Ave APPIANO, Anima e forma. Studi sulle rappresentazioni dell’invisibile, Turin, ANANKE, 2006, 255 pages

Valentina Miraglia

CeRes, Université de Limoges

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Auteurs cités : Ave Appiano

Texte intégral

L’objet de réflexion de ce livre se fonde sur un corpus hétérogène et ouvert, et traite de la représentation picturale de l’invisible sous différents points de vue. Pour l’auteur, le but essentiel est de réussir à clarifier l’espace esthétique de l’homme médiéval et humaniste à l’aide d’une étude diachronique des rapports intertextuels entre textes écrits et oeuvres peintes. Il s’agit, dans cet essai, de montrer comment des signes culturels particuliers relatifs à la représentation de l’immatériel sont les signifiants expressifs qui traduisent en concept visuel, ce dont les sources littéraires témoignent à travers le code linguistique. Pour Appiano, l’expression du signe figuratif, ou bien l’icône dans le sens sémiotique s’avère être :

Note de bas de page 1 :

 Nous traduisons, ici comme dans tous les autres passages du livre. Appiano A., (2006), p.180.

une forme d’interprétant de la parole, car elle reformule et synthétise les concepts, en les offrant au procédé de perception et en promouvant la conversion du texte (ou mieux, du sens) d’une structure linguistique diachronique (étendue temporellement) à une structure visuelle synchronique (réalisée dans la simultanéité)1”.

Note de bas de page 2 :

 “Auquel s’oppose l’invariabilité des éléments qui constituent le système –les signes et leurs valeurs- la variabilité de l’intervention linguistique individuelle de chaque réalisation”, Appiano A., (2006), p.12.

Aussi bien la subdivision de la sémiotique de Charles Morris proposée en sémantique, syntaxique et pragmatique, revisitée et adaptée à l’art figuratif, c’est-à-dire à une syntagmatique, syntaxique et pragmatique de l’œuvre picturale, que la sémiologie d’ascendance saussurienne appliquée au domaine figuratif - surtout dans le couple langue/parole2 - offrent à l’auteur les noyaux conceptuels pour affronter un répertoire figuratif peu soudé et très vaste. L’analyse d’Appiano suivant une perspective culturologique, dans le but explicite de faire la lumière sur l’organisation formelle du texte figuratif fondé sur des conventions symboliques du Moyen Âge et de la Renaissance, noue, en outre, quand il le faut, d’autres perspectives méthodologiques comme les études sur la psychologie de la forme et les méthodes iconologiques.

Note de bas de page 3 :

 “Le visage de Marie, par exemple, doit avoir une forme, une expression et une couleur particulières (signifiant) qui représentent sa condition virginale, principe moral correspondant (signifié) et on peut  retrouver cela indépendamment des actes de paroles individuels”, Appiano A., (2006), p.12.

Tout au long des cinq parties dont se compose ce livre, il s’agira alors de reconnaître « une organisation de l’unité en présence d’une certaine grammaire picturale et d’identifier, dans la représentation iconique de l’immatériel, certaines constantes dans les rapports entre contenu et expression3». L’essai d’Appiano tente de démontrer que, dans des époques différentes et dans des zones artistiques très éloignées les unes des autres, il est possible d’identifier des permanences et des récurrences expressives autour d’un même sujet qui se sont perdues au fil du temps.

Pour conduire son argumentation, Ave Appiano s’appuie sur plusieurs niveaux d’interprétations, en affrontant des figures thématiques qui, dans la tradition occidentale, s’offrent comme des “métaphores de transition entre monde matériel et monde spirituel” à savoir : l’Annonciation de Marie, l’identité de l’âme et l’imaginaire de l’au-delà, les apparences angéliques et les physionomies macabres et monstrueuses, la crucifixion, le jugement universel.

L’auteur va jusqu’à analyser le dispositif figuratif et à identifier selon les cas de figure les patterns formels, structurels et conceptuels pour atteindre enfin une interprétation des niveaux des oeuvres picturales en rapport avec les œuvres de tradition écrite. Ainsi, au moment opportun, l’auteur reprend la thèse d’Uspenski à propos de l’opposition droite/gauche dans la construction du sens narratif de l’espace pictural ; celle de la symétrie bilatérale d’Hermann Weyl à propos du corps humain, de l’art et de la nature; celle de Pierre Francastel, à propos des valeurs socio-psychologiques de l’espace-temps figuratif ; les études phénoménologiques de Panofsky pour la lecture iconologique des œuvres ; celles de Lekomcev pour définir en termes sémiotiques la grammaire de la perception en tant qu’équivalences des unités du langage et ainsi de suite. Finalement, le livre constate un manque de cohérence dont pâtissent les outils conceptuels préférés, dans le texte, à une prise en compte de la situation théorique actuelle.

Dans le premier chapitre prime le pattern conceptuel et donc le modèle culturel qui préside et se soumet à l’œuvre : I) les conventions symboliques autour de la rhétorique de la “gestualité” face au message de l’Annonciation ; II) le rapport entre Ancien et Nouveau Testament (AT/NT) qui se réalise spatialemententre “l’expulsion d’Adam et Eve” et “l’événement de l’Annonciation” ;  III) le motif de la conceptio par Aurem, qui fait remonter à la mythologie païenne, c’est-à-dire, au thème de la “femme mortelle fécondée par le dieu et des transformations immatérielles de ce dernier” convertie ensuite par les représentations primitives chrétiennes dans la “conception de la parole qui féconde”.

Note de bas de page 4 :

 Appiano A., (2006), p. 55.

Dans le deuxième chapitre, l’auteur, s’arrêtant encore sur l’iconographie de l’Annonciation et sur le concept horatien d’ut pictura poiesis, examine en revanche certains éléments iconographiques qui, suivant « le parcours qui va du texte écrit au texte peint, ensuite de la scriptura à la pictura4», se sont constitués comme des signes de l’immatériel, comme des personnifications visibles de concepts et d’entités spirituelles. L’auteur proposeainsi une modélisation narrative des schémas de l’Annonciation.

En outre à partir de l’interprétation des signes bibliques, - parmi lesquels celui des anges, des colombes, des âmes ailées, de la langue, du feu, et de beaucoup d’autres encore - Appiano reconstruit les procédés de symbolisation iconique auxquels ceux-ci ont été soumis pendant des siècles. Un point est particulièrement intéressant : le parallélisme entre l’analyse morphologique du “coquillage”, du point de vue sémantique, vu comme intermédiaire à la Naissance de Vénus (Botticelli -1485), qui présage l’action de la renaissance dans la fécondité et dans l’amour terrestre qui sort de la mer avec celle de “l’oreille” de Marie à travers laquelle la conception mystique présage la renaissance dans la fécondité spirituelle et dans l’amour divin par le biais de l’incarnation qui est amenée par l’ange.

Cette confrontation entre tradition païenne et art paléochrétien des premiers siècles continue dans le troisième chapitre, trouvant, par exemple, dans l’iconographie du thème des coupes où s’abreuvent les colombes de la mosaïque de Galla Placidia à Ravenne (V siècle) ou sur celle de Santa Costanza à Rome, l’équivalent de la figure de l’âme qui se désaltère à la source de la mémoire, un motif qui reprend certains aspects de la tradition mythologique grecque archaïque de la fontaine de l’Oubli et de celle de Mnémosyne, confirmant ainsi, dans ce cas-là, les profonds liens des motifs figuratifs entre âme et eau.

Note de bas de page 5 :

 Appiano A., (2006), p.106.

L’auteur n’ayant pas toujours recours au cadre théorique (Peirce) en fait cependant une large utilisation; un exemple préalable est celui de l’œuf qui figure dans la Madonna col bambino de Piero della Francesca (1475). Du point de vue sémiotique, pour Appiano, l’œuf en tant qu’hyper-signe culturel aux fortes notes évocatrices, lie les thèmes figuratifs d’un humanisme mûr et devient alors «une icône, car il représente de façon réaliste un œuf et exhibe la même forme en communiquant directement une idée ; un index, car il est physiquement relié avec son propre objet, étant situé exactement sur la verticale du visage de Marie avec laquelle il établit une relation de sens en tant qu’axe du monde, et est un symbole car étant immatériel, il provoque des opérations intellectuelles […]5».

Les chapitres suivants sont dans la même logique, toujours dans le but de traduire des archétypes figuratifs et des symboles religieux d’un code à un autre, ils visent à comprendre comment la représentation - des premiers siècles de la chrétienté jusqu’à l’humanisme- fut à la fois, entièrement confiée à un formulaire de hiérarchies et de valeurs symboliques aussi bien qu’à la façon de rendre visuellement la globalité de la réalité perçue par l’homme.

 Le fait que l’auteur n’avance pas de conclusions laisse cependant ce corpus, très riche en ce qui concerne la collection d’exemples figuratifs et littéraires, dans un vide sémantique. La chaîne continue de renvois intertextuels entre différentes sémiotiques appartenant au discours biblique, théâtral, dramaturgique, didactique, liturgique par rapport au corpus iconographique consolidé ne suffit pas pour éclaircir d’un point de vue épistémologiquela pensée de l’auteur.

Peut-être que la tentative de l’Appiano d’énoncer une grammaire de la représentation picturale de l’immatériel entre zones de pertinences, artistiques et culturelles différentes, liées dans le temps par des rapports virtuels, en dépit d’une faible attention méthodologique, doit être uniquement considérée comme un outil exemplaire pour faire la lumière sur les transmigrations d’images du monde païen au monde chrétien dans la culture occidentale.