Une science sans image est-elle possible ?

Jean-François Bordron

CeReS, Université de Limoges

https://doi.org/10.25965/as.2772

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Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : démonstration, image, relation

Auteurs cités : ARISTOTE, Henri BERGSON, Michel Bitbol, Rudolf Carnap, Ernst CASSIRER, René Descartes, Nelson GOODMAN, Louis HJELMSLEV, Edmund HUSSERL, Emile Meyerson, Charles Sanders PEIRCE

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Texte intégral

Nous nous sommes demandé dans des travaux antérieurs s’il existait quelque image que l’on puisse dire « scientifique » ou si l’on ne pouvait faire état que d’usages scientifiques des images. La dialectique entre le genre et l’usage est d’autant plus complexe qu’un genre finit toujours par émerger d’un usage, de telle sorte qu’il est difficile de savoir quelle est la cause et quel est l’effet.  Il nous semble maintenant qu’une réponse même approximative à cette question devrait passer par un travail intermédiaire qui consisterait à rechercher s’il peut exister une science sans image ou du moins, sans l’usage d’une image à quelque moment que ce soit de l’élaboration de cette science.

Note de bas de page 1 :

 Maria Giulia Dondero, « Image scientifique et énonciation du temps », Visible n° 5 Images et dispositifs de visualisation scientifique, Dondero et Miraglia dirs, Pulim, Limoges, 2009

La réponse à cette question dépend beaucoup de ce que l’on appelle une image mais également de la façon dont on conçoit la place de celle-ci dans l’acte de connaître et dans l’objet de la connaissance.  Beaucoup d’épistémologues en effet pensent que la science n’a pas à connaître des entités, comme le sont les objets du sens commun, mais des relations. Or la notion de relation se prête mal à une figuration iconique, même si l’on pense aux diagrammes au sens que Peirce a donné à ce terme. De plus, notre imagination résiste beaucoup devant la nécessité de se représenter le monde comme un système de relations, même si les raisonnements qui conduisent à cette nécessité nous paraissent satisfaisants. D’un certain point de vue, le monde physique nous apparaît bien comme une image et nous pouvons voir, ou croire voir, des planètes, des galaxies, les cellules d’un organisme qui, en image, se présentent comme des entités du sens commun. En même temps les équations physiques nous offrent essentiellement des relations entre des grandeurs (énergie, temps, espace) qui ne semblent pas figurables du moins au sens courant du terme. Nous pouvons bien sûr substituer aux variables, comme les variables de masse, des entités imaginables, mais ce n’est là qu’un artifice qui peut sembler n’avoir aucune nécessité sur le plan de la connaissance. On a montré cependant que certaines réalités cosmiques, comme les trous noirs par nature invisibles, pouvaient donner lieu à des images mathématiques possédant une valeur expérientielle1. Toute la question est donc de savoir où se situe exactement la nécessité de l’image, si elle existe, lorsque l’on a affaire à une connaissance qui ne rapporte pas seulement à des entités par elles-mêmes figuratives, ou transformables en figures, mais à ce qui au premier abord semble justement inimaginable. Pensons par exemple aux notions pourtant familières de force, d’attraction, de vitesse, de champ qui, de ce point de vue, restent énigmatiques.

Nous ne discuterons pas de la définition que l’on peut fournir de l’image. Nous admettrons simplement qu’une image, quel que soit le support qu’elle puisse avoir, y compris les supports mentaux, est essentiellement assimilable à une forme et une matière stabilisées. Une image se définit donc par son iconicité, terme qui peut recevoir des interprétations figuratives ou abstraites, l’iconicité mimétique n’étant qu’un cas très particulier sur lequel il n’y a aucun sens à fixer particulièrement l’attention.

Nous nous intéresserons à deux problèmes qui semblent pouvoir apporter un début de réponse à la question générale de la mise en figure.

Note de bas de page 2 :

 Emile Meyerson, Identité et réalité, [1907],Paris, Vrin, 1951.

1- Une théorie scientifique peut-elle se passer d’image, et cela à tous les niveaux de son élaboration ? On cite en général la mécanique quantique comme l’exemple même de théorie irreprésentable, quelquefois pour suggérer qu’il s’agit d’une déficience qu’il est imaginable de pallier un jour. Nous nous en tiendrons à un exemple plus simple, celui de l’histoire des théories mécanistes. Nous suivrons  le développement de ces théories  tel que les raconte Emile Meyerson2. Il apparaît qu’il s’agit au fond d’un conflit d’image ou, si l’on veut, d’un conflit de représentation beaucoup plus que d’un conflit de nature logique.

2- L’image est-elle une image des choses ou une image de notre relation aux choses ? Existe-t-il finalement des images de choses ou seulement des images de relations ? Quel statut peut-on donner à l’image dans un univers de relations ? On remarquera que cette question, de nature partiellement ontologique, pourrait aussi être posée dans le cadre de la linguistique saussurienne.

1- L’image médiatrice

Une réflexion préliminaire peut nous être fournie en interrogeant le rapport que nous entretenons avec le monde de la vie, au sens que Husserl a donné à ce terme. Peut-on dire que l’attitude scientifique, qui émerge de notre vie sensible et intellectuelle, possède avec ce monde un rapport nécessitant toujours une image au même sens que celles que nous fournit nécessairement le monde de la perception ? Le monde perçu n’étant pas un monde de symboles, comment peut-on penser que puisse s’en extraire un univers scientifique dont la réalité tiendrait toute entière dans une écriture ? Cette dernière hypothèse est sans doute pensable mais paraît exiger que notre relation au monde soit celle d’une pure extériorité, ce que nous pensons et nous vivons étant radicalement indifférent au monde dit objectif. En un mot la relation que nous entretenons avec le monde, la relation du sujet à l’objet, serait purement externe, au sens où l’on dit qu’une relation est externe si la disparition d’un des termes n’entraîne pas celle de l’autre.

Au contraire, si les termes que sont le sujet et l’objet sont inséparables, s’il s’agit entre eux d’une relation interne, ou si l’on préfère d’une relation structurale, ne peut-on dire que la science ne peut commencer que si l’on construit une image de cette relation, c’est-à-dire un espace de relativité établissant les rapports du sujet à l’objet ? Nous voulons dire par là qu’il nous semble que le passage progressif d’une attitude naturelle à une attitude scientifique, si elle se situe à l’intérieur d’un monde unitaire, dans lequel ce qu’est l’objet dépend essentiellement de ce qu’est le sujet et, ce qui est peut-être moins évident, réciproquement, une image médiatrice semble alors nécessaire.

La notion d’image médiatrice vient de Bergson qui y percevait une nécessité pour comprendre la forme philosophique de la pensée. Parlant de la nature singulière que possède toute philosophie, il écrivait :

«Nous nous rapprochons d’elle, si nous pouvons atteindre l’image médiatrice dont je parlais tout à l’heure, - une image qui est presque matière en ce qu’elle se laisse encore voir, et presque esprit en ce qu’elle ne se laisse plus toucher, - fantôme qui nous hante pendant que nous tournons autour de la doctrine et auquel il faut s’adresser pour obtenir le signe décisif, l’indication de l’attitude à prendre et du point où regarder. »

Ou encore :

Note de bas de page 3 :

 « L’intuition philosophique » in La pensée et le mouvant,[1938], PUF Quadrige, 1993p. 130.

« L’image médiatrice qui se dessine dans l’esprit de l’interprète, au fur et à mesure qu’il s’avance dans l’étude de l’œuvre, exista-t-elle jadis, telle quelle, dans la pensée du maître ? Si ce ne fut pas celle-là, c’en fut une autre, qui pouvait appartenir à un ordre de perception différent et n’avoir aucune ressemblance matérielle avec elle, mais qui lui équivalait cependant comme s’équivalent deux traductions, en langues différentes, du même original. Peut-être ces deux images, peut-être même d’autres images, équivalentes encore, furent-elles présentes tout à la fois, suivant pas à pas le philosophe, en procession, à travers les évolutions de sa pensée. Ou peut-être n’en aperçut-il bien aucune, se bornant à reprendre directement contact, de loin en loin, avec cette chose plus subtile encore, qui est l’intuition elle-même. »3  

Note de bas de page 4 :

 Aristote De l’âme III, 15

Ne peut-on rechercher, dans l’ordre de la pratique scientifique, une telle image, certes imprécise mais ajustable, nécessaire pour que l’attitude scientifique finisse par se comprendre elle-même, comprendre ce qu’elle accepte et ce qu’elle refuse ? On dira sans doute qu’une telle image apparaît à divers niveaux intermédiaires, dans une science en train de se faire et peut-être incertaine, dans la communication scientifique, pour les nécessités de la vulgarisation ou dans le genre plus ou moins poétisant de la science fiction. Mais ce qui reste le plus difficile à envisager est l’image qui serait nécessaire à l’intuition scientifique mais qui ne serait pas totalement explicite, totalement présentable, mais dont la présence serait indispensable pour que l’imagination scientifique puisse proposer des hypothèses expérimentables. Comment comprendre la fonction imageante de notre esprit, fonction reconnue bien avant Bergson puisqu’Aristote affirmait déjà que « l’âme ne pense pas sans image »4 ? La raison en était selon lui que l’âme dianoétique, c’est-à-dire la pensée discursive, n’ayant pas accès aux sensations, les remplace par des images. Il y aurait donc une sorte d’équivalent de la perception mais, comme le dit Bergson, sans matière, un intermédiaire entre perception et esprit.

Comment concevoir alors, dans un cadre expérimental, une image qui viendrait anticiper ce que l’on recherche, une image anticipatrice ?

S’il y a une image, on peut dire qu’il y a au minimum une forme, que cette forme soit la limite d’une qualité sensible, comme le bord d’un tableau, c’est-à-dire une schématisation de l’espace ou une forme abstraite ou figurative. Si notre intuition est inséparable d’une perception en cela qu’elle est toujours donatrice, on peut sans doute dire qu’il y a en elle un devenir forme qui converge vers une image dont l’image médiatrice serait l’aboutissement, le régulateur. Ce qui caractérise une forme est au fond assez simple. Goodman le résume ainsi :

Note de bas de page 5 :

 N. Goodman Structure of appearance [1951]D. Reidel Publishing Company 1977, traduction française coordonnée par Jean-Baptiste Rauzy, La Structure de l’apparence, Paris Vrin, 2004, p. 225.

« La somme de deux taches rouges est toujours rouge, mais la forme de deux taches rectangulaires, souvent, n’est pas rectangulaire. »5

En d’autres termes, ce qui caractérise les formes, par opposition aux grandeurs intensives comme les couleurs, c’est qu’elles possèdent, en se combinant entre elles, une puissance génératrice. Deux triangles peuvent servir à construire un rectangle alors que deux taches rouges ne feront jamais autre chose qu’une couleur rouge. Les grandeurs intensives, comme les couleurs, se composent et s’additionnent sans changer de nature. Mais les formes, étant en réalité des rapports ou des relations, par exemple entre des lignes dans l’exemple de Goodman, l’image médiatrice qu’elles peuvent composer doit correspondre à un jeu de relations plus ou moins stabilisé qui permette d’expérimenter les possibilités génératrices des formes. C’est d’ailleurs l’exemple que donne Bergson lorsqu’il dit que l’image qui a hanté la philosophie de Berkeley est que la matière nous cachait Dieu, que c’était comme un rideau entre lui et nous.

On notera que les symboles se combinent d’une toute autre façon que les formes. Il faut déjà posséder un minimum de règles pour pouvoir relier des symboles entre eux, de telle sorte que c’est la règle qui possède une puissance génératrice beaucoup plus que le symbole lui-même. Le symbole est toujours soumis à l’arbitraire du signe.  L’icône a donc une définition méréologique alors que le symbole est une convention nécessaire à l’expression des règles et des lois. Jusqu’à quel point le passage par la forme est nécessaire dans le raisonnement ? C’est la question de l’image médiatrice dont nous allons essayer de construire un exemple.

2- L’image et le mécanisme

Nous suivrons ici l’histoire du mécanisme, au sens philosophique du terme, et de ses problèmes, telle qu’Emile Meyerson l’a problématisée dans Identité et réalité .

Un problème classique de mécanique peut être formulé ainsi : pourquoi lorsqu’une boule de billard en heurte une autre, les deux boules ne se décomposent-elles pas en leurs parties les plus petites (leurs atomes, par principe indécomposables) ? C’est le problème de la cohésion des corps.

Note de bas de page 6 :

Principes AT IX, II, chap LV « Qu’il n’y a rien qui joigne les parties des corps durs, sinon qu’elles sont en repos à l’égard l’une de l’autre ».

Considérons tout d’abord la façon dont Descartes concevait la cohésion des corps. Comment se fait-il que les parties d’un corps restent ensemble même lorsque ce corps reçoit un choc ? La réponse résidait pour lui dans le fait que les parties ne sont pas jointes ensemble mais sont simplement en repos l’une par rapport à l’autre. L’image de l’étendue, en laquelle consiste pour Descartes l’existence des corps, conduit  à cette solution6.

Ainsi le mécanisme, en tant que théorie physique générale, ne semble pouvoir se passer d’une image qui peut être figurative ou abstraite mais qui revient toujours, comme nous l’avons vu plus haut, à composer des parties entre elles selon des relations causales. Ainsi Descartes dit-il que le corps humain est une machine de terre et Leibniz qu’il n’est en rien différent d’une montre : « Tout ce qui se fait dans le corps de l’homme ou de tout animal est aussi mécanique que ce qui se fait dans une montre » (Leibniz)

On pouvait au contraire penser que c’était le milieu environnant qui pressait les parties des corps les uns contre les autres (Meyerson p. 69). C’est l’hypothèse soutenue par un certain Denis Papin. Mais dans ce cas il aurait fallu que les corps enveloppants soient eux-mêmes enveloppés et cela à l’infini.   

L’image est donc à la fois régulatrice, en ce qu’elle fournit une hypothèse de travail mais aussi un obstacle à des solutions futures. Ainsi le mécanisme ne paraît pas pouvoir expliquer réellement le fonctionnement organique, pas plus d’ailleurs qu’il ne peut permettre de comprendre les phénomènes ondulatoires. L’image à la base du mécanisme ne s’oppose pas à l’idée d’onde, au contraire. Mais elle requiert un milieu nécessaire à la propagation. C’est le problème de l’éther qui a préoccupé les physiciens jusqu’à Einstein. En 1907, Emile Meyerson peut écrire :

Note de bas de page 7 :

 Emile Meyerson, Identité et réalité, idem, p. 58

« Or, à aucun moment, depuis que les phénomènes électriques font partie de la science, on n’a rien formulé qui pût, de près ou de loin, passer pour une théorie mécanique consistante de ces phénomènes. Un des plus grands théoriciens de la science de tous les temps, Clerk Maxwell, a, comme on sait, consacré des efforts incessants à cette tâche. Il s’est donné des peines infinies pour établir dans chaque cas la possibilité d’une explication mécanique. Mais, bien souvent, il a dû arrêter là son effort et quand, au contraire, il a tenté de préciser ses idées, il n’a abouti qu’à des images contradictoires. »7

On voit que, sous la plume même de Meyerson, ce n’est pas le raisonnement de Maxwell qui est faut mais bien l’image qui le dirige et qui devient contradictoire.

Finalement, le mécanisme dans sa pureté semble réduire touts les phénomènes de la nature, quelle qu’elle soit, physique, biologique, chimique, à des atomes doués d’une masse et à des mouvements. Meyerson souligne à quel point, même à son époque, des savants comme Hertz ou Lord Kelvin tentent de tout expliquer par ces deux principes, la notion de force leur paraissant scandaleusement obscure. Il y aurait donc des atomes, des mouvements et des chocs, images à dire vrai fort anciennes mais extrêmement convaincantes. Elles expliquent en particulier la pression dans des gaz que l’on conçoit ordinairement comme le résultat des chocs entre les atomes.

L’image du billard pose encore la question du rebond. Pourquoi, une fois la rencontre faite entre une bille et le bord du billard, la bande et la bille ne gardent-elles pas leurs nouvelles formes ? Meyerson souligne l’importance du jeu de billard dans l’imaginaire des physiciens.   Le problème est ici celui de l’élasticité, propriété que l’on ajoute au corps pour expliquer le rebond. Il y aurait donc les corps mous et les corps durs et, à l’intérieur de ceux-ci, les durs et les élastiques. Il faut alors expliquer la possibilité d’atomes élastiques mais aussi, corrélativement, d’atomes durs. L’image initiale faite d’atomes insécables vacille car pour expliquer l’élasticité, il faudrait des atomes composés de parties et donc renoncer finalement à l’atome idéal pour une division à l’infini. Newton a écrit que ces particules solides que sont les atomes sont si solides qu’elles ne se brisent jamais. Mais c’est là une contrainte de l’image, car si l’atome se brisait, il serait évidemment constitué de parties.

Finalement il faudrait, comme le voit Leibniz, ajouter un principe actif aux atomes. L’impénétrabilité des atomes est devenue un principe mystérieux.

Une fois le principe actif introduit se pose le problème de l’action à distance.

Meyerson expose la théorie ingénieuse d’un jésuite, Boscovitch, publié dans un ouvrage de 1759 :

Note de bas de page 8 :

 Emile Meyerson, Identité et réalité, idem, p. 73.

« Boscovich suppose que les atomes ne sont pas des corpuscules, mais des points géométriques absolument privés d’étendue. Chacun de ces points est un centre de force, ou plutôt d’une force unique, identique à elle-même à des distances identiques, mais variant d’après la distance. A une distance très faible, elle est répulsive et augmente d’intensité à l’infini, à mesure qu’on tend à se rapprocher du centre, de telle sorte qu’elle est susceptible de résister à n’importe quelle impulsion et que jamais deux centres ne peuvent coïncider. Si l’on s’éloigne, la force répulsive diminue et, à une distance donnée, devient nulle,  de sorte qu’il n’y a plus ni répulsion ni attraction. Si l’on s’écarte encore du centre la force devient attractive, croît, passe par un maximum et décroît de manière à redevenir nulle à une distance donnée. Après quoi elle redevient répulsive, pour croître, décroître, et redevenir nulle encore. »8

Tout semble donc pouvoir s’expliquer par une force unique. Le système devient entièrement dynamique. Mais celle-ci, comme le dit Meyerson, « répugne vraiment par trop à notre imagination ».Mais pourquoi ? Meyerson donne la réponse suivante :

Note de bas de page 9 :

E. Meyerson, Identité et réalité, idem, p. 73.

« Pénétrons à travers les forces qui entourent cet atome : le centre de ces forces est un point, c’est-à-dire à proprement parler (puisque le point est une abstraction géométrique) vide.Tous les objets de notre connaissance, que nous plaçons dans le monde extérieur ont de l’étendue. Ce qui est inétendu, pouvons-nous en imaginer l’existence dans l’espace ? Nous admettons à la rigueur la force rayonnant du centre, nous nous la représentons comme une droite. Mais quand elle atteint un autre atome, sur quoi agit-elle puisqu’elle le trouve vide ? Comment ce rien peut-il résister au mouvement, peut-il le conserver, en un mot comment peut-il posséder une masse, manifester de l’inertie ? »9

La réfutation de l’atome dynamique se déduit donc de l’impossibilité de représenter un rien dans l’étendue spatiale.

L’atome corpusculaire demeure préférable parce qu’il est imaginable, ce que n’est pas l’atome pris comme le lieu d’une force sans pour autant être quelque chose de tangible. Pour cette raison, les physiciens, nous dit Meyerson, ont fini par choisir une voie moyenne, c’est-à-dire un atome corpusculaire entouré de forces. La difficulté est alors de concevoir un lien possible entre des choses aussi hétérogènes qu’une corpuscule et une force.

Note de bas de page 10 :

 E. Meyerson, Identité et réalité, idem, p.76.

« La seule image que nous puissions nous faire d’une force est celle d’une droite. Entre cette image et celle du corpuscule qu’elle est chargée d’influencer, nous ne saurions découvrir aucune liaison. (…) Quand je vois un corps mis en mouvement par un choc, j’ai l’illusion de comprendre, parce que, en apparence le mouvement naît d’un autre mouvement ; mais ici le mouvement doit naître de la force, c’est à dire de quelque chose qui lui est radicalement hétérogène. »10

Reste la question de l’action à distance que Descartes considérait comme magique, dotant les corps d’une sorte de divinité. Même si la gravitation fut admise par la masse des physiciens, l’action à distance fut toujours considérée comme un palliatif que seule une explication vraiment mécanique devrait remplacer. Si l’action à distance est instantanée, elle ne parcourt pas l’espace mais semble sauter par dessus lui. La conception de l’action à distance est « anti-spatiale » selon l’expression de Meyerson, comme elle est anti-temporelle si on l’imagine dans le temps. L’action à distance ne devient imaginable que si on ne la suppose plus instantanée.

Ainsi le mécanisme, avec ses atomes bien distinguables les uns des autres, paraît la seule façon rationnelle d’expliquer un phénomène physique. Lord Kelvin, que cite Meyerson, a pu s’exprimer ainsi :

« Il me semble que le vrai sens de la question : comprenons nous ou ne comprenons nous pas un sujet en physique ? est : Pouvons-nous faire un modèle mécanique correspondant ? »

Ou encore :

« Je ne suis jamais satisfait tant que je n’ai pas pu faire un modèle mécanique de l’objet ; si je puis faire un modèle mécanique, je comprends ; tant que je ne puis pas faire un modèle mécanique, je ne comprends pas. »

Pour Meyerson, le principe de causalité suppose l’identité dans le temps, le principe d’identité étant le principe de tous les principes. Mais la nature se manifeste comme essentiellement changeante. L’atomisme résout ce paradoxe car il postule des atomes dont l’identité est permanente mais qui composent des corps changeants.

On voit qu’ultimement l’atomisme et le mécanisme paraissent résoudre un problème de composition, celui de la structure méréologique des formes et cela sans intervention d’entités hétérogènes à l’image latente ainsi composée. Il s’agit bien de l’image médiatrice telle que nous l’avons emprunté à Bergson. Elle n’est pas faite pour expliquer seulement un problème particulier (par exemple celui du choc) mais bien pour composer une image maîtrisable, à laquelle on puisse avoir recours lorsque l’on présente le risque qu’il y a à créer des entités  fictives. En ce sens, l’image médiatrice et aussi régulatrice : elle impose un certain type de rationalité dont elle est la garante parce qu’elle en propose une épreuve possible. Elle fournit une possibilité d’expérimentation à même notre intuition.

3- De quoi y a-t-il image ?

Dans les exemples précédents, l’image fait coïncider deux exigences : celle de l’identité et celle du changement par causalité. L’atome permet l’identité et le changement par composition. La causalité par contact établit la relation nécessaire entre les choses. On comprend comment cette image possède la plus intime correspondance avec notre expérience sensible tout en en formalisant le contenu. Cependant, ce qui se trouve par là formalisé, du moins selon les tenants du mécanisme, semble être l’objet de connaissance et seulement lui. Nous sommes dans le cas où, entre le sujet et l’objet, ne peuvent exister que des relations externes. L’objet est débrayé du sujet puisqu’il peut exister sans lui.

Mais l’on peut se demander s’il en est réellement ainsi et si l’image, précisément parce qu’elle est médiatrice, n’est pas plutôt l’effet d’un rapport entre le sujet et l’objet, l’entre expression de ces deux pôles de la relation intentionnelle. De quoi finalement y a-t-il image ?

Si l’image n’est pas l’image plus ou moins exacte de la réalité mais l’image nécessaire du rapport du sujet connaissant à son objet, comment pouvons nous imaginer ce rapport ? On passe d’une image d’objet à une image de rapport. Il ne s’agit pas d’une image objective plus ou moins colorée de subjectivité, mais l’image d’une relation dans laquelle il serait en fait impossible de distinguer le sujet et l’objet. Comment comprendre la possibilité d’une telle image ? L’image peut-elle être conçue comme relativiste en ce sens ? L’image peut-elle n’avoir finalement aucune caractéristique telle que l’on pourrait dire ce qu’elle est en elle-même mais simplement dire le passage qu’elle accomplit à l’intérieur du monde de l’expérience.

De même que nous nous sommes inspiré d’Emile Meyerson pour la première partie de cette étude, nous nous rapporterons maintenant au travail de Michel Bitbol qui, sous plusieurs de ses aspects, nous semble poser une question concernant directement le statut de l’image.

Michel Bitbol écrit, au tout début de A l’intérieur du monde :

Note de bas de page 11 :

 Michel Bitbol De l’intérieur du monde, Paris, Flammarion, 2010, p. 9

«Nous pensant nous-mêmes comme pris dans l’entrelacs des relations qui forment l’étoffe du monde, voire comme définis par la convergence d’un grand nombre de ces relations, nous devons nous figurer ce que c’est que connaître ce monde à partir de l’intérieur de lui, sans marge pour nous en dissocier ou pour en simuler une vue extérieure. Notre image relationnelle du monde nous représente tellement noués en lui, obnubilés par sa présence, encerclés par ses lignes de force qui nous traversent et nous forment, que la simple possibilité d’en acquérir une “image“, c’est-à-dire une vue distanciée de sa totalité, s’évanouit en retour. »11

Le problème de l’image se présente alors d’une façon bien différente de ce que nous avons vu précédemment. Il s’agit d’images qui porteraient sur le monde, compris comme un système de relations,  mais aussi d’images qui montreraient notre rapport à lui. Nous ne pouvons sortir en quelque façon de ce rapport, de telle sorte que cette image, que notre auteur dit impossible, serait une vue de l’extérieur du monde. On comprend que cette impossibilité soit l’un des chemins qui conduisent au scepticisme, ce dernier se résumant en l’image vide d’une impossible extériorité.

Il existe ainsi un double relativisme : d’une part les choses n’apparaissent que relativement les unes aux autres, et d’autre part elles sont conçues dans un inévitable rapport à nous-mêmes.

Cette insurmontable ou du moins insurmontée difficulté de la théorie de la connaissance semble ainsi tenir à l’impossibilité de construire une image satisfaisante de notre rapport au monde. D’une part, la connaissance nous donne une image sans objet, mais seulement un savoir portant sur les rapports entre les objets ; d’autre part, il semble impossible de fixer un point de vue à partir duquel nous pourrions voir simultanément notre regard et ce qu’il voit.

Note de bas de page 12 :

 M. Bitbol, De l’intérieur du monde, idem, p.19

Sur le premier point M. Bitbol cite12 H. Hertz :

Note de bas de page 13 :

 H. Hertz Principles of mechanics [1894]Dover Phoenix, 2003, p.45.

« Nous formons pour nous des images artificielles internes ou des symboles des objets externes, et la forme que nous leur donnons est telle que les relations logiques entre les images sont en retour une image des relations nomologiques entre les objets représentés. »13

C’est bien l’image qui gouverne notre connaissance mais elle ne nous donne jamais l’objet lui-même mais seulement les relations légales entre les objets symbolisés. D’ailleurs, comme le souligne également Hertz, rien ne prouve qu’il n’y ait pas plusieurs images possibles du même objet. De la sorte la notion même d’objet perd toute consistance ontologique et peut s’assimiler à une idée régulatrice, voire à une croyance. Ce point est évidemment fondamental pour notre conception de l’image car, même si nous ne pensons pas que les images soient définissables par leur seule valeur représentative, il semble bien que nous aurions beaucoup de mal à comprendre ce qu’est une image si nous ne croyons pas simultanément qu’il existe des entités dans le monde. Qu’est-ce qu’une image de relation ? Comment définir une relation s’il n’y a pas d’objet ?

Précisons à nouveau la logique de notre démarche. Nous recherchons jusqu’à quel point l’image est consubstantielle à la démarche scientifique. L’épistémologie du mécanisme nous a semblé montrer qu’une image médiatrice était bien à l’œuvre dans la physique antérieure au 20ème siècle et que cette image avait bien une certaine valeur normative. Mais cette image elle-même nous est apparue inséparable d’une ontologie dans laquelle la notion d’objet est centrale, voire exclusive. Nous cherchons maintenant à comprendre ce que peut devenir le statut épistémologique de l’image si, comme cela peut au moins être soutenu aussi bien pour les sciences physiques que pour les sciences humaines, nous optons pour une ontologie de relation et non d’objet. De ce point de vue, Hjelmslev a fourni une conception vertigineuse de ce que peut être une théorie scientifique purement relationnelle. Il s’appuie pour ce faire sur les conceptions de Saussure mais aussi, ce qui est peut-être plus surprenant, sur celles de Carnap :

Note de bas de page 14 :

 Louis Hjelmslev « L’analyse structurale du langage » [1948] in Essais linguistiques, Paris, Editions de Minuit, 1971, p. 40.

« Dans un précédent ouvrage de Carnap, la structure est définie d’une façon qui s’accorde parfaitement avec les vues que j’ai défendues ici, c’est-à-dire comme un fait purement formel et purement relationnel. Selon Carnap, tous les énoncés scientifiques doivent êtres des énoncés structuraux dans ce sens du mot. Selon lui, un énoncé scientifique doit toujours être un énoncé de relations, sans impliquer une connaissance ou une description des relata eux-mêmes. »14

Ce texte pourrait laisser penser que les relata existent tout autant que les relations et que par conséquent ils forment comme la part invisible à la connaissance scientifique. Mais la suite du texte nous semble aller beaucoup plus loin dans l’exigence relationnelle :

Note de bas de page 15 :

 L. Hjelmslev « L’analyse structurale du langage », idem, p.40.

« Il est évident que la description d’une langue doit commencer par la mise en évidence de relations entre les unités pertinentes, et que cette mise en évidence ne doit pas s’accompagner de considérations sur la nature inhérente, l’essence ou la substance des unités elles-mêmes. Cela doit être laissé à la phonétique et à la sémantique, qui, en conséquence, présupposent l’analyse structurale du schéma linguistique. Mais il est évident aussi que la phonétique et la sémantique devront procéder exactement de la même façon et selon les mêmes lignes. »15

Si la phonétique et la sémantique décrivent aussi des relations, la notion de relata devient de plus en plus évanescente. C’est la raison pour laquelle la science dans son ensemble, et même la science physique, Hjelmslev en fait l’hypothèse, doit se définir comme la connaissance des relations sans que les relata puissent être autre chose que des relations d’un autre niveau, disposées selon le schéma du rapport entre langage et métalangage :

Note de bas de page 16 :

 L. Hjelmslev « L’analyse structurale du langage », idem, p.41

«J’espère dire vrai en affirmant que la théorie physique en elle-même ne parlerait jamais de substance ou de matière, si ce n’est d’un point de vue critique. Nous pouvons mettre un terme à cette discussion en affirmant que la linguistique décrit le modèle relationnel du langage sans savoir ce que sont les relata, et la phonétique et la sémantique nous disent effectivement ce que sont ces relata, mais uniquement parce qu’elles décrivent les rapports entre leur parties et entre les parties de ces parties.Cela signifierait en terme de logistique, que la linguistique est un métalangage du premier degré, tandis que la phonétique et la sémantique sont des métalangages du second degré. »16 

Si les relata sont eux-mêmes des relations dont les relata sont encore des relations, et cela jusqu’au monde physique, on peut légitiment se demander si la notion de relata va finir par prendre quelque consistance ou si elle doit s’évanouir finalement dans l’inconnaissable. Hjelmslev jugerait sans doute métaphysique le fait de demander si sa hiérarchie des   relations ne présuppose pas ultimement, simplement pour être intelligible, c’est-à-dire imaginable, quelque chose comme une substance première ou, comme il le dit, une essence non relationnelle. On perçoit que la question ainsi posée ressemble beaucoup à celle rencontrée par les physiciens du 19ème siècle qui résistaient devant la notion de force parce qu’elle ne leur semblait pas pouvoir être expliquée mécaniquement, c’est-à-dire selon une image particulière du rapport entre les choses. La position de Hjelmslev ne crée aucune difficulté si on la limite à une assertion épistémologique et c’est sans doute ainsi que Hjelmslev la jugeait lui-même. Mais, dès lors que l’on a affaire aux énoncés descriptifs d’une science, peut-on s’en tenir à une position purement épistémologique qui s’abstiendrait de demander de quoi ultimement il peut être question ? C’est, une fois encore, le problème de l’image.

L’épistémologie de Hjelmslev, au moins quant au statut des relations, ne semble pas tenir à la spécificité des problèmes linguistiques. Cassirer partageait une conception sans doute proche lorsqu’il écrivait dans un chapitre intitulé Les fondements de la connaissance scientifique de la nature :

Note de bas de page 17 :

 Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques III [1929], traduction française de Claude Fronty, Paris, Editions de Minuit, 1972, p. 449.

« La construction de l’empire des nombres nous montre un exemple typique, dans sa pureté et dans sa perfection d’un domaine objectif formé à partir d’une relation primitive et fondamentale qui en permet la vue d’ensemble et la détermination complète. La pensée part d’une relation pure qui offre au premier abord la forme la plus simple qu’on puisse penser, car elle ne contient rien de plus que la sériation d’éléments intellectuels au moyen d’une loi de succession qu’on leur impose. Mais voici que de cette loi élémentaire découlent des relations toujours plus étendues et plus complexes qui se combinent à leur tour ensemble selon une légalité rigoureuse, jusqu’à ce qu’enfin, de la totalité de ces combinaisons naisse l’ensemble des « nombres réels » sur lesquels est fondé l’édifice prodigieux de l’analyse. »17

La puissance générative des mathématiques, qui sert ici à Cassirer pour illustrer la génération de l’ensemble des nombres réels sur la base de relations simples, est cependant fondamentalement différente, comme il le thématise lui-même, de ce qui se passe dans les sciences empiriques qui doivent compter avec la résistance de la matière. La matière offre en quelque sorte l’équivalent d’un substrat que l’on doit nécessairement présupposer. Du point de vue de l’image, ce fait paraît essentiel.

Si nous supposons en effet un monde fait de relations, une solution possible nous semble être de concevoir celles-ci, non pas comme des relations pures, indépendantes de tout substrat et ne rencontrant rien d’autres que d’autres relations, mais au contraire comme des relations imposées à un substrat ontologique restant à concevoir (que l’on peut qualifier comme on veut, le terme de matière n’étant guère plus compromettant qu’un autre). M. Bitbol offre une solution assez proche que nous allons d’abord considérer :

Note de bas de page 18 :

 M. Bitbol De l’intérieur du monde, idem, p. 386.

« (…) Les formes sont multiples non pas en vertu de leur essence mais selon la fonction que leur assigne ce même processus de recherche : entièrement monadiques lorsqu’il s’agit d’énoncer des constats partagés de qualité dans une région d’expérience, entièrement relationnelles lorsque sont recherchées des lois de coexistence et de consécution des moments objectivés de l’expérience. »18

Comment rendre compatibles les énoncés que nous portons sur le monde, et qui prennent la forme constante de l’attribution de propriétés à des entités et la nature purement relationnelle des lois ? L’énoncé suivant semble exprimer une attitude proche de Hjelmslev :

Note de bas de page 19 :

 M. Bitbol De l’intérieur du monde, idem, p. 412.

« Ce que la science identifie en fait dans son entreprise de détermination ressemble à un système ouvert de réseaux plutôt qu’à des choses autosuffisantes. »19

Mais cela ne suffit pas pour établir une ontologie à base de relations qui reste toujours impensable. Dire que la science découvre des réseaux de relations n’est pas dire que le monde est ainsi fait. Le livre de M. Bitbol que nous citons est une longue discussion de ce problème. Mais ce qui nous importe ici n’est pas de suivre cette démarche dans toute son envergure mais de repérer quelques points d’inflexion du raisonnement où la question de l’image devient manifeste. Il est frappant de constater qu’à chaque fois qu’un problème ontologique se pose, intervient immédiatement la question d’une image possible.

Revenons à la question du substrat, terme embarrassant parce qu’il semble impliquer une conception substantialiste qui n’est cependant pas nécessaire. L’essentiel est de concevoir que les relations décrites par les sciences n’impliquent pas que l’on imagine des relata antérieurs aux relations elles-mêmes. Dans ces conditions, l’image que nous fournit la division d’un substrat rend pensable que ce soient les relations qui créent les objets par un effet de partage, et non l’inverse. Mais il faut bien sûr que le substrat résiste pour qu’au moins quelques partitions ne soient pas possibles. Il nous semble que Hjelmslev, dans son usage non substantialiste de la notion de substance, satisfait à cette exigence qui relève, c’est du moins notre propos, beaucoup plus d’une contrainte iconique que d’une contrainte logique. Finalement, le substrat que nous invoquons n’est guère différent de l’éther des physiciens. Il nous permet de voir comment notre action de connaissance qui décrit des formes peut aussi engendrer des objets. Les formes serait ainsi, non pas le résultat de la seule action de notre esprit, ce qui serait pur idéalisme, mais ce qui émerge sa rencontre active avec le monde.

En suivant Meyerson, il nous a semblé possible de penser que le débat sur le mécanisme, et un de ses outils essentiels, l’atomisme, soit nettement un débat d’image au sens où l’image établit une cohérence possible, par l’action de notre imagination, pour faire tenir ensemble les grandes variables entrant dans la compréhension d’un phénomène physique. Le mécanisme serait ainsi une image régulatrice d’une période assez longue de la physique ou, plus précisément, une image médiatrice.

En suivant M. Bitbol, il nous a semblé que le conflit entre connaissance d’entités et connaissance par relation (ontologie d’objet et ontologie de structure) soit un des problèmes directeurs de l’épistémologie. M. Bitbol paraît plutôt adepte de ce qu’il appelle une voie moyenne. Quoi qu’il en soit, il semble que nous ayons le choix entre une image faite de parties constituant des entités (une composition méréologique) et une image plutôt diagrammatique faite de relations et constituant comme un réseau avec des nœuds. Il nous a semblé que finalement l’exigence d’un substrat, quel que soit son nom, s’imposait dans un tel contexte. Mais il s’agit de toute façon de construire, au moins sur le plan épistémologique, une certaine cohérence iconique. L’image dans la pratique scientifique, c’est du moins le point que nous avons cherché à établir, paraît inséparable d’une exigence de rationalité qu’elle a, pour partie, à charge de satisfaire. Concluons provisoirement cette réflexion en remarquant que la question ontologique de la nature du substrat reste impossible à éliminer.