Politique des formes

Nathalie Blanc

LADYSS (UMR 7533)

Jacques Lolive

SET (UMR 5603)

https://doi.org/10.25965/as.3474

La proposition que nous développons ici part d’un double constat : la prise en considération de critères esthétiques, notamment paysagers dans l’action publique et les mobilisations associatives ; l’importance du sentiment esthétique dans la relation à l’environnement. La politique des formes est une expérimentation politique qui vise à promouvoir une conception sensible de l’environnement exprimant un engagement corporel imaginatif et participatif avec la nature. Elle s’enracine dans l’expérience des habitants qui révèle la force et la richesse des attaches qui les relient à leurs milieux de vie. Elle tente d’introduire le jugement esthétique comme un critère démocratique, non expert dans les débats publics. Elle utilise ainsi les formes d’énonciation et de représentation commune (paysage, ambiance, récit) comme des outils d’appréhension de ce qui nous lie à l’environnement et comme des ressorts d’action collective selon des modalités partagées.

Index

Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Nathalie Blanc et Jacques Lolive.

Plan
Texte intégral

L’esthétique est objet de droit, c’est à dire construite par le droit, et objet du droit, c’est à dire réglée par le droit (Makowiak, 2004).

Cette affirmation montre l’importance de l’esthétique dans le champ juridique français ; elle la suggère également dans le domaine du politique. Les faits convergent : l’importance du paysage comme objet de politiques publiques (Cf. Convention européenne du paysage) ou comme politique publique de gestion de l’environnement, l’importance également de l’art public (Ardenne, 2003) traduit un renversement des valeurs dans le champ du politique où la perspective esthétique est une composante forte. Les mobilisations écologiques montrent, plus profondément, que l’enjeu n’est pas de nouveaux critères dans le domaine du politique, mais d’un recadrage esthétique de l’espace public. Sont associées à l’apparition du paysage, et de certaines valeurs associées aux nouvelles pratiques corporelles, des références esthétiques associant espace-temps de façon inédite. La lenteur, un certain hédonisme paysager, la valorisation du proche ou du désert (Macnaghten, Urry , 2003) émergent à la faveur de ces combats comme une demande globale.

La proposition que nous développons ici concerne une politique des formes. Elle part d’un double constat : la prise en considération de critères esthétiques, notamment paysagers, dans les politiques publiques ; l’importance acquise dans le domaine des perceptions par une nouvelle esthétique de l’environnement.

Nos formes, à savoir le paysage, le récit (associé à la démonstration d’une connaissance des lieux) et l’ambiance, comme forme hétérogène dont plusieurs médias rendent compte, sont des opérateurs visant à réarticuler espace privé/espace public, espaces de l’intime, espaces du public.

Un premier temps sera consacré à la forme et ce que nous entendons par là. Nous insisterons sur l’héritage conceptuel de cette notion et montrerons à quel point elle va de pair avec une reconnaissance de la perception individuelle. Pour Dewey, philosophe pragmatiste américain, la forme est le véhicule d’une reconnaissance de soi, d’une prise de possession de son espace comme espace vécu. Participe à cette reconnaissance ce qu’il appelle l’expérience esthétique la distinguant ainsi du jugement de goût kantien.

Un deuxième temps de notre développement est consacré au passage entre expérience esthétique, jugement esthétique et espace public. Partant de l’expérience esthétique, telle que l’a problématisée Dewey, et du jugement esthétique comme mode d’objectivation de son expérience et lieu de passage et de communication d’une expérience universelle, nous tentons d’ouvrir l’espace public, espace concret et de dialogue, à d’autres types de saisie du réel – notamment esthétiques – que celui de la science.

Un dernier temps de notre développement est consacré au paysage, au récit et à l’ambiance comme des formes essentielles de construction de l’espace public concret/abstrait. Enfin, quelques développements seront consacrés à la métaphore comme outil de création de ces formes.

1 Formes et expérience esthétique

Psychologie des formes

La compréhension des mécanismes psychologiques, au 19ème siècle, a d’abord été associationiste : de même que la physique et la chimie décomposaient les corps en molécules et en en atomes, que la physiologie découpait les corps en cellules, la psychologie devait, elle aussi, isoler des éléments qui se combineraient en associations. Très vite on s’est rendu compte de l’insuffisance de cette explication unique qui ne permettait pas de rendre compte des synthèses mentales. C’est un psychologue viennois, Von Ehrenfels, qui a mis à jour un autre processus qu’il a baptisé « gesatlt theorie » ou théorie de la forme. La théorie de la forme postule, (à l’inverse de l’associationnisme) que « le tout est plus important que les parties ». Dans une mélodie, par exemple, c’est la structure générale de la mélodie qui compte. Si l’on fait une fausse note, on reconnaît quand même la mélodie et si on la transpose de do majeur en sol majeur, aucune note n’est à la même place mais la mélodie est identique : ce qui compte c’est « la forme », « la gestalt ». La forme, dans cette théorie, est la donnée première de la conscience et il en découle une grammaire des formes : il existe des bonnes et des mauvaises formes, des formes fortes et faibles ; des formes ambiguës ou claires ; toute forme n’existe que par rapport à un fond sur lequel elle est posée et on trouve de nombreux exercices de vulgarisation basés sur la reconnaissance des formes ambivalentes où il faut distinguer la forme et le fond. En fait, il n’y a pas contradiction mais complémentarité entre ces deux descriptions du fonctionnement mental et le mécanisme de la créativité les utilise l’un et l’autre à tour de rôle, l’une plutôt en phase de divergence, l’autre en phase de convergence.

Comme le dit Paul Guillaume (1878-1962), principal représentant français de la Gestalt, « Dès lors, on pouvait admettre que l'unité de tous les complexes psychiques avait la même origine que la liaison d'un couple de syllabes dépourvues de sens dans les expériences d'Ebbinghaus, ou la liaison d'un signal conditionnel et d'une réaction dans celles de Pavlov » (Guillaume, 1937, p.10).

Les Gestaltistes affirment que la forme est perçue immédiatement. Ils affirment que ce n'est qu'artificiellement que la psychologie analytique isole des sensations. Une sensation isolée n'a, psychologiquement, aucune existence réelle. Il n'y a donc pas lieu de rechercher « par quelle opération de synthèse supra sensorielle ces sensations seraient unies » (Guillaume, op.cit., p. 22). Pour les gestaltistes, les choses nous apparaissent comme telles en raison de la structuration du champ perceptif. Ce n'est pas un objet isolé qui stimule l'organisme, mais un ensemble structuré. Il n'y a de perception que par la structure figure-fond, objet et entourage. Pour les gestaltistes, les faits psychiques sont d'emblée des formes, c’est à dire des « unités organiques qui s'individualisent et se limitent dans le champ spatial et temporel de perception ou de représentation » (Guillaume, p. 23). Elles sont transposables. Une partie dans un tout est autre chose que cette partie isolée ou dans un autre tout. La valeur de chaque partie est déterminée par le tout.

Phénoménologie de la forme

Phénoménologue, préoccupé du domaine du voir et de la perception, Merleau-Ponty reprend la théorie de la forme dont il s’inspire dans la Phénoménologie de la perception, mais qu’il tente de dépasser. Ainsi la perception n’est-elle pas un acte intellectuel, mais un acte réel et vécu. La perception saisit l’objet comme ici et maintenant, s’offrant à une série indéfinie de vues perspectives : avant de penser le monde, il faut en avoir l’expérience directe. Merleau-Ponty rejette la théorie du savoir acquis : la perception n’est pas une somme de parties émergeant peu à peu de l’ombre : c’est le tout qui est antérieur aux parties (cf. La psychologie de la forme). Merleau-Ponty met en évidence trois points essentiels qui, selon lui, caractérisent la perception : le corps dont le rôle est considéré comme original qui se trouve au centre de cette phénoménologie de la perception qui décrit le monde. Le corps, ce n’est pas un édifice de molécules; c’est un sujet habitant véritablement la nature : c’est le « corps propre », un ensemble de significations incarnées et présentes au monde, qu’il habite et partage avec d’autres consciences sur le mode de l’intersubjectivité ; la coexistence indissoluble du sujet et de l’objet; l’existence d’autrui.

Expérience des formes

Pour nous, la forme semble être le véhicule idéal d’une politique qui se refuse à l’expertise et soucieuse de démocratisation de l’espace public. Elle est globale, première perçue, avant toute décomposition analytique, et engage le corps total, c’est à dire un corps qui ne se situe plus dans une séparation sujet/objet, mais au contraire, un corps qui s’immerge dans son environnement. Cependant, il ne s’agit pas de revenir à une conception de la « belle forme » ou d’une forme canonique.

Note de bas de page 1 :

 Cf. Richard Shusterman, La fin de l’expérience esthétique, trad. Jean-Pierre Cometti, Fabienne Gaspari, Anne Combarnous, Publications de l’Université de Pau, 1999.

Dans ce sens, John Dewey propose dans Art as experience (ouvrage né des William James Lectures à Harvard University in 1931) une lecture de la forme1. Pour Dewey, la forme qui supporte l’expérience de la chose, l’objet ou la scène jusqu’à sa connaissance complète est comprise comme un ensemble dynamique de coordination et d’ajustement des qualités propres à l’objet, la scène ou la situation et des significations qui lui sont associées.

La forme est une des conditions de l’expérience esthétique. Cette expérience ouverte à tous (John Dewey ne la réserve pas à quelques élus) naît quand il y a unité fusionnelle des valeurs et des sens à l’approche d’un objet, d’une scène ou d’une situation.

L’expérience esthétique diffère de l’expérience ordinaire. C’est une distinction essentiellement qualitative : l’expérience esthétique nous permet de vivre plus intensément à travers l’exercice gratifiant de toutes nos facultés humaines (sensuelles, émotionnelles et cognitives) dans un tout intégré. L’expérience esthétique se démarque par la plus grande vivacité avec laquelle elle intègre tous les éléments de l’expérience ordinaire dans un ensemble attirant et évolutif qui dégage « une qualité agréablement émotionnelle » et dépasse à tel point le seuil de la perception qu’on peut l’apprécier en tant que tel. Une partie essentielle de cette appréciation est la sensation immédiate, phénoménologique de l’expérience esthétique, dont l’impression d’unité, d’émotion et de valeur est « directement enrichissante » et non pas différée afin de servir à un autre moment ou but. L’expérience esthétique, dans ce sens, ne naît pas d’une distinction sujet/objet, mais, au contraire, d’une coopération complète entre ces deux plans. Le point vital pour Dewey est que l’incorporation réciproque qu’est l’expérience esthétique est vitale : le sujet ressent sa connexion vitale aux choses et les objets deviennent de nouveau vivants ; cette incorporation tend à renouveler le sentiment de vie qu’éprouve le sujet ; l’expérience esthétique maintient « en vie le pouvoir de faire l’expérience du monde commun dans sa plénitude ». De fait cette expérience est esthétique dans la mesure où l’objet qui en émerge, en ressort, exprime cette communauté propre au sujet et à son environnement.
L’art réunit, par fonction, les conditions nécessaires à l’expérience esthétique, mais son isolement sur la scène sociale est contreproductif sur le plan politique. Il s’agit, pour Dewey, de « retrouver la continuité entre l’expérience esthétique et les processus ordinaires de la vie ».

Discuter la forme, c’est donc valoriser une expérience dans ce qu’elle a de singulier, mais également d’universel puisque le fait de sa possibilité est ouvert à tous. Cependant, une notion comme l’expérience esthétique ne suffit pas, selon nous, à créer les conditions d’une communication ou d’un partage et, donc, l’établissement d’un jugement de goût dans l’espace public. L’expérience esthétique telle qu’elle est définie procède d’une immersion dans l’environnement or les procédures d’adhésion dans l’espace public vont de pair avec l’établissement d’un sujet capable de parole. Ainsi, dans un premier temps, on rappellera en quoi l’expérience esthétique peut être un facteur de démocratisation de l’espace public ; avant de montrer dans un deuxième temps, quelles sont les passages entre l’expérience esthétique, vecteur d’attachement (à l’environnement) et le jugement esthétique comme une des modalités d’objectivation de l’expérience, qui s’associe à une capacité de détachement, dans l’espace public.

2 Expérience esthétique vs jugement esthétique

Le caractère démocratique de l’expérience esthétique opère sur trois registres : 1/ registre sociologiques 2/ registre de la perception. 3/ le registre de l'espace public

Démocratisation et expérience esthétique

« Retrouver la continuité entre l’expérience esthétique et les processus ordinaires de la vie ». Ainsi, dans la conception de Dewey, la vie et l’art s’enrichissent mutuellement par leur grande intégration. Dewey cherchait à défaire l’emprise de ce qu’il appelait la « conception muséale de l’art », conception qui érige des cloisons entre la vie vécue et l’esthétique, renvoyant celle-ci à un domaine à part, loin des préoccupations des hommes et des femmes ordinaires. Cette « conception ésotérique des beaux-arts » s’autorise de la sacralisation des objets d’art séquestrés dans les musées et les collections privées. C’est pourquoi Dewey a privilégié l’expérience esthétique dynamique sur les objets physiques qui sont identifiés et ensuite fétichisés comme « art » par les dogmes traditionnels. Pour Dewey, l’expérience et la valeur de l’art résident non pas dans les objets en tant que tels mais dans l’expérience dynamique et évolutive à travers laquelle ils sont façonnés et perçus. Il faisait la distinction entre le « produit de l’art », l’objet physique qui, une fois créé, peut exister « indépendamment de l’expérience humaine », et « l’œuvre d’art en tant que telle (c’est-à-dire) ce que fait l’objet de et dans l’expérience.

Continuités et formes

L’expérience esthétique associée à la forme permet de retrouver des continuités entre espace intime et espace public. La forme circule de l’intimité – espace secret des individus – vers l’espace public où se discute et s’établit le droit à certains jugements et à certaines réalisations. La question du cafard mêlant étroitement représentation de la ville (d’une ville propre débarrassée de tous ses « sauvages » ou de sa sauvagerie), désir d’hygiène et répulsion en partie esthétique montre à quel point il est difficile de défendre certaines causes dans l’espace public. Des individus qui laissent proliférer ces animaux dans leur espace intime prétendent faire le contraire ou sont rejetés par la communauté. Ainsi existe t-il un décalage des pratiques et des discours.

Expert ou non ?

Note de bas de page 2 :

 Cf. Bruno Latour, 2003, Faktura de la notion de réseau à celle d’attachement. Cet article est consultable en ligne sur le site suivant : http://bruno.latour.name/

L’idée d’une politique des formes est de dépasser la condition d’expert. Le(s) savoir(s) qui naissent de l’expérience esthétique sont associées à une capacité d’attachement, d’ouverture à l’esprit des lieux. L’attachement contre le détachement républicain. L’attachement contre l’abstraction moderne et le souhait de pureté ou, du moins, de purification. Bruno Latour dit2 : « levons d’abord une difficulté de principe, ou plutôt dissipons cette gêne que ressentent toujours à critiquer la notion automatique d’émancipation ceux qui sont nés le cœur à gauche. Dès qu’on s’approche de cette question, ils croient pouvoir répartir les attitudes entre celles des réactionnaires qui seraient pour l’esclavage, l’aliénation, l’attachement, le rattachement et celle des progressistes qui se feraient les champions de la liberté, de l’autonomie, de la mobilité, de l’émancipation… Or, il me semble que toute pensée des faitiches éloigne de cette gigantomachie de la liberté contre l’aliénation ou de la loi contre la licence. La question ne se pose plus de savoir si l’on doit être libre ou attaché, mais si l’on est bien ou mal attaché. »

Mais la question du bien ou mal attaché nous renseigne t-elle sur la valeur et le caractère problématique de l’attachement ? Avec un tel prisme, travaille t-on la manière de produire un monde et la pertinence de ce que cela signifie ? Si l’on pense, comme nous le pensons, qu’aucun attachement ne va de soi, qu’ils ne sont pas juste les purs produits de nos cultures qui nous les imposent, on ne peut se fier à une définition aussi lapidaire. Mais comment instruire le dossier de l’attachement ? L’entrée par l’expérience esthétique permet, partiellement, d’instruire le dossier de l’attachement ; elle valorise un mode désintéressé et source de plaisir d’attachement aux lieux et une capacité communément partagée d’un rapport à l’environnement. Car, l’on risque, à ne pas instruire ce dossier, à considérer quels sont les attachements qui prévalent à réduire la notion d’attachement à celle de connexion : qu’est-ce que voudrait dire sinon bien ou mal attaché ?

La principale observation tient au fait que la notion d’attachement va de pair avec celle de détachement, que choisir l’une aux dépens de l’autre n’a pas plus de sens que de prendre le oui sans le non. Aussi parce qu’il est une tradition de réflexion où le détachement n’est pas synonyme de pureté citoyenne et humaniste même si ce détachement aussi, vu comme un apaisement, est une faculté de prise de distance. Détachement n’implique pas alors de violence faite aux mondes composés d’êtres, de choses et de croyances mais un processus de maturation, un corps de techniques. Ainsi le détachement permet de rendre accessible ce qui nous constitue ; c’est aussi un processus d’objectivation et de valorisation de l’attachement. L’expérience esthétique associée à l’attachement et plus même à la création d’un rapport spécifique, informé aux lieux (créateur de formes), va de pair, pour sa valorisation avec le jugement esthétique, facteur d’objectivation dans l’espace public.

Ouverture de l’espace public et jugement esthétique

Note de bas de page 3 :

 Conférences prononcées à la New School for Social Research à New York en automne 1970 (Arendt 1991). Pour l’analyse de ces conférences, nous suivons à la fois le texte d’Arendt et l’excellente interprétation de Myriam Revault d’Allonnes (Arendt idem).

Note de bas de page 4 :

 Bien entendu, l’étroite proximité des deux jugements ne tient que parce que la politique est définie par Arendt comme « la mise en commun des paroles et des actes dans un espace d’apparences » (Arendt 1958)

Dans ses Conférences sur la philosophie politique de Kant3, Hannah Arendt se réfère à cette conception kantienne du jugement esthétique, c'est-à-dire la faculté de juger pour traiter du particulier, pour définir le jugement politique4. Selon Kant, le goût est un sens commun qui procède d’un rapport désintéressé au monde ; la condition de l’existence des beaux objets est la « communicabilité » qui procède du goût. Le jugement des spectateurs constitue l’espace public où apparaissent les beaux objets.

Dans la mesure où ce jugement procède d’une intersubjectivité déjà à l’œuvre, d’une capacité à communiquer, il favorise la communication d’une expérience qui, bien qu’universelle, n’est pas toujours possible à partager. Le passage au jugement esthétique relève d’une objectivation de sa propre expérience, objectivation qui prend en compte les conditions de sa formulation. Ainsi il est bien évident qu’il est plus facile de partager le plaisir d’un coucher de soleil que la vision d’objets de torture. Multiples exemples feraient l’affaire. Il y a donc bien espace public pour ce jugement. Mais si la communication entre les expériences particulières quelque soit leur universalité et le jugement demande quelque filtre (qui, comme dans le cas de la science peut être l’objet d’experts), pourquoi s’intéresser au jugement esthétique ? La réponse est double. Pour Arendt l’intérêt du jugement esthétique repose sur sa capacité à renouveler le sens de l’action, le monde commun, la durabilité, l’imprédictibilité, la passion pour la distinction (l’importance de se distinguer), le processus, la pluralité, la natalité et la confiance. Par ailleurs, le jugement esthétique s’appuyant sur l’imagination qui prépare ce jugement réfléchissant offre une capacité de résistance. Pour Kant, l’imagination est « la faculté qui rend présent ce qui est absent » (Parménide cité par Arendt 1991) et « transforme un objet en une chose à laquelle je n’ai pas besoin d’être directement confronté, mais que j’ai en un sens intériorisé » (Arendt idem). L’imagination transforme l’objet perçu en objet de représentation auquel je peux réfléchir dans un espace public potentiel ouvert à tous les points de vue. Elle « instaure le recul, le désengagement ou désintéressement requis pour apprécier quelque chose à sa juste valeur » (ibidem). Ainsi, la liberté est liée au pouvoir de l’imagination qui prépare le jugement.

3 Paysage, récit, ambiance

Jugement et expérience esthétique interviennent selon nous dans les décisions politiques et les nouvelles mobilisations. Nombre de ces dernières concernent la redéfinition du cadre politique de l’expérience esthétique et, plus particulièrement, trois thèmes : la référence au sujet qui fait retour sous la forme de l’habitant ; les « petits » territoires de vie (paysages, lieux, milieux…) auxquels le sujet est attaché ; le jugement esthétique (Kant, 1787) qui permet de justifier le combat associatif. Il nous semble que le refus de l’expertise et les conflits paysagers expriment une stratégie nouvelle d’esthétisation des espaces publics qui tire les leçons de la période précédente, caractérisée par des conflits d’expertise et s’appuie sur les liens de proximité et le jugement esthétique pour tenter de transformer l’espace public, et donc les règles du débat public.

Paysage

Dans les années 80 et 90, les contestations associatives en France furent caractérisées par l’importance croissante des enjeux d’expertises ; ce qui s’est traduit par la théorie des forums hybrides (Callon, Lascoumes, Barthe 2001) et la diffusion rapide de cette notion dans le monde de la recherche et des administrations. Une nouvelle perspective de transformation des espaces publics s’ébauche actuellement qui s’appuie sur des conflits, notamment paysagers, et s’alimente du refus multiforme d’expertises. Ils refusent l’expertise, fût-elle démocratique, aux motifs que la preuve scientifique évacue le sensible et l’imaginaire : « le paysage ce n’est pas que de la science ». Les acteurs de ces contestations critiquent « la stigmatisation NIMBY », mais ils refusent de se justifier, de monter en généralité (Boltanski, Thévenot, 1991) pour se conformer aux modèles de l’intérêt général. Ce mouvement disparate regroupe des mouvements urbains qui se battent pour promouvoir des milieux de vie urbains « riche » et des associations pour la défense du paysage. Nous nous arrêterons sur ces dernières.

La défense des paysages obéit à des motifs organisationnels et stratégiques : elle permet à des groupes d’intérêts divers de se retrouver autour d’un même enjeu. Les défenseurs du paysage utilisent la référence à l’esthétique pour justifier leur combat.

Note de bas de page 5 :

 Cet exemple et l’analyse qui correspondante reprend le contenu d’une note de travail d’Olivier LABUSSIERE, doctorant en géographie à Pau dont je codirige la thèse Géographie et citoyenneté : vers un espace public démonstratif avec Vincent Berdoulay.

Exemple 2 : le combat contre la ligne Très Haute Tension (THT) du Quercy5 en 2001.

Mise en place par un paysagiste opposant au projet, elle s’appuie sur un album photographique qui compare, pour l’ensemble du tracé, des vues sans les pylônes et des vues où les pylônes sont intégrés de manière réaliste en infographie. Cette projection esthétique doit son intérêt, non pas à la représentation des pylônes dont tout le monde connaît la silhouette, mais à sa capacité à faire exister le voisinage d’un phénomène. Cette ligne permet de rouvrir le débat sur les formes, occulté jusque-là, par la définition, sur un plan, de zones sensibles… Là où les plans désignaient un tracé préférentiel, les photos donnent à voir une ligne THT qui entre tantôt en rivalité avec les points dominants de l’espace, tantôt en en contradiction avec l’étroitesse des vallons. Plus encore, les photos replacent le projet dans un contexte signifiant, à la fois matériel et symbolique, qui forme une totalité. Là où les plans justifiaient le tracé préférentiel selon des critères de distance aux habitations et aux sites classés, les photos montrent la singularité du paysage quercynois à travers son faciès géologique, l’implantation des villages, l’enchaînement des espaces habités et non habités.

Ce développement des combats paysagers s’appuie sur une évolution législative qui installe le paysage comme un élément négocié des politiques publiques urbanistiques et environnementales (Blanc, Glatron, 2005). Le paysage figure alors comme politique publique de gestion de l’environnement.

Un paysage prétexte, mais aussi un paysage création ; puisque chaque paysage défendu correspond également à une invention identitaire qui se réclame du cadre de vie. Ainsi le cadre bucolique des pêcheurs ressemble t-il à un impossible « paysage retraite » ; le paysage sauvage de Garonne qu’évoquent les aèdes, qu’ils soient professeurs à la retraite ou simples riverains, est soit romantique, soit héroïque.

En ceci l’invention du paysage relève t-il effectivement d’une invention d’ordre esthétique ou artistique (Roger 1997). Il ne s’agit pas d’une invention cloisonnée qui fait de l’art une procédure spécifique réservé à certains et du paysage une création inspirée uniquement par la peinture paysagère (en ceci inspiré notamment par John Dewey). Les procédés de création paysagère (de métaphorisation de son cadre de vie, c’est à dire de transposition de ce qui n’a pas de sens, dans un univers de références, mêlant imaginaire et réel) sont nombreux et même s’ils ne se transforment pas et n’atteignent pas le degré d’objectivation du jugement esthétique, ou ne sont pas diffusés dans l’espace public, leur importance est indéniable. Les rapports aux milieux de vie passent, y compris dans les civilisations dépourvues de références langagières en la matière, par une recréation du milieu, suivant les trois plans : métaphorique, symbolique et langagière @. Le procédé final de mise en cohérence des différents niveaux est esthétique, formel.

Note de bas de page 6 :

 Dans cet extrait, l’auteur parlait d’un projet technique en phase de conception.

Encadré 2 : le combat contre le TGV Méditerranée dans les Bouches-du-Rhône en 1991
Le mouvement de la fédération associative CARDE qui combat le projet de TGV est animé à l’époque par M. W., un peintre de paysages. Il parvient à se constituer parce que des groupes différents s’unissent dans un certain flou autour d’un projet commun, projet qui constitue alors « une bonne agence de traduction, un bon échangeur de but » [Latour, 1992]6. Ce projet, c’est la défense du paysage, dont les multiples traductions facilitent l’intéressement des alliés de la CARDE. On peut distinguer :

  • Le paysage-jardin, unique, fragile, créé par le travail et la sueur des paysans, dans une lutte incessante contre la violence du climat et la rudesse de la terre. C’est lui qui intéresse les principaux syndicats agricoles du département ;

  • Le paysage-source d’inspiration, glorifié, recréé par les poètes et utilisé par les peintres comme outil de travail. C’est celui qui concerne le plus directement le peintre responsable du mouvement, bien qu’il parvienne à exprimer les autres dimensions du projet ;

  • Le paysage-cadre de vie, habité par les rurbains pour sa qualité et son prix abordable, élément essentiel de leur qualité de vie. C’est à lui que les associations de riverains sont attachées ;

  • Le paysage provençal aux sites prestigieux, célébrés par les peintres. C’est surtout lui qui intéresse les journalistes.

Pour le récit, deuxième terme que nous proposons de travailler, il procède de l’élaboration d’une histoire individuelle, rend compte d’une expérience singulière, particulière ; il procède d’un tissage en commun, de récits qui, progressivement, se déplaçant dans l’espace et le temps, vont fabriquer un tissu collectif. Ainsi le récit des chasseurs est repris par les écologistes qui le prolongent ou élabore une autre version. Le récit concernant le nid des cafards qui se situerait sous l’immeuble et d’où proviendrait le mal, tisse éléments métaphoriques (le « nid » des cafards), éléments symboliques – ainsi le cafard animal noir qui fuit la lumière est assimilé à l’incroyant. C’est l’étymologie de son nom – éléments réalistes liés à l’observation de son comportement. C’est une « bête » tapie dans l’ombre, prête à envahir, synonyme de l’étranger et de l’étrangeté. Keith Thomasl’évoque dans son livre où il analyse l'exclusion qui frappe certains animaux et certaines parties de l'humanité entre le XVIe et XIXe siècle. Il cite une lettre écrite par un ami des animaux en 1879 dont la maison a été envahie par les cafards : « Je déteste faire la guerre aux cafards, ils ont autant le droit de vivre que les noirs Zoulous. Mais dans un cas comme dans l'autre, que faire ? » Outre cela, si l’on en croit nos enquêtés concernant cet animal : « Quand j'en vois une, je dis zut, qu'est ce qu'il y a ? Si vous en voyez une, il y en a d'autres. Une, c'est le commencement. Pourtant, derrière ma gazinière et le frigidaire, il ne devrait pas y en avoir. J'ai ma machine à laver qui fuit, et à chaque fois qu'elle fuit, je déménage tout pour nettoyer, alors je ne sais pas d'où ça vient. Une fois j'en avais vu un qui tombait de la bouche d'aération. Il y en a peut être d'autres qui tombent et qu'on ne voit pas. Une année, on était rentré de vacances, ça grouillait sur les murs. Cela a du venir de quelque part. Les gens disent que c'est du aux arabes. D'où cela vient et comment c'est arrivé, alors là je n'en sais rien. » Le récit est un outil d’affabulation, mais aussi de communication dans la mesure où l’élaboration d’un récit partagé valorise la mise au point d’une représentation collective des lieux. La condition formelle de la réussite d’un récit, représentation collective de la vie dans ces lieux, est une certaine cohérence stylistique, mais aussi sa capacité à intégrer le maximum d’événements locaux donnant au récit son réalisme, sa crédibilité. On note dans ce cas l’efficacité de l’imaginaire : les évènements, comme la présence des étrangers dans la cité, ainsi que le fait que la cité ait, soi-disant, été construite sur un marais, indépendamment des liens de causalité, entrent en résonance les uns avec les autres, s’enrichissent mutuellement. Le récit collectif fait intervenir toutes ces dimensions de la réalité locale, l’orientation finale du récit dépendant étroitement de l’ensemble de ces conditions, mais aussi d’une prédétermination formelle. Ainsi, il est impossible que la présence du cafard dans les immeubles d’habitat social contribue à une version positive de la vie dans cet endroit. La multiplication des lieux de parole et des conteurs dans les villes, ainsi que l’importance prise par le théâtre dans les espaces en crise montre l’intérêt porté à ces stratégies narratives.

La description d’ambiances correspond à la restitution d’un vécu des lieux : ainsi « chaque ville s’incarne dans une expérience particulière », explique Jean-Paul Thibaut et Rachel Thomas. Du point de vue de la forme, l’ambiance est notion qui intègre différentes dimensions sensorielles ; elle cherche dès lors, à en restituer la richesse évoquant cette richesse : « si l’ambiance convoque dans tous les cas une expérience sensible, celle-ci repose sur des attitudes perceptives variées. Qu’il s’agisse de Moscou, de Las Vegas ou de Los Angeles, ce sont des manières d’être dans la ville distinctes qui sont suscitées. » Du point de vue de la forme, « toute fois dans tous les cas, l’ambiance n’est pas à priori posée ou définie une fois pour toutes, il s’agit dans tous les cas d’inventer un mode d’expression en adéquation avec l’expérience de la ville elle même. C’est à cette condition seulement que l’ambiance émerge ; quand le style d’écriture prend le relais des manières de ressentir la ville… » La forme n’émerge seulement quand il y a « articulation de la partie au tout, des fragments à la ville entière… » En outre, « à chaque ville semble associée un rythme d’ensemble qui assure l’unité et la cohérence de l’ambiance. C’est sans doute à ce niveau que s’articulent des plans aussi différents que ceux de la sensorialité, de l’affectivité, de la mobilité et de la sociabilité. »

La notion d’ambiance prend en considération la difficulté à synthétiser ses impressions et du décalage de celles-ci avec, parfois, la réalité vécue. Mais c’est probablement dans ce décalage, cette difficulté vécue à restituer l’ambiance que se joue l’individualité et la singularité du corps du narrateur. Une singularité dont rend compte le récit spécifiant un mode d’existence dans la ville, mais qui doit être saisissable par tout lecteur. Ainsi en est-il du récit de Céline concernant sa banlieue parisienne dans Mort à crédit (p. 50) : « Elle demeurait au bout d’Ivry à peu près, rue des Palisses, une ébauche, au milieu des champs. C’était une cabane. On profitait de notre sortie pour aller la stimuler. Jamais elle n’était prête à l’heure. Les chiens étaient féroces et râleuse comme on oserait plus. Je l’aie vue chialer chaque soir ou presque, ma mère, à cause de son ouvrière et des dentelles qui revenaient pas. Si elle boudait notre cliente après son accroc de Valenciennes, elle revenait pendant plus d’un an.

La plaine au delà d’Ivry, c’était encore plus dangereux que la route à la tante Armide. Y avait pas de comparaison. On croisait parfois des voyous. Ils apostrophaient ma mère. Si je me retournais, je prenais une tarte. Quand la boue devenait molle, si visqueuse qu’on perdait ses godasses dedans alors c’est que nous étions plus loin. La bicoque de Madame Hérode dominait un terrain vague. Le clebs nous avait repérés. Il gueulait tout ce qu’il pouvait. On percevait la fenêtre… » Ce passage concerne l’ébauche de ville qu’est la banlieue à cette époque. Les modalités narratives du récit, l’auteur parle à la première personne, il se décrit au fur et mesure de la progression de l’action, en font un récit auquel le lecteur peut s’identifier, se comprenant tout à la fois comme le personnage principal et la narrateur qui met en perspective cette scène de l’enfance. Il incorpore différents éléments dramatiques et, notamment, les éléments d’un drame personnel que chacun aurait pu vivre voire même se souvient d’avoir vécu : le narrateur manque glisser dans la boue et se repère relativement à ce moment. Là il sait où il se trouve. Il semble donc que c’est un récit modifiable à tout moment, où chacun peut dire « non, je n’ai pas manqué glisser ! » L’ambiance est donc le produit d’une restitution singulière qui s’articule avec une mise en situation.

4 Métaphore(s)

Nous ne visons pas l’esthétique, au sens de considérations sur la beauté, mais l’esthétique comme opérateur de nouvelles figurations du réel, et de nouveaux liens entre monde naturel et monde social. La métaphore est, sans aucun doute, saisie esthétique. Pour Arendt (1978) : « Analogies, métaphores et emblèmes sont les fils par lesquels l’esprit retient le monde y compris quand il a perdu tout contact avec lui… Ils représentent la garantie de l’unité de l’expérience humaine. En outre, dans un processus de pensée, ils servent de guides pour permettre de trouver notre direction de peur que nous n’errions aveuglément parmi les expériences où nos sens à défaut de connaissance certaine ne peuvent nous guider. Le simple fait que notre cerveau soit capable de trouver de telles analogies, que le monde des apparences nous rappelle des choses qui ne le soient pas, peut être vu comme une sorte de preuve que le l’esprit et corps, la pensée et la sensibilité, l’invisible et le visible, sont faits pour vivre ensemble… »

La métaphore est un mode de jaillissement de l’impromptu. Voie de création et d’innovation, elle permette de juxtaposer, de relier, nous y reviendrons, des mondes apparemment dissemblables, d’orner de chair l’idée, de lui donner une vraisemblance et une réalité.

La métaphore est donc un lien et même l’une des modalités du tissage des liens entre monde naturel et social comme le montre la citation de Keith Thomas. Ce lien, cette mise en relation des mondes, est essentiel au fonctionnement des sociétés. Keith Thomas, 1985,p. 77 et p. 249 : « Les travaux de nombre d'anthropologues donnent à penser que c'est une tendance permanente de la pensée humaine de projeter sur le monde naturel (et en particulier sur le règne animal) des catégories et des valeurs provenant de la société humaine, puis de s'en resservir pour critiquer ou renforcer l'ordre humain, en justifiant quelque disposition particulière, sociale et politique, par la raison qu'elle est d'une certaine manière plus « naturelle » que toute autre à sa place ». Les catégories qui sont mis en œuvre pour classer le monde animal sont étroitement parallèles à celles qui sont utilisées pour classer les végétaux (p. 254) : les bêtes sont divisées entre celles qui sont sauvages, à apprivoiser ou à éliminer, les domestiques, à exploiter, et les animaux familiers, à aimer ; le monde végétal comprend les forêts, sauvages, les plantations ou vergers, domestiques, et les parcs d'agrément.

Enfin, il existe un univers métaphorique qui permet de faire de celui-ci un « pont suspendu au dessus du réel » d’en rendre la profondeur illusoire et donc, la vérité ; voire la fragilité. La métaphore est un langage profondément déceptif en ceci que ce qu’elle donne à voir n’est jamais que le produit d’un imaginaire et ne repose sur aucune réalité scientifique. Elle est de l’ordre du poétique et renvoie avant tout à l’expérience esthétique. Le jugement qui confère à telle ou telle métaphore un statut plus important, au point que certaines métaphores semblent tissées d’évidence comme le coucher du soleil, est un jugement qui reconnaît cette universalité de l’expérience esthétique.

La métaphore comme ouverture d’un lien au réel, comme possibilité de construction d’une valeur (car en attribuant à un terme un autre terme, on ne fait pas qu’enrichir la description du premier terme, mais bien une valeur), valorise non seulement un autre type de saisie du réel, mais aussi une conscience des relations qui unissent à l’environnement. Ainsi est-il possible de lier esthétique et morale (Cf. Hutchinson), par la prise de conscience d’une relation plus ou moins plaisante au monde. L’expérience esthétique et sa montée en généralité dans l’espace public via le jugement esthétique fonctionnent comme des expériences de réattribution de la valeur à partir des individus bottom-up. En ceci la métaphore opère comme un lien cosmique.

Conclusion

Notre propos est de s’opposer aux dogmes d’une esthétique classique qui consiste à séparer art et vie :1/l’objectivité : l’art est composé d’objets vs l’art est une relation ; 2/séparation : ces objets possèdent uns statut spécial vs tout objet peut être doté des qualités qui lui confèrent une spécificité esthétique et 3/ désintéressement : ces objets doivent être regardés d’une manière spécifique vs qu’arrive t-il quand on considère que tous les objets sont susceptibles d’être regardés de cette manière ?
Ce travail va dans le sens d’une esthétique participative qui vise à faire l’habitant un acteur compétent des politiques publiques d’aménagement.

Note de bas de page 7 :

 Philippe Pinchemel,1984, pp. 15-16.

Il existe au moins deux registres disciplinaires que ces recherches peuvent intéresser : la géographie, science du concret et du sensible (même si celui-ci est souvent uniquement visuel) et les sciences politiques pour lesquelles la constitution d’un nouvel acteur, l’habitant, et de nouveaux critères de montée en généralité, peuvent être déterminants.
Selon P. Pinchemel 7, la géographie substitue dans les années après guerre « au visible, l'étude de l'invisible, au stable, au durable, le dynamique, le mobile, au contingent, à l'exceptionnel, le général, l'universel, au morphologique, le fonctionnel, à la grande échelle, la petite échelle (de l'étude intra-urbaine à l'étude inter-urbaine), à l'explicite, l'implicite ». Dans les années 1970, le développement d’un intérêt pour les représentations sociales, à l’origine de formes urbaines, par exemple, (Rimbert 1973). et pour l’espace vécu (Bailly 1980) explique, en partie, la réapparition d’analyses morphologiques. Le paysage urbain est considéré comme le reflet d’idéologies sociales : « Construire une ville, c’est répartir dans des formes architecturales et urbanistiques certaines conceptions de la société. » Dès lors, un champ de recherche s’ouvre portant sur la place des représentations dans l’espace public ; les travaux de sciences cognitives s’inscrivent dans cette évolution, semble t-il. La forme, pour le géographe, est surtout du domaine de visible, du paysage. Peu de travaux consacrent l’invisible, l’odeur par exemple, comme à intégrer dans le monde des formes.