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Fin de « spectacle » pour Robert Faurisson

Fin de « spectacle » pour Robert Faurisson,

commentaire sur le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 6 juin 2017

 

Daniel Kuri,  Maître de conférences en droit privé, O.M.I.J., Université de Limoges,              EA 3177

 

Le Tribunal de grande instance de Paris, avec son important jugement du 6 juin 2017[1], a peut-être sonné la fin d’un « spectacle » interminable, odieux et insupportable pour les victimes de l’Holocauste et leurs familles – qu’on pourrait presque intituler «  Le négationniste » – et dont les représentations se déroulaient le plus souvent devant la 17ème  chambre du Tribunal correctionnel de Paris avec, pour « acteur principal », Robert Faurisson…

Celui-ci, régulièrement cité à comparaître en justice pour contestation de crimes contre l’humanité et condamné de ce chef à de multiples reprises[2], avait également pris l’habitude d’engager des actions en diffamation à l’encontre de ceux qui le qualifiait, notamment, de « faussaire de l’histoire ».

L’intérêt essentiel de ces actions en diffamation pour R. Faurisson était, en raison de la nature même de délit de diffamation, d’obliger les prévenus à prouver qu’ils disaient la vérité.                        Autrement dit, c’est aux personnes poursuivies de démontrer que ceux qui nient l’existence des chambres à gaz et de la Shoah méritent bien les qualificatifs de « faussaires » ou de  « falsificateurs », et non aux plaignants de démontrer qu’ils sont accusés à tort.

Comme on l’a observé,  si le régime de cette action permet en principe une « meilleure protection des citoyens » il « […] confine parfois à l’absurde lorsque les plaignants sont des négationnistes connus publiquement pour avoir continûment proféré les mensonges les plus fragrants » et ce d’autant plus « que la loi française réprime depuis 1990 la ‘‘contestation de crime contre l’humanité’’ tels que définis au procès de Nuremberg. »[3]

Dans la présente affaire, R. Faurisson  avait poursuivi en  diffamation la journaliste Ariane Chemin ainsi que Teresa Cremisi, directrice de publication des éditions Flammarion, pour la réédition, en septembre 2014, dans l’ouvrage commémorant les 70 ans du Monde, d’un article publié le 21 août 2012[4]. Dans cet article A. Chemin  avait repris à l’encontre de R. Faurisson les qualificatifs –  déjà utilisés par d’autres[5]  –  de « menteur professionnel », « falsificateur »  ou encore de « faussaire de l’histoire ».[6]

Plusieurs fois, déjà, les juges avaient rejeté les actions en diffamation de R. Faurisson, mais la relaxe des prévenus intervenait  traditionnellement au nom de la  bonne foi  des auteurs des allégations.

Le Tribunal, en l’espèce, va beaucoup plus loin car il rejette l’action en diffamation de R. Faurisson en se fondant sur l’exception de vérité.

La 17e chambre correctionnelle a en effet considéré qu’écrire  que R.  Faurisson est un « menteur professionnel », un « falsificateur » et un « faussaire de l’histoire » est conforme à la vérité. Les juges ont, en conséquence, relaxé la journaliste A. Chemin et T. Cremisi, directrice de publication des éditions Flammarion du chef de la diffamation.

Ainsi, jusqu’au 6 juin 2017, R. Faurisson avait perdu ses procès en diffamation au bénéfice de la  « bonne foi » de l’auteur des propos diffamatoires, il perd donc ce procès en vertu de l’exception de vérité apportée par la journaliste qu’il avait poursuivie en justice pour l’avoir diffamé[7]. Comme pouvait le souligner l’avocate d’A. Chemin, « Ce jour est à marquer d’une pierre blanche », d’autant que la présidente de la 17e chambre correctionnelle, F. Siredey-Garnier,  a rendu un jugement fortement motivé, en rupture avec la jurisprudence traditionnelle, et a « débouté [R. Faurisson] de ses demandes en raison de la relaxe prononcée. »[8]

Après avoir évoqué le rejet classique des actions en diffamation de R. Faurisson au regard de la bonne foi des auteurs des allégations (I), nous envisagerons le rejet nouveau dans la présente affaire de l’action en diffamation  de  R. Faurisson  au nom de la preuve de la vérité des faits diffamatoires (II).

I. Le rejet traditionnel des actions en diffamation de R. Faurisson au nom de la bonne foi des auteurs des allégations

 

Traditionnellement, en effet, les juges rejetaient les actions en diffamation de R. Faurisson envers ses adversaires auxquels il reprochait de l’avoir qualifié de « faussaire », en considérant que ceux-ci étaient de bonne foi, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas eu l’intention de nuire au plaignant et qu’ils avaient fait un véritable  travail d’investigation. Comme pouvait le constater le grand historien H. Rousso « S’il n’y a vérité, au moins le chemin pour l’atteindre a été pris, et c’est sur cette base que la justice ne condamne pas la diffamation. »[9]. Ce dernier ajoutait, cependant, qu’ «  À l’évidence, cette situation a toujours posé problème dans le cas du négationnisme. »

En effet, l’invocation de la seule « bonne foi » en la matière et sur une question aussi douloureuse pouvait, de prime abord, être considérée comme particulièrement choquante pour les familles des victimes, l’opinion publique[10] et  au regard de la vérité juridique[11] ainsi qu’historique[12] sur l’existence incontestable des chambres  à gaz.

Il faut cependant  rappeler  que ce rejet classique des actions en diffamation – eu égard à la bonne foi des auteurs des allégations – trouvait son origine dans la volonté des juges de permettre aux personnes accusées de diffamation à l’occasion de faits historiques de plus de 10 ans de se défendre des faits qui leur étaient reprochés.

En effet, l’ancien article 35 cinquième alinéa de la loi du 29 juillet 1881 – avant d’être déclaré non conforme à la Constitution par la décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011 –  excluait toute possibilité de preuve de la vérité des faits pour les imputions diffamatoires concernant notamment des faits qui remontaient à plus de 10 ans[13].

Comme on l’a encore récemment rappelé « Cette interdiction de preuve constituait un véritable handicap en matière de faits historiques que les juridictions internes avaient surmonté en reconnaissant à l’historien le bénéfice de la bonne foi »[14].

Il en fut notamment ainsi dans une affaire où une historienne était poursuivie en diffamation pour un passage d’un ouvrage consacré à la Collaboration,  La Cour d’appel de Paris, le 3 novembre 1965, surmonta l’obstacle de l’interdiction de la preuve des faits remontant à plus de 10 ans en reconnaissant  à la partie poursuivante le bénéfice de la bonne foi. Selon la Cour « le récit, le rappel et l’appréciation des faits d’intérêt général qui se rattachent à l’histoire contemporaine […], ne sauraient, lorsqu’ils sont empreints de sincérité, être considérés comme ayant été écrits avec l’intention de nuire aux personnes mêlées à ces événements »[15].

Selon notre collègue et ami L. François « Ce même souci de compenser l’interdiction de l’exceptio veritatis par la bonne foi du diffamateur expliqua  la solution retenue par le TGI de Paris dans l’affaire ou Lucie Aubrac était poursuivie en diffamation pour ses propos sur le rôle de René Hardy dans l’exécution de Jean Moulin »[16]. La juridiction parisienne, le 26 juin 1985, prononça la relaxe de la célèbre  résistante au motif que « les circonstances de l’espèce suffisent à établir sa bonne foi et qu’aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors qu’elle a exprimé sa conviction avec la seule volonté de se battre pour la vérité »[17].

On pourrait évoquer également dans le même sens une affaire où Maurice Papon poursuivait en diffamation un journaliste qui avait qualifié de « massacre ordonné par l’ancien préfet » la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. Là encore, le Tribunal de grande instance de Paris, le 26 mars 1999, débouta M. Papon de son action[18].

De même, à l’occasion du litige qui opposa, en 2007, R. Faurisson à R. Badinter  et dans lequel R. Faurisson  estimait diffamatoires les propos de l’ancien président du Conseil constitutionnel le qualifiant lors d’une émission sur Arte, le 11 novembre 2006, de  « faussaire de l’histoire », le Tribunal de grande instance de Paris, le 21 mai 2007, prononça la relaxe de R. Badinter eu égard à sa « bonne foi ».

Mais comme l’a observé L. François[19], le Tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement, « invita même le législateur à réécrire l’article 35 de la loi de 1881 en affirmant que l’interdiction de preuve (quand les faits remontent à plus de 10 ans) n’est pas nécessaire dans une société démocratique ‘‘ lorsque l’imputation débattue  porte sur des évènements qui, s’inscrivant dans l’histoire  […] conservent donc, malgré les années, un intérêt majeur […], suscitant des débats, des études et des recherches de nature à permettre le recueil de données nouvelles susceptibles d’en offrir une meilleure compréhension’’ ».

Ainsi, le Tribunal, dans une jurisprudence contra legem, avait admis la recevabilité de l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, faisant progresser sensiblement le droit de la preuve en matière de diffamation[20]. La juridiction parisienne avait néanmoins refusé l’offre de preuve – sur le fond – en considérant que celle-ci n’était pas « parfaite, complète et corrélative à l’imputation diffamatoire ». À cet égard, le Tribunal avait estimé que le jugement du 8 juillet 1981 ne « [pouvait] constituer la preuve parfaite et corrélative de la vérité des faits diffamatoires, de même que les autres éléments fournis à titre d’offre de preuve ».

Pour le Tribunal, le fait que le jugement du 8 juillet 1981 ait expressément refusé de juger l’Histoire[21] avait  pour conséquence qu’il ne pouvait  prendre ce jugement comme établissant la preuve de la vérité des faits diffamatoires.

La même affirmation concernait également « les autres éléments fournis à titre d’offre de preuve » mais le Tribunal avait néanmoins considéré que ces « [éléments] démontrent qu’au sein de la communauté scientifique, les méthodes du demandeur [R. Faurisson] sont assimilées à celles d’un faussaire et que ses productions, non seulement ne bénéficient d’aucun crédit, mais sont unanimement condamnées, pour leur absence totale de sérieux et en ce qu’elles caractérisent des contestations de crimes contre l’humanité ».

En définitive, cette exclusion traditionnelle de l’exception de vérité – s’agissant des faits qui remontent à plus de dix ans – a été abrogée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 mai 2011[22].

Ainsi, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel déclarant l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 contraire à la Constitution, les juges ont retrouvé la possibilité d’admettre l’exception de vérité  en matière de preuve de faits historiques.

C’est ce qu’ils ont fait très clairement dans la présente affaire.

 II. Le rejet nouveau de l’action en diffamation au nom de la preuve de la vérité des faits diffamatoires

 

Les juges ont donc admis sans réserve l’exception de vérité présentée par A. Chemin et son conseil [23]; le Tribunal ne s’est pas contenté de relaxer la journaliste en vertu de la « bonne foi »[24].

Lors de l’audience de plaidoirie du 9 mai 2017, la partie civile avait plaidé en faveur de la  condamnation des prévenues, car, selon celle-ci, « l’offre de preuve n’était pas recevable [dans la mesure où R. Faurisson] n’avait jamais été condamné pour avoir été un faussaire de l’histoire, les magistrats n’ayant fait que relever, dans les différents procès la bonne foi de ses adversaires ». Le conseil de R. Faurisson soulignait également qu’ « A. Chemin s’était exprimée sans aucune prudence et avec malhonnêteté ». Le parquet, quant à lui,  avait invité les juges à ne pas prononcer une énième relaxe au titre de la bonne foi mais en considérant que l’offre de preuve  était  recevable et bien fondée. Les mises en examen sollicitaient, enfin, leur relaxe en produisant des témoignages et des pièces démontrant la réalité des imputations poursuivies, ou à tout le moins de bénéficier de l’excuse de bonne foi, en raison de la base factuelle  extrêmement solide qui avait permis l’écriture de l’article litigieux[25].

Etaient ainsi cités des témoins, tous historiens réputés et spécialistes de ces questions.

Par ailleurs, A. Chemin avait produit, au soutien de son offre de preuve, des articles de presse, des extraits et surtout plusieurs jugements et arrêts – s’échelonnant entre le 8 juillet 1981 et le 18 décembre 2014 –  dans lesquels R. Faurisson a déjà été condamné pour avoir occulté ou travesti la vérité historique.

Pour admettre, en l’espèce, l’exception de vérité les juges ont procédé à une construction rigoureuse présentée sous la forme classique du syllogisme judiciaire.

Ainsi, les juges ont tout d’abord rappelé les règles de droit applicables à la diffamation  et notamment le fait qu’une offre de preuve de vérité des faits diffamatoire doit, « pour produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, être  parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée »[26].

Ils ont ensuite reconnu le caractère diffamatoire de l’ensemble des propos  poursuivis.

Enfin, le Tribunal a constaté que l’offre de preuve proposée par A. Chemin a été produite dans  les délais requis et qu’elle est en conséquence recevable. Il a également considéré  que l’offre de preuve de la journaliste remplissait les conditions  posées par l’article 55 de la  loi du 29 juillet 1881 et qu’elle devait, par conséquent, être renvoyée des fins des poursuites.

En définitive, le Tribunal estime que l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires  apportée par la journaliste  est  parfaite, complète et corrélative aux diverses  imputations  tant dans leur matérialité que dans  leur portée et leur signification diffamatoire.

Ce constat, fait par le Tribunal, a bien évidemment pour conséquence d’avoir un « effet absolutoire », alors que les propos étaient reconnus comme étant diffamatoires. En l’espèce, la reconnaissance du bien-fondé de l’offre de preuve entraîne donc la relaxe d’A. Chemin[27].

 

Pour arriver à cette solution, le Tribunal a dû se « positionner sur la démonstration de la vérité des faits poursuivis »[28]. Il a donc été obligé de vérifier si l’offre de preuve produite par A. Chemin démontre que R. Faurisson a sciemment falsifié la vérité en affirmant que la Shoah et les chambres à gaz n’avaient pas existé.

Les juges ont, à cet effet, examiné les témoignages, les articles de presse,  et surtout plusieurs jugements ou arrêts  qui soit condamnaient  R. Faurisson notamment pour « contestation de crime contre l’humanité », soit  le déboutaient de ses actions en diffamation.

Selon R. Faurisson, ces différents éléments, et notamment les décisions des tribunaux et cours,  ne démontreraient  en rien la preuve de la vérité des allégations diffamatoires poursuivies, dans la mesure où ces décisions n’ont jamais consacré le fait qu’il soit un faussaire de l’histoire et qu’elles n’ont été prises qu’au bénéfice de la bonne foi des personnes poursuivies après que les juges aient constaté que ces dernières avaient échoué dans leur offre de preuve.

R. Faurisson ajoutait même que certaines décisions avaient consacré le bien-fondé et le sérieux de ses recherches[29]. Pour résumer son argumentation, il considérait tout d’abord que les tribunaux ne l’avaient jamais qualifié de faussaire et ensuite que la relaxe – au bénéfice de la bonne foi des personnes qu’il poursuivait –  intervenait après le constat par les juges de l’échec de ces personnes dans l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires.

Le Tribunal va réfuter cette argumentation en considérant, tout d’abord,  qu’il « résulte de l’analyse de ces différentes décisions  que R. Faurisson a bien été condamné pour avoir occulté et travesti la vérité historique […] », mais le Tribunal ajoute «  que  si plusieurs décisions ont pu affirmer qu’il  n’appartient pas aux tribunaux de juger de la véridicité des travaux historiques ou de trancher les controverses suscitées par ceux-ci et qui relèvent de la seule appréciation des historiens et du public [30], force est de constater, d’une part que, s’agissant de la Shoah et des chambres à gaz, cette question a été vidée de sa substance par la loi Gayssot[31], qui institue en délit le fait même d’en contester l’existence, et, partant confère nécessairement aux personnes persistant dans cette voie la double qualité de délinquant et de menteur, d’autre part   que tout en affirmant ne pas vouloir se poser en historiens, les juges, par leur examen de la bonne foi, ont été néanmoins amenés à se prononcer sur la validité des éléments historiques produits par les parties au soutien de leurs positions respectives ; […]. »

Ainsi, le Tribunal considère, en premier lieu, que R. Faurisson a bien été condamné pour avoir occulté et travesti la vérité historique (A).  Mais, le Tribunal  propose, ensuite, de réinterpréter le postulat classique selon lequel il n’appartient pas aux tribunaux de juger de la véridicité des travaux historiques ou de trancher les controverses suscitées par ceux-ci (B).

A. Le Tribunal considère que R. Faurisson a bien été condamné pour avoir occulté et travesti la vérité historique 

 

À la suite d’une analyse minutieuse des décisions produites par A. Chemin, le Tribunal a en effet considéré[32] que « Quelles que soient les formulations et précautions stylistiques ou méthodologiques retenues par les différentes juridictions s’étant prononcées, [il résulte] que R. Faurisson  a bien été condamné pour avoir occulté et travesti la vérité historique ». Le Tribunal  ajoute qu’il a  ainsi été condamné pour ses déclarations sur « les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs »[33]. Il relève également « qu’il a été reconnu que le terme de ‘‘ faussaire’’ utilisé à son endroit ne pouvait justifier la condamnation des personnes l’ayant employé, celles-ci s’étant exprimées ‘‘sans exagération, sans dénaturation de la vérité, avec objectivité et sincérité’’ »[34].

Cependant, l’audace du Tribunal va  être dans le fait de réinterpréter le postulat traditionnel  selon lequel « il  n’appartient pas aux tribunaux de juger de la véridicité des travaux historiques ou de trancher les controverses suscitées par ceux-ci et qui relèvent de la seule appréciation des historiens et du public […]. »

B. Le Tribunal réinterprète le postulat classique selon lequel il  n’appartient pas aux tribunaux de juger de la véridicité des travaux historiques ou de trancher les controverses suscitées par ceux-ci

 

Selon les juges, cette réinterprétation doit se faire à l’aune de la loi Gayssot (1) et en considération du fait qu’en examinant la bonne foi des prévenus du délit de diffamation les juges ont été amenés à se prononcer sur la validité des faits historiques (2).

1. Une réinterprétation du postulat classique à l’aune de la loi Gayssot

 Ainsi, le Tribunal considère tout d’abord  – dans un  long motif  – que si plusieurs décisions avaient pu affirmer qu’il « n’appartient pas aux tribunaux de juger de la véridicité des travaux historiques ou de trancher les controverses suscitées par ceux-ci et qui relèvent de la seule appréciation des historiens et du public »[35], force est de constater, d’une part que, s’agissant de la Shoah et des chambres à gaz, cette question a été vidée de sa substance par la loi Gayssot[36], qui institue en délit le fait même d’en contester l’existence, et, partant confère nécessairement aux personnes persistant dans cette voie la double qualité de délinquant et de menteur,

Nous ne pouvons qu’approuver, s’agissant de la Shoah et des chambres à gaz, cette affirmation nouvelle et péremptoire du Tribunal qui clôt définitivement toute discussion en la matière puisque les négationnistes se voient qualifiés à fois de « délinquant et de menteur ».  Le droit et  l’histoire sont opportunément associés dans ce beau motif.

Par ailleurs, dans la dernière partie de ce motif essentiel de leur décision, les juges vont aborder la question de l’appréciation de la  bonne foi  par les juges et ses conséquences. Cela va les amener à réinterpréter le postulat traditionnel selon lequel les juges n’ont pas qualité pour interpréter des faits historiques.

2. Une réinterprétation du postulat classique eu égard au fait qu’en examinant la bonne foi des prévenus du délit de diffamation les juges ont été amenés à se prononcer sur la validité des faits historiques

Ainsi, selon les juges, malgré le postulat classique, « force est [également] de constater, […], d’autre part que tout en affirmant ne pas vouloir se poser en historiens, les juges, par leur examen de la bonne foi, ont été néanmoins amenés à se prononcer sur la validité des éléments historiques produits par les parties au soutien de leurs positions respectives »[37].

Le Tribunal relève, en premier lieu, une certaine contradiction  entre les déclarations des juges  sur le fait qu’ils ne voulaient  pas « se poser en historiens » et leur examen de la bonne foi qui les obligeaient à se prononcer sur la « validité des éléments historiques ».

Mais, le Tribunal exprime, aussi, avec cette formulation franche et directe, une  approche nouvelle de la bonne foi où celle-ci est appréciée  au regard de la « validité des éléments historiques […] ». L’appréciation de la bonne foi oblige donc les juges à se prononcer  sur les questions historiques discutées à l’occasion du procès. 

Cette conception  et ses conséquences viennent  directement contredire l’argumentation proposée par R. Faurisson.

On se rappelle, en effet,  que R.  Faurisson  soutenait que la relaxe au bénéfice de la bonne foi des personnes qu’il poursuivait intervenait après le constat par les juges de l’échec de ces personnes dans l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires. Autrement dit, selon R. Faurisson,   les juges refusaient de rechercher si ses propos avaient pu constituer ou non une « falsification de l’histoire ». Il s’appuyait, il est vrai, avec une certaine habileté,  sur le  postulat classique selon lequel il « n’appartient pas aux tribunaux de juger de la véridicité des travaux historiques ou de trancher les controverses suscitées par ceux-ci et qui relèvent de la seule appréciation des historiens et du public »[38].

R. Faurisson considérait ainsi que les juges se limitaient à admettre la seule bonne foi de ses  contradicteurs pour les relaxer  en se refusant, par ailleurs, à apprécier la véridicité des travaux sur les faits historiques ou à trancher les controverses provoquées par ces écrits ; ceci expliquait, selon lui, l’échec de l’offre de preuve de la vérité des faits proposée par les personnes poursuivies devant des juges qui admettaient néanmoins la bonne foi de ceux-ci.  Selon R. Faurisson, les juges avaient  donc une appréciation autonome  et subsidiaire de la bonne foi et, en tout cas,  l’admission de la bonne foi au bénéfice des personnes accusées de diffamation  ne signifiait pas  que les juges aient pris parti sur les travaux  historiques en cause  ou les polémiques qu’elles suscitent.

Ces deux  questions – l’appréciation de la bonne foi – et  – l’appréciation de la véridicité des travaux sur les faits historiques – étaient, selon  R.  Faurisson,  sans lien causal.

Le Tribunal va donc ici choisir une orientation nouvelle et en rupture – au moins  formelle –  avec la jurisprudence traditionnelle en considérant que « les juges, par leur examen de la bonne foi, ont été néanmoins amenés à se prononcer sur la validité des éléments historiques produits par les parties au soutien de leurs positions respectives ».

Selon l’historien H. Rousso, les juges ont pour la première fois « dénoncé ouvertement l’idée exploitée par [R. Faurisson] selon laquelle la justice a pu relaxer ceux qui l’accusaient  tout en refusant de rechercher si ces propos avaient pu constituer ou non une ‘‘falsification de l’histoire’’ ».[39]  Ainsi, les juges parisiens ont  très  clairement rejeté l’idée selon laquelle la justice n’aurait pas reconnu les mensonges de R. Faurisson. Le Tribunal a, pour cela, repris les motifs de nombreuses décisions concernant R. Faurisson.

Le Tribunal relève, tout d’abord, que la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 26 avril 1983[40], avait considéré que «  R. Faurisson avait manqué à ses obligations[41] en écartant par principe tous les témoignages contraires à sa thèse, en orientant son analyse des documents ‘‘dans le sens de la négation’’ et en se livrant à des proclamations qui relèvent plus du discours politique que de la recherche scientifique ». Le Tribunal rappelle que la cour avait également estimé « qu’une lecture d’ensemble des écrits  fait apparaitre que R. Faurisson se prévaut abusivement de son travail critique, pour tenter de justifier […] des assertions d’ordre purement général qui ne présentent plus aucun caractère scientifique et relèvent de la pure polémique ; qu’il est délibérément sorti du domaine de la recherche historique et a franchi un pas que rien, dans ses travaux antérieurs n’autorisait, lorsque résumant sa pensée sous forme de slogan il a prétendu que ‘‘les prétendus massacres en chambres à gaz et le prétendu génocide sont un seul et même mensonge’’ […] ».

Le Tribunal souligne que cette motivation est reprise dans le jugement rendu le 14 février 1990[42] par le Tribunal de grande instance de Paris qui conclut que « les défendeurs à l’action [le Centre de Documentation Juive Contemporaine] ont publié l’expression ‘‘falsificateur de l’histoire des Juifs pendant la période nazie’’ de bonne foi, sans animosité excessive, dans le seul but légitime […] d’exprimer leur appréhension à la perspective de voir se généraliser des conceptions relevant dans leur aboutissement plus du discours politique que de la recherche scientifique ».                                                                 

Par ailleurs, selon le Tribunal, dans le jugement du 21 mai 2007[43] du Tribunal correctionnel de Paris, il est noté que si le jugement du 8 juillet 1981 de la même juridiction « […] ne peut constituer la preuve parfaite et corrélative de la vérité des faits diffamatoires, de même que les autres éléments fournis à titre d’offre de preuve », ces éléments  « démontrent qu’au sein de la communauté scientifique, les méthodes du demandeur sont assimilées à celles d’un faussaire et que ses productions, non seulement ne bénéficient d’aucun crédit, mais son unanimement condamnées, pour leur absence totale de sérieux et en ce qu’elles caractérisent des contestations de crimes contre l’humanité ».

Le Tribunal relève ensuite que dans leur jugement du 21 mai 2007, s’agissant de  l’analyse relative à la bonne foi des défendeurs, les juges parisiens  avaient estimé « qu’il résulte clairement des termes de cette décision (le jugement du 8 juillet 1981) que le tribunal, s’il s’est interdit de consacrer judiciairement et expressément une vérité historique, ce qui l’a conduit à refuser de rechercher si le discours de R. Faurisson ‘‘ constitue ou non une falsification de l’histoire’’, a imputé à faute à   celui-ci [sic]  de graves manquements aux obligations qui incombent aux historiens […] ».                          

Le Tribunal rappelle aussi que le même jugement du 21 mai 2007 considérait que « la cour [dans son arrêt du 26 avril 1983] dénonçait, elle aussi, le glissement  de R. Faurisson vers ‘‘ des assertions d’ordre général qui ne présentent plus aucun caractère scientifique et relèvent de la pure polémique’’ ; elle affirmait, se faisant juge  de la qualité de ses productions, qu’en niant ensemble l’existence des chambres à gaz et du génocide, il ‘‘ a franchi un pas que rien, dans ces travaux antérieurs, n’autorisait’’[…] ».

Enfin,  le Tribunal évoque  un motif particulièrement important du jugement du 21 mai 2007  où les juges soulignaient  que « La  cour d’appel [dans son arrêt du 26 avril 1983] comme le tribunal [dans son jugement du 8 juillet 1981] , tout en refusant de juger l’histoire et de dire la vérité, n’ont […] a aucun moment remis en cause les acquis de celle-ci et ont au contraire fondé la condamnation civile prononcée contre R. Faurisson, non sur des considérations morales, […], mais bien sur la responsabilité professionnelle encourue par lui, en tant qu’universitaire et en sa qualité revendiquée d’historien, à tenter d’appuyer sur une prétendue recherche critique à caractère scientifique et historique – les juges ayant analysé les vices affectant la méthode qu’il revendiquait – sa volonté de nier les souffrances des victimes du génocide des juifs, de réhabiliter les criminels nazis qui l’ont voulu et exécuté […] ». Ainsi, « R. Badinter, en retenant de ces décisions, plutôt que l’analyse portant sur le but poursuivi par R. Faurisson,  celle relative à la méthode suivie par lui, et en la ramassant dans la formule, dont la  pertinence résulte de ce qui précède, de ‘‘ faussaire de l’histoire’’, rassemblant ainsi des termes qu’il avait déjà appliqués à l’intéressé dans ses plaidoiries en première instance, a donc conservé une parfaite modération dans le propos ».   

En définitive, selon les juges, qui enfoncent le clou : « […]  toutes ces décisions n’ont [eu] de cesse que de stigmatiser, en des termes particulièrement clairs, les  manquements et les abus caractérisant ses méthodes, et de valider, partant, le jugement porté par les différentes personnes qu’il a cru devoir poursuivre de ce fait et les qualificatifs, identiques à ceux ici incriminés, qu’ils ont employés à son encontre. »

Ainsi, les « méthodes de recherche » de  R. Faurisson, et l’absence totale de respect  de la méthodologie historique[44], discréditent totalement aux yeux du tribunal « une prétendue recherche critique à caractère scientifique et historique », ce qui a pour conséquence de « valider » les propos litigieux.

Comme on a pu également le relever, « toutes les décisions de relaxe au bénéfice de ses accusateurs, a fortiori toutes ses condamnations pour négationnisme, n’ont fait que confirmer sans la moindre ambiguïté  que Faurisson était bien un ‘‘ menteur professionnel ’’, un  ‘‘ falsificateur ‘’  et un ‘‘ faussaire de l’Histoire ’’ ».[45]

 

En conclusion, le choix fait par les juges de la 17ème chambre correctionnelle est triplement intéressant.

D’abord, par le rappel de l’intérêt majeur de l’exception de vérité dans le cadre du débat public d’intérêt général au service de la vérité.

Ensuite, par ce que les juges consacrent pleinement la liberté d’expression[46].

Enfin, car « la justice  a pris acte du fait qu’elle ne pouvait prétendre apprécier la nature des accusations portées contre les négationnistes sans se confronter un tant soit peu à la nature de leurs mensonges et donc à la question de la vérité historique »[47]. Cependant, si l’analyse nouvelle faite par le Tribunal  du rôle des juges par rapport à l’histoire nous semble intéressante, il ne faut pas oublier que les juges se sont  eux-mêmes fondés sur l’opinion des historiens, témoins des parties, pour se prononcer sur « la validité des éléments historiques ». C’est d’ailleurs particulièrement  net dans la présente affaire quand on voit l’éminente qualité des témoins cités par A. Chemin[48]. Ceci est d’ailleurs plutôt rassurant, même si cela peut poser d’autres questions sur le rôle des historiens dans la justice[49].

En tout cas, selon un historien aussi avisé qu’H. Rousso, même si « cette décision a une grande portée, [elle] ne signifie en rien que la justice entend désormais intervenir plus que de raison dans l’écriture de l’Histoire »[50].

Rappelons, néanmoins, que dans la présente affaire les faits et la réalité de la Shoah et des chambres à gaz exterminatoires étaient indiscutables tant d’un point de vue juridique qu’historique.                                                                                                                                                                               Par ailleurs, en consacrant l’exception de vérité, le Tribunal met fin au paradoxe des relaxes qui intervenaient au nom de la seule bonne foi des personnes que  R. Faurisson poursuivaient en diffamation alors que lui-même était condamné pour contestation de l’existence de crime contre l’humanité. Le Tribunal  réconcilie en la matière vérité juridique et historique. En ce sens,  le Tribunal a sans doute aussi rendu un jugement qui fera date.

On ne peut donc qu’être satisfait que sur une question aussi douloureuse – l’extermination  des juifs d’Europe, notamment par les chambres à gaz – la protection du juge bénéficie non aux faussaires mais à ceux qui luttent contre la propagation de leurs mensonges[51]. Il appartiendra néanmoins aux juges, à l’instar  des historiens, d’avoir une légitime prudence pour aborder des questions plus controversées et sur lesquelles le débat est encore en cours[52] [53].

[1] J.-B. Jacquin, « La justice reconnaît que Robert Faurisson est un faussaire », Le Monde, 8 juin 2017, p. 12 ;                 H. Rousso, « Faurisson débouté, l’Histoire enfin respectée », Le Monde, 11-12 juin 2017, p. 25 ; D. Goetz, « Diffamation : négationnisme et reconnaissance de l’exception de vérité », Dalloz actualité, 12 juin 2017, http://www.dalloz-actualité.fr

[2] Voir en ce sens, notamment, TGI de Paris, 18 avril 1991, confirmé par CA de Paris, 9 décembre 1992, Légipresse 1993 n° 103, III, p. 90, note C. Korman ; TGI de Paris 27 avril 1998, Le Monde, 29 avril 1998, p. 10 ; également TGI de Paris, 3 octobre 2006, « Le négationniste Robert Faurisson a été condamné à 3 mois de prison avec sursis », site http://Le Monde.fr, 3 octobre 2006, confirmé par  CA de Paris, 4 juillet 2007, AFP, 4 juillet 2007. Avant la loi du 13 juillet 1990, R. Faurisson était d’ailleurs condamné sur le fondement de la responsabilité civile pour ses écrits.

[3] H. Rousso, article précité.

[4] Dans son article d’août 2012, A. Chemin cherchait à comprendre pourquoi le Monde avait décidé de publier, le 29 décembre 1978, une tribune de R. Faurisson, alors Maître de conférences à l’Université Lyon-II, intitulée « Le problème des chambres à gaz ou ‘‘la rumeur d’Auschwitz’’ ». La tribune ayant largement contribué à l’essor des thèses négationnistes, la journaliste  qualifiait de « bourde monumentale » la décision de 1978 et soulignait le paradoxe d’un « journal qui semble déplorer le surgissement médiatique d’un homme qu’il met lui-même, ce jour-là, sous les feux de la rampe ». Selon J.-B. Jacquin, article précité, A. Chemin  estime aujourd’hui que la fin de son article de 2012 était « trop optimiste » quand elle écrivait que les historiens avaient « réduit à néant les fantasmagories de Faurisson et de son fan-club antisémite ». « A l’heure de la post-vérité et des réseaux sociaux, hélas, les révisionnistes ont encore de belles heures devant eux », s’inquiète-t-elle.

[5] R. Badinter, alors avocat de la LICRA dans le procès que celle-ci  avait intenté en 1981 contre R. Faurisson  à propos de ses articles niant l’existence des chambres à gaz, avait déjà qualifié R. Faurisson  de « faussaires, […], de la science historique ».  Le TGI de Paris, dans son jugement du 8 juillet 1981 (D. 1982, p. 59, note B. Edelman confirmé par CA de Paris, 26 avril 1983, cité in RTDH 2001 p. 39) condamna R. Faurisson.

Par ailleurs, selon le TGI de Paris,  le 21 mai 2007,  les mêmes propos tenus par R. Badinter, lors d’une émission sur Arte en 2007, ne furent pas considérés comme diffamatoires car la condamnation de R. Faurisson, le 8 juillet 1981, reposait « non sur des considérations morales » mais sur « la responsabilité professionnelle » de l’universitaire, Le Monde, 23 mai 2007, p. 12. 

[6] Comme pouvait le souligner H. Rousso, Il n’y avait « Rien de nouveau […], puisque,  depuis 1981, Faurisson a été débouté au moins quatre fois de ses plaintes pour injures ou diffamation, et condamné au moins cinq fois, dont trois pour contestation de crimes contre l’humanité, en vertu de loi Gayssot ».

[7] Comme pouvait le souligner H. Rousso, article précité, « [Les juges] ont peut-être vu ‘‘Le Procès du siècle’’,  film sorti il y a quelques semaines sur les écrans. Ce dernier relate l’histoire du procès retentissant qui opposa, à Londres, en janvier-février 2000, l’écrivain négationniste David Irving à l’historienne Deborah Lipstadt, poursuivie elle aussi pour diffamation. Dans son jugement du 11 avril 2000, le juge Charles Gray rejetait toutes les demandes du plaignant en déclarant qu’il avait dans ses écrits ‘‘manipulé’’ et ‘‘déformé’’ la vérité historique, et qu’il était sans ambiguïté un ‘‘raciste’’ et un ‘‘antisémite’’ ».  Il constatait cependant que « Le procès en diffamation qui s’est déroulé en mai 2017 à Paris n’a pas eu la même ampleur ni la même publicité, bien qu’il présente quelques similitudes avec le procès de Londres. Là aussi, en vertu de la nature même du délit de diffamation, c’est au prévenu de prouver qu’il dit vrai. C’est à la défense de démontrer que ceux qui nient l’existence des chambres à gaz et de la Shoah méritent bien les qualificatifs de ‘‘faussaires’’ ou de                             ‘‘ falsificateurs’’, et non aux plaignants de démontrer qu’ils sont accusés à tort. »

[8] Dispositif du jugement.

[9] H. Rousso, article précité.

[10] Ainsi, A. Chemin, dans le procès qui l’a opposé à R. Faurisson, avait notamment déclaré lors de l’audience de plaidoirie  que lors de son de sa rencontre avec R.Faurisson, à Vichy, durant l’été 2012, « l’entretien s’était bien passé au début mais [l’avait] mis  mal à l’aise dès lors que l’intéressé  avait voulu lui montré ses archives et tenté de la convaincre du bien-fondé de ses thèses sur la Shoah et les chambres à gaz  ». Elle ajoutait « s’étonner, n’étant pas juriste mais se prononçant en tant que citoyenne, du fait que Robert Badinter, poursuivi par Robert Faurisson pour avoir déclaré le 11 novembre 2006 sur Arte ‘‘J’ai fait condamner Faurisson pour être un faussaire de l’histoire’’, n’ait été relaxé qu’au bénéfice de la bonne foi, alors même que la Shoah était pour sa génération un fait avéré qui ne souffrait aucune discussion. »

[11] Vérité juridique d’abord et notamment consacrée dans le procès de Nuremberg.

[12] Voir sur cette question R. Hilberg,  The destruction of the European Jews ,Yale University Press, 1961, ouvrage révisé en 1985 par l’auteur, New York, Holmes and Meier, 1985, éd. française, Gallimard, 1985 ; nouvelle éd. augmentée et définitive, Gallimard, 2006.

[13] Décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, n° 2011-131.

[14] L. François, « Quels faits justificatifs pour la diffamation ? », communication au Colloque « La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? », (Dijon, 3 novembre & 4 novembre  2016), La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, LGDJ Lextenso, 2017, p. 119.

[15]  CA de Paris, 3 novembre 1965, Gaz. Pal. 1966, 2, 34.

[16] L. François, « Le renforcement du droit de la preuve en matière de diffamation », note sur TGI Paris, 21 mai 2007, Légipresse 2007 n° 246, III, p. 227 ; égal. p. 231.

[17] TGI de Paris, 26 juin 1985, Gaz. Pal. 1985, 28 septembre 1985.

[18]  TGI de Paris, 26 mars 1999, Petites Affiches, 28 mai 1999, n° 106. On peut regarder le motif essentiel de ce jugement in L. François, article précité, p. 231

[19] L. François, communication précitée, p. 119.

[20] L. François, article précité, p. 231.

[21] Rappelons que la TGI de Paris, dans son jugement du 8 juillet 1981 (D. 1982, p. 59, note B. Edelman confirmé par CA de Paris, 26 avril 1983, cité in RTDH 2001 p. 39), s’il condamna R. Faurisson « pour de graves manquements [incombant] aux historiens », considéra cependant qu’il n’avait pas « à rechercher si le discours [de R. Faurisson] constituait ou non une ‘‘ falsification de l’Histoire’’ ». Le Tribunal avait ainsi considéré qu’il n’avait pas à dire ou à écrire l’Histoire.

[22] Décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011 précitée (n. 13).

[23] Ce n’est pas la première fois que les juges consacrent l’exception de vérité à propos de faits qui intéressent la Seconde Guerre mondiale. Déjà, le TGI de Paris, le  12 avril 2016, dépêche AFP, 12 avril 2016, puis la CA de Paris, le 19 janvier 2017, avaient admis l’exception de vérité dans  une affaire ou J.-M. Le Pen reprochait à A. Montebourg de l’avoir diffamé en ayant affirmé qu’il avait fait l’éloge de la Gestapo. Voir sur cette affaire, notre article, « Jean-Marie Le Pen débouté de son action en diffamation contre Arnaud Montebourg qui avait affirmé que le président d’honneur du Front national avait fait « l’éloge de la Gestapo », commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 janvier 2017, http://jupit.hypotheses.org/

[24] Le Tribunal a  aussi jugé « que cette exclusion de responsabilité s’étend nécessairement au directeur de publication ». Ainsi, T. Cremisi « [est] donc également renvoyée des fins de la poursuite ».

[25] Selon H. Rousso, article précité, « Les avocats ont plaidé de manière principale l’ ‘‘exception de vérité’’, c’est-à-dire une demande de relaxe en vertu de la véracité des faits rapportés par la journaliste accusée de diffamation : Faurisson a bien nié une évidence historique – la Shoah –, il est donc un ‘‘menteur’’ et un ‘‘faussaire’’. Pour autant, dans l’écrasante majorité des cas de diffamation, comme la preuve apportée des faits imputés ne suffit pas à la relaxe, […], la défense plaide de manière subsidiaire la bonne foi, c’est-à-dire l’absence d’intention de nuire et la preuve qu’un véritable travail d’investigation, même inabouti, a pu être mené en préalable. »

[26] Le Tribunal reprend avec cette formulation la jurisprudence traditionnelle en la matière. On regardera en ce sens un arrêt récent de la  chambre criminelle du 3 mars 2015 (Cass. crim., 3 mars 2015, n° 13-88.063) rappelant, au visa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, que pour produire un effet absolutoire « la preuve de la vérité diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations diffamatoires dans toute leur matérialité et leur portée ». En l’espèce, la Haute juridiction cassait  d’ailleurs un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 9 octobre 2013 en estimant que ces conditions rigoureuses de l’exceptio veritatis n’étaient pas remplies. Comme  pouvait le souligner Emmanuel Dreyer, Panorama, « Droit de la presse, janvier 2015 – décembre 2015 », D. 2016,  p. 283, « ce fait justificatif reste d’application exceptionnelle. […], et la jurisprudence se montre exigeante ».

 

[27] Comme nous l’avons déjà souligné (n. 24), le Tribunal a étendu le bénéfice de l’offre de preuve à T. Cremisi,  directrice de publication des éditions Flammarion, qui est également relaxée.

[28] D. Goetz, « Diffamation : négationnisme et reconnaissance de l’exception de vérité », Dalloz actualité, 12 juin 2017, http://www.dalloz-actualité.fr

[29] Argumentation de R. Faurisson, rappelée dans le jugement, p. 6. On regardera sur cette attitude très classique de R. Faurisson l’excellent article de notre collègue et ami, T. Hochman, « Faurisson, « falsificateur de la jurisprudence » ? », Droit et cultures [En ligne], 61 | 2011-1, mis en ligne le 28 octobre 2011, http://journals.openedition.org/droitcultures/2526

[30] En ce sens, notamment, CA de Paris, 26 avril 1983, cité in RTDH 2001, p. 393 qui confirmait TGI de Paris, 8 juillet 1981, D. 1982, p. 59, note B. Edelman.

[31] Souligné par nous.

[32] Jugement, p. 6.

[33] CA de Paris, 23 juin 1982 ; égal  CA de Paris, 26 avril 1983 précitée (n. 30).

[34] En ce sens, TGI de Paris, 21 mai 2007, Légipresse  2007, n° 246, III, p. 227.

[35] En ce sens, notamment, CA de Paris, 26 avril 1983 précitée, qui confirmait TGI de Paris, 8 juillet 1981 précité (n. 30).

[36] Souligné par nous.

[37] Le Tribunal cite au soutien de son affirmation plusieurs décisions, notamment CA de Paris, 26 avril 1983 précitée (n. 30), et TGI de Paris, 21 mai 2007 précité (n. 34).

[38] En ce sens, notamment, CA de Paris, 26 avril 1983 précitée.

[39] H. Rousso, article précité.

[40] CA de Paris, 26 avril 1983 précitée (n. 30).

[41] Les soulignements sont ajoutés par le Tribunal dans son jugement.

[42] TGI de Paris, 14 février 1990, Gaz. Pal. 1991.2.452, note M. Domingo.

[43] TGI de Paris, 21 mai 2007 précité (n. 34).

 

[44] R. Faurisson était Maître de conférences en littérature ayant soutenu une thèse sur le poète Lautréamont, A-t-on lu Lautréamont ?, Gallimard, 1972. Un spécialiste de Lautréamont, G. Laflèche, Édition critique interactive des Chants de Maldoror du comte de Lautréamont par Isidore Ducasse, non membre du jury de soutenance, considère cependant  que ce travail  « fourmille de contresens […] », http://singulier.info/ma/st101.html#ptf

[45] H. Rousso, article précité.

[46] En ce sens, D. Goetz, article précité.

[47] H. Rousso, article précité, qui rappelle que « par tradition, les magistrats ont longtemps hésité à s’engager sur le terrain du vrai ou du faux en histoire ».

[48] Valérie Igounet, Annette Wieviorka, Laurent Joly.

[49] Cf. H. Rousso, « Les historiens font justice », Le Monde, 18 octobre 2010, p.18, qui note  qu’  « Alors que les historiens avaient cherché depuis plus d’un siècle à s’affranchir d’une rhétorique normative – comprendre plutôt que juger -, ils ont été pris à nouveau, un siècle plus tard, dans des paradigmes juridiques et judiciaires. Ils ont pris l’habitude d’utiliser des qualifications criminelles à la place de concepts historiographiques (génocide, crime contre l’humanité), ils ont même contribué à en créer de nouvelles (négationnisme). […]. Les historiens se sont retrouvés, au moins pour certains, dans la situation paradoxale d’être non plus simplement des analystes du monde juridique et judiciaire, mais aussi des acteurs contribuant à consolider et à produire normes et jugements. A faire en somme, justice eux-mêmes. » ;  aussi http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/16/les-historiens-font-Justice_1427211_3232.html#dMgEi7cq7eYpQ2Oi.99

[50] H. Rousso, « Faurisson débouté, l’Histoire enfin respectée », Le Monde, 11-12 juin 2017, p. 25.

[51] Nous dédions ce travail à toutes les victimes de la Shoah.

[52] Voir sur cette question notre article, « Les séquelles de la Deuxième Guerre mondiale dans les balances de la Justice », II, http://fondation.unilim.fr/chaire-gcac/

[53] Nous remercions E. Broussard pour ses observations et A. Kuri pour son attentive relecture.

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