LES PROCÈS DES ATTENTATS TERRORISTES 2020-2021 – PASCAL PLAS

LES PROCÈS DES ATTENTATS TERRORISTES 2020-2021
Pascal PLAS
OMIJ/IiRCO

Après le procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 (Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher et Montrouge) qui s’est tenu devant la Cour d’assises spéciale de Paris du 2 septembre au 16 décembre 2020, vient de s’ouvrir devant une nouvelle Cour d’assises spéciale le 8 septembre 2021, et ce pour une durée de 9 mois, le procès dit « V13 », celui des attentats commis à Paris le 13 novembre 2015 (Bataclan, terrasses, abords du Stade de France). Ces procès sont qualifiés de « procès hors norme », « d’historiques », de « procès du siècle », … autant de qualificatifs qui méritent que l’on mène une étude sur leur organisation, leur déroulement et leurs effets – surtout à l’OMIJ, porteur conjoint d’un projet de recherche soutenu par la ministère de la Justice – avant même que l’on en reviennent à l’exercice de la justice car c’est bien de cela au final qu’il s’agit, que la justice passe, dernière phase d’une affaire criminelle (fut-ce du terrorisme), en libérant la victime de l’évènement violent matriciel et la société d’un moment traumatique commun.

Des procès « hors norme »
Le procès V13 plus encore que le premier (Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher et Montrouge) a donné lieu à ce qualificatif. Il a d’abord été question dans la presse de chiffres : 130 morts, 350 blessés et de nombreux survivants traumatisés à l’issue des attentats, 20 accusés, 1800 parties civiles – 800 autres personnes disposant du droit de se constituer parties civiles d’ici la fin des débats – plus de 300 avocats et près de 150 médias accrédités (ainsi que notre équipe de chercheurs…) et du public.

L’organisation des procès a demandé des années de préparation et nécessité des déménagements et aménagements de locaux. Le premier procès s’est tenu dans le nouveau palais de justice de Paris, porte de Clichy, dans une salle d’audience et des salles annexes aménagées pour pouvoir accueillir tout le monde, ce qui lui donnait déjà un aspect impressionnant. Le second l’est bien plus encore ; il se déroule dans l’ancien palais de justice situé sur l’ile de la Cité à deux pas de Notre Dame. Dès lors, il a fallu construire une salle dite « grands procès » dans le grand hall de ce magnifique bâtiment, salle qui n’est pas destinée à durer mais qui accueillera le troisième procès de terrorisme, celui de l’attentat de la
promenade des Anglais à Nice commis en 2016 en et qui avait fait 86 victimes. Cette salle a d’abord attiré l’attention par son coût « hors norme », soit 7 millions et demi d’euros, mais elle se singularise aussi par la prouesse technique qu’elle représente : implantation d’une salle moderne dans un monument classé dont sont montrés avec habileté plusieurs éléments
(colonnes, statuaire), salle de dimensions impressionnantes (45x15m) ce qui permet l’accueil de plus de 550 personnes ; une grande modernité et fonctionnalité des équipements : aux lignes claires et fonctionnelles du mobilier s’ajoutent de nombreux écrans de TV afin de bien suivre les débats auxquels on peut aussi assister par retransmission dans 14 salles annexes…
Des chiffres impressionnants encore lorsqu’ on considère le dossier d’instruction qui reprend tous les éléments de l’enquête, qui dépasse le million de pages réunies en 500 tomes. Enfin un dispositif de sécurité renforcé qui fait de ce quartier de la Cité un bunker tant sont redoutées d’éventuelles attaques terroristes.

Des procès « historiques »
Si l’on considère que les attentats de 2015 sont les plus meurtriers que la France n’ait jamais connus, le qualificatif d’historique vient cependant du fait que ces procès sont filmés sur la base d’une loi de 1985 voulue par Robert Badinter, laquelle autorise un enregistrement audiovisuel des audiences publiques lorsque « le procès présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Le procès V13 sera le deuxième procès de terrorisme enregistré et le 15ème d’une série qui a commencé avec le procès Klaus Barbie (11 mai au 3 juillet 1987) et s’est poursuivie avec, entre autres, les procès Touvier (1994), Papon (1998), celui dit du sang contaminé (1992 et 1995, appel), AZF (2009 et 2012, appel) ou, plus récemment les « procès rwandais ». Huit caméras ont été installées dans la salle d’audience, elles sont pilotées par une régie technique selon une charte éthique précise (pas de plans serrés sur des participants s’ils ne sont pas actifs). Les images seront déposées aux Archives nationales où, selon l’article L 222-1 du Code du patrimoine, elles pourront être consultées « à des fins historiques ou scientifiques dès que l’instance [aura] pris fin par une décision devenue définitive ». Il est certain que la présence de témoins clefs dans l’un et l’autre procès contribue aussi à l’historicisation de ces procès. Les survivants et familles de l’attentat de
Charlie Hebdo ont constitué un moment fort du premier procès, on attend des hommes politiques pour le procès V13 tels que François Hollande et son ancien ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve. L’ancien procureur de Paris, François Molins viendra aussi au procès de même que des experts dont le politologue Gilles Kepel, spécialiste de l’Islam.
Enfin, du côté des accusés, si le premier procès fut avant tout celui de « seconds couteaux », dans le procès V13 comparait Salah Abdeslam, dernier survivant présumé des commandos terroristes du 13 novembre.

Des procès nécessaires
Il est d’abord utile de préciser que ces procès se tiennent envers et contre tout. Le premier en est l’exemple frappant. Alors que la situation sanitaire était très dégradée et qu’il était envisagé, pour pouvoir mener le procès à son terme, d’avoir recours à la visio-conférence en s’appuyant sur une ordonnance autorisant exceptionnellement son usage (ordonnance contestée par l’Association des avocats pénalistes qui obtint du Conseil d’Etat sa suspension), alors que des évènements extérieurs d’une gravité extrême se produisaient (attentats devant les ex-locaux de Charlie Hebdo, assassinat de Samuel Paty), le procès se tint et le justice passa en son entièreté. Il est utile de dire que ce point était fondamental pour les victimes.

Les procès de terrorisme permettent qu’il y ait une reconnaissance d’un crime « inouï et incompréhensible ». Ils sont aussi souvent présentés comme une catharsis pour les victimes. Le phénomène a été abondamment discuté et commenté ; le procès permet aux parties civiles de s’exprimer en présence des accusés, d’où la force de ces moments d’audition au cours desquels sont prononcées des « paroles chargées d’une immense émotion », –expression largement reprise par les médias – qui doivent aussi permettre aux survivants et aux familles des morts de redémarrer. Il faut préciser que les victimes d’attentats terroristes ne sont pas considérées et ne se considèrent pas comme des victimes d’homicides ordinaires, elles sont singulières par l’importance de l’évènement, son appartenance au monde vague « de la guerre » auquel est de plus en plus associé le terrorisme dès lors qu’il est international.

L’impact des procès sur la société est aussi important dans la mesure où il revêt une grande importance en matière de compréhension du fait terroriste, par exemple par la mise à jour de la chaîne des petites mains, engagées ou obéissantes ou découplant les actes ou sans empathie ou rusées, etc., chaîne qui contribue à la commission de l’acte final. Le terrorisme
est quelque chose de très spécifique, c’est une forme extrême de violence politique qui, par son originalité – pas un acte de guerre stricto sensu, pas de la violence criminelle traditionnelle – crée de l’incompréhension (indétermination de la cible) et de la sidération, le tout devant devenir un « acte de communication ». Encore une fois, la justice et plus particulièrement le procès remettent les choses à leur place – les pieds sur terre – en montrant que si le terrorisme peut relever d’une « guerre » (y compris menée de l’étranger), il est aussi, dans sa réalité sur le sol national non pas un acte de guerre mais une histoire quelquefois banale de misère (sentiments, valeurs, identités) développée sur un terreau de petite (ou moins petite) criminalité qui est devenu dans certain espaces comme un mode de vie.

La recherche menée par l’IiRCO/OMIJ, renforcée par un partenariat avec la BNF et l’INA, permet aussi de mettre en place des instruments de mesure de la réception du procès dans l’univers des médias en ligne et des réseaux sociaux – analyse du rythme de construction du récit des audiences, de sa densité et de sa sémantique – et au-delà, dans un large public. En effet, l’écho médiatique de l’action terroriste déplace le rapport de force de la perception sociale de l’acte, il est donc essentiel que le procès – certes vaste scène de théâtre dans le système des assises – remette les choses en place au-delà de sa propre scénographie. Quand, pendant des années, le terrorisme a été le « récit des médias », il devient, avec le procès, le récit de la justice et – en principe – le récit de vérité. Comment ce récit est-il perçu à l’heure de l’information en continu et … en vrac ? Il est en outre très important que, dans les sociétés démocratiques – communauté fondée
sur le droit – il y ait une réponse au terrorisme « par le droit », pour sortir d’un « état de guerre » et remettre les principes démocratiques à leur place. Après le 11 septembre, il y a eu, dans les réponses diversifiées au terrorisme, une montée en puissance des réponses violentes (opérations d’élimination, centres d’incarcération hors du droit international, torture). Dès lors, la réponse pénale à la lutte contre le terrorisme apparaît comme la plus adaptée dans une démocratie, la plus admissible en termes d’équilibre entre répression et protection des droits de l’homme (accusés). Il faut réentendre le discours des associations de victimes : elles rappellent que « la force du procès pour terrorisme c’est d’injecter des valeurs démocratiques et républicaines par [la tenue] d’un procès équitable respectant le droit et les libertés de chacun face à la barbarie et la terreur semée dans nos sociétés par les attentats ». Or, c’est cette pédagogie de la justice qui, au final constitue peut-être un investissement pour l’avenir.

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