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Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Stefania Caliandro et Angela Mengoni.
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Au premier Congrès de l’Association Internationale de Sémiotique, tenu à Milan en 1974, Hubert Damisch remarquait cette différence fondatrice : « si l’iconologie peut prétendre à récupérer, en dernier ressort, sous l’espèce non plus de signes, mais de “symptômes” d’une vision du monde ou d’une conscience de classe, les traits dits “stylistiques” de l’œuvre, et jusqu’à sa facture, elle n’en demeure pas moins dans l’incapacité, et avec elle toute discipline strictement interprétative, de rendre compte de la peinture considérée dans sa substance sensible, dans son articulation proprement esthétique […] la question demeurant par ailleurs entière de savoir comment la forme, ainsi distinguée du contenu, trouvera à s’articuler sur une économie, fût-ce celle du “plaisir” » (H. Damisch, « Huit thèses pour (ou contre ?) une sémiologie de la peinture », Macula, 2, Paris, 1977, pp. 17-25).
Si la réflexion sémiotique sur l’art n’a jamais cessé de produire des analyses et des moments de retour théorique sur les modes de fonctionnement de son objet, un sentiment se fait jour depuis quelque temps concernant l’opportunité de redéfinir son champ d’action et ses modalités, confrontée qu’elle est à l’émergence d’approches autant semblables que clairement autres, telles les Visual Studies anglo-saxonnes et le tournant iconique ou Bildwissenschaft formulés dans les pays germanophones. De plus, à l’intérieur même de la théorie du sens et de la signification, la sémiotique de l’art se retrouve très souvent citée, voire réinvestie dans des études sémiotiques sur les médias, la communication visuelle, le design ou l’image (au sens large), où elle apporte des outils méthodologiques et d’analyse déjà bien consolidés – en confirmant ainsi l’élan novateur, moteur, que depuis longtemps elle a su impulser au sein de la sémiotique générale –; il n’est cependant pas fréquemment élucidé ce qui, dans la continuité de ses proximités, marque la distinction de l’objet art par rapport à ces autres domaines. Il est à peine besoin de rappeler que cela n’implique pas le détachement d’une théorie sémiotique générale, dont le questionnement de fond sur la saisie du sens se poursuit en sémiotique de l’art. Les travaux qui, dès les premières explorations, se sont confrontés à l’analyse des œuvres d’art ont néanmoins fait émerger des questions inhérentes à leur objet, notamment la pleine reconnaissance de l’incontournabilité de la « substance sensible » et, donc, « un déplacement radical dans l’ordre de la signifiance »1. Or, tel est l’enjeu de ce numéro qui voudrait s’attarder sur les dynamiques, autant articulées que variées, qui rendent les œuvres d’art un objet difficilement délimitable.
En effet, il ne semble plus suffisant de rapporter cet aspect à la polysémie tant évoquée – qui, pour maintes raisons, ne constitue pas un trait distinctif unique à l’art –, suivant une optique qui privilégie par ailleurs des considérations essentiellement sémantiques, voire interprétatives. Pour sortir d’une certaine zone de confort acquise et tenter d’aborder, au contraire, les nouveaux défis que l’art impose à la théorisation sémiotique, nous avons encouragé des orientations de recherche poursuivant des sentiers moins battus, voire en partie délaissés, qui envisagent les œuvres sans jamais en réduire la valeur esthésique, morphologique et signifiante. Sans nullement prétendre de donner un aperçu de l’état actuel des travaux, nous avons alors interrogé divers.e.s chercheur.e.s qui ont placé l’art au centre de leurs intérêts et les avons invité.e.s à contribuer à cette réflexion en vue d’une meilleure compréhension de ces dynamiques qui font de l’art un objet à la fois complexe et singulier.
Il n’est pas anodin que les contributions ici rassemblées se soient spontanément tournées vers un questionnement direct des œuvres, signe évident de la nécessité de plonger dans la matière, de décrire les forces à l’œuvre dans l’art, pour fonder, voire ancrer de façon pertinente toute observation théorique. Qu’il s’agisse d’aborder une œuvre, un corpus artistique, une question esthétique procédant par la confrontation entre deux ou plusieurs œuvres ou, encore, de parcourir diverses créations pour mieux saisir certains concepts sémiotiques, l’œuvre est alors considérée au vu de la richesse ou stratification culturelle dont elle témoigne. Lieu de rencontre parfois même conflictuelle, elle condense des dynamiques – notamment temporelles, iconologiques, affectives, mnésiques et sociopolitiques – à la fois en termes de concrétisation matérielle (technique, plastique, figurative) et de signifiance. Dans cette optique, il convient de souligner à quel point la notion d’image peut entraîner une conception des pratiques artistiques qui s’avère réductrice sous plusieurs aspects, surtout lorsque l’idée d’image vient à coïncider avec celle d’objet purement visuel (picture), comportant une simplification inacceptable des logiques du sensible. En revanche, sans exclure qu’une œuvre puisse faire image – encore qu’il faudrait bien explorer tous les plis et cerner les enjeux de cette notion –, il nous apparaît essentiel de reconnaître qu’on ne peut prendre la mesure d’une œuvre qu’en vertu de son épaisseur.
- Note de bas de page 2 :
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Hubert Damisch, « La peinture est un vrais trois », dans le catalogue d’exposition François Rouan, Paris, Centre Georges Pompidou, 1983 ; rééd. dans Fenêtre jeune cadmium. Ou le dessous de la peinture, Paris, Éditions du Seuil, 1984, § 5. Dans tous les divers essais réunis dans Fenêtre jeune cadmium, et notamment dans la conférence « Les dessous de la peinture » (1983), devenue le chapitre introductif au livre, Damisch aborde cette notion en privilégiant cependant sa pertinence par rapport à ce médium, « la peinture ayant nécessairement gardé quelque chose de son épaisseur, quand bien même elle ne viserait plus qu’à des effets de surface ».
- Note de bas de page 3 :
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Damisch, « La peinture est un vrais trois », ibidem, § 7.
- Note de bas de page 4 :
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Dans le tressage damischéen, les éléments (fils, formes, couleurs), manipulés par l’artiste en vue de la création, n’ont finalement de valeur que par les relations morphologiques et spatiotemporelles que ces objets engendrent. Ainsi, le sémioticien de l’art relève les remarques de l’anthropologue : « Un travail, comme a pu l’écrire Lévi-Strauss dans un tout autre contexte, qui revient à renverser la perspective traditionnelle et, loin de poser d’abord des objets pour chercher ensuite entre eux des connexions, à percevoir au départ les relations comme des termes et les termes comme des relations. “Les nœuds ont une priorité logique sur les lignes, bien que, sur le plan empirique, celles-ci engendrent ceux-là en se croisant[…].” » Ibidem, § 9, citant d’après Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Paris, 1983, préface, p. 12.
- Note de bas de page 5 :
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Ainsi que le rappelle Damisch : « la topologie est cette branche de la géométrie qui a pour objet les propriétés d’un espace donné qui restent inchangées quand cet espace est soumis à déformation, et que, parmi les méthodes qu’elle met en œuvre, l’une consiste à inscrire un objet – par exemple un nœud – dans cet espace pour voir comment se comporte la partie laissée vide de celui-ci » ; ibidem, § 5.
- Note de bas de page 6 :
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Ibidem, § 3.
- Note de bas de page 7 :
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Ibidem, § 7.
En 1983, à propos de la peinture – mais sans oublier le renvoi aux mathématiques d’après lesquelles il « ne semble pas faire de difficulté […] qu’un plan puisse avoir quelque épaisseur »2 –, Hubert Damisch théorise cette notion, tout d’abord en référence aux matériaux, aux textures, aux différents effets de matière, aux techniques de collage, d’assemblage, aux tramages issus de superpositions et de sur-inscriptions, travaillant le tableau dans sa création mais aussi dans sa morphologie, de sorte que le regard ne saurait les « dénouer ». Cette épaisseur du plan devient, dès lors, un « tressage » de gestes, d’actions qui vont à l’encontre ou « au rebours de l’image »3, un procédé menant à des transformations, puisque tissant et enchevêtrant des relations4 qui ne pourraient être aplaties ni ramenées au simple plan, là où finalement la topologie5 de l’œuvre refait surface. De là, il n’y a qu’un pas – et, par le concept d’épaisseur, Damisch nous invite à franchir le seuil – pour concevoir qu’« un dispositif formel quelconque, fût-il d’origine technique, peut prendre valeur de modèle »6. Ainsi, si l’épaisseur que le tressage produit amène le théoricien à entrevoir dans celui-ci « un modèle régulateur »7 non seulement de la peinture de François Rouan, à laquelle son étude est consacrée, mais de la peinture contemporaine et à venir puisque pouvant remplir un office analogue à celui tenu, pendant des siècles, par la perspective linéaire, aujourd’hui, à nos yeux, l’épaisseur pourrait inciter à repenser, en termes sémiotiques plus amples, l’art.
- Note de bas de page 8 :
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Ibidem, § 8.
En ce sens, il est envisageable de comprendre la manifestation phénoménale de l’œuvre comme une morphologie portant la trace des tensions et des forces qui l’ont modelée, qui la traversent et qui en dictent les possibles significations. L’épaisseur serait alors fonction non seulement des gestes matériels qui s’y croisent, mais de « fissures » et de « regards » la traversant dans sa profondeur, et sur lesquels se crée « un système de relations, de connexions, si complexes soient-elles »8, dévoilant tout un pan de dynamiques qui ne cessent de participer de l’œuvre. Par le repérage des relations morphologiques, temporelles et spatio-politiques que l’œuvre laisse éclore se sculptent ainsi et sa forme et sa signifiance.
- Note de bas de page 9 :
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J. Elkins « Marks, Traces, ‘Traits’, Contours, ‘Orli’ and ‘Splendores’ : Nonsemiotic Elements in Pictures », Critical Inquiry, 21, 4, The University of Chicago, 1995, p. 831 ; pour une réponse à l’incompréhension de la notion de « Nonsemiotic » voir : M. Bal, « Semiotic Elements in Academic Practices », Critical Inquiry, 22, 3, The University of Chicago, 1996, pp. 573-589.
- Note de bas de page 10 :
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G. Boehm, « Die Wiederkehr der Bilder », dans G. Boehm (dir.), Was ist ein Bild?, Munich, Fink, 1994, p. 26.
La centralité des dynamiques plastiques et phénoménales de l’œuvre et leur valeur sémiotiquement productive démontrent l’inconsistance d’une représentation fallacieuse de la sémiotique, pourtant persistante dans le domaine des études visuelles. Il n’est pas rare, en effet, que l’approche sémiotique soit paradoxalement accusée de reléguer tout ce qui concerne la dimension sensible des œuvres et des images à un statut infra-sémiotique [subsemiotic]9. Ou bien, il arrive que « la recherche d’une base sémiotique commune, qui pourrait fonder les plus différentes formes d’expression culturelles » soit stigmatisée en tant que fatalement réductrice de la singularité des œuvres10. Il s’agit de toute évidence de malentendus et de préjugés qui ne facilitent sans doute pas la circulation et la réception des élaborations sémiotiques des dernières décennies, et que les essais ici présentés contribueront, nous l’espérons, à dissiper.
- Note de bas de page 11 :
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H. Damisch, Le jugement de Pâris. Iconologie analytique 1, Flammarion, Paris 1992, p. 264.
- Note de bas de page 12 :
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Ainsi que l’explique Damisch dans un entretien : « In Greek the word theory means succession – the women who march in the Panathenaic procession, for example. So it is (or should be) the “theory” of all the /clouds/ in history, at least in the history of painting. Once again theory implies history ; you have to be in history in order to do theory ». Y. A. Bois, H. Damisch, D. Hollier, R. Krauss, « A Conversation with Hubert Damisch », October, 85, The MIT Press, 1998, p. 9.
C’est sur le front des relations avec l’iconologie et l’histoire de l’art que la sémiotique de l’art a contribué de manière décisive à la production d’une nouvelle compréhension des objets, et souvent des objets parmi les plus investigués dans la tradition historico-artistique ou dans la critique de l’art contemporain. Le déplacement est manifeste dans les contributions ici consacrées à l’analyse d’œuvres ; il se traduit en particulier par la constitution de corpus qui se passent de fausses évidences d’une prétendue cohérence contextuelle et philologique pour se tourner vers des principes de pertinence sémiotique. De ce fait, c’est seulement l’exploration et la reconnaissance des dynamiques de production de sens dans les œuvres qui permettent le rapprochement de celles-ci dans un corpus et, par conséquent, la formulation de nouvelles généalogies et de nouvelles séries. Cela amène à tisser un réseau de relations autres que celles établies par des sources exclusivement philologiques ou par des liens purement thématiques ou iconographiques. Un tissage intertextuel advient, où la dimension synchronique et diachronique montrent leur interconnexion constitutive. En effet, si l’œuvre d’art se situe dans un temps historiquement déterminé, sa temporalité ne coïncide pas exclusivement avec le lieu qu’elle occupe dans le déploiement diachronique du temps. En ce sens, l’œuvre est un « précipité au sens tout à la fois chimique et dynamique du terme »11, qui ne s’insère pas tout à fait dans une simple succession diachronique. Ce lien entre synchronie et diachronie est, d’ailleurs, présent dans l’étymologie grecque du mot théorie qui renvoie à une « succession », tel un cortège ou une procession12 : le terme théorie recouvre donc à la fois des relations paradigmatiques immanentes et le sens d’enchaînement, suite, mise en série. Il en découle une nouvelle conception de la série, établissant des connexions au-delà de toute prétendue cohérence de temps philologiquement congrus, de substance de l’expression ou de genre.
- Note de bas de page 13 :
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L. Marin, « Un peintre sous influences : notes sur ‘De Kooning et la tradition flamande et hollandaise de peinture’ », dans C. Stoullig (dir.), Willem de Kooning, Paris, Musée national d’art moderne Centre Georges Pompidou, 1984, p. 34, rééd. dans A. Mengoni, X. Vert (dir.), Louis Marin. Événements de contemporanéité et autres écrits sur l’art au XXe siècle, Dijon, Les Presses du réel, 2021, p. 97.
Pareillement, Louis Marin a profondément redéfini le concept d’influence, en réfléchissant notamment à la déclaration suivante de Willem de Kooning à propos de son rapport à la peinture néerlandaise : « Si je suis influencé par une peinture d’un autre temps, c’est comme le sourire du chat du Cheshire dans Alice. Le sourire restait quand le chat était parti. En d’autres termes, je pourrais être influencé par Rubens mais je ne voudrais pas assurément peindre comme Rubens. »13 Marin analyse soigneusement ce passage. Il y saisit une indication fondamentale pour redéfinir les relations temporelles entre les œuvres (et donc la conception même de l’histoire de l’art), à savoir qu’il faut reconnaître, à côté de l’appartenance des œuvres à un moment historique situé, ce qui les traverse en termes de virtualité, de puissance ou, comme le dit Marin, de figurabilité.
- Note de bas de page 14 :
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Dans cette même perspective Marin redéfinit aussi le concept d’origine, en s’appuyant sur la peinture de Klee : L. Marin, « Klee ou le retour à l’origine », Revue d’Esthétique, 1, 1970, pp. 71-78, rééd. dans A. Mengoni, X. Vert (dir.), Louis Marin, op. cit., pp. 227-236.
- Note de bas de page 15 :
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L. Marin, « Un peintre sous influences », op. cit., p. 31.
Le sourire du chat du Cheshire rend bien compte de la manière dont les œuvres activent et réactivent les relations avec l’art du passé : le corps du chat disparaît dans le flux diachronique et continu du temps dans lequel chaque corps s’inscrit concrètement, mais son sourire demeure dans une temporalité autre, suggérant la dimension achronique des virtualités figurales et de l’ouverture au possible au moment de la rencontre avec les œuvres (ailleurs Marin fait remonter cette suspension dense de virtualités à ce qu’il nomme le neutre)14. La relation entre l’art du présent et l’art du passé se reconfigure ainsi comme « une logique indéterministe de l’histoire de l’art contemporain »15. Logique selon laquelle, par exemple, l’œuvre de de Kooning peut être le lieu d’une influence qui ne s’exerce pas exclusivement du passé vers le présent – de l’art flamand à son œuvre de peintre d’origine néerlandaise, selon le modèle diachronique –, mais aussi comme une influence paradoxale a posteriori. L’œuvre du présent est alors une critique de la représentation, un prisme capable de montrer que la radicale opacité non-figurative déflagrée dans l’art contemporain est constitutive de la représentation et, donc, déjà à l’œuvre dans l’art du passé.
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Dans une lettre de W. Benjamin à Florens Christian Rang du 9 décembre 1923.
- Note de bas de page 17 :
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H. Damisch, Le jugement de Pâris, op. cit., p. 267.
L’épaisseur avec son tressage devient alors un modèle pour penser la temporalité plurielle de l’œuvre d’art et de ce que Walter Benjamin appelait – au lieu d’histoire de l’art – une « histoire des œuvres elles-mêmes [eine Geschichte der Kunstwerke selbst] ».16 Loin de tout modèle réductif ou statique, Damisch décrit ce tissage/tressage propre à l’œuvre d’art – notamment à propos de la relation Picasso/Manet – comme un travail qui « aura eu le mérite de rassembler une fois encore tous les fils de la tresse. De les rassembler, ces fils (en eux-mêmes singulièrement retors), tout en repliant la tresse sur elle-même, pour atteindre, en une expérience cruciale, au “précipité” que j’ai dit »17. L’image d’un tressage se repliant sur lui-même saisit, avec la force imageante du modèle topologique, l’épaisseur des temps immanents à l’œuvre d’art. C’est une image qui relie et articule la pluralité constitutive de la texture sémiotique de l’œuvre (les brins), la progression diachronique (le tressage) et le contact qui s’établit entre des temps différents et même éloignés (le pliage), entraînant une redéfinition sémiotique de notions telles que source, influence ou citation, abordées d’ailleurs par certaines des contributions.
Dans la variété des approches et des orientations sémiotiques, ainsi que des héritages sur lesquels ils font levier, provenant de l’esthétique, de la théorie de l’art et de la socio-anthropologie, les articles ici réunis étudient les dynamiques, les tensions et les résonances propres aux œuvres : les dynamiques qui s’inscrivent dans la création, tels les gestes, les protocoles et les procédés de sa morphogénèse ; les puissances de la figure, avec sa capacité de configurer l’espace et, aussi, la mémoire ; la figurabilité dans ses enjeux à la fois véridictoires et esthétiques ; l’émergence également d’une figurativité propre à la matière, avec sa capacité de séduire par des attraits esthésiques ; les dynamiques d’interaction entre les œuvres, notamment la citation, le dialogue et des constellations qui engendrent une temporalité s’évadant de la linéarité ou de la causalité logique ; autrement dit, les dynamiques d’un art qui construit sa propre théorie, tout en ne cessant de la déjouer, sémiotiquement.
Nous tenons à remercier chaleureusement les auteur.e.s pour leur engagement tout au long du processus de préparation du numéro, le rédacteur en chef Juan Alonso Aldama qui nous en a confié la conception et qui, avec la rédactrice en chef-adjointe Verónica Estay Stange, a assuré un excellent soutien. Dernier point mais pas des moindres, ce dossier est redevable aux nombreux.ses collègues du comité de lecture, constitué à cet effet, qui ont aidé à consolider la valeur scientifique des contributions par leurs lectures attentives et généreuses.