L’érosion de la chaîne et le bassin sédimentaire de Brive


Le bassin de Brive et ses grès continentaux : Carbonifère, Permien, Trias


 Le bassin de Brive qui couvre environ 600 km2 et qui est encore bien marqué dans la topographie est inséparable du Bassin d’Aquitaine dont il constitue la terminaison orientale. Raconter son histoire, c’est décrire la naissance progressive de ce grand bassin dans le contexte de la Terre à cette époque dans laquelle tous les continents étaient réunis en un seul bloc continental (appelé aussi Pangée).

Formation du charbon et des grès : la Chaîne varisque (hercynienne) est peu à peu érodée.


Ce diagramme (dessin C. Lansigut, Geologis) résume ce que fut l’histoire du Massif central à la fin de l’ère primaire : une deuxième génération de granites se met en place puis
des mouvements de détente créent des réseaux de fractures le long desquelles s’installent de lacs étroits qui recueillent les sédiments issus de l’érosion de la chaîne
et qui iront s’élargissant au cours du temps.
Un peu plus tard (Permien) apparaissent des volcans (voir texte).

A la fin de l’époque carbonifère, l’Europe occidentale était située à la latitude de l’équateur. Le climat y était donc chaud et humide même si dans son ensemble cette période était plus froide que l’actuelle. Imaginons donc le Limousin comme un pays de montagnes fortement arrosées, recouvertes d’une végétation dense, comme la Papouasie – Nouvelle Guinée actuelle. Les mouvements tectoniques, contribuent à la formation de zones déprimées de quelques dizaines de kilomètres carrés, longues et étroites qui constituent autant de lacs au milieu des montagnes et qui ressemblaient peut-être au lac Léman ou aux lacs suisses d’aujourd’hui. Au fond de ces lacs et à partir de leurs rives, des quantités impressionnantes de végétaux s’accumulent (voir les mangroves actuelles).  

Deux faciès des dépôts carbonifères à Saint-Antoine-Les-Plantades, près de Brive (19).
A droite, une mince couche de charbon est visible au milieu de sédiments plus grossiers. Cl HB.

La région est affectée de secousses tectoniques en extension (effondrements) et/ou avec des mouvements horizontaux (décrochements), ce qui a pour éffet de faire reprendre l’érosion. Les produits de cette érosion alimentent à nouveau les lacs dont il vient d’être question. La sédimentation est détritique : d’abord des galets, puis des sables et enfin des argiles recouvrent dans chacun des lacs les débris végétaux leur permettant une décomposition à l’abri de l’air ce qui donne après maturation, du charbon. Ce scénario qui s’est reproduit plusieurs fois au cours de cette période est responsable de la disposition d’ensemble des couches de charbon que les mineurs connaissent bien : une couche de charbon de faible épaisseur (généralement un ou deux mètres, quelques mètres au maximum dans les bassins du Massif central) est insérée au milieu de quantités considérables de roches dites stériles : conglomérats (galets cimentés et consolidés), grès (sables consolidés) etc.   Dans le Massif central, les bassins houillers qui sont toujours d’anciens lacs, ont atteint des tailles importantes (Alès, Carmaux, Decazeville, Montluçon, Saint-Etienne). En Limousin ces bassins sont nombreux mais toujours petits et pauvres en charbon : ce sont les sites d’Argentat, Bourganeuf, Ahun – Lavaveix, Brive. Ce dernier bassin situé sur la bordure ouest du socle métamorphique et granitique s’est peu à peu agrandi allant jusqu’à communiquer avec la mer qui envahit progressivement le sud ouest de la France au Trias.

 

Les forêts primaires de l’Ile de la Réunion donnent une idée de ce que fut la végétation sous nos latitudes à l’époque carbonifère. Cl HB.

Dans le nord de l’Europe, au nord de la chaîne varisque, les bassins houillers étaient situés au bord de la mer, ce qui explique la meilleure continuité des couches de charbon et donc leur plus grande facilité d’exploitation.

Un peu plus tard, au Permien (300 – 250 Ma), les montagnes s’érodant progressivement, elles deviennent des collines aux formes de plus en plus atténuées au fur et à mesure que progresse l’érosion. Les lacs de la période carbonifère (les bassins houillers) s’élargissent alors et deviennent de moins en moins profonds et de plus en plus étendus ; les plaines alluviales occupent de plus en plus de place. L’érosion des montagnes puis des collines fournit des sables qui transportés par des fleuves dont le lit est imprécis et changeant. C’est en résumé la formation du bassin de Brive. La sédimentation y est essentiellement continentale (par opposition à « marine ») et composée surtout de « grès » dont les matériaux proviennent de l’arrière pays, c’est à dire de tout ce qui constitue le Massif central actuel.  


Reconstitution d’un paysage du Permien : collines de faible altitude, climat presque désertique ; sédimentation essentiellement détritique (sables, graviers).
Figure tirée de J-C Gall Paléoécologie, paysages et environnements disparus, éd Masson, 1998

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Dans le bassin de Brive les grès sont variés, plus ou moins fins avec ou sans éléments plus grossiers (pélites ou conglomérats), le plus souvent quartzeux avec des grains de la taille des sables. Des morceaux de quartz de la taille des graviers existent ça et là ; ils ne sont jamais arrondis mais toujours un peu usés à leur périphérie (émoussés). Les strates sont dans l’ensemble régulières et les grès ont des couleurs variées parfois gris (Grammont), parfois violets puis rouges vers la fin du Permien. Si l’on excepte le calcaire de Saint Antoine dans lequel existent des débris animaux d’un bivalve d’eau douce (et non pas d’eau salée), quelques débris végétaux dans les grès et des traces de pas d’animaux proches des salamandres, les formations de cette époque sont pauvres en fossiles végétaux ou animaux. Cela traduit à la fois un environnement où les êtres vivants sont rares (climat désertique) et de mauvaises conditions de conservation. L’oxydation du fer contenu dans certains minéraux (mica noir, magnétite…) donne la célèbre couleur rouge bien visible dans les constructions autour de Collonges ou de Meyssac ; elle fait penser par analogie à ce que l’on peut observer aujourd’hui dans ces régions à un climat subdésertique de type savane.

Un aspect des grès permien au sud de Brive. Les grès rouges du bassin de Brive ont été colorés de la sorte
par suite de l’oxydation du fer qu’ils contenaient sous un climat chaud mais non désertique (type savane) Cl. HB

On trouve dans ces grès des traces de rigoles, des témoins de l’agitation du milieu (stratifications obliques, tri selon la granulométrie), des pistes de vers, des signes d’émersion etc. Tous ces éléments permettent de dire que le contexte était celui d’un pied de collines (piémont), presque désertique avec des épisodes de fortes pluies. Il faut imaginer qu’au pied de ces collines, les lits des rivières (chenaux) changeaient fréquemment de place, ravinaient les zones précédemment remblayées etc. L’épaisseur totale des sédiments permiens du bassin de Brive est estimée entre 600 et 800 mètres.

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Les petits morceaux de quartz, de la taille des graviers ou plus fins, que l’on trouve dans les grès permien.
Ce sont des preuves de l’érosion à cette époque de la montagne hercynienne.
Leur aspect peu usé témoigne d’un trajet court depuis leur lieu d’origine. Cl.HB

A la fin du Permien (250 millions d’années), il y a eu une grande extinction d’espèces, sans doute la plus importante de tous les temps. Cet événement n’est pas visible dans la région ; on a même du mal à reconnaître la limite entre les terrains du Permien et ceux du début de l’ère secondaire qui amène la mer sur l’ensemble de la région (transgression marine), de la même manière que plus au nord, la mer envahit l’ensemble du bassin de Paris.

A Cosnac (19), les terrains à galets situés au dessus de la discordance appartiendraient au Trias et ceux du dessous au Permien.
Ces deux ensembles n’ont pas la même inclinaison et témoignent d’abord d’une émersion de la partie basse,
puis d’un petit basculement tectonique (10-15°) et enfin de l’arrivée des terrains du dessus (conglomérats à galets). Cl. HB.


Le bassin de Brive se connecte avec le bassin aquitain et devient marin : roches carbonatées du Lias et du Jurassique.

La sédimentation continue au pied des collines puis en bord de mer ; elle devient plus régulière et vers la fin du Trias, il y a environ 200 millions d’années, les reliefs hercyniens ont complètement disparu, constituant une vaste surface presque plane que l’on peut voir encore aujourd’hui par endroits et que l’on appelle pénéplaine (voir paragraphe suivant). Après quelques hésitations (transgressions et régressions de faible ampleur), une mer peu profonde comme la Manche actuelle (l’ensemble du Massif central est situé sur ce que l’on appelle le plateau continental) envahit doucement l’ensemble du pays, ce qui est d’autant plus facile que l’ensemble des collines a été aplani et les dépôts marins viennent se superposer aux formations métamorphiques et granitiques du socle.

 

Les buttes faites de calcaire dolomitique du Lias (190Ma) situées à l’ouest de Brive (à Yssandon, ou comme ici à Ayen) ont un sommet plat. La forme générale est guidée par la disposition horizontale des couches. Cl. S. Larue.

Un détail du faciès des calcaires dolomitiques qui couronnent la butte voisine d’Yssandon. Cl HB.

Dans le bassin de Brive, les dépôts du Jurassique (la période qui s’étend entre 200 et 130 milions d’années) sont des calcaires plus ou moins argileux (marnes) ; ce sont eux qui forment le causse de Martel ou les pentes plus argileuses recouvertes de prés sous la butte de Turenne (photos).


Ce diagramme (dessin C. Lansigut, Geologis) montre ce que pouvait être le Massif central dans la première partie de l’ère secondaire.

Les collines ont disparu le socle ancien est immergé en grande partie ou en totalité.
La mer est peu profonde (contexte de plateau continental) et des carbonates plus ou moins argileux s’y déposent (en marron sur le dessin).

Dans le bassin de Brive, les dépôts du Jurassique (la période qui s’étend entre 200 et 150 milions d’années) sont des calcaires plus ou moins argileux (marnes) ; ce sont eux qui forment le causse de Martel ou les pentes marneuses (argile et calcaire) recouvertes de prés sous la butte de Turenne. Au cours de cette période, les faciès varient ; on distingue du bas vers le haut (= du plus ancien vers le plus récent) – des calcaires dolomitiques en petits bancs jaunes au début (Hettangien), qui se forment dans des lagunes sous de fortes influences marines ; ces roches constituent par exemple le sommet de la butte d’Yssandon ou la presque totalité de celle de Saint-Robert ; – des calcaires et des marnes puis encore des calcaires riches en débris coquilliers en particulier des huitres, constituent les dépôts des périodes appelées Domérien et Sinémurien ; comme elles sont plus résistantes que celles qui sont au dessus, ces roches forment toujours un petit ressaut dans la topographie, – ensuite viennent des marnes noires (étage toarcien) qui affleurent très mal même si elles sont épaisses (une centaine de mètres) ; leurs caractéristiques font penser des vasières : le milieu était réducteur (couleur noire), peu agité et la sédimentation très fine. On estime, mais on n’a pas de preuve absolue, que la totalité du Massif central était à cette époque recouvert par la mer.   Après une grande régression marine vers – 175 Millions d’années, une plate-forme avec des coraux (et donc un climat toujours très chaud) s’installe sur la région au sens large ; au sud immédiat de Brive les dépôts sont représentés par – des calcaires très peu épais mais riches en débris de fossiles du début du Jurassique moyen (Aalénien) – les calcaires du Bajocien (calcaire à oolites, voir photo) dont les faciès montrent que la région était proche du rivage – puis les calcaires du Bathonien très fins, dits lithographiques, qui constituent l’essentiel des hautes falaises massives qui sont un élément important du paysage et le soubassement du Causse de Martel.

 

Un aspect des calcaires du Jurassique moyen (Bajocien) avec une ancienne occupation troglodytique près de Chasteaux. Cl HB.

Les calcaires du Jurassique moyen (170Ma, Bathonien) près de l’aéroport de Brive sont régulièrement stratifiés. Cl. HB.

C’est dans ces calcaires du Jurassique qu’ont été creusées après l’émersion de la région à l’ère tertiaire (60 Ma, voir page suivante) les principales grottes de la région (Blagour à Chasteaux, La Fage à Noailles, Padirac dans le Lot voisin etc.).