Marion Colas-Blaise et Anne Beyaert-Geslin (dirs.), Le sens de la métamorphose, PULIM, 2009, 290 pages

Audrey Moutat

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Mots-clés : altérité, identité

Auteurs cités : Guy Achard-Bayle, Sémir BADIR, Denis BERTRAND, Anne BEYAERT-GESLIN, Marc BONHOMME, Jean-François BORDRON, Marion COLAS-BLAISE, Maria Giulia DONDERO, Francis ÉDELINE, Odile Le Guern, Georges Herman Parret, Julie LeBlanc, Massimo LEONE, Georges Molinié, Jean-François P. Bonnot, Nicole Pignier, Michael Schulz, Christina Vogel, Claude ZILBERBERG

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Texte intégral

Cet ouvrage, dirigé par Marion Colas-Blaise et Anne Beyaert-Geslin, propose de questionner la signification d’une métamorphose et d’en envisager les enjeux sémiotiques. Les différentes études inscrites dans ce projet s’attachent, chacune à leur manière, à en déterminer la dynamique sémiotique, sous l’angle d’un processus de transformation générateur de « formes nouvelles et généralement imprévisibles » (Jean-François Bordron). Compte-tenu de la variété des domaines dans lesquels elle intervient, une question sur sa nature émerge : existe-t-il une ou plusieurs métamorphose(s) ? Si Marion Colas-Blaise et Anne Beyaert-Geslin observent une grande variété d’applications de la métamorphose, différente selon les contextes, elles lui reconnaissent néanmoins des similarités fonctionnelles.

C’est ainsi que cet ouvrage se présente comme un parcours définitionnel de la métamorphose jalonné par trois problématiques structurantes :

1. Etude du processus métamorphique :

Une telle analyse soulève deux problèmes fondamentaux : le premier porte sur la nature des entités investies dans le processus métamorphique pour lesquelles il existe de multiples déclinaisons. A cet égard, Massimo Leone propose d’en resserrer l’inventaire autour de la notion de forme, entendue comme forme sensible et structure. Le second concerne le type de métamorphose dépendant des relations entre parties : l’une dilue les intégrités dans une forme hybride, dans un entre-deux relevant du « ni…ni », l’autre, fondée sur une relation de type « et…et », construit un terme complexe où les formes co-présentes ne se stabilisent pas forcément. Car des apparences de stabilité peuvent en effet dissimuler la continuité d’un processus de transformation en cours ; une particularité qui conduit les auteures à situer la problématique de la métamorphose au sein du processus lui-même, en termes d’ampleur et de degrés. Dotée de propriétés temporelles (durée) et aspectuelles (continuité, discontinuité, progressive), la métamorphose est un processus tensif orienté qui présente des variations de tonicité et de tempo dans la création d’un forme vectorisée (déplacement de valeur).

2. Identité et altérité :

Véritable « évènement » marqué par le survenir, la métamorphose offre néanmoins la particularité de construire une cohérence par le maintien d’une continuité thématique. Tous les auteurs de l’ouvrage s’accordent en effet pour lui reconnaître une identité paradoxale qui prenne autant en charge son contraire. Ils attribuent cette conciliation entre identité et altérité aux différentes alliances pouvant affecter tant les unités elles-mêmes que la situation énonciative de la métamorphose.

3. Les intentionnalités interactionnelles :

Les propositions de Marion Colas-Blaise et d’Anne Beyaert-Geslin à l’égard d’une sémiotique de la métamorphose se poursuivent sur une dernière hypothèse : celle de l’intentionnalité du processus métamorphique, ancré dans le regard du sujet plutôt que dans l’objet. La transformation métamorphique apparaît comme un processus aspectuel dont la saisie s’effectue de manière rétensionnelle, par une mise à distance objectivante qui permet d’en apprécier les différentes étapes. Or la forme révolue est gardée en mémoire et adopte un mode d’existence potentiel dans les discours.

L’autre particularité du processus métamorphique, que mettent en évidence Julie LeBlanc et Maria Giulia Dondero, c’est son effectuation tant sur le champ énoncif que le champ énonciatif. La transformation s’accomplit entre systèmes de pertinence perceptifs et procédures de sémantisation différentes.

Bâti sur ces trois problématiques directrices, l’ouvrage s’articule autour de cinq pistes de réflexion auxquelles chaque article apporte un éclairage particulier.

I. Statut et fonctionnement de la métamorphose

La première, Statut et fonctionnement de la métamorphose, constitue l’incipit de l’ouvrage dont elle circonscrit le cadre général. Elle s’ouvre sur la contribution de Georges Molinié qui problématise la signification de la métamorphose, « notion fuyante, paradoxale et déceptive », avant d’en proposer un balisage à travers deux ordres de réflexion : l’empirie esthésique et le métalangage. Partant des textes ovidiens qu’il considère comme l’« archéologie sémiotique de la fuyance », G. Molinié met au jour le motif thématico-narrativo-actantiel du métamorphique mythique à partir duquel s’est développé le métamorphique romanesque. C’est ainsi qu’il envisage les variantes qui les distinguent comme la gradualité du métamorphique, laissant apparaître un sens de l’exister difficilement stabilisable. Sa réflexion s’oriente ensuite vers des préoccupations méta-métamorphiques : s’interrogeant sur les principes à partir desquels le métamorphique pourrait servir d’interprétant, ou de trope, à l’expression d’un devenir phénoménologique, l’auteur vient à considérer la métamorphose comme un prédicat polysémiotique de la variance, commun aux deux niveaux langagiers de Hjelmslev. Sa réflexion s’achève sur l’étude de la valeur du questionnement soulevé par la métamorphose qu’il envisage sous l’angle d’une herméneutique matérielle. La métamorphose du discours textuel est ainsi définie comme une aspiration à l’altérité néanmoins inatteignable : elle met en tension un devoir-comprendre du signifier autrement en même temps qu’elle soulève l’impossibilité de lui accrocher un mouvement herméneutique direct. Le  métamorphique en acte convoque les notions de modification, substance et identité en même temps que celles de la liberté, temporalité, historicité et déterminisme en lesquelles G. Molinié identifie une sorte d’icône du métamorphique doté d’une dynamique interne.

C’est précisément sur cette iconicité de formes que s’orientent les propositions de Guy Achard-Bayle. A partir d’une étude lexicologique-lexicographique du mot « métamorphose », l’auteur détermine le schéma canonique (syntaxique) de la métamorphose et en examine les variantes soulevées par ses différentes acceptions. Si l’opposition changement vs transformation permet de déterminer les tempos (brutal et soudain dans le premier cas, lent et progressif dans le second) et les modes d’effectuation (apparence pour la première, psychique pour la seconde) de la métamorphose, la distinction entre les métamorphoses d’Ovide et du papillon et celle de l’acteur soulève, quant à elle, la notion de support, la (ou les) partie(s) de l’objet-patient concernée(s) par le changement : les premières déterminent une modification de forme, nature et/ou structure de l’être ou l’objet, si bien qu’il change de statut et de catégorie ontologique (identité) tandis que la seconde n’en affecte que l’apparence. Si G. Achard-Bayle s’est focalisé sur la métamorphose impliquant un changement d’espèce, il ne rejette pas non plus l’existence d’une zone d’incertitude, liée à la non-systématicité de la recatégorisation nominale : car s’il existe des cas de métamorphose qui ne s’enregistrent pas, il existe également des cas d’évolutions nominales sans changement d’espèces, ni d’apparences. Ce qui conduit l’auteur à dissocier le monde des mots et le monde des choses à travers deux approches : phénoménologique et logique. L’application de la typologie des objets, mise au jour par Marie-Jeanne Borel, aux états finaux des processus métamorphiques, lui permet de distinguer les métamorphoses selon leur mode d’accessibilité cognitive. Quant à l’approche phénoménologique et intentionnelle de l’objet, elle fait non seulement apparaître le processus métamorphique comme un tout cohésif, où le patient à l’état final implique le patient à l’état initial, mais nous heurte également au sujet et à ses propres limites cognitives et langagières, en fiction, dans la distinction entre métamorphose et dédoublement. Les exemples de l’idée fixe et de la double vue sont à cet égard très éloquents : ils permettent de problématiser la continuité qui semble prévaloir sur le changement et soulèvent ainsi, outre les problèmes ontologiques et logiques, de véritables problèmes de langue.

C’est cet intérêt pour une définition de la métamorphose, à partir de laquelle elle parvient à se distinguer des autres transformations, ainsi que pour cette tension problématique entre identité et altérité qui motivent les réflexions de Jean-François Bordron. L’étude qu’il propose s’offre comme un véritable « parcours génératif des objets en état de métamorphose » qui invite d’abord le lecteur à considérer les traits définitoires des objets de la perception externe : (i) le champ de présence, autrement dit le mode d’existence de l’objet articulé autour des catégories kantiennes de la Quantité, Qualité et Relation ; (ii) la structuration interne de ce champ en une iconicité figurale, « lignes de force » résultant de l’action de notre corps et de sa deixis ; (iii) le « site de l’objet », organisation phénoménale qui exerce la fonction d’unification icônique ; (iv) fonction d’identité de l’objet (catégoriale, symbolique, qualitative, méréologique). L’auteur s’engage ensuite dans la détermination du genre transformationnel de la métamorphose par une spécification des procès existants et des transformations de la structure interne de l’objet. C’est ainsi que les modifications intra-actantielles, partielles ou totales, l’invitent à envisager l’objet comme une scène au sein de laquelle chaque propriété ou partie est dotée d’un rôle spécifique. La démarche onomasiologique qu’il adopte lui permet ainsi de définir les opérations de transformations méréologiques à partir desquelles peuvent se structurer des totalités complexes. Cette étape de la réflexion est d’autant plus cruciale qu’elle permet de passer d’un paradigme de totalités à une syntagmatique des objets et des opérations d’engendrement grâce auxquelles il est possible de comprendre comment une totalité se transforme en une autre. A cet égard, J-F. Bordron lève une ambiguïté quant à la notion de morphologie en précisant que son changement n’est pas le corrélat nécessaire d’une métamorphose. D’où sa typologie des opérations morphologiques fondamentales à partir de laquelle il dresse l’inventaire des formes d’identité mises en causes ou conservées dans les métamorphoses. Si la comparaison des processus transformationnels de Dr Jekyll et de la chenille (identité catégoriale) spécifie une distinction entre mêmeté paradigmatique et mêmeté syntagmatique, la transformation qui affecte l’identité qualitative souligne la puissance identifiante de certaines qualités sensibles (où le changement d’identité dépendant de certaines qualités sensibles peut être rapporté à un changement de description).

Une problématique de l’identité que l’on retrouve également en introduction de l’article de Francis Edeline et sur laquelle se structure l’ensemble de sa réflexion sur la métamorphose. Partant de la définition de l’identité comme une collection de formes déterminée par l’axiome principal de l’inaltérabilité, l’auteur aborde la question de la métamorphose sous l’angle d’une violation de ce principe-moteur, faisant émerger un paradoxe fort : celui du maintien identitaire (permanence du moi) en dépit des modifications continuelles qui l’affectent. Dès lors, l’identité se caractérise comme un concept construit, sans cesse réajusté. Afin de comprendre comment le devenir autre peut se réaliser sans altérer le soi, F. Edeline expose une gradation des changements grâce à laquelle il est possible de distinguer celles qui relèvent de l’opérateur humain d’une part, et de l’opérateur surnaturel de l’autre. Son corpus offrant une grande diversité de métamorphoses visuelles et linguistiques, il en propose une triple typologie fondée sur leur statut ontologique, leur organisation temporelle et leur structure rhétorique. Si la première propose une catégorisation métamorphique fondée sur des degrés ontologiques divers, la seconde permet quant à elle de comprendre à la fois le mode de présentation discursive de la métamorphose et son fonctionnement en réception. On observe à cet égard un phénomène de co-présence des identités (la nouvelle n’apparaissant pas au détriment de l’ancienne), le sens de la métamorphose se manifestant ainsi dans la confrontation finale des deux états. C’est notamment la variété des modes d’apparaître de la transformation qui permet de dresser une typologie des métamorphoses : (i) les métamorphoses instantanées (soudaines, elles créent un effet de surprise) ; (ii) les métamorphoses progressives et continues qui présentent des états intermédiaires et appellent à une analogie entre le transformé et le transformat ; (iii) les métamorphoses à plasmolyse où la construction de la seconde forme passe par une destruction de la première. Cette dernière est particulièrement intéressante dans la mesure où l’articulation entre ces deux phases passe par un temps de latence, de suspension de l’identité ; cette dernière ne peut être décrite ici en termes de forme dans la mesure où elle est précisément articulée par quelque chose d’informe. Quant à la dernière typologie proposée par F. Edeline, elle concerne les métamorphoses étiologiques, figures au sens rhétorique du terme : synecdochique, oxymorique, métaphorique et métaleptique. L’auteur achève d’ailleurs sa réflexion sur la pensée par métamorphoses afin d’en identifier la fonction et le fonctionnement aux niveaux gnoséologique, métanarratif et narratif.

II. Production et réception de la métamorphose

Cet article de F. Edeline assure la transition vers la seconde partie de l’ouvrage qui ouvre la réflexion sur la Production et réception de la métamorphose et s’intéresse aux différentes formes d’engagement du sujet dans le processus métamorphique. Le lecteur entre dans cette nouvelle problématique avec la contribution de Christina Vogel fondée sur l’hypothèse directrice selon laquelle Valéry serait un penseur métamorphique. Profondément influencé par les travaux de Léonard De Vinci, Valéry ne s’intéresse pas tant aux formes elles-mêmes qu’à la dynamique de transformation qui les affecte, au transitoire graduel et dynamique entre le « ne plus être la même » et le « ne pas encore être une autre ». C. Vogel expose ainsi la démarche qu’adopte Valéry dans la création graduelle de l’identité inédite de Léonard, différente de celle que nous transmettent les musées et historiens. Plaçant la continuité au cœur des dispositifs de compréhension de la nature, Valéry propose en effet une homogénéisation du créateur à travers l’hétérogénéité de ses créations : Léonard serait un lieu de transition qui provoquerait des transformations réversibles ; chaque étape du processus constituerait un moment de l’histoire transformationnelle de l’acteur qui, progressivement investi de compétences, qualités, rôles thématiques, serait en perpétuel devenir. Par ailleurs, C. Vogel précise également que les facettes identitaires de Léonard sont étroitement liées au hic et nunc de l’instance de discours, de telle sorte que ce dernier devient une création transitive qui, en se modifiant, modifie également son créateur. Elle montre ainsi que l’œuvre Valéryenne s’offre à un renouvellement perpétuel, où l’acte d’écrire signifie s’écarter de soi-même pour mieux y revenir, en partie comme un autre. Son objectif étant de rendre évidentes les formes de transformation : loin d’être des discontinuités, elles peuvent être appréhendées comme des changements continus, modifications graduelles et partielles. On retrouve à nouveau une opposition fondamentale à la définition de la métamorphose, transversale aux différents articles de cet ouvrage, celle de l’identité vs altérité : C. Vogel conclut d’ailleurs sa réflexion sur la nécessité pour toute grandeur de conserver, en dépit de certains points de différenciation qui l’affectent, quelques propriétés nécessaires à sa reconnaissance. Les figures valéryennes n’échappent donc pas à la règle des procédures métamorphiques qui construit des modes d’existence oscillant entre identité et altérité.

Note de bas de page 2 :

 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Ed. du Seuil, 1990.

Une opposition fondamentale à partir de laquelle Michael Schulz structure l’ensemble de sa réflexion sur les métamorphoses de marques. Ces dernières reposent en effet sur une tension entre évolution et permanence de leur projet que l’auteur problématise de la manière suivante : comment se renouveler sans rompre avec ses valeurs et ses convictions de base ? Conscient de la nécessité d’une définition claire des variants et invariants éthiques et esthétiques dans la maîtrise du processus métamorphique des marques, l’auteur propose d’en analyser les lieux de manifestation. Il en vient ainsi à les étudier à travers l’examen des transformations affectant les manifestations discursives enrichies d’« une réflexion théorique sur les conditions invariantes de construction de l’intelligibilité et du sens d’énoncés discursifs ». En d’autres termes, la saisie des métamorphoses de marque dépend de la capacité d’une instance d’énonciation à identifier les états initial et final du processus et d’établir un double rapport d’identité entre les deux. Parce que comprendre l’évolution métamorphique d’une marque passe par l’identification d’une métamorphose au niveau de l’une de ses manifestations discursives, M Schulz procède alors à l’analyse d’un cas concret de changement typographique d’un logo de marque. Il cherche ainsi à déterminer le niveau de pertinence auquel se situent la conservation et les variations de traits identitaires. Se référant à l’identité narrative développée par P. Ricœur2, M. Schulz identifie la transformation, progressive et graduelle, au niveau du caractère (signes distinctifs) et le maintien identitaire, au niveau de la parole tenue (fidélité à une visée éthique) avant de conclure sur le mode de fonctionnement du processus métamorphique : ce dernier présupposerait un acte d’énonciation qui pose d’abord une grandeur discrète (une variable) indépendante de la saisie totalisante (effectuée ensuite) des évolutions métamorphiques subies par les investissements plastiques, figuratifs, modaux, sémantiques, axiologiques ; saisie totalisante qui permet cependant de conférer à cette grandeur discrète, lieu vide, une identité sémiotique, dotée d’un sens pour le sujet.

C’est également cette problématique du pôle de production de la métamorphose qui anime les intérêts scientifiques d’Herman Parret, alors orientés vers les œuvres artistiques. Partant de plusieurs œuvres « métamorphiques » de natures différentes, l’auteur ouvre sa contribution sur une définition très générale de la métamorphose entendue comme un changement de sens accompagné d’une « transfiguration [de la] matière dans sa temporalité et sa spatialité » avant d’en distinguer deux essentielles : celle qui assure le passage de la vie à la mort et articule croissance et décadence (Méduse) et celle qui garantit la transformation de la mort en vie, l’animation de l’inanimé (Pygmalion). C’est précisément à partir de ces deux métamorphoses essentielles qu’H. Parret procède à une reconsidération de la hiérarchie sensorielle. Méfiant à l’égard de l’esthétique oculocentrique et du paradigme scopique de la philosophie, il cherche à comprendre comment l’expérience esthétique peut être circonscrite comme une expérience du toucher. Bien plus que la vue, ce dernier nous mettrait en contact avec l’essence du réel, l’univers artistique. Partant des propositions phénoménologiques du toucher de Husserl, l’auteur précise que ce sens offre une double appréhension (touché-touchant) que ne permet pas l’acte de vision : une même sensation de toucher permet tant d’appréhender les traits caractéristiques d’un objet extérieur que celles de l’objet-corps propre et cela selon deux modalités, la caresse et la touche. Alors que la vue maintient les unités isolées les unes des autres, la toucher exerce une fonction véridictoire en offrant l’accès à la véritable forme des choses et à leur essence profonde. A cet égard, le parcours de réflexion de l’auteur est jalonné par différentes pensées sur le toucher. Partant de la réorganisation hiérarchique des cinq sens proposée par Herder, H. Parret poursuit sur les développements de Deleuze sur le sens haptique de la vue pour lequel il exerce une fonction de toucher qui lui est propre et spécifique mais, en même temps, distincte de sa fonction optique. L’haptique n’est pas substitution de la vision par le toucher mais sublimation de la vue en tactilité, la main de l’œil en quelque sorte. Trois conditions sont nécessaires à l’expérience haptique (conditions que l’art égyptien permet de mettre en évidence) : proximité de l’objet, absence de profondeur et hypostase de la matérialité. L’auteur achève sa réflexion en empruntant à Focillon ses propos sur la culture du toucher, et notamment sa description de Pygmalion, « technicien d’une métamorphose essentielle » : « L’art commence par la transmutation et continue par la métamorphose. […] Il est invention des matières en même temps qu’il est invention des formes. […] Il enfonce les mains dans les entrailles des choses pour leur donner la figure qui lui plaît ».

La contribution d’Odile Le Guern vise quant à elle à déterminer les stratégies mises en œuvre dans les images d’illustration de récits métamorphiques ou mettant en scène leur propre métamorphose. Etant donné le caractère atemporel de l’image fixe se pose immédiatement la question de sa capacité à rendre compte d’un processus métamorphique. C’est ainsi qu’elle est amenée à envisager la temporalité dans le temps représenté (contenu) ou dans celui de la représentation et de l’énonciation iconique (expression) ; et cela tant en production qu’en réception. A partir des gravures d’illustration du récit ovidien, l’auteure cherche, dans un premier temps, à montrer la double technique mise en œuvre dans la double réalisation métamorphique : la première relève de la séquentialité d’une image unique qui, en donnant l’illusion d’un espace homogène, suspend la temporalité et assure une permanence identitaire des éléments représentés ; la seconde consiste en une mise en syntagme spatiale qui oriente la prédication et une temporalité aspectualisée (l’auteure observe que la métamorphose de Philémon et Baucis est représentée sur deux parties différentes d’un même motif dont la syntagmatique permet de virtualiser l’humain au profit du végétal grâce à la linéarité du parcours du regard). La seconde partie de l’analyse est ensuite consacrée aux images dont le plan de l’expression constitue l’objet de l’énonciation icônique et où deux interprétations différentes se manifestent dans le temps de lecture. A travers des exemples toujours très pertinents, plusieurs cas sont alors envisagés : (i) lorsque le fond est également figure, se crée une polysémie visuelle où la valeur sémantique du motif varie en fonction du contexte. Le lieu de la métamorphose, entre fond et figure, est l’identité, stabilité de la configuration plastique qui constitue paradoxalement le socle de l’instabilité sémiotique du niveau icônique. (ii) lorsque le fond hésite entre manifestation du support et figure, l’image crée la métamorphose par une vectorialisation de l’espace icônique, en utilisant des formes de l’expression relevant du code iconique. (iii) fond, figure et contour : la question du rapport entre figure et fond appelle à la considération de la stabilité perceptive du contour. Si ce dernier appartient perceptivement à la figure qu’il délimite, O. Le Guern nous montre qu’il peut parfois se déplacer vers le fond, lequel devient une figure à son tour. Evènement visuel, la métamorphose repose donc sur un jeu d’échange de rôle entre les différents éléments. Le fond se présente d’abord comme du figural avant d’accueillir le figuratif, comme du visuel avant d’offrir du visible. (iv) changement de point de vue : l’espace paradoxal offert par Concave et convexe d’Escher permet à l’auteure de montrer comment le regard du spectateur peut sans cesse être engagé dans une remise en question de l’unicité du point de vue qu’il adopte dans l’appréhension de l’espace et comment ce changement s’accompagne d’un réinvestissement sémantique. (v) du syntagme au paradigme : la syllepse visuelle permet d’évaluer le rôle de la rhétorique des figures dans le déroulement du processus métamorphique. Etat d’équilibre instable, la syllepse offre un remodelage phénoménologique du perçu propice à l’émergence de la métamorphose. Cette dernière souligne le caractère polysémique des motifs grâce auquel ils peuvent connaître des contextualisations diverses et créer des valeurs de signification différentes.

Changement de contexte avec la contribution de Sylvie Freyermuth et de Jean-François P. Bonnot dont l’originalité repose sur l’ouverture du champ métamorphique au domaine médical. Circonscrite autour de l’Iconographie photographique de la Salpêtrière de Bourneville et de Regnard, leur analyse procède au rapprochement entre hystérie et métamorphose : le moi, « tout de coalition » (Ribot), ne présenterait pas d’unité substantielle mais serait un mot dont le contenu varie en fonction des sensations et états organiques (d’où son rapport à la métamorphose). L’objectif des auteurs vise à montrer comment les propriétés de l’ouvrage étudié s’inscrivent dans la thématique de la métamorphose ; une effectivité produite à trois niveaux : (i) une macro-structure discursive qui correspond à l’ensemble du texte incluant l’iconographie. Dotée d’une hétérogénéité interne liée à la typographie, elle manifeste une disposition binaire récurrente sur tous les cas traités ; (ii) des micro-structures correspondant aux variantes, situées au niveau énoncif, de la macro-structure (caractères typographiques, intertexte, longueur des observations) ; (iii) la complémentarité texte/image dont l’interaction produit une théâtralisation de la présentation des données cliniques. L’observation des symptômes présente une syntaxe minimale qui crée une sorte d’hypotypose permettant au profane de se métamorphoser en voyeur tandis que Bourneville se métamorphose en narrateur d’un roman « flaubertien ». Les photographies insérées dans le corps du texte procèdent à une validation des propos ; elles présentent certaines régularités iconiques visant à induire chez le lecteur la construction d’un système d’interprétation de la maladie. La contribution des auteurs s’achève sur l’analyse de trois dessins dont la succession représente le déroulement d’un état de crise d’une patiente : la métamorphose manifeste ici une dualité qui assure le passage de l’état normal à l’état pathologique. Les auteurs souligne à cet égard un profond paradoxe de la métamorphose où la normalité se traduit, sur les clichés, par une certaine absence de vie tandis que l’hystérie, censée être une parenthèse de vie, se veut libératrice par un débridement du corps.

III. Métamorphose, pragmatique et rhétorique : les fonctions de la métamorphose

La troisième section de l’ouvrage propose une réflexion sur la rhétoricité de la métamorphose, inaugurée par l’approche tensive de Denis Bertrand. Compte-tenu du caractère éminemment général de la métamorphose entendue comme un « changement de forme en une autre forme », l’auteur propose d’étudier le récit métamorphique du corps mutant et d’évaluer « [d]ans quelle mesure la reconnaissance d’une identité dans le changement [est] fonction de l’interaction entre le sujet sensible et percevant […] qui recourt à certaines procédures […], et l’objet d’analyse, pourvu de propriétés morphologiques ». Envisagé dans une perspective tensive, l’évènement métamorphique est défini comme une lutte d’instances, où la forme antérieure donne forme et sens à la nouvelle, et se situe dans cet écart tensif entre deux ordres de figuration. Pour mener à bien son projet, D. Bertrand accompagne son lecteur dans un parcours définitionnel de la métamorphose, circonscrit autour de deux paramètres : (i) le cadre ethno-sémiotique : la métamorphose est envisagée comme un motif, unité de type figuratif dotée d’une structure syntaxique fixe dont la signification varie selon son statut et son mode d’intégration dans une unité discursive plus large (thématique) ; (ii) le cadre rhétorico-sémiotique : afin de comprendre pourquoi la métamorphose n’apparaît dans aucun inventaire de figures, D. Bertrand ouvre la piste d’une analyse de sa migration esthétique et des variations de sa prégnance esthésique au cours de l’histoire culturelle. C’est parce que ces deux approches ne permettent pas de rendre compte de la phénoménalité des processus métamorphiques dans le discours figuratif que l’auteur propose d’envisager la question de la coexistence tensive entre les deux morphologies naturelles impliquées. La sémiotique tensive envisage le fait rhétorique non pas comme la substitution d’une grandeur sémantique par une autre mais comme une intersection de catégories sémantiques et offre une analyse de cette mise en tension compétitive, conflictuelle. Ainsi D. Bertrand observe-t-il que la forme en construction se caractérise par la coexistence de deux natures : une forme somatique ou matérielle en transformation et une forme discursive et réflexive que le sujet-source persiste à maintenir. La métamorphose produit une dilatation de l’espace énonciatif qui se structure en instances, intégrant des dimensions sensibles, cognitives et permettant de localiser les places et les traces qui se disputent l’espace énonciatif. Des particularités qui conduisent l’auteur à se pencher ensuite sur une analyse de la prosopopée, « prothèse énonciative » qui donne la parole à l’absence et grâce à laquelle peut être saisie la pluralité des instances dont le conflit donne sens à la métamorphose. Cette dernière opèrerait ainsi de manière identique à la provocation figurative, en imposant une quête d’identité par sa négation radicale. Elle fait être du sensoriel inédit par un coup de force dans l’expérience sensible, selon différents régimes aspectuels. Le cœur de la métamorphose se situe ainsi dans la bifurcation d’entéléchie par rapport au dispositif organique antérieur. Le parcours cognitif apparaît, quant à lui, comme une résistance passive à ce processus. La contribution de D. Bertrand s’achève alors sur une problématique centrale de cet ouvrage : l’identité instable et poreuse suscitée par le processus métamorphique où mêmeté et ipséité se réunissent au sein d’une forme unique.

Marc Bonhomme entend, quant à lui, aborder la rhétoricité de la métamorphose, notamment sa métaphoricité potentielle, à travers une analyse des caricatures politiques publiées dans Ces Grandes Gueules qui nous gouvernent. Son intérêt se porte plus particulièrement sur leurs dominantes thématiques (animaux-supports du processus métamorphique), pragmatiques (oscillant entre satire et dimension ludique) et leur cohérence structurale (composition contrainte et répétitive selon les personnalités). L’auteur invite ainsi le lecteur à observer avec lui les modes de production et les conditions des transformations métamorphiques mises en œuvre dans les représentations caricaturales. Ces dernières suivent à chaque fois une progression syntagmatique en trois esquisses qui jalonnent un processus d’humanisation de l’animal. La particularité de ces métamorphoses énonciatives repose sur une exacerbation de l’analogie graphique entre les deux formes qui  inhibe l’allotopie initiale dans l’isotopie-cible : opérant sur quelques traits figuratifs analogues saillants, elle entraîne cependant une recatégorisation totale de l’objet représenté. Une particularité qui pousse M. Bonhomme à définir la grammaire métamorphique à l’œuvre dans ces caricatures. Ces dernières fonctionnent comme des « dessins à enchaînement » où chaque vignette invite à la rémanence perceptive des traits les plus redondants et saillants, lesquels motivent l’identification analogique des figures produites. Si le processus métamorphique est rendu possible, c’est en vertu d’une altération de la structure gestaltique-type de l’animal-source de ce processus. Une particularité qui permet à l’auteur de souligner le caractère orienté, préfinalisé de la métamorphose. Le passage du type à l’occurrence repose sur une exploitation des signes plastiques comme de purs signifiants assurant la mécanique et la dynamique du processus. La déconstruction de la forme initiale est concomitante de la reconstruction progressive d’une forme autre qui présente néanmoins une certaine analogie avec la première. L’actualisation du type humain est ainsi assurée par trois opérations rhétoriques fondamentales : la suppression, l’adjonction et l’affinement de contours de certains motifs. Par ailleurs, M. Bonhomme observe une certaine flexibilité de la métamorphose qui en diversifie la réception : (i) holistique, elle joue sur la gestalt globale des têtes représentées et leur définition, sans introduire de nouvelles parties différenciatrices ; (ii) particularisante, elle opère sur certains éléments sans modifier la gestalt de la tête caricaturée, (iii) mixte, elle modifie la gestalt de la tête par substitution et adjonction de parties. Cette flexibilité se manifeste également à travers des tempos variables : graduelle ou rapide, la métamorphose peut parfois s’activer sur la toute dernière vignette et introduire une rupture dans la syntagmatique qu’elle intègre. Au-delà de la mise en exergue des différents modes de manifestation de la métamorphose, les différentes observations effectuées par M. Bonhomme permettent également de montrer comment un genre figuratif ancien, le glissando, trouve une nouvelle vitalité et une réactivation originale au contact de l’activité politique.

Nicole Pignier propose quant à elle d’interroger les statuts et les fonctions sémiotiques de la métamorphose et de l’anamorphose dans les énoncés multimédias publicitaires et artistiques. Alors que ces derniers sont censés offrir visibilité, lisibilité et stabilité de la perception, l’auteur observe que, parfois, les stratégies énonciatives du web peuvent au contraire se fonder sur une rhétorique de la métamorphose et de l’anamorphose. Un rhétorique qu’elle propose d’analyser en termes d’actants positionnels : une source en une forme A, une cible en une forme B et un actant de contrôle ancré dans une dynamique spatio-temporelle, facilitant le passage d’une forme à l’autre. En s’appuyant sur deux réalisations, artistique (Œil océan d’Anne-Sarah Le Meur) et artistico-publicitaire (site promotionnel du chocolatier Patrick Roger), N. Pignier propose d’identifier les niveaux de manifestation (texte et interface graphique) de ces figures avant d’en interroger les fonctions et statuts. Dans la mesure où elles procèdent à un renversement des positionnements des actants dans la scène perceptive, ces deux réalisations qu’elle retient lui permettent de réévaluer la définition de la métamorphose initialement identifiée. La première ne manifeste aucune forme perceptible, seule la variation est sensible, autrement dit l’actant de contrôle. Les figures observées fonctionnent comme un brouillage perceptif, qui soulève un défaut de perception à deux niveaux (texte et affichage textuel). Dans la seconde, les métamorphoses/anamorphoses résultent de l’interaction gestuelle de l’internaute et exercent une fonction de déprésentation : des formes se construisent et se déconstruisent, certaines retournent à leur forme d’origine sans que l’internaute ne parvienne à maîtriser son geste ou atteindre sa cible. Par ailleurs, la fonction de ces figures repose sur une syntaxe particulière que N. Pignier propose de mettre en évidence à partir du mode de navigation impliqués par ces deux sites, et qui diffère du modèle standard. Alors que le modèle syntaxique canonique repose sur un schéma de quête (confrontation – domination – résolution), celui de ces deux sites invite au schéma de partage (séparation – divagation – communion). Les procédés métamorphiques et anamorphiques fondent et régissent le principe d’affichage selon trois variables : (i) le rythme de navigation et de lecture, (ii) l’aspectualité de l’affichage, (iii) les valences de la navigation et le positionnement axiologique. Ces dernières conditionnent les pratiques de lecture des énoncés multimédias dont l’auteure vise à identifier la signification au terme de sa contribution. Si d’ordinaire le principe ergodique est au service de la lecture et implique une relation transitive entre pratiques, où le sujet va avoir l’illusion de maîtriser le site-objet, les cas étudiés ici soulèvent au contraire un principe de relation récursive entre parcourir et lire : la relation inter-actantielle n’est pas fondée sur la transition sujet-objet mais sur une incessante remise en cause des positionnements actantiels. Le mode discursif oscille entre absence, inanité, défaut et présence tandis que dans le mode narratif, la liquidation d’un manque en entraîne un second. C’est ainsi que N. Pignier parvient à montrer comment la métamorphose fonctionne comme une figure de rhétorique fondatrice du style de l’œuvre, style de déprésentation qui relève d’une communication déréalisante.

IV. Métamorphose et méta-énonciation

C’est donc tout naturellement que l’ouvrage vient à aborder la question des transformations métamorphiques du langage et de la méta-énonciation. Julie LeBlanc ouvre ce nouveau chapitre par une réflexion sur la genèse textuelle, et notamment sur les remaniements et aménagements successifs qui participent à la métamorphose d’un texte. Son projet vise ainsi à (i) déterminer les différentes étapes de l’élaboration textuelle ; (ii) formaliser les procédés qui sous-tendent la pulsion d’écriture ; (iii) cerner les arrêts et reprises manifestés par la méta-énonciation de l’écrit. Au-delà de l’intérêt porté à la métamorphose des textes autobiographiques, J. LeBlanc considère également la transformation du sujet qui s’écrit à travers le texte qu’il produit. Des possibilités que lui offrent notamment les textes et avant-textes autobiographiques d’Annie Ernaux. Considéré par l’auteure comme un « laboratoire vivant », le manuscrit permet de saisir la métamorphose du sujet écrivant en même temps que le parcours génétique de la production littéraire et les différentes « postures de l’énonciations narrative ». Si les documents préparatoires et les différents états manuscrits des textes permettent de retracer l’« histoire transformationnelle » (Todorov) de la représentation textuelle de l’énonciation, ils permettent également de procéder à la formalisation du passage d’une théorie de la « langue comme structure à une théorie de la langue comme processus ». Aussi l’objectif majeur de J. Leblanc vise-t-il à étudier les journaux d’écriture d’Annie Ernaux portant sur la genèse de Passion simple, journaux qui constituent, selon elle, des lieux stratégiques pour l’étude des phénomènes de variations textuelles. Son Journal d’écriture se présente comme une structure de l’énonciation narrative qui invite au questionnement sur la configuration formelle du récit. Il ne relate pas les étapes d’un processus génétique de l’œuvre mais porte surtout sur la dimension provisionnelle et exploratoire de la création : il émet de nouvelles pistes sur l’œuvre en cours, ses influences, stratégies de composition… et consiste à inventer d’autres configurations textuelles. La réflexion de J. LeBlanc s’achève sur les perspectives ouvertes par le journal, carnet et cahier d’écriture : en établissant un lien entre écriture diaristique de l’écrivain et son œuvre, ils permettent d’appréhender la physionomie affective et les desseins artistiques d’Annie Ernaux et ouvrent la voie à la compréhension et à l’analyse des textes littéraires.

Le projet de Sémir Badir repose quant à lui sur une problématisation des concepts. Ancrée dans la philosophie des sciences, son « enquête » s’ouvre sur les deux voies selon lesquelles les concepts ont évolué : (i) l’évolution, transformation progressive qui assure une continuité dynamique d’un concept conformément à sa tradition ; (ii) la révolution, transformation soudaine qui produit une discontinuité entre deux concepts, un transfert de l’un à l’autre. La première n’étant pas assez transformatrice pour saisir un changement de forme, la seconde l’étant trop pour garantir le maintien d’une substance dans le passage d’une forme à l’autre, S. Badir propose de considérer la métamorphose dans une situation médiane et d’envisager, à l’instar des êtres vivants, que la métamorphose d’un concept en suppose sa mort. C’est ainsi qu’il s’interroge sur la possibilité de mort violente d’une définition, donnant libre cours à une reconnaissance du concept : le cas de la modernité, aujourd’hui nommé post-modernité, lui en offre la possibilité. L’enquête de l’auteur aborde alors un nouveau tournant, celui de la distinction entre les concepts transhistoriques de modernité et post-modernité et les concepts historiques de modernisme et post-modernisme. La post-modernité apparaît ainsi comme une méta-pensée ; il s’agirait d’une proposition conceptuelle visant à modifier le rapport de la pensée au contemporain, pensée transhistorique qui, selon Foucault, s’inscrit dans une forme d’historicité. Deux problématiques se profilent alors à l’horizon : une problématique philosophique d’une part, qui consiste à s’extraire du flux historique ; une problématique d’historien de l’autre, cherchant à réinscrire les concepts de la première dans un discours explicatif du monde contemporain. Partant du système typologique des concepts transhistoriques de Foucault, système ouvert où seule l’épistémè médiane est en mesure de recevoir toutes les oppositions susceptibles de la déterminer, S. Badir poursuit sa réflexion sur l’archéologie du contemporain, discours historique où le temps historique est présupposé comme hétérogène (ou discontinu). Si l’œuvre de Foucault propose une théorie de la transhistoire, elle constitue également un discours archéologique dans lequel chaque épistémè sert de sédiment aux représentations du monde contemporain ; archéologie qui permet, à un autre niveau, d’expliquer le dynamisme historique à travers des états statiques, choisis pour leur exemplarité. Dans cette perspective, l’archéologie semble construite avec des concepts transhistoriques et l’épistémè moderne serait ouverte, non bornée, ni bornable. S. Badir propose d’envisager le discours archéologique et le système transhistorique comme relevant de l’épistémè moderne, laquelle permet la posture de fiction de la transhistoire. L’archéologie présente les principales caractéristiques de l’épistémè moderne qu’elle décrit. Construite par des discontinuités, failles ou pliures et orientée vers le contemporain, elle vise à son explication. Dialectique, elle prend en charge sa propre problématicité. C’est alors que l’auteur en vient à interroger la place de l’épistémè moderne dans ce système. Envisagée comme une esthétique du renouvellement, elle accomplit sa propre fermeture dans le système qui la pense. Fin et perpétuelle reconnaissance sont ainsi programmées, propices à la métamorphose. Système immanent mais paradoxalement fermé, la modernité possède un mode d’expansion qui se poursuit sur le mode de la transcendance à elle-même. Dès lors, l’auteur explique que la transhistoricité n’accorde aucune place à la post-modernité. Cette dernière manifeste un irreprésentable de l’archéologie et franchit la limite de la transhistoire. Elle est dotée d’une inexistence qui opère à partir de la configuration moderne des représentables ; ce qui permet à l’auteur de l’envisager comme la modernité après métamorphose, son passage vers la fiction. C’est alors que sa réflexion s’oriente vers une nouvelle problématisation : celle du contemporain qu’il circonscrit à nouveau dans la pensée de Foucault. Cette dernière peut être expliquée à nouveau par la transhistoire : d’une part, elle en prévoit la possibilité, de l’autre la post-modernité est conçue par la transhistoire comme possibilité de l’irreprésentable. Elle correspond à la seule manière, pour l’épistémè moderne, de penser l’impensable. S. Badir entend ainsi sortir de la modernité en ouvrant le système transhistorique qu’elle clôt. A défaut de toute intuition de la post-modernité, il propose d’envisager la possibilité d’une métamorphose de la modernité. Son enquête s’achève sur une toute dernière voie, inscrite dans l’idée qu’une partie du contemporain fait défaut à l’épistémè moderne : celle de la pauvreté d’analyse. Si une analyse réputée simple présente des contradictions et ne peut s’appliquer à tous les faits pour lesquels elle a été mise au jour, elle devient pauvre et non pas simple. C’est ce qu’on observe avec les discours critiques de la modernité, outils d’analyse des faits contemporains incapables d’épuiser la différence de ce qui lui est donné à analyser. C’est ainsi que S. Badir ponctue son enquête par une considération de l’échéance des discours de l’épistémè moderne sous l’angle de la post-modernité.

La contribution de Claude Zilberberg s’inscrit dans une perspective esthétique visant à la « comparaison et [au] comparatisme » de deux métalangages (Claudel et Deleuze) et notamment à déterminer les modalités de leur articulation. L’interprétation sémiotique qu’il souhaite leur donner repose sur deux conditions préalables : une spécification de la sémiose ainsi qu’une mise au jour, pour chacun de leurs plans, d’un jeu de catégories. Une démarche qui implique d’abord un retour sur la notion de style. Central en esthétique, le style est envisagé ici comme un « ensemble identifié de différences corrélatives, tantôt propre à un seul individu, tantôt à un groupe d’individus en affinité les uns avec les autres et donnant lieu à une orientation plus ou moins exclusive ». Cl. Zilberberg propose ainsi d’identifier le plan du contenu immanent aux styles à travers la notion de mode à partir duquel le sens peut opérer. Trois modes sont ainsi convoqués : (i) le mode d’efficience qui renvoie à la manière dont une grandeur s’installe dans le champ de présence, (ii) le mode d’existence, direction temporellement choisie par le sujet énonçant, (iii) le mode de conjonction, complexité principielle de l’objet mettant en évidence une tension forte entre implication et concession. Ces modes sont ensuite spécifiés par une approche valencielle qui, en reprenant les propositions formulées par la sémiotique tensive, vise à identifier les unités de mesure et les unités de compte propres à chaque style. Ainsi les analyses de Claudel et de Deleuze sont-elles conduites en termes de tempo, tonicité, temps et espace à partir desquels l’auteur envisage, dans un second temps, le passage d’un système de formes à un autre. Dans son Introduction à la peinture hollandaise, Claudel envisage la Hollande comme une terre de lenteur (mode d’efficience : parvenir). « Sauvage », elle présente toutes les grandeurs tensives dans le désordre. Ces valences intriquées constituent le plan du contenu dont le plan d’expression correspond, pour Claudel, au traitement du chromatisme. Difficile à saisir au niveau du plan du contenu, la tonicité est abordée au regard des propos de Saussure dans les Ecrits, où la distinction entre état et évènement permet de comprendre les faits. Si l’évènement naît du survenir tandis que l’état résulte du parvenir, Claudel en déplace l’opposition : l’évènement se voit affecter d’une tonicité forte tandis que le phénomène tend vers l’atténuation. Ce qui détermine des phénomènes de profondeur énonciative où l’évènement relève du proche et le phénomène, contrôlé, est maintenu à distance. Le plan de l’expression présente une certaine gradualité où la tonicité forte procède de limite en limite (contrastes) et la tonicité faible de degré en degré (nuances). Des propriétés qui permettent à Claudel d’établir deux micro-univers : celui de Bacon, quête de l’excès, où l’intervalle chromatique fonctionne comme plan de l’expression ; celui de la peinture hollandaise, suffisance caractérisée par la modération de l’intervalle chromatique. Cl. Zilberberg ajoute que le texte de Claudel présente une chronophilie ; son titre, L’œil écoute, soulève la visée d’un temps pictural à définir où deux possibilités se présentent : (i) l’opposition évènement/phénomène qui, régie par le double mouvement [passager vs durable], renvoie à l’opposition [long vs bref], (ii) l’opposition persistance (allonger le long)/évanescence (abréger le bref). La spatialité est quant à elle sous-tendue par l’opposition [fermé vs ouvert] ; le premier terme pouvant manifester une gradualité entre étanchéité et fuite, la relation transitive entre dehors et dedans peut ainsi être envisagée. Dès lors, la structure bi-dimensionnelle et valencielle du sens dégagée à partir du texte de Claudel présente les termes [lenteur + tonicité affaiblie + longévité + ouverture]. Dans un second temps, Cl. Zilberberg adopte la même trame analytique pour déterminer le micro-univers décrit par Deleuze. Ainsi le mode d’efficience pertinent identifié par ce dernier relève-t-il du survenir et de sa potentialisation, l’évènement s’opposant ainsi au lieu. Quant à la tonicité, la valence tonique peut être obtenue par relèvement implicatif ou redoublement concessif ; la valence atone par atténuation implicative ou amenuisement concessif. Après avoir identifié la tonicité de la peinture de Bacon comme relevant du redoublement, Cl. Zilberberg propose d’en identifier les morphologies du contenu : (i) relations entre intensité et étendue, (ii) la tension entre visage et tête, (iii) le redoublement de la motricité corporelle obtenu par contention et abstention. Au niveau de la temporalité, l’auteur observe que la tension marque une substitution de l’étendue à l’intensité : l’accélération du tempo génère une contraction de la durée vécue dont la limité paroxystique est l’instantanéité. Le plan de l’expression opère donc sur le principe du spasme. Le traitement de la spatialité, dans le cas de Deleuze, s’avère quant à lui compliqué. Mais une configuration se détache, celle de l’échappement du corps baconien vers un fermé. Dès lors, la structure sémiotique articule un plan du contenu relevant de la superlativité à un plan de l’expression relevant de la concessivité. D’où le bilan valenciel [vitesse + tonicité redoublée + brièveté + fermeture]. L’étude de Cl. Zilberberg se clôt sur un bilan comparatif de ces métalangages. Il observe ainsi que les deux analystes usent des mêmes catégories tensives et note que la systématicité de la transformation tient à ce que les sous-dimensions intensives (tempo/tonicité) régissent celles de l’extensité (temps/espace). Par ailleurs, ces mêmes dimensions extensives schématisent les dimensions intensives en formulant des valences définitionnelles et opérationnelles.

Anne Beyaert-Geslin propose à son lecteur l’analyse d’une double métamorphose liée à la notion d’intermédialité : la photographie d’une part, entendue comme métadiscours sur la mimesis picturale, la peinture de l’autre, considérée dans sa fonction de méta-mimesis photographique. L’auteure entend notamment observer le rôle du jeu flou/net dans le processus métamorphique des images et envisage, de ce fait, la question de la matière qui interroge le modèle génératif des deux objets-supports. La première partie de son étude repose sur les portraits de Désirée Dolron où elle note une concentration des valeurs liée au dépouillement des dispositifs chromatiques et lumineux. Le visage, zone de densité sémiotique, offre la particularité d’adhérer au fond dont il se sépare seulement au niveau des épaules. Si d’ordinaire la discontinuité entre fond et figure est obtenue en photographie à l’aide d’un flou qui vient atténuer le contour, A. Beyaert-Geslin montre qu’elle est obtenue ici à l’aide d’un procédé pictural, le passage, lequel consiste en une distribution de la valeur entre deux plages chromatiques afin de créer une continuité perceptive. Il produit un effet de profondeur par le modelé et crée un effet sculptural du visage qui met en relation vue et toucher sur le principe de l’haptique. En empruntant une forme picturale reconnaissable, ces photographies fonctionnent comme un métadiscours sur la peinture, une méta-mimesis qui permet non seulement de montrer comment la mimesis picturale perfectionne le lien entre visuel et tactile mais propose également un métadiscours sur le genre du portrait et les pratiques photographique et picturale, ainsi qu’un métadiscours transhistorique (portraits hérités du Caravage). A. Beyaert-Geslin ajoute par ailleurs que ces portraits ont la particularité d’offrir des effets de sens de sublimation et d’angélisation caractéristiques de la retouche numérique. Effets liés à la concentration des valeurs sur le visage et qui produisent une transformation du schéma tensif de la contemplation en fascination. Les procédés plastiques créent un effet de transcendance et de désincarnation de l’actant. La retouche sanctionne une axiologie positive autant qu’une esthétique. Afin d’affiner cette coïncidence entre phénomènes picturaux et photographiques, A. Beyaert-Geslin propose, dans un second temps, de se tourner vers les peintures de Gerhard Richter qu’elle considère comme un « dictionnaire de sémiotique visuelle voué à la catégorisation de l’univers de l’art ». Dans la mesure où l’artiste voue un intérêt particulier pour les photographies tirées de journaux, sa peinture s’approprie plusieurs caractéristiques de la photographie. Selon un principe d’hyperréalisme, la construction du tableau se fonde sur le principe de découpe de la photographie. Richter propose donc une confrontation de l’espace centrifuge, fragmentaire, ouvert sur le hors-champ de la photographie à l’espace centripète et clos de la peinture. L’image se présente comme une juxtaposition de points projetés par l’aérographe dont la faible densité produit un flou : dans Beerdigung, la valeur de ce dernier renvoie à des effets de sens communs à la photographie et à la peinture (instabilité phénoménologique et phénomène de désynchronisation). Parfois le flou renvoie au grain caractéristique de l’impression sur papier journal, connotant ainsi le caractère dramatique du fait divers. Les métadiscours sur la mimesis photographique et la mimesis picturale reposent sur un jeu du flou et du net qu’A. Beyaert-Geslin nomme bruit de fond de l’image. « Le procédé hyperréaliste, poursuit-elle, consiste à effectuer une projection lumineuse d’une photographie sur un support où les formes de l’empreinte sont ensuite marquées par les points de l’aérographe ». Le remplacement de l’empreinte du point photographique par le point surréaliste fonctionne sur le principe du trompe-l’œil et d’imitation des stimuli naturels par des stimuli de substitution. Cette dernière étant rendue possible par la transversalité du point à l’origine de tous les énoncés plastiques et assurant le passage d’une pratique à l’autre. La projection de points génère une grande variété de formes dont les contours sont tantôt nets (limites-bords), tantôt flous (limites-lisières). Les premiers immobilisent la forme, la détache du fond, créant ainsi une profondeur ; les seconds animent les figures, les font adhérer au fond et créent des effets aspectuels et véridictoires. Les tableaux de Richter procèdent également à la juxtaposition des points pour imiter le rendu photographique et, de ce fait, revendiquer un accès à la vérité. Par ailleurs, ils mettent en évidence une certaine emphase hyperréaliste (ce ne sont pas les photographies de faits divers mais leurs répliques peintes) qui offre un double accès au monde naturel : l’émergence globale de la forme liée à la photographie, l’apparition locale et progressive des formes offerte par la peinture. Le traitement pictural de la photographie permet de mêler ces deux modes, de marquer certains contrastes ponctuels pour accentuer le caractère « surréel » de l’image. L’auteure ajoute que les phénomènes d’accentuation de la « photographie peinte » peuvent accentuer l’effet de présence et sembler plus vraie que la photo-source. Il en va de même des photographies de Dolron où la retouche numérique embellit la réalité, par une affirmation de la présence du modèle. Ces deux objets se distinguent cependant, dans les connotations convoquées par les grandeurs culturelles : le premier replace la peinture dans la circulation des images et interroge une histoire sociale et médiatique ; la seconde confronte ses photographies à l’histoire de l’art. Deux anthologies rivalisent alors : une conception médiatique ou artistique des images. La première se fonde sur des faits réels précis, la seconde se réfère à des stéréotypes de l’histoire de l’art et au genre du portrait. Deux axiologies émergent également : les modèles dramatiques des médias de Richter et la représentation euphorique de l’art chez Dolron. A. Beyart-Geslin achève son analyse sur les enjeux de la métamorphose intermédiatique : au-delà d’une conversion superficielle, elle perfectionne les possibilités fictionnelles de l’image et interroge les grandeurs culturelles qui déterminent notre rapport à elle. Telle la métamorphose du papillon, elle offre une transformation de matière. Cependant, contrairement aux métamorphoses naturelles, il n’y a pas substitution d’une occurrence en une autre (les répliques photographiques de Richter restent des peintures, les œuvres de Dolron restent des photographies). A. Beyaert-Geslin conclut sur l’affranchissement de l’image de support matériel pour devenir un support formel pouvant investir plusieurs énoncés. Dès lors, les métamorphoses intermédiatiques sont des images qui circulent d’un objet-support à l’autre.

Des affections métamorphiques sur les champs énoncif et énonciatif que Maria Giulia Dondero observe également dans son analyse sur l’iconographie des fluides. Dans sa contribution, l’auteure s’interroge sur les différents types de saisie du mouvement et la pertinence sémiotique de la métamorphose, entre autres à partir des chronophotographies d’Etienne-Jules Marey, lesquelles mettent en scène les métamorphoses de fluides liquides et élastiques et visent à mesurer la résistance de l’air et à décrire les configurations visuelles engendrées. L’intérêt de l’auteure porte sur les métamorphoses temporelles qui invitent à interroger les lisières entre méthode graphique et chronophotographie, puis à faire la distinction entre valences scientifiques et artistiques des images chronophotographiques. Deux métamorphoses qui se situent au niveau énonciatif, entre des systèmes de pertinence perceptifs et des procédures de sémantisation différentes. Ainsi M. G. Dondero distingue-t-elle deux régimes de la chronophotographie : la notation, méthode graphique, et la densité figurative, autrement dit une figurativité produite par une empreinte photographique. Ces deux régimes confèrent à la chronophotographie une double fonction : d’une part, une fonction généralisante du phénomène (reproductibilité et prédictibilité des phénomènes) et, de l’autre, une fonction caractérisante (localisme et densité figurative produite par l’empreinte photographique). Poursuivant sur l’exemple du cheval au trot, l’auteure explique que, pour comprendre et analyser l’espace construit par la chronophotographie, le fond noir qu’elle présente doit être non plus considéré comme un espace géométrique, abstrait et vide, mais comme un espace phénoménologique, obstacle matériel. Si la succession des mouvements d’un corps-point (qui trace des positions dans l’espace) est à prendre en considération, la figuration elle-même du corps propre du cheval l’est tout autant ; une considération qui permettra d’analyser le rapport entre succession des mouvements d’un corps-point (représentation schématique kinesthésique) et la traînée d’un corps-enveloppe (représentation globalisante de la coenesthésie). M. G. Dondero précise alors que si l’air devient un obstacle sensible, c’est en vertu de la rencontre entre un corps-point et un corps-enveloppe. L’image est un ensemble d’inscriptions et de marquages des apports sur des supports. Ainsi la méthode graphique détermine-t-elle un rapport spatial de positions qui confère à la trajectoire de points le statut de quantifieur visuel, rendant perceptibles tous les instants du mouvement. Or le cas du cheval au trot va bien au-delà ; M. G. Dondero note que les patterns abstraits construits par les points sont « remplis » et relèvent d’un centre sensoriel de référence qui devient commensurable avec notre propre sensori-motricité corporelle. Les zones de commensurabilité ainsi créées produisent deux régimes de visibilité (l’un vise à calculer le mouvement, l’autre à le rendre figuratif et perceptible) entre lesquelles se crée une « zone opérative », « zone d’entrevision diagrammatique, ou de métamorphose entendue comme une aspectualisation non orientée » produite par notre regard intersticiel. Dès lors, note l’auteure, ce n’est pas l’image mais notre regard qui devient diagrammatique, un regard en mouvement, traducteur entre deux relations : l’une renvoyant aux phases d’un mouvement et déplacement d’un corps dans le temps, l’autre à la globalité du mouvement et son expérience perceptive. Des observations qui lui permettent d’établir une première distinction entre la figurativité produite par la graphique et celle de la chronophotographie : la première permet de transcender les limitations de la matérialité qui contraignent la photographie ; la figurativité se présente comme le résultat d’une confrontation entre un support et un apport, entre support matériel, énergies et techniques d’inscription de ces énergies sur le support matériel. Quant à la chronophotographie, sa densité rend tout potentiellement constitutifs : chaque trait, signe, différence et modulation de lumière, grain, couleur… devient pertinent. Par ailleurs, à la différence des tracés graphiques, les tracés chronophotographiques ne sont pas manipulables et transposables sur d’autres supports matériels ; autographiques, ce sont des tracés uniques non reproductibles. A partir d’une série d’images produites par la machine à fumée de 1901, M. G. Dondero vient à démontrer le caractère orienté de la métamorphose. Le changement de formes et d’inclinaison des obstacles mises en évidence par les images de Marey permettent de prédire, à partir de vitesses et obstacles différents, les formes de tous les mouvements possibles de l’air. Paramétrée et contrôlée, la métamorphose est mesurée tout au long d’une série d’images. La réflexion de l’auteure s’oriente ensuite vers un nouvel aspect problématique, celui du seuil entre statuts scientifique et artistique de ces images. Pour introduire cette distinction, elle renvoie au philosophe Nelson Goodman selon lequel la valeur esthétique d’un texte dépendrait de la densité de ses traits pertinents à la lecture. Une conception qui se distingue de la production scientifique où l’on vise une réduction de la densité sémantique et syntaxique afin d’augmenter la différenciation et l’articulation des signes. Contrairement à la sémantisation d’une image artistique, la sémantisation d’une image scientifique repose sur ses conditions techniques de production, transformations toujours contrôlables et reproductibles. C’est ainsi que M. G. Dondero note la particularité des images de Marey à produire une métamorphose de lecture entre statuts scientifique et artistique : la première est rendue possible si l’on connaît les conditions d’expérimentation et si l’on est capable de mesurer les variations de filets d’air déformés selon la taille et les formes des obstacles. La seconde, dramatisante, met en évidence des lignes de force qui écrasent des obstacles. Ne relevant ni de la notation, ni de la densité, les images de Marey se trouvent donc dans un entre-deux, espace diagrammatique de métamorphose, lieu de rencontre entre fonction autographique et allographique. Observant la tension du regard diagrammatique, à la fois dissolution de la densité et densification de la notation, M. G. Dondero en vient alors à identifier l’identité de la textualité comme une perspective susceptible de changer en fonction des pratiques de sémantisation dans lesquelles elle d’insère. Ces images offrent ainsi une problématisation de la transformation en acte d’un système notationnel en autographique et vice-versa. En outre, elles apparaissent comme notation et exécution d’elles-mêmes. Cette métamorphose des relations est toujours en voie de constitution durant notre syntaxe perceptive, syntaxe attentionnelle où nous choisissons le système de pertinence pour notre lecture. Ainsi M. G. Dondero a-t-elle exposé, au cours de son analyse, une métamorphose à l’envers où les chronophotographies considérées illustrent le passage d’un mouvement accompli à sa notation. Elles montrent la chronométamorphose du mouvement en mettant à la fois en évidence la durée qualitative du mouvement et l’analytique de son status nascendi.

V. Ouverture théorique

La dernière partie de l’ouvrage propose une ouverture théorique engagée par la contribution de Massimo Leone. L’objectif de ce dernier vise à définir la relation entre la métamorphose en tant que concept sémiotique et littéraire et la metabletica, en tant que savoir contemporain sur les métamorphoses. Partant des définitions de la metabletica dans ses origines grecques, M. Leone s’arrête sur les propositions de Van Den Berg qui, selon lui, présentent un intérêt certain pour une réflexion sur la sémiotique et la littérature des métamorphoses. Il note en effet l’existence d’un rapport conceptuel entre métamorphose et métablétique – entendue comme un discours scientifique et aristotélicien sur les changements, cette dernière peut devenir une sciences des métamorphoses, analysant le logos immanent à chaque changement – ainsi qu’une proximité (familiarité du discours métablétique pour les sémioticiens et qui invite au dialogue avec leur savoir) et différence (l’altérité se situe dans le caractère critique, stimulant ainsi ce dialogue) avec la sémiotique des cultures. C’est ainsi que l’auteur propose d’envisager les croisements et les divergences entre sémiotique et métablétique. Un projet qui, rappelle-t-il, nécessite un préalable nécessaire, la reconnaissance du développement de la métablétique au carrefour de deux savoirs : la psychiatrie et la phénoménologie. Ce que Van Den Berg ne manque pas de mettre en évidence dans une genèse intellectuelle de la métablétique, développée à partir de la psychiatrie phénoménologique. Or pour que cette phénoménologie aille au-delà d’une simple introspection et qu’elle devienne une connaissance catégorielle du patient à part entière, elle doit également tenir compte des propositions de la nouvelle phénoménologie avec laquelle les sémioticiens cherchent par ailleurs à dialoguer. Si la sémiotique partage avec la métablétique un penchant pour la phénoménologie existentielle de Merleau-Ponty, elle est également attirée par la phénoménologie littéraire de Bachelard. C’est notamment en vertu de cet héritage complexe d’idées et de méthodes que l’auteur reconnaît à la métablétique son statut de sémiotique des cultures. Il remarque cependant que si la métablétique partage quelques ambitions épistémologiques et méthodologiques avec la sémiotique, elle présente toutefois un défi pour la conception sémiotique la plus courante et selon laquelle l’être humain ne se métamorphoserait pas dans le temps et l’espace. Partant de la critique de Van Den Berg contre l’idée de signification, notamment dans la psychologie freudienne, l’auteur s’interroge sur les possibilités d’une sémiotique historique fondée sur des principes similaires à ceux sur lesquels s’est construite la psychologie historique de Van Den Berg. Deux choix s’offrent alors : (i) penser l’immuabilité des lois de signification dans l’espace et dans le temps. Dès lors, la description de ces lois décrit quelque chose d’essentiel sur la nature humaine ; ou (ii) penser la variabilité de ces lois dans l’espace et dans le temps. Leur description ne permet alors de décrire quelque chose d’essentiel à la nature humaine que dans tel espace ou telle époque. M. Leone en vient ainsi à admettre qu’une sémiotique métablétique requiert que la nature sémiosique de l’être humain soit passible de métamorphoses continuelles dans l’espace et le temps. Elle impliquerait en conséquence le développement de niveaux méta-discursifs jusqu’au fondement d’une métablétique de la sémiotique et envisagerait alors des questionnements liés aux différents dispositifs sémiotiques (carré, diagrammes tensifs…). Cette métablétique doit ainsi s’interroger sur la possibilité d’un progrès en sciences humaines ou envisager que le seul progrès possible, c’est de comprendre qu’il n’y a pas de progrès mais une continuelle métamorphose des formes « par lesquelles les cultures, et les êtres humains qui les habitent, cultivent l’illusion de comprendre ». M. Leone note les différentes plus-values que pourrait apporter la métablétique de la sémiotique (humilités synchroniques et diachroniques) avant de les envisager eu égard à la religion : plutôt que d’ironiser sur les époques où les gens croyaient aux miracles, il propose de questionner la manière dont la phénoménologie de la réalité s’est modifiée pour que la croyance médiévale dans les miracles nous soit aussi étrangère aujourd’hui. Quant à la prière, il s’interroge sur la pertinence de son analyse comme texte : est-il suffisant de l’analyser comme un ensemble de structures signifiantes pour y déceler un sens ? Ou doit-on faire un effort métablétique : faire des hypothèses sur la façon dont la phénoménologie de la nuit du croyant en prière se métamorphose par rapport à celle du non-croyant, ou du croyant qui ne prie pas ? En conclusion de sa réflexion, l’auteur soulève l’hypothèse selon laquelle les sciences humaines n’évolueraient pas mais s’adapteraient aux circonstances culturelles. Observant l’articulation d’un sémiotique du « tout se tient » à celle du « quelque chose se tient », M. Leone revient sur son titre « Métablétique : une science des métamorphoses ? » avant d’y répondre par une négative : les métamorphoses ne peuvent donc devenir une science dans la mesure où le statut de science et les sciences elles-mêmes sont en pleine métamorphose.

Au terme de son parcours de l’ouvrage, le lecteur ne pourra qu’apprécier la diversité des domaines d’intervention de la métamorphose qui, en dépit de leur profonde hétérogénéité, permettent néanmoins d’en dresser un profil conceptuel cohérent, enrichi par leur complémentarité. Par ailleurs, outre la grande diversité des objets sémiotiques, l’auteur pourra également mesurer le dialogue que cette discipline entretient avec ses « consœurs » dans l’émergence des phénomènes de signification. Un ouvrage qui problématise sans cesse son objet jusqu’à la fin, voire au-delà, de telle sorte qu’il nourrit notre réflexion pour la stimuler davantage.