Étude d’opinion des Mauricien.nes sur les maladies mentales pouvant être stigmatisantes en particulier concernant les personnes âgées Case study of Mauritians on the stigma on people with mental disorders, especially concerning the elderly

Neelam PIRBHAI-JETHA 
y Pascal BONCOEUR 

https://doi.org/10.25965/trahs.4315

Quelle image nous vient-il à l’esprit lorsque l’on pense à une personne atteinte de troubles neurologiques ? Les stéréotypes abondent : soit c’est une personne qui hurle et fracasse tout autour d’elle, soit c’est une personne, assise, silencieuse, sans voix. Pour le premier cas, on l’appellera un fou ou dans le langage mauricien ou le créole « fouca » ou « pagla » ; et pour le deuxième cas, on pense à un vieux, atteint d’Alzheimer. L’Autre, atteint de démence, est souvent perçu comme ayant une identité fragmentée. Il perd ainsi toute sa dignité humaine lorsqu’il est vu comme un personnage inquiétant ou qui fait honte, et lorsqu’il doit être enfermé ou caché de la société. Déconnecté du monde humain, il devient un mort-vivant. Notre étude, toujours dans un état embryonnaire, a pour objectif à court terme de faire un état des lieux des personnes âgées atteintes de troubles neurologiques à Maurice. Nous avons contacté les ONG, des chercheurs travaillant sur le sujet et nous avons aussi fait un sondage sur la perception des Mauriciens sur les personnes âgées atteintes de troubles neurologiques. Les résultats et analyses nous amènent à conclure que davantage d’effort doit être fait pour sensibiliser les gens afin de réduire les stigmates et ainsi créer une société plus inclusive.

What comes to our mind when we think of someone with neurological disorders? Stereotypes abound : either it is someone screaming and smashing everything around him/her, or it is a person, sitting, silent, speechless. For the first case, we will call him/her “mad” or in the Mauritian language or Creole "fouca" or "pagla"; and in the second case, we think of an old person suffering from Alzheimer. The Other, suffering from dementia is often perceived as someone with a fragmented identity. People with mental disorders tend to lose their human dignity, especially when their presence worries and brings shame, and they are locked up and hidden from society. Disconnected from the human world, they become the living dead. Our study, still in an embryonic state, aims, in the short term, to look into neurological disorders of the elderly in Mauritius. We contacted NGOs, researchers working on the subject and also launched a survey on the perception of Mauritians on elderly people with neurological disorders. Our results and analysis lead us to conclude that more effort must be made to raise awareness in order to reduce the stigma and thus create a more inclusive society.

Índice
Texto completo

Introduction

“Who is it who can tell me who I am ?”
Shakespeare, King Lear, Acte 1, scène 4

Quelle image nous vient-il à l’esprit lorsque l’on pense à une personne atteinte de différences/troubles neurologiques ? Les stéréotypes abondent : soit c’est une personne qui hurle et fracasse tout autour d’elle, soit c’est une personne, assise, silencieuse, sans voix. Pour le premier cas, on l’appellera un fou ou dans le langage mauricien ou le créole « fouca » ou « pagla » ; et pour le deuxième cas, on pense à un vieux, atteint d’Alzheimer. La revue de littérature a tendance à considérer la démence ou les troubles neurologiques uniquement chez les personnes âgées et, le plus souvent, à partir du point de vue des aides-soignants et des membres de la famille du patient.

Notre étude construite sur l'opinion d'une tranche de la population mauricienne sur les personnes âgées souffrant de maladies mentales, est toujours dans un état embryonnaire. Nous avons remarqué des lacunes dans les recherches, car très peu de travaux prennent en considération la voix du patient atteint de troubles neurologiques. Certes, les patients dit « crieurs » (Michel, 2019 : 195-199) sont incompris et communiquer avec eux semble impossible car ils sont en décalage avec leur environnement. Mais, selon M. Grosclaude (2019 : 200-208), même leur cri a du sens et révèle un besoin. Toutefois, tous les patients atteints de démence ont-ils un souci pour s’exprimer ? La recherche d’Ellis et d’Astell (2018) sur l’interaction adaptative montre qu’il y a un moyen de communiquer sans les mots. C’est d’ailleurs l’humiliation et la honte d’être différents, car atteints d’une maladie dite taboue, qui amènent les patients à réduire leur désir de communiquer.

Note de bas de page 1 :

Global Rainbow Foundation, Anglo Mauritian Disability Link, VisioNew et Fondation George Charles.

La société mauricienne semble déjà catégoriser et stigmatiser les personnes d’après leurs aptitudes, et les patients atteints d’un trouble neurologique deviennent l’Autre. Avec une identité fracturée et la perte de dignité humaine, l’Autre atteint de démence, inquiète et fait honte : on l’enferme et on le cache de la société. Déconnectés du monde humain, ces êtres deviennent des morts-vivants. Notre objectif à court terme est de faire un état des lieux des troubles neurologiques dont souffrent les personnes âgées pour montrer comment elles sont traitées par la société. Nous avons contacté les ONG1 et des chercheurs travaillant sur le sujet et aussi fait un sondage auprès des Mauricien-ne-s de plus de 18 ans afin de connaître leurs perceptions sur les personnes âgées atteintes de troubles neurologiques. Toutefois, cette étude a été écourtée en raison de la situation pandémique, et nous avons uniquement pu faire un sondage en ligne. Une étude qualitative des perceptions des personnes atteintes de démence sera faite ultérieurement.

I- Revue de littérature brève

I.1. Les troubles neurologiques

Dans son article sur « Les troubles mentaux », disponible sur son site web, l’Organisation Mondiale de la santé, définit les troubles neurologiques comme englobant plusieurs types de démences telles que :

L’épilepsie, la maladie d’Alzheimer et d’autres démences, les maladies cérébro-vasculaires, y compris l’accident vasculaire cérébral, la migraine et autres céphalées, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, les infections du système nerveux, les tumeurs du cerveau, les troubles traumatiques du système nerveux tels que les traumatismes crâniens, et les troubles neurologiques liés à la malnutrition ». Plusieurs infections bactériennes peuvent aussi avoir un effet néfaste sur le système nerveux (World Health Organisation, 2016).

La mémoire, consciente et inconsciente, a une fonction essentielle et permet à une personne de se connecter à elle-même et au monde qui l’entoure. Elle a pour fonction de « saisir, [d’] encoder, stocker et rappeler consciemment ou inconsciemment quelque chose que l’on a appris antérieurement » (Lefebvre des Noettes, 2019 : 251). Le fait d’oublier ou de perdre la mémoire, comme dans le cas de quelqu’un atteint d’Alzheimer, donne le sentiment de la perte de l’existence car tout devient « brouillé, confus, vague, morcelé » et on a l’impression « que la mémoire est aussi trouée de « blancs », que son esprit s’exprime par fragments » (Lefebvre des Noettes, 2019 : 252).

Les maladies neurodégénératives, difficiles à diagnostiquer ou guérir, ont donc un impact sur la mémoire et provoquent des changements chez l’être humain, en altérant « l’être, le langage, la communication, le jugement et le raisonnement » (Lefebvre des Noettes, 2019 : 251). Se reconnaître ou reconnaître l’autre devient aussi difficile – on fait référence ici à la maladie d’Alzheimer. Toutefois, en citant Leibniz, philosophe du XVIIe siècle, Lefebvre des Noettes fait aussi référence aux « petites perceptions », qui sont « logées dans l’âme » et qui permettent de comprendre que « la conscience s’épanouit au-delà des multiplicités sous-jacentes de l’inaperçu » (Lefebvre des Noettes, 2019 : 252).

Note de bas de page 2 :

Voir le site web de Living Words (2016) à l’adresse http://livingwords.org.uk/

Ainsi, c’est « en construisant pas à pas une éthique des petites perceptions » que « renaît » un sujet (Lefebvre des Noettes, 2019 : 253). Les personnes, quelles qu’elles soient, jeunes ou moins jeunes, atteintes de troubles neurologiques communiquent, mais à leur rythme et leur manière. La poétesse, Susana Howard a publié Living Words2 et a pu montrer qu’il est possible de rédiger un recueil de poème avec la collaboration des patients atteints d’Alzheimer du service hospitalier réservé aux personnes âgées de l’hôpital St Thomas à Londres (Akbar, 2013). Toutefois, malgré l’avancée scientifique sur le sujet, cela ne signifie pas que les perceptions dévalorisantes sur les personnes souffrant de troubles mentaux aient disparues.

I.2. La stigmatisation

Dans son étude, Written Off – Mental Health Stigma and the Loss of Human Potential, Philip T. Yanos, analyse comment la stigmatisation autour des démences ou de la maladie mentale a un effet sur les personnes qui ont un antécédent psychiatrique. La personne souffrant de troubles neurologiques garde pour l’éternité cette étiquette (« label ») même si elle se comporte ‘normalement’ dans la société. Les stéréotypes demeurent et les différences entre eux (personnes souffrant de troubles neurologiques) et nous (personnes dites normales) augmentent. Le regard de la société amène à son tour un effet sur le comportement social et l’image/la perception qu’a la personne d’elle-même. Ce processus (étiquette – stéréotype – objectivation/altérité – perte de position sociale – discrimination) renvoie aux étapes de stigmatisation.

La peur d’être étiqueté à vie fait aussi que plusieurs personnes évitent les soins (Yanos, 2018 : 10). Cela pourrait alors empêcher les personnes de bien vivre en société et de bien vieillir comme le souligne Katarzyna Urbańska, Dorota Szcześniak et Joanna Rymaszewska dans « The stigma of Dementia » (2015). Selon cette recherche et un rapport du World Health Organization and World Psychiatric Association (Saraceno et al, 2002), les personnes âgées atteintes de maladies mentales subissent une double stigmatisation. Tout d’abord, elles doivent faire face à des stéréotypes ou connotations négatives qui sont déjà associées au vieillissement normal telle que la dépendance (Urbańska, 2015 : 227) ; ensuite un diagnostic de démence chez une personne âgée est susceptible d'entraîner davantage de stigmatisation sociale telle que la victimisation, la violence et la négligence (Saraceno et al, 2002) :

People with dementia experience a double stigmatisation. The elderly form a stereotypical group, which may be stigmatised. They feel stigmatised and discriminated against, unwanted. They have low self-esteem and experience disrespect due to their age [1, 32]. The stereotypes that are associated with old age also include dependency, social, sexual limitations and lack of autonomy [32]. Negative connotations are associated with the term ‘normal aging’ [17], which makes the diagnosis of dementia all the more likely to lead to social stigma [17, 33]. (Urbańska et al., 2015 : 227)

Les maladies mentales des personnes âgées existent depuis toujours et dans toutes les sociétés. Dans son historique sur les malades mentaux et la stigmatisation envers ceux souffrant de ces troubles, Yanos montre que l’exclusion sociale est rare chez certains peuples, en particulier dans des tribus ou chez les peuples anciens. Chaque peuple a tendance à traiter les malades différemment : tandis que dans certaines tribus la démence est acceptée, chez d’autres (Grèce ancienne, ancien Israël), les moqueries sont omniprésentes. En Chine (ancienne), le nom de la famille en souffrait si on venait d’apprendre qu’un des membres de la famille avait un trouble mental (Yanos, 2018 : 20-21).

Note de bas de page 3 :

C’est d’ailleurs toujours le cas dans certaines régions en Afrique (Brooke & Ojo, 2019).

Note de bas de page 4 :

Selon Yanos, plusieurs personnes croyaient que des pratiques comme l'exorcisme pouvaient mener à la guérison. En conséquence, il y avait un certain nombre de sanctuaires qui étaient considérés comme des endroits où la folie pouvait être guérie (2018: 22).

En citant Müller (1996), Finzen relate les histoires du Roi David (approximativement 1004–965 avant JC) et la haine envers les aveugles et les personnes avec des handicaps. Même le philosophe, Platon, insiste sur le fait que les criminels, mendiants et personnes porteuses de maladies incurables doivent être exterminés afin d’avoir une société pure et saine (Finzen, 2017 : 32). En Europe médiévale (après la chute de l’empire romain) et dans quelques régions islamiques de cette période tels que le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, les actes de démence sont souvent liés à des explications surnaturelles (malédiction des dieux, sorcellerie…) (Yanos, 2018 : 22-23)3. Toutefois, les malades sont exonérés de toute faute même s’ils devaient souvent se faire exorciser (Yanos, 2018 : 22)4. En outre, de la même manière qu’on différenciait les criminels et les lépreux par des signes spécifiques sur leur corps, une marque en forme de croix était aussi tatouée sur la tête des malades mentaux (Finzen, 2017 : 32).

Note de bas de page 5 :

Psychologue clinicien et Professeur à John Jay College of Criminal Justice (New York). Voir : https://www.jjay.cuny.edu/faculty/philip-t-yanos

Le XVIIIe siècle, quant à lui, attribue la folie au diable, « au péché et à la damnation » (Giordana, 2010 : 11). Vers la fin du XVIIIe siècle, les explications surnaturelles sont moins favorisées, et des explications faisant davantage appel à la biologie sont avancées. Mais, tout comme les pauvres, les fous sont rejetés de la société et souvent enfermés. Au XIXe siècle, apparaissent les asiles, espaces inhumains qui augmentent « l’exclusion sociale » des malades mentaux, « privés de liberté » (Giordana, 2010 : 12). La maladie mentale devient signe de faiblesse et la marque d’une civilisation en décadence. Philip Yanos5 cite par exemple le psychiatre Henry Maudsley, qui avance que l’insanité est incurable et qu’elle est liée à la dégénérescence morale et à la criminalité (Yanos, 2018 : 25).

Note de bas de page 6 :

Francis Galton (1822-1911). Voir : https://embryo.asu.edu/pages/francis-galton-1822-1911

Note de bas de page 7 :

Yanos utilise le terme ‘optimiste’ afin de montrer une évolution dans les recherches scientifiques sur les troubles mentaux et la prise en charge des personnes souffrant de troubles neurologiques. Voir l’extrait ci-dessous tiré de Yanos (2018 : 26) :
“The 1950s and early 1960s were a time of great change and optimism with regard to the treatment of people with severe mental illnesses, as new medications that might successfully manage symptoms became available (beginning with the discovery of chlorpromazine, commercial name Thorazine, in 1952), and as a gradual reversal of the practice of mass long-term hospitalization began (“deinstitutionalization”)”.

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient apparaître l’eugénisme, terme créé par Francis Galton6, pour décrire la philosophie morale qui prône la sélection génétique des individus pour améliorer la race humaine. C’est ainsi qu’a lieu la stérilisation forcée des criminels et des personnes atteintes de maladies mentales, dans 40 des 48 états en Amérique en 1935 (Yanos, 2018 : 25) et l’Allemagne d’Hitler commence à éliminer des personnes souffrant de troubles neurologiques car elles sont considérées comme un poids pour la société (Yanos, 2018 : 16). Ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale, dans les années 50 et 60 qu’un changement optimiste7 et positif est perçu : le traitement des personnes souffrant de troubles neurologiques commence avec la médicamentation et la désinstitutionalisation (Yanos, 2018 : 26).

Toutefois, même si les études de Schomerus et Angermeyer (2017 : 157-158), par exemple, montrent un changement dans la connaissance de la provenance des troubles neurologiques, cependant les stéréotypes continuent à être les mêmes (Yanos, 2018 : 28 ; Renwick, 2016 :68 ; Werner, 2016 :18 ; Sheehan et Ali, 2016 : 105) et les personnes atteintes de troubles neurologiques sont souvent considérées dangereuses, imprévisibles, peu productives, et doivent être retirées de la société (Yanos, 2018 : 28). Les personnes âgées, quant à elles, font face non seulement aux stéréotypes mentionnés ci-dessus, mais elles sont aussi marginalisées dans le processus de traitement, en particulier si leurs fonctions cognitives se détériorent (Urbańska et al, 2015 : 228 ; Liu et al., 2008).

Note de bas de page 8 :

Dans leur étude, Loch & Rossler (2017 : 113-119) citent les recherches menées au Canada, en Nouvelle Zélande, Angleterre et en Amérique entre autres pour expliquer comment les médias, par exemple, peuvent véhiculer des informations erronées sur les personnes souffrant de troubles mentaux, incitant ainsi une grande partie de la société à intégrer certains stéréotypes. Ces perceptions négatives au niveau macro sont aussi perçues au niveau intermédiaire, qui englobe les étudiants en médicine, des psychiatres et des professionnels de la santé. Ces derniers cultivent eux aussi des préjugés envers les personnes avec des troubles mentaux et leurs attitudes néfastes peuvent d’ailleurs influencer la perception de la population, augmentant l’exclusion des personnes atteintes de troubles mentaux. C’est ainsi que le niveau micro, qui comprend les membres de la famille, les amis et même la personne souffrant de troubles mentaux, contribue à son tour à faire véhiculer les stigmates sur les malades mentaux.

Bref, le processus de stigmatisation est une notion complexe (Koschorke et al., 2017 : 69), qui ne demeure guère statique (Schomerus & Angermeyer, 2017 : 157) et lorsqu’elle est liée aux maladies, elle peut amener des explications conflictuelles de la part des personnes qui sont partagées entre des notions scientifiques et culturelles (Koschorke et al., 2017 : 69). Elle englobe trois grandes structures socio-cognitives : des stéréotypes (opinions ou croyances sur un groupe, comme par exemple, les personnes qui ont des troubles neurologiques sont dangereuses), des préjugés (les réactions émotionnelles ou affectives liées au fait qu’on accepte ces stéréotypes, par exemple, la peur d’être face à une personne affectée d’un trouble neurologique) et la discrimination (comportement négatif – tel que le refus de louer un appartement ou de donner un travail à une personne ayant un trouble neurologique) (Sheehan et al, 2017 : 44-46). Les stigmatisations envers les personnes, jeunes et âgées, atteintes de troubles neurologiques persistent encore dans plusieurs pays et cultures (Koschorke et al, 2017 : 75), malgré « la propagation des concepts biogénétiques » sur les maladies mentales (Angermeyer, 2010 : xiii). La stigmatisation se fait aussi sentir à tous les niveaux dans la société : niveau micro (famille, amis…) ; niveau intermédiaire (soignants, médecins) et niveau macro (société en générale, les lois, les médias) (Loch & Rossler, 2017 : 113)8.

Notre objectif est d’analyser les attitudes à l’égard de la maladie mentale à l’île Maurice et voir si cette étude se montre en faveur d’une moindre stigmatisation et d’une plus grande tolérance de la population mauricienne envers les personnes âgées. Une stigmatisation envers ces dernières, atteintes de troubles neurologiques pourrait d’ailleurs avoir un effet néfaste à la longue, en particulier sur leur prise en charge et leur bien-être.

II- Méthodologie de recherche

Afin de répondre à notre objectif de recherche, et étudier les perceptions sur les personnes âgées souffrant de troubles neurologiques, nous avons choisi une méthode de recherche mixte, à la fois qualitative et quantitative, afin d’user des avantages des deux méthodes – qualitatives pour donner libre voix aux répondants – et quantitative afin d’avoir une plus grande taille de l’échantillon. Dans cette étude exploratoire, qui a débuté en 2020, et qui a pris du retard en raison de la pandémie de Covid-19, et des divers confinements, nous essaierons de découvrir les thématiques récurrentes autour de notre question (perceptions sur les troubles neurologiques). Des entretiens semi-dirigés en face à face ont dû être annulés mais un questionnaire a été créé sur MS Teams et le lien et le code QR ont été envoyés à des habitants de Maurice, de plus de 18 ans, à des collègues universitaires, des organisations non-gouvernementales telles que Global Rainbow Foundation, Anglo Mauritian Disability Link, VisioNew et Fondation George Charles et nos contacts sur les réseaux sociaux tels que LinkedIn et Facebook. Les réponses étaient anonymes.

Note de bas de page 9 :

A noter que le dernier recensement officiel date de 2011.

L’île Maurice compte une population de 981,085 personnes de plus de 15 ans. 13 % de la population mauricienne a plus de 60 ans ; 17 % d’entre elles ont des handicaps et 2,100 personnes vivent dans des institutions spécialisées d’après le recensement de 20119. Il a été estimé que 30 % de la population aura plus de 60 ans en 2050 (Ministry of Finance and Economic Development, 2011). En nous basant sur le logiciel Raosoft, avec une précision de 5 % (« margin of error ») et 95 % pour le seuil de confiance (« confidence level »), un échantillon de 384 réponses était attendu. Toutefois, uniquement 209 personnes, dont 133 femmes et 71 hommes, ayant accès à internet et connectées aux réseaux sociaux, ont répondu à notre questionnaire. 5 répondants ont préféré ne pas donner de détails sur leur genre/sexe. 92,3 % de nos répondants étaient âgés de 18 à 45 ans (101 répondants avaient entre 18-25 ans ; 60 entre 26-35 ans ; 32 répondants entre 36-45 ans). Uniquement 16 répondants étaient âgés de plus de 46 ans (11 répondants étaient âgés de 46-55 ans ; 5 de 56-65 ans). Aucun répondant de plus de 66 ans n’a répondu à notre questionnaire en ligne. Une étude de 2016-2018 (Statistics Mauritius, 2018) montre qu’environ 70 % des Mauriciens ont un smartphone et un accès à internet. Toutefois, comme l’indique le tableau ci-dessous, les personnes de plus de 50 ans n’y ont pas tous accès à un smartphone ou à internet :

Tableau 1 : Personnes âgées utilisant les technologies numériques

Personnes âgées de

Possédant un smartphone

Ayant accès à Internet

50-59 ans

35 %

41 %

plus de 60 ans

18 %

21 %

Source : Statistics Mauritius (2018)

De plus, les informations reçues dans notre dernière question « Autre commentaire sur le sujet » démontrent que l’un de nos répondants a été patient(e) schizophrène. 93,8 % des répondants avaient la nationalité mauricienne. Les étrangers sur le sol mauricien venaient de Madagascar (9), Burundi (2), Afrique du Sud (1) et Seychelles (1) et 3 personnes n’ont pas précisé leurs nationalités.

Nous avons créé le questionnaire, revu et adapté au contexte mauricien, en nous basant sur la revue de littérature existante sur les attitudes envers les personnes souffrant de troubles mentaux. Les seules questions personnelles posées étaient centrées sur l’âge, le genre et la nationalité des répondants. Les autres questions, ouvertes (7) et fermées (9) de format Likert, ont permis de cerner trois grands thèmes : i) les connaissances ou plutôt le manque de connaissance sur les différents types de troubles neurologiques, les services de santé/traitements/informations/campagnes de sensibilisation disponibles pour les personnes souffrant de troubles neurologiques ; ii) les perceptions et attitudes envers les personnes âgées atteintes des troubles neurologiques ; iii) les expériences personnelles des répondants. Nous allons lier les deux dernières parties (perceptions et expériences) dans notre analyse.

III- Analyse et Discussion

III.1 La prise en charge des troubles neurologiques à l’île Maurice

Des questions abondent, en particulier, dans le contexte mauricien, car peu de données détaillées ont été trouvées sur le nombre de personnes âgées atteintes de troubles mentaux sur l’île. Dans le rapport du Ministère de la Santé et de la Qualité de Vie (2019), quelques chiffres sont disponibles sur le nombre de ceux/celles souffrant de troubles mentaux, épilepsie et autres maladies du système nerveux. Ces données proviennent plus particulièrement de l’hôpital public ayurvédique (le seul à notre connaissance qui se situe dans le nord de l’île) et les hôpitaux privés (voir Figure 1). Toutefois, uniquement l’hôpital psychiatrique de Brown Sequard (qui se situe dans la ville de Beau Bassin/Rose-Hill) a des données détaillées sur le nombre de personnes ayant eu un suivi pour différents types de troubles mentaux.

Figure 1 : Personnes suivant des traitements pour troubles mentaux

Figure 1 : Personnes suivant des traitements pour troubles mentaux

Source : Rapport du ‘Ministry of Health and Quality of Life’ (2019)

Pour être plus explicite, le camembert ci-dessus montre que 2635 personnes suivent un traitement pour les troubles mentaux dans l’hôpital public ayurvédique ; 911 dans les hôpitaux privés et 3108 à l’hôpital psychiatrique de Brown Sequard (Ministry of Health and Quality of Life, 2019).

En outre, en 2019, les personnes ayant eu une première visite médicale dans les centres de santé communautaire et hôpitaux entre autres concernant les troubles mentaux s’élèvent à 11,038 et pour les maladies du système nerveux à 13,249 (Ministry of Health and Wellness, 2019 : 81). Le même rapport donne aussi quelques informations sur l’âge des personnes souffrant de troubles mentaux, qui ont eu l’autorisation de rentrer chez elles après avoir suivi des traitements dans les hôpitaux (voir figure 2) et les âges des personnes avec des troubles qui sont décédées (voir figure 3). Les causes de la mort n’ont pas été précisées.

Figure 2 : L’âge des personnes souffrant de troubles mentaux

Figure 2 : L’âge des personnes souffrant de troubles mentaux

Source : Rapport du ‘Ministry of Health and Quality of Life’ (2019 : 75)

Figure 3 : Décès des personnes souffrant de troubles mentaux

Figure 3 : Décès des personnes souffrant de troubles mentaux

Source : Rapport du ‘Ministry of Health and Quality of Life’ (2019 : 100)

Avant d’entamer l’analyse des données suite à notre sondage, il est aussi important de connaître les services qui prennent en charge les personnes atteintes des troubles neurologiques à Maurice. L'assistance aux personnes souffrant de troubles mentaux relève du Ministère de la Santé et de la Qualité de Vie, qui fournit de l'aide à travers un hôpital public spécialisé en santé mentale, des centres de loisirs et des soutiens financiers aux ONG.

Le gouvernement mauricien a également adopté la loi No 8 de 2003-21 Août 2004 (Legal Supplement to the Government Gazette of Mauritius, 2003 ; Government Notice, 2006) sur les foyers de soins résidentiels. Cela a permis aux acteurs privés d'entrer dans le domaine des services de santé mentale en fournissant différents services aux personnes, jeunes et âgées, atteintes de maladies mentales. En nous basant sur plusieurs sources (Ramphul, 2018 ; Naga, 2007 ; Ministry of Health and Wellness, 2019, Ministry of Social Integration, Social Security and National Solidarity), nous avons créé le schéma ci-dessous afin de faire une synthèse des soins disponibles à Maurice :

Figure 4 : Les soins disponibles à l’île Maurice

Figure 4 : Les soins disponibles à l’île Maurice

Source : Pirbhai-Jetha & Boncoeur, 2021 (schéma créé d’après les informations tirées de Ramphul, 2018 ; Naga, 2007 ; Ministry of Health and Wellness, 2019, Ministry of Social Integration, Social Security and National Solidarity…)

Cette première recherche nous a amené à rédiger et poser quelques-unes de nos questions qui étaient axées sur la connaissance des répondants sur les troubles neurologiques et les soins et campagnes disponibles sur le sujet. En nous basant sur la définition donnée par l’OMS, nous avons voulu savoir si les répondants pensaient que les termes ci-dessous (voir Tableau 2) faisaient partie des troubles neurologiques. La question voulant porter sur les connaissances générales des répondants sur les maladies mentales, nous n’avons pas cibler une tranche d’âge spécifique des personnes pouvant être atteintes de ces maladies. Le tableau indique le nombre de participants ayant répondu positivement (« oui ») aux choix proposés. Cela montre, qu’en général, les participants ne sont pas bien informés sur les troubles neurologiques puisqu’ils ne savent pas que toutes les maladies de la liste ci-dessous font partie des troubles neurologiques dont peut souffrir une personne, qu’elle soit jeune ou âgée :

Tableau 2 : Connaissance sur les différents types de troubles neurologiques

Tableau 2 : Connaissance sur les différents types de troubles neurologiques

Source : Pirbhai-Jetha & Boncoeur, 2021 (Résultats du sondage de cette étude)

Malgré le nombre d’instituts et d’associations qui s’occupent des personnes atteintes des troubles neurologiques, il semblerait que la majorité des répondants semblent lier uniquement quelques maladies à des troubles neurologiques (la plus connue étant la maladie d’Alzheimer). Ce manque de connaissance est d’ailleurs perçu lors de leurs réponses sur des effets des troubles neurologiques, les informations sur le traitement ou les campagnes de sensibilisation disponibles pour les personnes souffrant de troubles neurologiques. 110 répondants (53 %) ne connaissent pas les effets des troubles neurologiques. Sur les 91 personnes ayant cité les effets des troubles, une dizaine de personnes n’a sûrement pas compris la différence entre la « maladie » et les « effets » / symptômes d’une maladie. Ces répondants ont mis uniquement Alzheimer, maladie de Parkinson, inflammation du cerveau, schizophrénie, épilepsie pour expliquer les effets des troubles mentaux.

Les autres réponses reçues mentionnent comme effets : « oubli, perte de mémoire, de la notion du temps et des sensations, manque de sommeil, stress, panique, anxiété, peur, parler seul, la dépression, violence, colère, agressivité, irritabilité, se retirer de la société, manque de confiance en soi, préfère la solitude, vomissement, problème de sommeil, trouble de la vision, faire des grimaces, comportement bizarre, enfantin, regret du passé, incompréhension et incapacité de prendre soin de soi, perte de la notion du bien et du mal et trouble de la personnalité, tremblements, convulsions, perte des notions (direction, orientation), instabilité émotionnelle et hallucinations ».

Les effets des troubles neurologiques sont, en effet, variés mais quelques réponses nous interpellent : « enfantin », « violent » et « incompréhension et incapacité de prendre soin de soi ». Certes, dans cette question ouverte, les répondants n’ont pas précisé dans quel cas ou plutôt à quel trouble neurologique ils font référence. Mais nous reviendrons sur ces termes dans la section « Perceptions sur les personnes avec des troubles » car les stéréotypes et préjugés habituels tournent autour de ces termes.

Note de bas de page 10 :

Ceux qui ont déjà entendu/vu des campagnes menées par le Ministère de la santé et par plusieurs ONG ont cité les ONGs suivants : « OpenMind, Friends in Hope, AIESEC Réduit, OASIS, Global Rainbow Foundation (GRF), Alzheimer Association Mauritius, Centre de Dr Idrice Goomany, Edycs Group - Epilepsy, APDH, AMDL, Befrienders, APEIM, Lifecare Residential Carehome, Joie de Vivre Universelle Recreational Centre ». Les répondants ont aussi parlé de « la journée internationale de l’autisme ».

Note de bas de page 11 :

Dahlberg, K. M., Waern, M., & Runeson, B. (2008). Mental health literacy and attitudes in a Swedish community sample– Investigating the role of personal experience of mental health care. BMC Public Health, 8(1), 8-18. DOI: 10.1186/1471-2458-8-8 ;
Jorm, A. F. (2012). Mental health literacy: Empowering the community to take action for better mental health. American Psychologist, 67(3), 231-243. DOI: 10.1037/a0025957
O’Connor, M., & Casey, L. (2015). The Mental Health Literacy Scale (MHLS): A new scalebased measure of mental health literacy. Psychiatry Research, 229(1-2), 511-516. DOI: 10.1016/j.psychres.2015.05.064.

De plus, 187 personnes (90 %) n’ont jamais vu/entendu parler des campagnes de sensibilisation sur les troubles neurologiques, que ce soit pour les jeunes ou les personnes âgées, à Maurice10. 173 répondants (83 %) ont répondu ne pas connaître l’existence des instituts/associations qui aident les personnes atteintes de troubles neurologiques, et selon 172 répondants, il n’y a pas suffisamment de soins médicaux/d'aides médicales pour ces malades. En effet, à notre connaissance, aucune ligne d’urgence gouvernementale (hotline) n’est dédiée pour conseiller les membres de la famille ayant des personnes âgées souffrant de troubles mentaux et les guider vers les institutions concernées. Ce que l’on peut déduire de ces résultats c’est qu’il y a un manque de connaissance sur les troubles neurologiques et leur prise en charge à Maurice. Il est assez alarmant de noter qu’une société vieillissante comme Maurice, avec environ 30 % de sa population ayant plus de 50 ans (Statistics Mauritius, 2019), n’est pas au courant des maladies neurologiques qui peuvent les affecter. Pour le bien-être de la population vieillissante, il est temps pour les pouvoirs publics et de santé d’agir et de revoir leurs priorités envers les personnes âgées souffrant de troubles mentaux. Serait-il donc plus judicieux de s’engager, par exemple, à éduquer la population, dès son plus jeune âge sur le sujet ? En effet, bien que l’expérience directe soit considérée comme ayant un plus grand effet sur la réduction des stigmates, éduquer les jeunes et les personnes âgées permettrait de réduire les caricatures et stéréotypes autour des stigmates (Yanos, 2017 : 70-71). Citant plusieurs chercheurs11, Aller et al. (2021) expliquent que la littératie ou l’enseignement des troubles mentaux permettrait d’avoir des connaissances sur le sujet afin de les reconnaître, les gérer et les prévenir. Selon Jorm (2012 : 231) :

… mental health literacy is not simply a matter of having knowledge (as might be conveyed in an abnormal psychology course). Rather it is knowledge that is linked to the possibility of action to benefit one’s own mental health or that of others (cité dans Aller et al, 2021 : 1).

Eduquer sur les troubles neurologiques semble important car d’après des données d’Abolfotouth et al., 70 % des personnes ne recherchent pas de l’aide par manque de connaissance sur la nature et les effets de la démence et les soins disponibles (Abolfotouh et al., 2019 : 51). D’ailleurs, notre recherche montre que 96 % de nos répondants (201) pensent que des cours/chapitres sur les troubles neurologiques doivent être intégrés dans le curriculum scolaire/universitaire. Selon les répondants, l’information et l’éducation sont indispensables à une « société saine et responsable » et permettent de « vivre ensemble normalement ». Plusieurs ont mis l’accent sur le développement de « l’empathie », « l’humanité », « la tolérance », « la compassion » et « le désir d’aider », de réduire, voire faire disparaître les « stigmates », « tabous », « préjugés », la « violence », les sentiments de « honte » et « la discrimination ». Autres termes récurrents reçus suite à cette question ouverte pour justifier de l’importance de l’enseignement sur le sujet sont : la compréhension des maladies mentales et les remèdes disponibles pour soi et pour les personnes âgées qui souffrent et l’acceptation et l’intégration de l’Autre. Un répondant a même ajouté que la sensibilisation par un enseignement auprès des jeunes pourrait créer une « différence entre » envoyer quelqu’un « dans un institut mental et [trouver] une autre alternative ». Cela pourrait ainsi réduire les stigmates envers les personnes âgées souffrant de troubles neurologiques.

Il est important de noter que plusieurs répondants réalisent que « tout le monde peut être atteint » de troubles mentaux, et une dizaine de remarques tournaient autour du fait que les troubles neurologiques existent aussi « dans le milieu scolaire », et « auprès des jeunes ». Dans une question ouverte qui demandait aux répondants de justifier leur réponse suite à la question sur l’importance d’intégrer des cours sur les troubles mentaux, seulement 9 de nos répondants pensent qu’uniquement les personnes âgées sont touchées. En effet, dans le rapport du Ministère de la Santé et de la Qualité de Vie, il est mentionné que lors des ‘dépistages’ en 2019, 18 enfants du pré-primaires et 84 enfants des écoles primaires ont des troubles mentaux (2019 : 58).

La question que l’on se pose est : quand faut-il commencer à réfléchir à la vieillesse, aux personnes âgées et le concept de « bien vieillir » ? Autrement dit, si rien n’est fait sur la question de troubles mentaux maintenant, que fera-t-on dans le futur avec les personnes âgées souffrant de ces troubles ? En bref, il semblerait que l’éducation et la sensibilisation (destinée aux jeunes et personnes âgées) pourrait aider à « détecter », « gérer », « prévenir » et créer une « société inclusive » et égalitaire.

III.2 Perceptions/Stigmates sur les personnes âgées atteintes de troubles neurologiques

La stigmatisation a toujours été omniprésente dans une société qui a tendance à catégoriser les gens, et s’est répandue là où les personnes subissent des pressions et sont dévalorisées et exclues de la société pour des raisons culturelles, ethniques, ou celles liées à des maladies (Finzen, 2017 : 40-41). En citant Jo Phelan, Bruce Link et John Dovidio, Philip Yanos avance qu’il existe trois raisons essentielles à la stigmatisation : l’exploitation et la domination afin d’asservir les gens, le renforcement des normes sociales pour faciliter la conformité et le besoin d’éviter certaines maladies contagieuses (Yanos, 2018 : 31).

La majorité des répondants de cette étude trouvent qu’il existe des stigmates envers les personnes souffrant de troubles neurologiques ; et malgré cela, nous voyons une utilisation inconsciente de l’adjectif démonstratif « ces » dans « ces gens » dans leurs énoncés ou réponses aux questions ouvertes. Il semblerait que nous ayons besoin de faire une différence entre « eux » et « nous » ; malgré notre intention, louable d’être tolérant et juste, de ne pas faire de différence entre le Moi et l’Autre. Et, en contraste avec les jeunes, les personnes âgées souffrant de troubles mentaux portent un double fardeau qui renforce leur altérité : elles sont marquées à la fois par la vieillesse et par la maladie mentale (Urbańska et al, 2015 : 228 ; Liu et al., 2008).

Note de bas de page 12 :

Voir quelques rapports cités par l’auteur (Giordana, 2010) :
Thornicroft G., Brohan E., Rose D., Sartorius N., Morven L. (2009). “Global pattern of experienced and anticipated discrimination against people with schizophrenia: a cross-sectional survey”, www.thelancet.com. L’étude Indigo (International Study of Discrimination and Stigma Outcomes) a impliqué divers centres répartis dans 27 pays différents.
Roelandt J.-L., Caria A., Angius M., et al. (2003). « La Santé mentale en population générale : images et réalités. Résultats de la première phase d’enquête 1998-2000 », L’Information Psychiatrique, n° 79, p. 867-878, http://www.epsm-lille-metropole.fr.
Piel E., Roelandt J.-L. (2001). « De la psychiatrie vers la santé mentale », Rapport de mission remis au ministre de l’Emploi et de la Solidarité au Ministre délégué à la santé.
Canadian Mental Health Association, Ontario Division. (1994). “Final Report, Mental Health Anti-Stigma Compaign Public Education Strategy”.

Les questions ouvertes de cette étude ont permis d’analyser les stéréotypes qui y sont véhiculés envers les personnes âgées. On peut reprendre les quelques termes utilisés lorsque l’on a demandé aux répondants ce qu’ils savent des effets des troubles neurologiques des personnes âgées : attitude enfantine, incapacité à être indépendant et de s’occuper de soi, et agressivité. Ces termes renvoient aux stéréotypes qui sont souvent associés aux personnes, qu’elles soient jeunes ou âgées, souffrant de démences et troubles neurologiques dans la revue de littérature (Sheehan et al., 2017 : 46). Perdre la tête veut donc dire perte de contrôle de soi et cela signifie forcément que la personne âgée, souffrant de démence, est « imprévisible » (Angermeyer, 2010 : xiv) et elle peut donc devenir violente ou est incapable d’être indépendante. Il semblerait que, tout comme « la quasi-totalité des enquêtes12 menées avec la population générale » dans le passé, ces mêmes caractéristiques sont toujours mentionnées : le malade mental est dangereux et a « une perception infantile du monde » et est « en quelque sorte, le benêt, l’idiot du village » (Giordana, 2010 : 9). Dans notre dernière question « Autre Commentaire sur le sujet », un répondant a ajouté qu’il faut avoir une cellule nationale, responsable de faire des contrôles mensuels au domicile des personnes âgées souffrant de troubles neurologiques afin de voir si « la personne est bien traitée » ou si « elle représente un danger pour les autres, autour d’elle ».

Notre étude sur les personnes âgées atteintes de troubles neurologiques révèle aussi que les répondants semblent pris entre des attitudes ambivalentes :

Tableau 4 : Perceptions sur les personnes atteintes de troubles neurologiques

Tableau 4 : Perceptions sur les personnes atteintes de troubles neurologiques

Source : Pirbhai-Jetha & Boncoeur, 2021 (Résultats du sondage de cette étude)

Bien que les répondants (90 %) acceptent que les personnes âgées ayant des troubles neurologiques ne sont pas dans un état végétatif et ont des sentiments, seulement 65,1 % pensent qu’elles peuvent réfléchir, 52,6 % d’entre eux considèrent qu’elles ont une importance dans la société, 53,6 % estiment qu’elles sont capables de communiquer, 35,6 % croient qu’elles peuvent vivre seules et en société et 90,9 % disent qu’elles doivent suivre un traitement par des médecins ou spécialistes. Ce regard négatif semble affirmer que la société a du mal à accepter les personnes âgées souffrant de troubles, et leur invisibilité acceptée indique que cette « population d’exclus » est « rejetée si loin de notre univers mental et de nos frontières spatiales qu’elle en est devenue hors de notre portée, hors de notre ligne d’horizon, hors de notre pensée... (Xiberras, 1993) » (cité dans Sider et al., 2015 : 145).

Notre sondage montre aussi que 93 répondants connaissent des personnes âgées ayant des troubles neurologiques et 84 d’entre eux ont détaillé leurs expériences et interactions avec elles. Le schéma ci-dessous, qui reprend les énoncés des répondants, fait une synthèse des trois façons dont les personnes âgées atteintes des troubles sont traitées : attitudes positives, attitudes négatives et attitudes ambivalentes, à la fois positives et négatives. Il nous dévoile que dès qu’une personne âgée est incapable « de satisfaire [des] exigences sociales », la société lui colle une étiquette ou un « signe d’infériorité », et de là s’élèvent des barrières et « une certaine forme de ségrégation ». En nous basant sur les études précédentes sur la stigmatisation, nous constatons que « les images dévalorisantes » qui sont données aux personnes âgées souffrant de troubles neurologiques ajoutent à son « identité dénaturée » et les réduisent « à un individu dangereux, imprévisible et irresponsable. Son identité est par-là même faussée, voire abîmée (Goffman, 1975) » (Sider et al. 2015 : 144).

Figure 5 : Les différentes attitudes envers les personnes souffrant de troubles neurologiques

Figure 5 : Les différentes attitudes envers les personnes souffrant de troubles neurologiques

Source : Pirbhai-Jetha et Boncoeur, 2021 (Résultats du sondage de cette étude)

Conclusions et Recommandations

D’après les données sur le site web des Nations Unies, « d'ici 2050, une personne sur six dans le monde aura plus de 65 ans » et l’île Maurice n’échappera pas à ce phénomène mondial. Le vieillissement de la population apportera des transformations dans plusieurs sphères de la société et il est crucial de mettre l’accent sur l’inclusion des personnes âgées :

Le degré d’intégration sociale des personnes âgées est communément mesuré à l’aune de leur participation plus ou moins importante aux activités de la vie sociale et communautaire. De nombreux auteurs mentionnent ainsi qu’une personne âgée est socialement insérée lorsqu’elle participe activement à diverses associations ou institutions à caractère récréatif, éducatif, ou politique. […] Dans cette perspective, l’intégration est conçue comme une caractéristique strictement individuelle, une variable dont la valeur dépend du nombre et de la fréquence des relations interpersonnelles (Chambon, 2005 : 125).

Malgré une politique de santé mentale à Maurice, il semblerait que les troubles neurologiques soient toujours un sujet sensible voire tabou et très peu évoqué et les soins disponibles demeurent inconnus pour une grande partie de la population. Il semblerait que la culture de la population ait un rôle à jouer. En effet, les attitudes et perceptions envers les personnes âgées atteintes des troubles neurologiques varient d’une culture à une autre. Selon Giordana (2010 : 14-15), il semblerait que les pays les moins développés ont un seuil de tolérance plus élevé pour s’occuper de leurs aînés que les pays industrialisés car le socle qu’est la famille joue un rôle très important.

Ainsi, il semblerait que, dans les sociétés où les valeurs familiales traditionnelles sont toujours importantes, l’intégration des personnes âgées souffrant de troubles neurologiques pourrait être moins difficile. Selon McCleary & Blain (2013), par exemple, les valeurs familiales dans certaines sociétés obligent l’individu à prendre soin d’un parent âgé tel que s’occuper de sa santé, lui offrir un soutien financier, répondre à ses besoins en matière de logement et voire même respecter l’autorité parentale (p. 182). Pourtant, selon Dein & Huline-Dickens (1997 : 118), assumer que la personne âgée appartenant à une cellule familiale étendue soit toujours mieux entourée qu’une personne vivant en solitude peut faire qu’on ne lui prodigue pas des soins nécessaires à temps.

Dans notre sondage, 90,9 % des répondants souhaitent être informés s’ils ont un trouble neurologique, afin de « prendre les dispositions nécessaires, chercher les soins médicaux, et préparer les proches » et « savoir les étapes à suivre ». Toutefois, il semblerait que les informations sur les aides et soutien et accompagnement à la famille et aux malades ne sont pas suffisantes. Notre première recommandation serait que les autorités revoient la question de politique-publique et de prise en charge des personnes âgées souffrant de troubles neurologiques. Il est aussi important de développer la responsabilité sociale des jeunes et des personnes âgées, en créant des formations et des sessions de sensibilisation obligatoires, dédiées aux troubles neurologiques pour les Mauriciens.

Note de bas de page 13 :

Voir:
Kelsey Campbell-Dollaghan. (20 février 2014). “An Amazing Village Designed Just for People with Dementia”. Consulté le 24 juin 2021 à l’adresse https://gizmodo.com/inside-an-amazing-village-designed-just-for-people-with-1526062373
Katharine Schwab (20 août 2018). The « city » for people with dementia is the future of memory care”. Consulté le 24 juin 2021 à l’adresse https://www.fastcompany.com/90220683/this-city-for-people-with-dementia-is-the-future-of-memory-care

Cela permettrait ainsi d’améliorer le regard de la société, qui a pris pendant trop longtemps, un rôle de juge et de bourreau. Parler ouvertement sur le sujet peut devenir un moyen de sensibiliser les personnes, réduire les stigmates, voire clarifier les malentendus autour de la question et ainsi détecter plus rapidement ces troubles. Dans certaines régions en Europe (Hollande, Angleterre, France)13, des communautés favorables/amicales à la démence ont été créées (Darlington et al, 2020) afin de montrer cette « interdépendance » (Raineri & Cabiati, 2015 : 10) entre chaque membre de la communauté. En citant le travail de Kitwood (2002), Maria Luisa Raineri et Elena Cabiati (2015) montrent qu’il faut reconfigurer notre image de la démence, car les personnes âgées atteintes de maladies mentales sont très sensibles aux humeurs et sentiments de ceux qui les entourent et elles recherchent des opportunités pour être socialement engagées. Ainsi l’interdépendance, non seulement entre les personnes âgées atteintes de démence, les membres de la famille et les professionnels des soins, mais aussi avec la communauté et la société, est cruciale pour le malade et pourrait créer cette « réciprocité » et lui rendre son individualité (« personhood ») (Raineri & Cabiati, 2015 :10-11).

En bref, cette étude a permis d’analyser les commentaires des répondants mauriciens, âgés de plus de 18 ans sur les personnes âgées ayant des troubles neurologiques. Nous entamerons, dans un deuxième temps, une analyse qualitative avec quelques personnes ayant des troubles neurologiques, autorisées à nous rencontrer et susceptibles de nous répondre afin de mieux connaître leur contexte et leur situation quotidienne lorsqu'elles vivent avec une telle maladie. En effet, il a été noté que les personnes atteintes de démence sont capables de s’exprimer. Ainsi, il n’est pas normal de les exclure ; et les intégrer dans la prise de décision sur leur confort, soins, ou même dans la recherche sur leurs troubles neurologiques (Chen & Lin, 2019 : 2) leur rendrait leur humanité, leur citoyenneté et leurs droits (Raineri & Cabiati, 2015 : 7). Suite à cela, nous envisagerons, dans nos recherches futures, la création des applications mobiles qui répondraient aux besoins des personnes âgées avec des différences neurologiques, afin de faire un pas vers l’intégration sociale et créer un climat de résilience chez elles, les aidant à mieux vivre et à bien vieillir.

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Para citar este documento

PIRBHAI-JETHA, N. y BONCOEUR, P. (2021). Étude d’opinion des Mauricien.nes sur les maladies mentales pouvant être stigmatisantes en particulier concernant les personnes âgées. Trayectorias Humanas Trascontinentales, (12). https://doi.org/10.25965/trahs.4315

Autores
Neelam PIRBHAI-JETHA
Les principaux intérêts de Neelam Pirbhai-Jetha résident dans la littérature mauricienne, en particulier pendant la période coloniale. Elle a à son actif quelques publications et a participé à des conférences organisées par Aberystwyth University, University of Delhi et l'université Bourgogne Franche-Comté entre autres. Elle se lance dans la recherche en humanités numériques et a récemment participé à une conférence internationale organisée par University of Western Australia et un séminaire international organisé par Sorbonne Universités, l’université de Maurice et l’institut Français de Maurice.
Centre des Humanités Numériques
Université des Mascareignes, Ile Maurice
https://orcid.org/0000-0002-9824-4745
npirbhaijetha@udm.ac.mu
Pascal BONCOEUR
Maître de conférences avec une dizaine d’années d'expérience dans le développement et la prestation des cours pour différentes universités de l’océan Indien, Pascal Boncoeur a un Master en Systèmes Informatiques. Il souhaite parfaire ses connaissances et son expertise en informatique en appliquant l’intelligence artificielle dans le domaine de l’éducation et les humanités médicales.
Centre des Humanités Numériques
Université des Mascareignes, Ile Maurice
https://orcid.org/0000-0002-4435-9408
pboncoeur@udm.ac.mu
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