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Désaccord entre les juges français et allemands à propos du jugement des crimes commis en Syrie

Désaccord entre les juges français et allemands à propos du jugement des crimes commis en Syrie

Daniel Kuri,  Maître de conférences hors classe de droit privé, Université de Limoges (O.M.I.J.) EA 3177

 

 Le désaccord entre les juges français et ceux d’outreRhin sur cette question est, en effet, total puisque, à quelques mois près, les uns et les autres viennent de rendre des arrêts contradictoires en ce qui concerne le jugement des crimes commis en Syrie.

On se souvient que la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 24 novembre 2021[1], avait annulé la mise en examen d’un exagent présumé syrien, réfugié en France, et accusé de   complicité de crimes contre l’humanité,  en cassant un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 février 2021 qui avait confirmé cette mise en examen[2] et décidé que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître des faits de complicité de crimes contre l’humanité reprochés au mis en examen.

Comme on a pu l’observer, « Dans une application pernicieuse du principe de ‘‘double incrimination’’, la plus haute juridiction du système judiciaire français a estimé que des poursuites ne pouvaient pas être engagées en vertu du droit français au motif que la loi syrienne n’incrimine pas spécifiquement les crimes contre l’humanité »[3].

Conséquence de cet arrêt très orthodoxe : pour le moment, les personnes suspectées d’avoir commis ces crimes – fortement constatés par les ONG et les médias les plus autorisés[4] – ne pourront pas être jugées en France.

On ne peut que profondément le regretter dans le pays dit « des Droits de l’Homme » et nous pensons que la règle de la double incrimination n’est pas destinée à protéger un comportement criminel en vertu du droit international.

A l’inverse des magistrats de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, les juges allemands n’ont pas hésité à condamner des ressortissants syriens pour crimes contre l’humanité. Ainsi, la Haute cour régionale de Coblence, le 13 janvier 2002, a condamné un  excolonel syrien à la prison à vie pour crimes contre l’humanité. Cet exmembre des services de renseignements syriens  a été reconnu coupable du meurtre de 27 prisonniers et de la torture d’au moins 4000 autres en 2011 et 2012  dans une prison de Damas. Il a également été jugé responsable de viols et d’agressions sexuelles dans le même centre de détention.

Ce verdict a été rendu possible car l’Allemagne applique le principe juridique de la « compétence universelle » qui permet à un Etat de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves, quels que soient leur nationalité, et l’endroit où ces crimes ont été commis.

Cet arrêt n’est pas la première application du principe de  compétence universelle en Allemagne, car la  même Haute cour avait déjà prononcé une condamnation identique, en février 2021,  d’un autre exmembre du renseignement syrien, d’un grade moins élevé.

Par ailleurs, le 19 janvier 2022, un autre procès pour crimes contre l’humanité commis en Syrie s’est ouvert devant le  Tribunal de Francfort, en vertu, là encore, du principe juridique de compétence universelle.

La compétence universelle est, il est vrai,  un moyen juridique essentiel lorsque les autres actions judiciaires sont impossibles. C’est notamment le cas pour la Syrie dans la mesure où celle-ci n’est pas un Etat partie au statut de Rome fondant la Cour pénale internationale. Par ailleurs, la Russie et la Chine bloquent la possibilité, pour le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, de donner mandat à la Cour pénale internationale d’enquêter sur les crimes graves commis en Syrie.

L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 24 novembre 2021,  renvoie donc à la France la responsabilité de faire évoluer notre législation.

Il est grand temps de faire évoluer notre droit vers l’application de la compétence universelle en prenant, en tout cas, garde à ce que la règle de la double incrimination ne soit pas dévoyée.

Il faut aussi modifier l’article 689-11 du Code de procédure pénale alinéa 1 qui exige aussi que le suspect « réside habituellement sur le territoire de la République » pour que des poursuites  pour crimes contre l’humanité puissent être engagées.

Comme on a pu justement le souligner, il y a « […] urgence pour le gouvernement et le Parlement [à] s’attaquer à ces restrictions contenues dans la loi afin que la France ne devienne pas une terre de refuge pour les personnes responsables des pires crimes perpétrés dans le monde »[5].

Dans d’autres pays européens des actions en justice sont en cours, notamment en Autriche, en Norvège ou en Suède. Ce dernier pays fut d’ailleurs le premier à condamner un ex-soldat syrien pour crime de guerre. Toujours en Suède, quatre ONG ont porté plainte en avril 2021 contre le président Assad et plusieurs hauts responsables syriens après deux attaques chimiques contre des populations civiles en 2013 et 2017.

Cette mobilisation internationale pour juger des personnes susceptibles d’avoir commis les crimes les plus graves rend d’autant plus nécessaire une évolution de la législation française.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 novembre 2021, 21-81.344, Publié au bulletin,

  1. D. 2021, n° 43, p. 2181.

[2] La Cour d’appel avait considéré qu’il n’y avait lieu à l’annulation d’aucun acte ou pièce de la procédure.

[3] B. Jeannerod et A. Reidy, « La France ne doit pas devenir un refuge pour les auteurs de crimes contre l’humanité », Le Monde, 28 janvier 2022, p. 28.

[4] Cf. article précité.

[5] Cf. article précité.

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