vous avec les parents afin de discuter de l’avancement des soins.

Les ergothérapeutes déclarant ne pas mettre en place de partenariat, ont pourtant des pratiques très similaires à ce dernier. Cet écart entre la perception et la pratique peut découler du caractère polysémique du terme « partenariat ». Dans la littérature, les auteurs parlent tant tôt de « empowerment », « engagement », « involvement », « partenariat » ; des termes qui, même s’ils se rapportent à une idée commune d’un patient acteur, ne signifient pas tous exactement la même chose. En parallèle, aucune recommandation de bonne pratique ne s’est accordée sur l’utilisation d’une expression unique qui permettrait à tous les professionnels de parler le même langage. Ainsi, sans cadre précis, les professionnels mettent en place la relation qui leur semble la plus adapté : mais ils parlent parfois de la même relation avec des noms ou des adjectifs différents. (21)

Une relation unique :

Là où certains ergothérapeutes déclarent exiger la présence des parents à chaque séance, d’autre nuancent leur propos et expliquent que certains critères socio-environnementaux peuvent modifier cette implication. Les critères les plus cités sont les suivants : l’adhésion au traitement, la situation socio-économique et la relation entre les parents et l’enfant.

Concernant l’adhésion au traitement, les ergothérapeutes expriment la difficulté d’être confronté à des parents qui ne sont pas convaincu de l’utilité de la prise en soin. Plusieurs ergothérapeutes expriment clairement que leur sentiment de légitimité dans l’intervention est positivement corrélé avec le fait de se sentir compétent et soutenu.

Tout cela doit être mis en relation avec le rôle du professionnel d’informer et de sensibiliser les parents à propos de l’origine, des causes et des conséquences du TAP. Dans ce sens, l’utilisation d’un vocabulaire adapté au niveau de compréhension de chaque famille, permet d’avoir une communication linéaire et non descendante (22). Encore une fois reconnaître les compétences des parents permet de passer d’une relation descendante, où le professionnel détient le savoir et où le parent applique les consignes à la lettre, à une relation équitable où chacun est acteur et apporte ses connaissances et compétences propres. En tant qu’ergothérapeute, cela correspond à une approche davantage « bottom up » : où le professionnel intervient sur les habiletés des parents afin d’impacter positivement les performances de l’enfant dans l’activité repas. (23)

Les ergothérapeutes citent aussi la situation économique comme critère impactant l’inclusion des parents aux séances. Ils mettent en avant que le prix des séances peut nuire à la régularité de l’accompagnement. En effet, la quasi-totalité de l’échantillon exerce en libéral, de ce fait les séances et/ou les frais annexes (trajet, disponibilité au travail, garde d’enfant) sont à la charge des parents. Face à des situations économiques précaires, les séances sont moins régulières et plus espacées d’après certains ergothérapeutes. Nous pouvons supposer que ce manque de régularité nuit à la création d’une relation entre parents et professionnels : prendre le temps de se connaître implique parfois d’augmenter le nombre de séances.

Les professionnels exposent que si la relation entre le parent et l’enfant est néfaste alors les parents ne sont pas des personnes ressources pour l’enfant ou pour l’ergothérapeute. Nous pouvons ici faire le lien avec l’importance de travailler ensemble. La notion de partenariat s’applique autant avec les parents qu’avec d’autres professionnels. Ainsi, dans ce type de situation, l’ergothérapeute peut orienter la famille vers un psychologue afin d’aborder les difficultés relationnelles en lien avec l’alimentation. (24)

Une minorité des participants intègre les parents sans distinction et de manière automatique. Or, nous l’avons vu, le parent en tant qu’acteur dans l’accompagnement doit avoir le choix de sa position. Lorsque l’inclusion des parents est rendue obligatoire, nous perdons l’aspect de relation équitable, où les partenaires sont libres de s’exprimer, mais aussi de s’impliquer.

Nous pouvons supposer que la prise en compte de l’ensemble des critères socio-environnementaux de la famille permet de proposer une prise en charge adaptée à chaque famille car respectant le mode de vie de chacun. Chaque accompagnement est différent et les ergothérapeutes se doivent d’adapter leur intervention à ce caractère unique.

La grande majorité des ergothérapeutes interrogés pratiquent intégralement ou en partie en libérale. Nous pouvons nous demander si la pratique en libéral, ne favorise pas la rencontre avec les parents, mais aussi la liberté pour le professionnel dans la relation qu’il veut entretenir avec ces derniers. Mais l’étude ne permet pas d’identifier si l’intégration des parents est un souhait du professionnel et/ou des parents ou si cela est inhérent à l’accompagnement en alimentation.

Limites de l’étude et perspectives :

Cette étude comporte tout d’abord des limites d’ordre méthodologique. Nous avons fait le choix de réaliser un questionnaire en ligne, de ce fait nous ne pouvons pas certifier que toutes les questions ont été comprises. Malgré le caractère anonyme de l’étude certaines réponses apportées par les ergothérapeutes peuvent être enjolivées. Ainsi les réponses et l’interprétation de ces dernières (notamment pour les questions ouvertes) sont observées avec le spectre de la subjectivité. Néanmoins, cette étude qualitative a permis de récolter une large palette de réponses dans différents domaines autour des TAP.

Une seconde limite de l’étude est la longueur du questionnaire. En effet, un nombre important de questions peut entrainer une certaine lassitude de la part des répondants et donc une diminution dans l’exactitude des propos. Le nombre important de questions implique un temps de réponse supérieur. Cependant au regard des verbatims donnés sur les questions ouvertes, les répondants ont majoritairement pris la peine de détailler leur propos.

Enfin nous pouvons supposer que le titre et le thème du questionnaire influencent les réponses des professionnels. Les ergothérapeutes peuvent être tentés de répondre en accord avec le thème (ici le partenariat), d’autant plus, car ils sont face à une étude de pratique professionnelle. Ce type de situation peut aboutir à vouloir paraître sous son meilleur jour afin de ne pas percevoir une critique de sa propre pratique.

Conclusion

Les ergothérapeutes connaissent et appliquent majoritairement le partenariat avec les parents. Ainsi, ils respectent les aspects de communication et d’engagement propres à cette relation. En parallèle, les compétences personnelles, la confiance et la co-construction sont prises en considération à des niveaux variables.

Les répondants à notre étude semblent être conscients de l'importance du partenariat thérapeutique avec les parents dans la prise en charge des enfants atteints de TAP. Ils cherchent majoritairement à inclure les parents dans les décisions et à entretenir le partage d’information entre les acteurs. Cependant, des différences terminologiques existent dans la façon dont ils décrivent cette relation. Cette variabilité de terme souligne l'importance d’une meilleure sensibilisation des professionnels et d'une communication claire entre les professionnels de santé et les parents.

La quasi-totalité des ergothérapeutes interrogés exercent en libéral, nous pouvons donc nous demander si cette pratique favorise la rencontre et la liberté de relation avec les parents. Ainsi, il serait intéressant de se questionner sur la relation, de partenariat ou non, établi entre les parents et les ergothérapeutes exerçant uniquement en salariat. Une nouvelle étude sur la relation entre ergothérapeutes et parents selon le mode d’activité (libéral ou salariat) pourrait permettre de faire émerger de nouvelles recommandations de bonnes pratiques professionnelles en ergothérapie et par la suite généralisable à l’ensemble des professions de santé. Pour finir, cette étude repose sur le point de vue des professionnels et nous pouvons donc nous demander si cet avis est partagé par les autres partenaires, c’est-à-dire les parents.

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References

Philippe C, Cellié M, Deconchas L, Goubeau G, MANDIGOUT S. Le partenariat entre parents et ergothérapeutes dans l’accompagnement des Troubles Alimentaires Pédiatriques. RSE2R [Internet]. 2023 [cité 14 Oct 2024];(1). Disponible sur : https://doi.org/10.25965/rse2r.124

Authors
Clélia Philippe
Ergothérapeute
Cabinet libéral TND parentalité – DAR, Fondation Jacques CHIRAC 19100 Brive-la-gaillarde
Author's articles published in Revue scientifique des travaux de fin d'étude en rééducation et réadaptation
Mathilde Cellié
Ergothérapeute
Cabinet libéral 24250 Groléjac
Lou Deconchas
Ergothérapeute
Fondation Jacques Chirac, SESSAD TSA Pro, Ussac, France
Author's articles published in Revue scientifique des travaux de fin d'étude en rééducation et réadaptation
Grégoire Goubeau
Ergothérapeute
Univ. Limoges, ILFOMER, F-87000 Limoges, France.
Stéphane MANDIGOUT
Professeur des Universités
Univ. Limoges, HAVAE, UR 20217, F-87000 Limoges, France.
https://orcid.org/0000-0003-2072-3022
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