Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques, sous la direction de Driss Ablali et Dominique Ducard, Paris, Honoré Champion-Presses universitaires de Franche-Comté, 310 pages

Claude Zilberberg

Index

Articles du même auteur parus dans les Actes Sémiotiques

Mots-clés : sémiologie, sémiotique

Auteurs cités : Roland BARTHES, Émile BENVENISTE, Jean-Claude COQUET, Ivan DARRAULT-HARRIS, Jacques FONTANILLE, Algirdas J. GREIMAS, Louis HJELMSLEV, Anne-Marie Houdebine, François JOST, Julia KRISTEVA, Eric LANDOWSKI, Youri LOTMAN, Christian METZ, Georges Molinié, Charles Sanders PEIRCE, Fernande SAINT-MARTIN, Ferdinand de SAUSSURE, Claude ZILBERBERG

Texte intégral

L’ouvrage comprend trois parties : une présentation synthétique de “l’état de l’art”, un “vocabulaire à vocation didactique” et un certain nombre d’index. L’ouvrage combine les deux modes de présentation : le mode thématique, plutôt synthétique et le mode alphabétique plutôt analytique. L’ouverture est manifeste dès le titre par le couplage des adjectifs “sémiotique” et “sémiologique“, couplage qui révèle l’inconfort de la sémiotique, éprouvée par la divergence du droit et du fait : en droit, la sémiotique s’affirme comme une théorie générale du sens, mais dans les faits, c’est-à-dire dans la sphère universitaire, elle est marginalisée. La sémiotique se propose comme une construction du sens, mais le désaccord porte sur le comment ? et sur le statut de la discipline : est-elle une discipline parmi d’autres ou bien une méta-discipline ? ce qui était l’espérance de Greimas dans les années 80. Ce point suppose que les disciplines concernées reconnaissent le statut sémiotique de leur objet.

Sémiotique ou sémiologie ? Le dilemme a été tranché par Greimas qui récuse le recours à la langue et préconise l’adoption d’un méta-langage distinct. Le partage s’est établi pour les notions et pour les personnes : Hjelmslev et Greimas d’un côté ; Saussure, Benveniste et Barthes de l’autre. Trois “références contemporaines” jugées décisives sont abordées : Saussure, Peirce et Hjelmslev, suivies de “perspectives actuelles” portant tantôt sur une classe d’objets, tantôt sur une orientation ; la contribution de ce que l’on a appelé l’Ecole de Paris est largement abordée.

La sémiologie de Ferdinand de Saussure

Dans sa présentation de la pensée de Saussure, Cl. Normand insiste sur les points suivants : l’appartenance des unités à un système, l’approche structurale reprise par les Pragois et le distributionnalisme américain, l’affirmation de la nature sociale de la langue, la rupture entre la diachronie et la synchronie, le caractère arbitraire du signe, l’adoption du principe d’immanence supposant la clôture de la langue, la distinction entre les rapports associatifs, c’est-à-dire paradigmatiques et les rapports syntagmatiques ; la reconnaissance du fait qu’un système concerne non des objets, mais des valeurs ; Saussure précise la situation de la linguistique en ces termes : elle fait partie de la psychologie sociale, elle-même dans la dépendance de la psychologie générale. Les continuateurs de Saussure se sont divisés, les uns voyant dans la sémiologie la possibilité d’une critique radicale des idéologies, les autres seulement une méthode permettant de décrire des micro-univers personnels ou collectifs. Enfin, il apparaît de plus en plus contestable de réduire l’apport de  Saussure au seul CLG.

La sémiotique de Charles S. Peirce

La seconde “référence contemporaine” concerne l’œuvre ô combien déroutante de C.S. Peirce. Sa théorie est une “méthode de méta-observation de la vie des signes ordinaires et scientifiques”. Elle se fonde sur trois catégories phénoménologiques : la firstness ou priméité, la secondness ou secondéité, la thirdness ou tiercéité. La conception du signe est triadique et non plus dyadique comme pour Saussure et ses continuateurs ; elle comprend le signe, l’objet et l’interprétant. L’analyse dynamique et complexe a pour condition la secondéité, c’est-à-dire la disposition de données pratiques ; elle est complexe dans la mesure où elle entraîne dans un “espace” de tierceité et de priméité ; enfin cette analyse peut se faire en “évolution” comme en “involution” régressive. Le signe requiert un interprète qui, au-delà du sens du signe qui est sa signification, pose la possibilité d’une dérive que le corps social peut sanctionner. Le sens d’une proposition réside dans sa capacité de prédiction des phénomènes expérimentaux, c’est dire qu’elle est orientée vers le faire. La manipulation d’un signe engage la tiercéité, c’est-à-dire des connaissances, et la secondéité, c’est-à-dire pour le sujet un programme à exécuter. Enfin, la pragmatique vise la réalité et la vérité à partir des «indices du monde réel».

La sémiotique de Louis Hjelmslev

La diffusion de l’œuvre de Hjelmslev, la troisième “référence contemporaine” présente un aspect paradoxal : elle a été mieux accueillie par les non-linguistes que par les linguistes proprement dits. Quatre traits fondamentaux doivent être soulignés : (i) le langage est expression et contenu ; (ii) le langage est forme et substance ; ce qui donne par composition : une forme du contenu et une substance du contenu ; une forme de l’expression et une substance de l’expression ; (iii) la sémiotique a vocation à traiter les pratiques signifiantes que les linguistes généralement écartent ; (iv) la théorie est à la merci des analyses qu’elle engage. Pour la méthode, deux voies sont préconisées : l’épreuve de commutation et la transitivité de l’analyse qui change l’analysant en analysé. L’originalité de la théorie hjelmslevienne réside dans une circularité hardie : «la théorie du langage contient en outre le langage de la théorie.» La sémiotique doit à Hjelmslev sa double orientation : comme épistémologie réfléchie et comme choix de tel champ d’application particulier.

L’Ecole de Paris

Ce que l’on a appelé l’Ecole de Paris était caractérisée par deux orientations : les structures élémentaires de la signification ordonnées par le carré sémiotique et le primat de la narrativité. Les centres d’intérêt actuel concernent la sémiotique du monde sensible et les pratiques. Le premier a été rendu possible par une catalyse du corps, puisque le sensible est justement ce à quoi le corps est sensible. Le second a pour assiette la limitation de la notion de texte : cette dernière a été contractée pour faire une place aux pratiques. Le thème unificateur de l’Ecole de Paris n’est plus le signe ou le texte, mais l’actant, son acte et son interaction avec d’autres actants. Du point de vue épistémologique, le procès prend, mesure gardée, l’avantage sur le système.

La sémiotique de l’action

La sémiotique de l’action peut être envisagée soit à partir des énoncés, soit en  fonction de l’instance de la perception et de l’énonciation. L’action énoncée concerne la distinction entre les énoncés d’état et les énoncés de faire ; les énoncés d’état consistent en conjonctions et en disjonctions, portant sur ce que Greimas appelait la jonction ; les actions peuvent converger les unes avec les autres ou diverger. La dynamique de l’action implique la profondeur modale suscitée par l’écart entre les modalités actualisantes, savoir et pouvoir, et les modalités virtualisantes, vouloir et devoir, qui gèrent le passage à l’acte ; cette sémiotique de l’action intéresse encore l’aspect, la valence et le site de l’action, c’est-à-dire un référentiel, un ancrage. L’intentionnalité rédime la schizie posée entre le sujet et le prédicat. L’action énonçante, à partir du débrayage et de l’embrayage, mesure entre autres opère l’ajustement entre d’une part le projet, le programme, d’autre part sa réalisation au titre de forme de vie.

La sémiotique des passions

La sémiotique des passions marque un tournant dans le devenir de la sémiotique dans la mesure où l’approche greimassienne est mise au service d’objets particuliers : les états d’âme du sujet. La sémiotique des passions marque un retour à et un enrichissement de la syntaxe modale que la primauté accordée au récit proppien avait figée. Cet enrichissement est dû à la prise en compte du devenir de la phorie, donc de l’aspect, au point que la sémiotique a été soupçonnée de céder au “tout aspectuel“. Cette orientation a fait une place à la complexité et à la subtilité psychologiques. Une modalité jusqu’ici relativement négligée, le croire, a pris de l’importance ; les valences ont été admises comme les marques propres du sentir dans le cadre de l’espace tensif.  Deux autres acquis doivent être mentionnés : la moralisation, laquelle, au nom de la doxa, sanctionne positivement ou négativement, et la sensibilisation qui pose le sujet comme un “interactant” qui a pour vocation d’opérer, “grâce à” son corps sensible, la médiation entre l’interoceptivité et l’extéroceptivité.

La sémiotique subjectale

À la sémiotique subjectale est attaché le nom de J.C. Coquet. Cette sémiotique présente deux caractéristiques : elle s’oppose à la sémiotique objectale développée par Greimas et accorde une place majeure à l’enseignement de Benveniste dans la perspective d’un “structuralisme phénoménologique”. La sémiotique subjectale reformule le paradigme des actants en distinguant le prime actant, sujet et non-sujet, le second actant, l’objet et le tiers actant, le destinateur. La modalité du méta-vouloir est à la base de la typologique actantielle opposant le non-sujet, ”pure position corporelle”, au sujet ayant accédé à la maîtrise. Ainsi,  la relation fondatrice est ternaire : elle place la relation sujet/objet sous le contrôle du tiers actant destinateur. Cette prise en compte permet d’envisager une sémiotique de la passion non résistible. Les applications de la sémiotique subjectale ne se limitent pas à la littérature : elle a montré sa pertinence pour le traitement des comportements psychopathologiques. Sans revenir au référent, la sémiotique subjectale entend réconcilier le langage et la réalité.

La sémiotique tensive

La sémiotique tensive à partir des années 90 a pris, en proposant un modèle d’intégration des acquis, le relais de la narrativité. Le point de vue tensif intègre trois approches : (i) une approche phénoménologique centrée sur la présence ; (ii) une approche structuraliste et rhétorique ;  (iii) une approche générative. D’une certaine façon, Tension et signification s’inscrit, en raison de l’importance accordée au sujet sensible, en continuité avec Sémiotique des passions et également avec la sémiotique des instances énonçantes de J.C. Coquet. Une des visées de la sémiotique tensive est l’articulation du champ de présence ; cette tâche est confiée au “schéma tensif”, lequel règle l’intersection de l’intensité et de l’étendue, le plus souvent par l’exercice d’une corrélation inverse. Les écarts différentiels notés reçoivent la dénomination de “valences”. La sémiotique tensive s’est développée dans deux directions : (i) pour Cl. Zilberberg par la mise en place d’une “véritable rhétorique tensive“ pourvue d’unités spécifiques ; (ii) pour J. Fontanille par l’intégration de la tensivité dans un parcours génératif de la signification en demandant à l’espace tensif de remplir la fonction qui était confiée, dans le parcours génératif greimassien à la notion de “conversion”, à savoir se donner d’entrée un surplus de sens que les niveaux successifs vont articuler.

La socio-sémiotique

La socio-sémiotique recouvre deux acceptions distinctes : en premier lieu, la description d’un domaine particulier, le social ; en second lieu, un courant théorique proposant une analyse du contenu indépendamment de toute application. Au titre du premier point, la socio-sémiotique s’attache aux “pratiques de la quotidienneté” ; au titre du second, la socio-sémiotique adopte comme orientation théorique la dépendance du sens à l’égard de l’interaction. Trois principes précisent cette orientation théorique : (i) loin de fonder les pratiques, le social est fondé par les pratiques ; (ii) la signification compose l’articulation propre à chaque pratique et la négociation entre actants interagissant les uns avec les autres ; (iii) l’analyse des procès prévaut sur celle des systèmes. Du point de vue théorique, la socio-sémiotique relativise l’importance de la jonction en faisant une place à l’union, c’est-à-dire à la “co-présence sensible des actants appréhendés non plus par la lecture, mais par une “saisie”. En l’état actuel, la socio-sémiotique développée par E. Landowski reconnaît quatre types d’actants en interaction : le “programmateur”, le “fataliste”, le manipulateur et l’opportuniste.

Ethosémiotique

La situation de l’éthosémiotique développée par I. Darrault-Harris est particulière dans la mesure où elle entre en concurrence avec une discipline déjà constituée : l’éthologie, ainsi qu’avec les autres disciplines traitant des comportements. L’éthosémiotique entend décrire les comportements tant du monde humain que du monde animal à un triple point de vue : celui des genèses, celui des évaluations, enfin celui du diagnostic et du projet thérapeutique dans le cas des comportements pathologiques. Comme pour les approches concurrentes, il s’agit à partir d’un observable d’accéder à un nouvel observable. Dans la mesure où le projet éthosémiotique se propose de décrire “l’activité de production signifiante du sujet, le point de vue est plutôt diachronique. Plusieurs questions se posent : par où commencer ? pour l’éthosémiotique par les structures sémio-narratives et par le dégagement d’un schème aspectuel rythmant l’acquisition des compétences dans le cas du très jeune enfant. Les conduites à risque chez les adolescents correspondent à une séquence d’“auto-engendrement” par laquelle le sujet devient son propre destinateur. Dans cette perspective, le parcours génératif doit être ainsi repensé : les catégories sémio-narratives canoniques seraient en attente d’un plan de l’expression inédit : le corps de l’enfant et de l’adolescent en progrès.

Sémiotique des cultures

Deux  transitions remarquables retiennent l’attention : la transition de la nature à la culture et la transition de la culture aux cultures. L’étude de la culture après Saussure relève de la linguistique puisque “la linguistique peut être définie comme la sémiotique des langues”. La sémiotique des cultures renvoie pour Lotman à la “sémiosphère” et considère la culture comme un texte complexe, une hiérarchie de “textes dans les textes”. Les sciences de la culture présentent plusieurs singularités : elles font appel à de nombreuses autres disciplines ; la culture comporte un niveau symbolique intermédiaire, médiateur entre le sujet et le réel, ce qui conduit pour l’“entour” deux niveaux, le premier présentationnel, le second sémiotique. La sémiotique des cultures analyse les textes en situation ; le texte se rattache à la langue par un discours et au discours par la médiation d’un genre. Enfin l’intersémioticité est de rigueur : “les objets culturels (...) procèdent de la mise en circulation réglée de plusieurs systèmes de signes.” (Rastier). Les sciences de la culture sont invitées à prendre leur distance avec les signes et les codes et à envisager plutôt les performances et les pratiques.

La sémiotique textuelle d’Umberto Eco

La sémiotique textuelle d’Umberto Eco a pour fil directeur la relation entre la clôture de l’œuvre et la liberté de l’interprétation. L’œuvre obéit à un modèle conciliant fermeture et ouverture. Selon Eco, l’interprétation fait partie du “mécanisme génératif”. En font partie également les “silences”, les “implicites“ et les “présupposés”. Le lecteur collabore ainsi à l’interprétation, mais dans le cours même de la lecture. La promenade en forêt est une bonne image de cette activité.

Eco adopte le modèle triadique de Peirce, qui admet la pluralité des interprétations par une chaîne ininterrompue de renvois. Afin de suspendre la dérive, Eco propose une “négociation” entre les uns et les autres : tout n’est pas possible. “L’ensemble des habitudes interprétatives constitue l’encyclopédie de cette culture”, évidemment inaccessible. Cette encyclopédie a la forme d’un réseau de nœuds que l’interprétation actualise dans certaines limites. Au bout du compte, l’œuvre est ouverte, mais jusqu’à un certain point seulement.

La sémiostylistique

La sémiostylistique (Molinié) est “l’étude de la représentativité culturelle des systèmes de valeur esthétique et anthropologique”. Elle est envisagée comme une “sémiotique de second niveau”. Elle repose sur trois concepts : (i) le “régime de littérarité” en vertu duquel †out discours peut être littérarisé ; ce “régime de littérarité” est lui-même triple : général, générique et spécifique ; : (ii) le stylème, défini comme marqueur des trois régimes, articule deux grands problèmes : l’identification des faits langagiers réguliers et la différence stylistique ; (iii) la stylistique actantielle théorise “la structure fondamentale des modalités de réception” ; plusieurs niveaux sont distingués : le niveau 0 est celui de l’émetteur, le niveau 1 met en présence l’énonciateur patent du discours et le récepteur lecteur du texte, le niveau 2 est celui des actes de paroles.

La sémiostylistique s’interroge sur le statut de la lecture après Auschwitz qui tient de l’indicible. Il y a un avant et un après Auschwitz. L’après Auschwitz pose deux questions : celle de l’éthique de la lecture et celle du pathétique. La jouissance étant aujourd’hui solidaire du seuil, la sémiostylistique en appelle à une “incorporation du domaine cognitif” et à une sensibilisation, le sensible étant le “seul vecteur de la valeur humaine aujourd’hui”.

L’aventure sémiologique de Roland Barthes

Pour R. Barthes, la sémiologie est une “aventure”, “c’est-à-dire ce qu’il m’advient (ce qui vient du signifiant). Avec les Mythologies, Barthes pose le mythe comme un “système second (méta-langage) qui se greffe sur un système premier, (le langage-objet”. Après son entrée à l’EHESS en 1962, Barthes aborde la sémiotique de l’image, puis en 1967 le Système de la mode, “le plus hjelmslevien de ses ouvrages” dans lequel il reconnaît trois systèmes : le système du code vestimentaire, le système terminologique et le système rhétorique. Puis il se tourne vers le texte avec l’analyse  de Sarrazine de Balzac et il montre comment les différents codes forment une “tresse” L’attention se porte sur l’engagement personnel de plus en plus marqué du lecteur-interprète. À partir de 1977, date de la nomination au Collège de France, la sémiologie devient la “pensée du corps en état de langage ; la nuance, la paideia, la référence personnelle sont préférées à la systématisation.

La semanalyse de Julia Kristeva

La semanalyse de J. Kristeva marque d’abord un tournant psychanalytique en faisant siennes une théorie de l’inconscient et une philosophie matérialiste autorisant une ouverture du système et du signe. Le dessein était de surmonter une aporie entre un “système scientifique fini” et des pratiques “dont le langage est un infini potentiel”. Cette approche appelait une formalisation mathématique qui a été contestée. J. Kristeva s’est alors tournée vers Freud et lui a emprunté la distinction entre le contenu latent et le contenu manifeste du rêve, distinction propre au travail du rêve. Il s’agit donc de saisir “l’engendrement de la formule” ; l’étude du sens devient la connaissance entre le “phéno-texte sémiotique” et le “géno-texte symbolique. L’intertextualité et le dialogisme sont une autre direction de recherche ; elle suppose de la part de l’analyste une empathie en mesure de “capter la manifestation du sensible dans les formes de l’écriture littéraire”. La sémanalyse a deux versants : un versant sémiologique et un versant herméneutique tourné vers une psychanalyse ouverte. Dans cet esprit, D. Ducart s’emploie à démêler “l’ordre de l’institution et l’ordre de la parole dans le discours”.

Sémiologie des indices

La sémiologie des indices (A.M. Houdebine), qui a pour objet la culture, s’inscrit dans une double perspective : celle de Saussure  visant “une science générale de la vie des signes“,  et celle de Barthes visant une “praxis critique”. L’analyse systémique se propose à partir du corpus retenu de “repérer les stéréotypes de l’“imaginaire socio-culturel”. La méthode de stratification dégage une structure tantôt “ferme”, tantôt “souple” structure qui peut s’étendre aux grandeurs périphériques. L’identification du code et des signifiants indiciels qui le constituent est plus ou moins aisée, dans la mesure où la signification n’est pas donnée, mais à construire, indépendamment de nos projections. La sémiologie des indices recourt à la notion de “carte forcée culturelle” pour l’interprétant. Par l’analyse de l’intra et de l’extra, le parcours interprétatif met à jour les systèmes sémantiques et symboliques de la culture examinée. Refusant une signification exclusive, qui ne serait que l’aveu de la subjectivité de l’interprétant, il convient, à la suite de Barthes, de faire une “critique idéologique” de nos pratiques rituelles à partir du “déploiement infini du sens” (Barthes).

Sémiologie de l’image

La sémiologie de l’image dans l’esprit de Barthes analyse les significations solidaires de représentations et de codes analogiques, distincts des codes verbaux. Il s’en est suivi toute une réflexion sur les systèmes de signes (Eco, F. Saint  Martin) conduite en partie dans l’esprit de Peirce. Alors que l’analyse textuelle revenait à l’œuvre, la sémiologie de l’image reprenait la question de Barthes : “Comment le sens vient-il aux images ?” Dans les années 1960-1970, les recherches sur l’image se multiplient, notamment à propos de l’image publicitaire à la suite de l’analyse par Barthes de la publicité pour les pâtes Panzani ; cette analyse s’attache à préciser les relations entre le visuel et le linguistique. Dans La chambre claire, le même Barthes précise la spécificité de la photographie. Peu à peu la sémiologie de l’image récupère des aspects qui n’étaient plus pris en compte : les conditions de production du sens, le contexte, les interlocuteurs, les référents flottants, la sémiotique du flou, les marques de l’énonciation. La sémiologie de l’image qui a pris ses distances avec la linguistique et s’est ouverte à la psychanalyse, à la phénoménologie, à l’anthropologie, affirme son autonomie et accueille de nouveaux objets, notamment l’image numérique.

La sémiologie du cinéma

À la sémiologie du cinéma est attaché le nom de Christian Metz. La sémiologie du cinéma se distingue de la critique, de l’histoire, de la théorie et de la filmologie. Metz a d’abord eu une approche phénoménologique, il s’agit de reconnaître le film comme un récit. C’est l’approche saussurienne qui évite à la réflexion de Metz d’être simplement une théorie de plus. Le cinéma, langue ou langage ? Le cinéma n’est pas une langue. La signification est narrative et il n’y a pas de double articulation ; le plan n’est pas un mot, mais un énoncé. Trois traits positifs doivent être relevés : la construction de la dénotation, le montage, qui rapproche le cinéma de la rhétorique et la pluralité des codes. Si la théorie de Metz est avant tout narrative, cette option sera contestée par un déplacement de la référence théorique qui n’est plus saussurienne, mais générative. Mais dans les années 80, un nouveau déplacement s’opère en faveur de l’énonciation scindée en discours et narration. La difficulté apparaît quand il s’agit de penser ensemble la narration et la perception. Un retour à la “dimension communicationnelle“ s’observe, d’où une problématique des genres et une prise en compte du contexte. Fr. Jost ajoute une référence à l’auteur qui n’avait pas été prise en compte.

Sémiologie de la télévision

Longtemps le cinéma et la télévision ont été confondus. La divergence est apparue à propos du nombre : série dans le cas de la télévision, exemplaire isolé dans le cas du cinéma. Trois oppositions ont été relevées : fiction vs non-fiction, continuité vs montage, place dans la hiérarchie culturelle. Ignorée par la sémiologie du cinéma, la situation communicationnelle est prévalente dans le cas de la télévision ; quatre pactes communicatifs assurent cette communication : l’hospitalité, le commerce, l’apprentissage, le spectacle, auxquels correspondent  quatre télévisions. Pour Fr. Jost, le genre est le lieu stratégique de la communication télévisuelle. Trois modes ou archigenres ont été dégagés : le monde réel, le monde fictif et le monde ludique. Ces mondes diffèrent par leur mode d’énonciation : je-origine réel dans le cas du monde réel, je-origine fictif dans le cas du monde fictif, le monde ludique étant entre les deux. L’ancrage énonciatif porte aussi sur le dispositif du “regard à la caméra”, le recours à l’oreillette, la hiérarchie établie entre l’image et la parole, l’usage de la citation, l’auto-promotion des programmes à venir.

Par nécessité la télévision est polyphonique, plusieurs voix se font entendre : celle de la chaîne au titre de responsable de la programmation, celle de la chaîne au titre de personne porteuse d’une identité. L’arrivée des reality shows a relancé la question de la vérité de l’image. Fr. Jost a proposé le concept de “feintise” qui “désigne tous ces cas où le document fait comme s’il était un énoncé de réalité”. La série entraîne  une uniformisation, mais aussi une persistance feuilletonnesque.

Socio-sémiotique des médias

La socio-sémiotique des médias vise une sémiotique engagée dans le social qui prenne en compte les pratiques, les dispositifs et les représentations du lien symbolique. La socio-sémiotique des médias conjugue l’approche sémiologique et au titre de l’objet les mass medias dans l’approche américaine. Plusieurs directions ont été abordées. En premier lieu, une sémiologie du pouvoir dont la naturalisation, dans le plan de l’expression, du rythme temporel, de la structure visuelle et de la rhétorique énonciative, reste masquée. La relation entre le sémiotique  et le social n’est pas unilatérale : le symbolique construit aussi le social. Cette réciprocité est de règle. Le travail sur le réel est marqué par le savoir dont le spectateur est porteur. L’attention s’est déplacée de l’analyse des messages vers la production du symbolique qui oblige l’interprétation des messages. Ceci est également vrai du plan de l’expression : les traits matériels de l’écriture sont dans la dépendance des conditions dans lesquelles la sémiose est effectuée. L’analyse de ces interactions permet d’accéder aux nouveaux enjeux de pouvoir.

L’usage veut que l’auteur d’un compte rendu fasse entendre en fin de parcours une note personnelle. La quatrième de couverture précise que l’ouvrage s’adresse entre autres aux “étudiants, aux enseignants, aux chercheurs débutants ou confirmés,...”. C’est sur ce point que le doute se fait entendre. Si le vocabulaire, la bibliographie et les index rendront assurément service, les notices par leur nombre, leur contenu et leur orientation, risquent de déconcerter les destinataires évoqués. Il est permis de penser que ce n’est pas la conjonction “et” qui relie la sémiotique à la sémiologie, mais bien plutôt la conjonction ”ou”. Tout est en divergence : référence linguistique et référence non linguistique ; la référence linguistique est elle-même partagée entre Hjelmslev et Benveniste ; divergence des objets : ici simple visée de signes, là des énoncés ; ici description des cultures, c’est-à-dire des macro-sémiotiques, là des images publicitaires. Bien sûr, en ces matières l’ambivalence est de règle : l’optimiste insistera sur la diversité, la richesse de l’offre ; le pessimiste sera porté à penser qu’il est devant un paysage féodal où des puissants se côtoient en se respectant...

Les articles et notices réunis dans l’ouvrage collectif ont été rédigés par : Driss Ablali, Sémir Badir, Anne Beyaert-Geslin, Jean-François Bordron, Marie-Françoise Chambat-Houillon, Nicolas Couégnas, Ivan Darrault-Harris, Dominique Ducard, Carine Duteil-Mougel, Jacques Fontanille, Anne-Marie Houdebine-Gravaud, Yves Jeanneret, Martine Joly, François Jost, Eric Landowski, Laurence Leveneur, Anna Maria Lorusso, Claudine Normand, François Rastier, Joëlle Réthoré, Michaël Rinn, Emmanuël Souchier, Patrizia Violi, Anne-Gaëlle Toutain.

bip