Entre le paysage-existence et le paysage-expérience, le paysage-itinérance

Madeleine Griselin

Université de Franche-Comté

Sébastien Nageleisen

Université de Franche-Comté

Serge Ormaux

Université de Franche-Comté

https://doi.org/10.25965/as.3441

La véritable offre de paysage n’est pas liée à un espace aréolaire, isotrope et statique mais elle se déploie le plus souvent dans la pratique du déplacement, de l’itinérance. Certes le choix d’un trajet et d’un mode de déplacement est déjà le résultat d’une projection du sujet à travers ses représentations et ses expérience sensibles antérieures, mais il apparaît que même déterminé par l’expérience, l’exercice du déplacement va filtrer fortement les conditions de conversion du paysage-géographie en paysage-expérience.
Depuis plus de trente ans, sous la houlette de Jean-Claude Wieber, les géographes bisontins, ont développé une approche systématique de l’analyse paysagère d’entités surfaciques. Depuis quelques années, certains d’entre eux se sont penchés plus spécifiquement sur l’évaluation des paysages au long d’entités linéaires, en se plaçant dans la situation de leurs utilisateurs potentiels.
Pour caractériser le paysage au long d’itinéraires, il convient d’avoir un regard d’ensemble, le moins subjectif possible, tout en réduisant la somme d'informations pour alléger les traitements. Nous illustrerons ici la démarche à travers l’exemple du chemin de Saint-Jacques entre Besançon et Compostelle, pour lequel nous tenterons également l’évaluation d’une certaine sensibilité des utilisateurs au paysage.

Index

Articles des auteurs de l'article parus dans les Actes Sémiotiques : Madeleine Griselin, Sébastien Nageleisen et Serge Ormaux.

Mots-clés : analyse systématique, itinéraire, paysage, paysage visible, photographie au sol, sensibilité au paysage

Plan
Texte intégral

Introduction

Le concept de « paysage visible » (cf la communication de Brossard et Joly) parie sur une matérialité paysagère caractéristique d’un espace donné et accessible par la mobilisation d’une information de nature physionomique. Si l’on considère que cette matière première paysagère est convertie en paysage-existence au sein d’un processus complexe et rétroactif, il est important de préciser que la véritable offre de paysage n’est pas liée à un espace aréolaire, isotrope et statique mais qu’elle se déploie le plus souvent dans la pratique du déplacement, de l’itinérance. Or, celle-ci implique la prise en compte d’un plan d’information intermédiaire entre celui d’une géographie régionale des paysages et celui des expériences sensibles proprement dites.

Cette option s’impose pour trois raisons fondamentales :

  • parce que le cheminement suppose le chemin, c’est-à-dire un linéament qui sélectionne et met en chaîne certains points de l’espace général ;

  • parce que selon le type de chemin et de cheminement, la disponibilité du cheminant au paysage n’est pas de même nature ;

  • parce que le chemin lui-même élément du paysage conditionne la vision sur le paysage environnant.

Certes le choix d’un trajet et d’un mode de déplacement est déjà le résultat d’une projection du sujet à travers ses représentations et ses expérience sensibles antérieures, mais il apparaît que même déterminé par l’expérience, l’exercice du déplacement va filtrer fortement les conditions de conversion du paysage-géographie en paysage-expérience.

Si l’on transfert ce constat dans le domaine des photographies de paysage prises depuis le sol, on peut faire émerger un niveau d’information hybride : ni le corpus de clichés échantillonnés selon une grille qui couvre l’espace bidimensionnel, ni la collection de clichés établie par le touriste ou le pèlerin au long d’un chemin en fonction de son inspiration, mais un échantillonnage systématique linéaire fondé sur un pas spatial ou un pas temporel le long de l’itinéraire en question. On prendra ainsi en compte l’espace potentiellement offert à la vue d’un utilisateur depuis une entité linéaire. Les banques d’images obtenue de cette manière offrent alors d’intéressantes possibilités d’analyse, autour des enchaînements de séquences paysagères, des rythmes, des profondeurs de champ.

Depuis plus de trente ans, sous la houlette de Jean-Claude Wieber, les géographes bisontins, ont développé une approche systématique de l’analyse paysagère d’entités surfaciques. Depuis quelques années, certains d’entre eux se sont penchés plus spécifiquement sur l’évaluation des paysages au long d’entités linéaires, en se plaçant dans la situation de leurs utilisateurs potentiels : une thèse sera soutenue cette année sur le thème « Paysage et déplacements ».

Divers tests ont été réalisés sur des terrains variés ((itinéraires culturels, chemins de grande randonnée, rivières parcourues au fil de l’eau, routes, autoroutes, voies ferrées, etc.), et à des échelles très différentes (de 10 à 2 000 km), études fondamentales ou applications (aide à la décision dans le choix d’un tracé d’itinéraire pédestre en Franche-Comté, étude paysagère de la vallée de l’Ognon à des fins de développement touristique). Tantôt l’on s’intéresse à un itinéraire pour lui-même (le chemin de Compostelle, la Via Francigena), tantôt on appréhende différents réseaux d’un espace donné (la région Franche-Comté à travers ses routes, autoroutes, voies ferrées et chemins ; la France vue depuis ses autoroutes).

Figure 1 – Paysage et itinéraires : quelques exemples de linéaires abordés

Figure 1 – Paysage et itinéraires : quelques exemples de linéaires abordés

Pour caractériser le paysage au long d’itinéraires, il convient d’avoir un regard d’ensemble, le moins subjectif possible, tout en réduisant la somme d'informations pour alléger les traitements. Comme pour une entité surfacique, il faut échantillonner d'abord l’itinéraire parcouru, et, en chaque point ainsi déterminé, rendre compte, des 360° de la vision grâce à un échantillonnage angulaire (Fig. 2).

Figure 2 – L'échantillonnage linéaire et l'échantillonnage angulaire sont adaptés à chaque cas

Figure 2 – L'échantillonnage linéaire et l'échantillonnage angulaire sont adaptés à chaque cas

D’autres publications font état des différents protocoles mis en œuvre dans ces études paysagères (cf biblio) : nous illustrerons ici la démarche à travers l’exemple du chemin de Saint-Jacques entre Besançon et Compostelle, pour lequel nous tenterons également l’évaluation d’une certaine sensibilité des utilisateurs au paysage.

1. Les paradoxes du paysage

Les chemins de Compostelle, premier itinéraire culturel européen, classés au patrimoine mondial de l’Unesco sont l’objet d’un engouement récent : 1 500 pèlerins-piétons en 1985, 75 000 en 2003, près de 200 000 en années saintes (1999, 2004). Les multiples ouvrages, guides, topo-guides, cahiers de souvenirs et d’impressions qui paraissent depuis quelques temps autour du phénomène Compostelle sont révélateurs de cette tendance. La plupart accordent l’essentiel de leur propos aux vestiges architecturaux de l’itinéraire. peu de ces ouvrages en revanche s’intéressent aux paysages,  ce qui peut étonner quand l’immense majorité des pèlerins contemporains, croyants ou non, donnent dans leurs toutes premières motivations de départ « la beauté des paysages ».

Les paysages traversés constituent une matière première importante de l’expérience spatiale vécue par le pèlerin-marcheur au cours de son cheminement. Le pèlerinage à pied est une rare occasion d’exercice long et continu d’un regard disponible au paysage. Le paysage est jusqu’alors peu présent dans l’iconographie de l’abondante littérature consacrée aux chemins de Compostelle … et quand il l’est, c’est le plus souvent à travers quelques morceaux choisis que tous les ouvrages exhibent : l’Aubrac, la montée à Roncevaux, la Meseta espagnole.

La disponibilité du pèlerin-marcheur au paysage est pourtant forte, liée au caractère pédestre du déplacement. Le regard du marcheur est par essence beaucoup plus mobile et plus libre que tout autre, jouant à l’infini sur l’arrêt momentané, la rotation à 180°, le zoom sur un détail ou la variation d’inclinaison du regard.

Ce regard est aussi très sélectif. Une puissante machinerie de tri des perceptions, des interprétations et des mémorisations  est gouvernée par les représentations du marcheur, ses attentes, ses espoirs. Récemment, un pèlerin de Compostelle publia un ouvrage de photographies paysagères au retour de son voyage (Grégoire, 1998) ; mais avant de les livrer il retoucha ses images, grâce à un outil informatique, et élimina des clichés les objets qui rappelaient, selon lui, trop nettement l’époque actuelle (pylônes et les lignes électriques). Au-delà de l’anecdote, l’épisode est révélateur à plus d’un titre, d’autant qu’il n’est pas isolé. La plupart des collections de photos souvenirs constituées par les pèlerins évitent l’irruption de la modernité dans la scène paysagère. Il semble que sur un chemin patrimonial tel que celui de Compostelle, le paysage, quand il a droit de cité, doive, plus encore que dans tout autre contexte, accéder à une sorte d’a-temporalité et de classicisme esthétique.

2. L’établissement du référent

Pourtant il existe  bien une matérialité paysagère, diverse, foisonnante, riche d’héritages des passés, riche également des marques du présent, maladroites souvent, révoltantes parfois, magistrales aussi, mais toujours authentiquement humaines, au même titre que celles d’autrefois.

Les paysages qui se déroulent le long d’un tel itinéraire ne constituent certes en rien une entité territoriale, ce qui les relie c’est le chemin, ou même de façon plus abstraite, le trajet qui, à la manière d’un graphe, met en relation des entités ou des valeurs. Mais cette seule réalité, si ténue soit-elle, suffit à justifier que l’on cherche à connaître l’ensemble, à analyser le déroulement paysager de l’itinéraire. Pour les pèlerins au moins, ce déroulement séquentiel existe et fait sens, c’est celui-ci et pas un autre, et s’il ne constitue pas un territoire, il donne lieu à une expérience spatiale et cela suffit à lui conférer une réalité.

Le paysage est une relation entre un sujet et un objet, relation qu’il est difficile, voire impossible, de comprendre si on ne prend pas en compte la dimension objectale du paysage. Pour ce faire, il s’agissait donc de qualifier et quantifier le paysage de cette route culturelle.

De juillet à novembre 1999 a été menée, en conditions réelles de marche, une étude paysagère du chemin de Compostelle le plus fréquenté en France (Le Puy - Roncevaux par le GR65)  et en Espagne (Camino Frances et sa prolongation jusqu’au cap Finisterre) ; on y a adjoint l’étude d’un tracé jacquaire « néo-historique » (Cluny - Le Puy) et le tronçon Bonboillon - Cluny, appartenant depuis 2004 à un nouveau chemin de Compostelle desservant l’est de l’Europe (Strasbourg-Belfort-Cluny), (Griselin et Nageleisen, 2002).

Au total, 2 100 km de parcours ont été étudiés selon un protocole d’échantillonnage par photographies au sol réalisées toutes les 30 minutes de marche effective, le temps étant la référence habituelle des déplacements en randonnée. En chaque point, quatre clichés ont été pris : deux dans l’axe de la marche (devant, derrière) et deux perpendiculairement à celui-ci (Griselin, 2003). Une banque de 3 776 photos pour 944 points d’échantillonnage correspondant à 110 jours de marche constitue donc le référent paysager du chemin..

Tout aussi objective et systématique doit être ensuitel’analyse des clichés (présence-absence de certains objets, ampleur dimensionnelle du paysage, organisation scénographique du paysage, etc.). Toutes ces précautions observées lors de la collecte permettent d’établir une matrice d’information paysagère qui constitue le paysage potentiellement visible. À la photographie au sol s’ajoute l’information dite « du dessus » que l’on peut tirer de façon systématique des représentations projectionnelles (image satellite, modèle numérique de terrain [MNT], occupation du sol [Corin Land Cover]). Le référencement dans l’espace (latitude, longitude, altitude) du tracé et des points photo facilite le croisement des deux sources de données. C’est en fait toute une filière de mobilisation de l’information paysagère qui est mise ici au service de la connaissance des grands itinéraires.

3. Le chemin de Compostelle : une réalité géographique qui contredit le mythe

Si l’analyse concerne le chemin dans son intégralité, les 2 100 km d’itinéraire pris en compte ont été fragmentés en tronçons reprenant les grandes unités des topo-guides ou correspondant aux usages des marcheurs effectuant le voyage de façon morcelée.

• Statut du chemin

La première information tirée de la photographie concerne le statut du chemin, donnée impossible à extraire des cartes. Quatre types de revêtement ont été définis : « routes et rues » rassemble tous les points au revêtement asphalté (routes, rue, trottoir), quelle que soit la taille de l’axe considéré ; « chemins carrossables » prend en compte les axes non asphaltés (empierrés, de terre, terre et herbe, tout en herbe) qui peuvent être empruntés par un véhicule ; « pistes piétonnes » correspond aux voies non carrossables, avec ou sans revêtement, spécialement tracées en Espagne et s’oppose à « sentiers », axes pédestres plus traditionnels.

La spatialisation de l’information concernant le statut du chemin (fig. 1) va d’emblée à l’encontre des idées reçues. En fait de chemin, 50 % des points montrent un revêtement asphalté et ce encore plus en France qu’en Espagne. Cette dernière se distingue par les pistes, particulièrement importantes entre Burgos et Astorga : en Espagne, le choix a été fait de doubler l’axe « historique » (devenu route, voire autoroute) de pistes assurant la sécurité des pèlerins. À l’inverse, la France a davantage développé des sentiers de randonnée en complément des chemins carrossables, le tronçon le plus sauvage étant sans conteste le très mythique Le Puy-Conques-Figeac incluant l’Aubrac.

Figure 3 – Statut du chemin au lieu des prises de vue

Figure 3 – Statut du chemin au lieu des prises de vue

• Le paysage

Si l’on prend en compte à présent les objets du paysage, on peut, cliché par cliché, relever en présence-absence, l’eau, l’habitat, les forêts, les cultures, etc. Seuls 3,3 % des 4 000 clichés montrent de l’eau ; cela correspond à 7,7 % des points, dont un sixième en bordure de la mer : le chemin de Compostelle est décidément un chemin « de la terre ».

Figure 4 – Analyse par cliché : quelques exemples de cartes thématiques

Figure 4 – Analyse par cliché : quelques exemples de cartes thématiques

En ce qui concerne la profondeur de champ sur chaque cliché, là s’effondre le mythe des grands espaces offerts par le chemin : la vue est arrêtée entre 0 et 100 m sur 37 % des clichés (13 % à moins de 10 m) ; 37 % également ont une profondeur de champ très moyenne (100 à 1 000 m) ; 20 % offrent des vues longues (1 000 à 5 000 m) mais seulement 6 % dépassent 5 000 m. La plupart des représentations dans les livres montrent des paysages très ouverts, des vues très longues et dégagées, quand l’ordinaire du chemin est constitué de vues très courtes à moyennes, donnant souvent une sensation d’enfermement total ou de couloir.

S’il est relativement facile de comptabiliser les critères cliché par cliché, il est plus complexe de synthétiser l’information en chaque point : pour chaque critère, une valeur unique intègre les données issues des quatre vues du point. Par exemple, pour imparfait et réducteur qu’il soit, le nombre moyen de plans en chaque point est un indicateur de la variation de la profondeur de champ, donnée capitale de la scénographie paysagère.

L’analyse globale (scénographie et objets) des quatre clichés de chaque point permet d’établir une typologie des paysages du chemin. Onze types ont été définis, de l’immersion en forêt aux vues très longues, en passant par les couloirs, les balcons, les vues accidentées, la présence d’eau ou d’habitat. La figure 3 met en relation ces types de paysages, la profondeur de champ et le profil d’altitude.

L’opposition globale est très nette entre un itinéraire français plus fermé, plus varié, et un chemin espagnol caractérisé par des vues longues et l’importance des villes. Chaque tronçon est bien individualisé, on retrouve en Galice (Astorga-Santiago) les caractéristiques plutôt françaises d’un chemin moyennement ouvert mais varié. Le marcheur reconnaîtra dans ces classifications les grands espaces plutôt ennuyeux de la Castille, la magie du tronçon Le Puy-Figeac liée à l’équilibre entre forêt fermée, relief marqué et vues en balcon. Le très mythique Aubrac (20 km), salué par tous comme « sublime », semble ne devoir sa spécificité qu’à la seule rythmique des variations, alternance rapide de paysages ouverts et de portions fermées, dans un espace duquel l’habitat urbain est totalement exclu.

Figure 5 – Types de paysage et profondeur de champ aux point de prise de vue, en relation avec l’altitude

Figure 5 – Types de paysage et profondeur de champ aux point de prise de vue, en relation avec l’altitude

À la photographie au sol s’ajoute l’information que l’on peut tirer du croisement des données d’altitude du modèle numérique de terrain (MNT) et de celles de la couverture du sol (Corine Land Cover). L’analyse pixel par pixel des espaces vus depuis chaque point (360°) donne un comptage très précis des portions de paysage potentiellement visibles et de leur composition.

4. Approche des représentations

Qu’en est-il de la sensibilité des utilisateurs aux paysages rencontrés ? Tous les marcheurs au long cours sur un itinéraire comme les chemins de Compostelle passant au même endroit (au mètre près), il est possible d'appréhender leur sensibilité au paysage en effectuant des comptages sur les collections de photographies qu’ils rapportent.

Les albums photos de deux personnes ayant marché sur le même tronçon (Bonboilon-Cap Finisterre) et à la même période que celle du relevé référentiel – ont été pris en compte : des 8 000 clichés de ce double album ont été extraites les photos de paysage.

Figure 6 – Sensibilité au paysage sur le chemin de Compostelle entre la Haute-Saône et Santiago :  relation entre le nombre de clichés paysagers par jour de marche dans deux albums personnels, la météo et le profil altitudinal du chemin

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Au bout des 104 jours de marche, alors que les deux photographes ont des sensibilités bien différentes, on parvient à des pourcentages très similaires dans les deux collections. Les vues de paysage représentent respectivement 47 et 43 % du total des clichés de chaque album : en moyenne, nos marcheurs ont photographié le paysage 10 fois par jour pour l'un, 22 fois pour l'autre. Ces moyennes masquent une grande disparité dans l'espace et dans le temps, puisque, certains jours, on compte jusqu'à 150 clichés paysagers chez l'un et 80 chez l'autre.

Mis en parallèle avec les conditions météorologiques journalières, le décompte des photos de paysage montre une indifférence presque totale aux conditions climatiques ambiantes.

En revanche, si l'on surimpose aux comptages de clichés paysagers le profil altitudinal du chemin parcouru, on note les mêmes variations dans les deux albums, variations strictement liées au dénivelé : les montées aux trois points culminants de l'itinéraire se détachent nettement (traversée des Pyrénées, de l'Aubrac, montée à la Cruz del Ferro), tout comme, à un degré moindre, toute montée marquée. La vallée du Célé, option très accidentée où l'on chemine plusieurs jours durant tantôt en balcon de falaise tantôt en fond de vallée, provoque une augmentation sensible du nombre de clichés paysagers chez les deux photographes ; il en est de même pour l'arrivée sur la Meseta de Castille et, d'une manière générale, pour l'apparition au regard du marcheur des grands massifs ou de la mer, véritables “ morceaux choisis ” (et impatiemment attendus) de paysage.

Bien que limitée à deux albums seulement, cette observation révèle une sur-représentation identique à celle trouvée dans les guides et ouvrages concernant ce chemin de Compostelle par la voie du Puy. La comparaison avec d'autres albums personnels – notamment ceux de voyageurs de cultures différentes – permettrait d'approfondir cette tentative d'évaluation d'une forme de sensibilité au paysage.

Conclusion

Les marcheurs contemporains vers Compostelle rapportent des photos des paysages rencontrés ... rien que de bien ordinaire, ce chemin de Compostelle offre à la vue des paysages plutôt communs dont l’alternance, le rythme des variations créent la spécificité locale. À son retour, le pèlerin-marcheur reconnaît la générale banalité des paysages que confirment les quantifications effectuées : on est rarement dans des sites remarquables, on est exceptionnellement dans des situations laissant à penser que « les pèlerins d’antan ont dû voir ce même paysage ». Ce paysage des chemins de Compostelle correspond-il aux attentes des marcheurs au long cours contemporains ? Il est en tout cas un patrimoine paysager linéaire, qui n’a de sens que dans la continuité : rien d’extraordinaire dans les paysages rencontrés, mais une traversée de deux pays au pas de promenade qui contribue à sublimer l’ordinaire. Les chemins contemporains de Compostelle, davantage liés aux impératifs actuels de la randonnée pédestre qu’à un héritage historique avéré, ne constituent pas un paysage culturel spécifique mais sont l’objet d’un véritable culte du paysage de la part de leurs utilisateurs.