Les aînés face aux nouvelles technologies : inégalités sociales ? Elders facing new technologies: social inequalities?

Bertrand SOUBELET 

https://doi.org/10.25965/trahs.4256

En moins d'un demi-siècle, l'allongement de la durée de vie et les changements de paradigmes sociaux et familiaux ont profondément modifié les conditions du vieillissement.
La proportion de la population au-delà de la vie active est de plus en plus importante avec des facteurs de vulnérabilité : difficultés de santé physique, santé mentale, isolement, sentiment de décrochement ou de déclassement. Dans cette perspective les nouvelles technologies sont un formidable outil pour accompagner les aînés et faire en sorte de réduire leurs vulnérabilités. Surveillance à distance, téléconsultations, dispositif d'alerte connectés, domotique sont des outils efficaces pour rompre l'isolement des aînés et apporter des solutions concrètes aux difficultés quotidiennes. Cela nécessite que l'ensemble du territoire national bénéficie d'une couverture numérique optimale. Dans le cas contraire cela contribuerait à créer une disparité de traitement susceptible de mettre une partie de la population des aînés en difficulté.
C'est un devoir collectif de protéger les aînés en situation de vulnérabilité en rendant possible cet accompagnement qui comprend leur protection physique avec les services de sécurité.
Ils sont devenus une cible privilégiée de certains délinquants et cette dimension doit être également prise en compte. C'est le rôle des collectivités territoriales et de l'Etat de faire en sorte que l'accès aux nouvelles technologies appliquées à la vie quotidienne soit garanti à tous les citoyens et tout particulièrement les aînés sans que la question financière soit un obstacle.

In less than half a century, the increase in life expectancy and changes in social and family paradigms have profoundly changed the conditions of aging.
The proportion of the population beyond working life is increasing with vulnerability factors : physical health difficulties, mental health, isolation, feeling of disengagement or downgrading. In this perspective, new technologies are a great tool to help seniors reduce their vulnerabilities. Remote monitoring, teleconsultations, connected alerting, home automation are effective tools to break the isolation of seniors and provide concrete solutions to everyday difficulties. This requires optimal digital coverage for the entire national territory. Otherwise, it would contribute to a disparity in treatment that could put some of the elderly population in difficulty.
It is a collective duty to protect seniors in vulnerable situations by making possible this support, which includes their physical protection with the security services. They have become a preferred target of some offenders and this dimension must also be taken into account. It is the role of local authorities and the State to ensure that access to new technologies applied to daily life is guaranteed to all citizens, especially the elderly, without the financial issue being an obstacle.

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Le monde des aînés est bien plus complexe au XXIème siècle qu'il ne l'était il y a moins de 50 ans. Il est, par un effet mécanique, beaucoup plus important en nombre d'individus avec des caractéristiques bien différentes de ceux que l'on qualifiait de 3ème âge en France, à la fin des années 80.

Cette complexité s'explique par de nombreux facteurs dont le plus important est l'allongement de la durée de la vie. L'espérance de vie en moyenne dans le monde a bondi de 20 ans entre 1965 et 2015. Malgré des disparités conséquentes entre les différents continents, en Europe, la durée de vie pour une femme se situe au-dessus de 83 ans et pour un homme aux alentours de 78 ans.

Nos aînés vivent aujourd'hui, en moyenne, au moins 20 ans après avoir cessé leur vie professionnelle car nos modes de vie et l'amélioration du niveau de forme et de santé fait reculer l'échéance de la dépendance et des effets de la vieillesse. Mais un constat s'impose. Cette partie de la vie qui démarre après qu'ait cessé la quasi- totalité des activités rémunératrices ou sociales est de plus en plus longue avec de grandes disparités de situation.

On peut considérer qu'une personne qui vit en moyenne 75 ans aura connu plusieurs évolutions technologiques majeures dans sa vie. Or la capacité d'adaptation d'une personne diminue avec l'âge pour des raisons d'usure de l'organisme devant laquelle nous ne sommes pas tous égaux. Et le rythme d'évolution des nouvelles technologies rend encore plus difficile le processus d'appropriation.

Parfois les problèmes de santé physique et de santé mentale associées à l'âge aggravent cette situation. En outre en dehors de tous ces facteurs s'ajoutent parfois un sentiment de décrochement au regard de l'évolution de la société et une sorte de découragement, voire de refus face à un monde qui ne cesse de changer.

Il y a encore une quarantaine d'années une évolution sociale majeure n'avait pas encore touché notre pays. Jusque- là, la structure familiale prenait en charge ceux qui étaient qualifiés à l'époque de 3ème âge. La solidarité familiale était la règle car le mode de vie et le contexte socio-économique le permettaient. Le développement de grandes métropoles a accéléré le processus d'attraction urbaine et, parallèlement, d'isolement géographique des aînés. Cet isolement été accéléré ces 20 dernières années par les choix politiques qui ont contribué à priver certaines parties du territoire de services nécessaires au quotidien.

Cet isolement géographique s'accompagne souvent d'un l'isolement psychologique et moral qui est une vulnérabilité supplémentaire.

Tous ces facteurs pris isolément et parfois conjugués contribuent à la fragilisation de la population des aînés car l'évolution rapide de la société nécessite leur accompagnement pour éviter un décrochement.

Les nouvelles technologies sont un moyen d'accompagnement et de facilitation de la vie quotidienne des aînés mais également une potentielle cause de disparités de traitement. En effet malgré l'isolement géographique, la couverture numérique du territoire permet aux personnes âgées isolées de conserver un lien avec leurs proches, de consulter un médecin ou de commander des biens et des services par exemple.

Pour certaines personnes dépendantes, les systèmes de surveillance et d'alerte individuels permettent de réagir à des situations de danger : maladie ou chute par exemple. La seule condition est d'être un minimum familiarisé avec ces techniques et ces processus qui ne sont pas toujours intellectuellement accessibles pour tous. C'est une limite qui tient à la capacité de la personne à maîtriser l'utilisation des outils numériques. Mais les dispositifs automatisés commencent à pallier cet inconvénient.

En termes de numérique et d'accès aux nouvelles technologies, la plus grande rupture d'égalité est l'insuffisance de la couverture numérique sur l'ensemble du territoire national. En fonction de leur localisation géographique deux personnes ne pourront pas accéder aux mêmes services en raison de la qualité voire de l'absence de réseau internet.

C'est un élément déterminant.

Garantir à chaque personne l'accès à tous les services offerts par la technologie est un devoir pour la collectivité. C'est d'autant plus important pour nos aînés rendus vulnérables à la fois en raison de leur âge et de leur isolement. C'est aussi une manière de les protéger, eux qui sont une cible privilégiée pour des profiteurs et des délinquants, car on ne peut pas passer sous silence cette nouvelle forme de délinquance, en nette augmentation qui atteint des personnes n'ayant plus le réflexe de prudence élémentaire. Parfois, les forces de sécurité n'en sont même pas informées car pour déposer une plainte il faut se déplacer parfois loin ou avoir une certaine maîtrise de l'informatique. Autant de difficultés qu'une personne qui n'est pas toujours en pleine possession de ses moyens ne peut pas surmonter.

Cette délinquance prend des formes variées parfois classique comme les vols par ruse à domicile en se faisant passer pour des agents publics ou proposant des services divers, des cambriolages avec ou sans violence. Les escroqueries ont changé de nature et désormais sont l'œuvre de délinquants rompus au fonctionnement de l'informatique et dont l'imagination n'a pas de limites.

Par ailleurs beaucoup de cas d'abus de faiblesse sont l'œuvre d'aidants peu scrupuleux qui profitent de la proximité avec leurs bénéficiaires.

Pour toutes ces raisons il y a donc incontestablement une plus grande fragilité des aînés face au progrès et à la technologie en particulier pour ceux qui ne maîtrisent pas complètement l'informatique mais il est difficile pour autant de parler d'inégalités sociales, car nous n'avons pas tous le même patrimoine génétique, la même éducation, le même parcours, les mêmes épreuves de vie, la même résistance aux effets de l'âge ou de la maladie. Cela entraîne de grandes disparités sur lesquelles nous n'avons aucune prise.

Mais ces disparités de situations ne doivent pas être aggravées par une inégalité d'accès aux services que procurent les nouvelles technologies. C'est le rôle des collectivités territoriales et de l'Etat de garantir cet accès afin de ne pas générer un handicap technique majeur et préjudiciable au bien- être de nos aînés, car les nouvelles technologies dont la surveillance à distance, les téléconsultations, la domotique et d'une manière générale l'accès à des informations en temps réel par informatique sont de nature à réduire les inconvénients des effets du changement de paradigme sociétal.

L'isolement des aînés et les difficultés dues à l'âge peuvent être minorées avec un accompagnement rendu possible grâce au numérique. C'est une autre vision de la vieillesse qui nécessite une adaptation des modes de fonctionnement de l'aide à la personne. Les seuls impératifs pour la collectivité sont d'une part de faire en sorte que l'aspect financier ne soit pas un obstacle pour permettre d'aborder cette partie de vie aussi sereinement que possible et d'autre part que ces technologies préservent l’intimité et le libre arbitre de chacun dans sa vie quotidienne.

Si ça n'était pas le cas il s'agirait non seulement d'une rupture d'égalité totalement inacceptable mais également d'une atteinte à la dignité qu'une société mature ne saurait cautionner.