Paolo Fabbri n’est plus

Publié en ligne le 24 juin 2020

Mondialement estimé par ses pairs, il a su captiver des publics bien au-delà de la communauté sémiotique. Et pour les sémioticiens eux-mêmes, sa vigilance et sa pugnacité intellectuelles étaient un point de repère, une référence bienveillante.

Collègue, ami, grand frère, camarade, maître et défricheur de tous les chemins que la sémiotique a parcourus depuis 50 ans, sa disparition laisse un vide dans notre discipline et parmi les sémioticiens, un vide qui reste pourtant dans nos mémoires riche d’intelligence, de culture et de passion. Collaborateur assidu des Actes Sémiotiques depuis leur fondation, Paolo Fabbri a marqué notre discipline par son esprit original et inventif, par une parole pleine de vivacité et une acuité analytique inégalée. Lecteur infatigable, son ouverture intellectuelle a enrichi la pensée sémiotique de façon déterminante dans les très nombreuses problématiques qu’il a explorées, et en particulier dans les arts visuels sous toutes leurs formes. Sa vision « stratégique » de la signification semble aujourd’hui plus pertinente que jamais, et ses travaux pionniers, entre autres, à propos du secret, de la rumeur, du double jeu, de la rhétorique scientifique, de la proxémie ou du conflit constituent encore, en ces jours de crise du discours politique et scientifique, un guide indispensable et une référence stimulante, face à l’opacité et l’indétermination du sens des temps actuels.

Paolo Fabbri n’a pas souhaité construire, proposer et défendre de « modèle » qui lui soit propre, mais toute son œuvre et toutes ses prises de parole témoignent à la fois de la constance de son horizon théorique et de l’originalité de sa méthode. Fervent défenseur de la traduction, comme fondement de la construction de la signification, il l’a érigée en méthode : traductions d’abord, mais aussi métaphores, allégories, inversion des pôles d’un problème, déplacement du point de vue, métamorphoses des problématiques : c’est ainsi que Paolo nous captivait. Sa parole et son approche fondamentalement narrative du sens resteront comme une des plus exceptionnelles contributions dans l’histoire de la sémiotique, tout en réussissant l’exploit d’avoir produit une « petite mythologie » par le mariage d’une aventure intellectuelle agile et élégante et d’une profondeur dans l’exigence théorique et méthodologique.