L’art mangrove caribéen | Cécile Bertin-Elisabeth

DLO – EAU - Marvin Fabien (Dominique)

1- Bi-o/eau entre deux ILs/îles ou l’archipel(ELLE) fabien

https://doi.org/10.25965/ebooks.374

p. 10-24

Texte

Toute île est une terre entourée d’eau. La définition de chacun de nous autres, êtres humains, êtres de chair et d’esprit, est souvent beaucoup plus ardue. Nos origines nous marquent et nos présences et passages en divers lieux laissent autant de traces. À l’heure de se présenter en tant que IL ou ELLE et de faire l’histoire de sa vie, de proposer sa biographie (du grec bios : vie et graphè : écrit), de présenter la somme de faits, d’événements et de rencontres qui la constitue, ne peut-on se demander si chez un·e artiste ou écrivain·e, toute œuvre (écrite, peinte, sculptée, chantée…) n’est pas une forme de biographie, déguisée ou non ? Ne puise-t-IL·ELLE pas en effet dans sa vie les matériaux nécessaires à sa production esthétique ?

Portrait de Jean Rhys dans ses propres mots1

Note de bas de page 1 :

https://www.etsy.com/fr/listing/559071157/portrait-de-jean-rhys-romancier-et, The Crows Quill Shop, consulté le 13 avril 2020.

Portrait de Jean Rhys dans ses propres mots1

Note de bas de page 2 :

Jean Rhys, Wide Sargasso Sea, New York, Penguin classics, 2000 (1966). Jean Rhys a alors 76 ans et reçoit pour ce roman le Royal Society Litterature Award. Ce roman suffocant qui met en exergue les préjugés de l’Angleterre coloniale du XIXe siècle a été conçu comme un prologue à Jane Eyre et s’intéresse à la première épouse (folle) de Rochester.

On évoquera en guise d’exemple la production littéraire de l’écrivaine, née à la Dominique, Ella Gwendolen Rees William (1890-1979), connue sous le pseudonyme de Jean Rhys. Sa vie d’errances alcoolisées et de débrouillardises amoureuses emplit toute son œuvre. De son enfance à la Dominique, alors colonie anglaise, ressortent aussi quelques éléments comme dans Let them call it jazz/Qu’ils appellent ça du jazz (1962), où l’héroïne est une femme issue de la Caraïbe, et plus particulièrement dans Wide Sargasso sea/La prisonnière des Sargasses (19662). On rappellera que l’action de ce roman se déroule à la Jamaïque au moment de l’affranchissement des esclaves. Cette œuvre évoque d’ailleurs les difficiles rapports pigmentocratiques au sein de la Caraïbe.

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Note de bas de page 3 :

Charlotte Brontë, Jane Eyre, 1847.

Note de bas de page 4 :

Sorcière.

Note de bas de page 5 :

La christophine, nom donné en Martinique à la chayotte (Sechium edule), est en effet un légume de la famille des cucurbitacées originaire du Mexique. Soulignons le jeu entre un prénom comprenant le nom du Christ et des activités de sorcellerie.

La narration est menée par la jeune créole Antoinette Cosway dont la mère sombre dans la folie. Inquiète au sein d’une nature prégnante et entourée des mystères vaudous, elle est mariée en sortant du couvent à l’Anglais Rochester – réécriture du héros de Jane Eyre3 –, désireux d’obtenir une bonne dot. Le couple vit ensuite à la Dominique dans une ancienne propriété avant de partir pour la Grande Bretagne, mais se déchire chaque fois plus malgré la protection de la vieille gouvernante et quimboiseuse4 martiniquaise au nom lié à la flore caribéenne : Christophine5. L’héroïne finit par mourir noyée, comme empêtrée dans les eaux tropicales emplies de sargasses de son enfance, ne parvenant pas à échapper à ses origines ainsi qu’à ses troubles identitaires – en ne se sentant en fin de compte ni tout à fait de la Jamaïque, ni de l’Angleterre –, lesquels entre otherness et inbetween sont autant de troubles psychiques.

Les eaux (perçues comme closes et agressives) peuvent être mortifères et transcrire la violence et la haine qui sourdent de La prisonnière des Sargasses.

Elles sont aussi nourricières, véhicules de vie, comme chez l’artiste Marvin Fabien qui, presqu’un siècle plus tard – puisqu’il naît en 1978, soit une année avant le décès de Jean Rhys, ce qui semble augurer d’un passage à une autre étape – propose un tout autre regard. À la fragmentation identitaire de Jean Rhys répond la rencontre des origines vécue de façon sereine de Marvin Fabien.

Note de bas de page 6 :

Voir par exemple la thèse de Kimberlay A. Bruno, Corps et nature chez trois écrivaines guadeloupéennes, Mc Master University (Ontario), 2005, https://macsphere.mcmaster.ca/bitstream/11375/8758/1/fulltext.pdf ou celle de Luc labridy, Statut du corps et expression corporelle : Leurs caractères polysémiques dans la littérature antillaise francophone de 1945 à nos jours, Université des Antilles-Guyane, 1999 ou encore Michael Dash, « In Search of the Lost Body : Redefining the Subject in Caribbean Literature In Search of the Lost Body : Redefining the Subject in Caribbean Lit », Kunapipi, 11(1), 1989, https://ro.uow.edu.au/cgi/viewcontent.cgi ?referer =&httpsredir =1&article =1771&context =kunapipi.

L’on relève de ce fait pour le moins deux manières de vivre la mosaïque des origines : être noyé·e dans la crise identitaire ou la transcender. Le médium reste le lien, torturé ou apaisé, du CORPS6 où les liquides s’infiltrent et s’exfiltrent par tous les interstices, où l’ESPRIT souffre aussi à moins qu’il ne parvienne à s’épanouir, que ce soit spirituellement, intellectuellement ou autrement. Le poids de l’Histoire, et singulièrement celui de la Caraïbe plantationnaire, hante et désenchante, demeurant implanté dans ces corps-territoires de tant de quêtes :

Note de bas de page 7 :

Phrase introductive de l’article de Freddy Marcin, « Jean Rhys et Shani Mootoo ou la fragmentation de l’être », Revue LISA/LISA e-journal [En ligne], Écrivains, écritures, Literary studies – Varia, http://journals.openedition.org/lisa/7162, consulté le 13 avril 2020.

Le colonisé peut être vu comme un corps qui ne nous appartient pas, si bien que l’esprit se meurt à force de lutter pour reconquérir un corps bafoué et désabusé mais également déterritorialisé. La notion de perte est d’une importance capitale lorsqu’il est question du colonisé car ce dernier n’a plus aucun repère, il est perdu dans un monde qui lui semble autre, dans un lieu qui n’a point les mêmes codes de fonctionnement, les mêmes codes culturels et linguistiques, un lieu où la symbolique devient étrangère7

Note de bas de page 8 :

Encore plus dans le cas d’une femme, victime d’une double colonisation, comme l’a montré Jean Rhys. Voir à cet égard Marja-Liisa Helenius, « Madwoman as the Imprisoned Other: Jean Rhys’s Wide Sargasso Sea in Light of French Feminist and Anglo-American Feminist Literary Theories », University of Helsinki, 2003 et Carine M. Mardorossian, « Shutting up the Subaltern: Silences, Stereotypes, and Double-Entendre in Jean Rhys’s Wide Sargasso Sea », Callaloo, vol. 22, n° 4, 1999, 1071-1090, http://www.jstor.org/stable/3299872. Mimi Sheller, Citizenship from Below: Erotic Agency and Caribbean Freedom, Durham NC, Duke University Press, p. 139: « we must look for subaltern histories below the surface of the image, tangled in the roots of trees, close to the ground, submerged in the water ».

Note de bas de page 9 :

Gayatri Chakyavorti Spivak, « Can the Subaltern Speak? », Colonial Discourse and Post-Colonial Theory, Patrick, Eds. Williams & Laura, Chrisman, New York, Columbia UP, 1994, p. 104.

Des dominations marginalisantes et subalternisantes8 de l’époque coloniale à la récupération recentralisée et revitalisée de la période postcoloniale, soit d’une déterritorialisation subie à une reterritorialisation possible, le corps transcrit les questionnements existentiels et les méandres vitaux. Toutefois, la situation diffère selon les sexes comme le théorise Gayatri Spivak : « The subaltern as female cannot be heard or read »9, transcrivant la tragique situation déjà décrite par Jean Rhys pour ses héroïnes.

Il n’empêche que d’autres voies/voix émergent au fur et à mesure de la prise de conscience des colonialités des pouvoirs et des savoirs sur les êtres. Dégénérescence versus régénérescence. Fractures versus renouvellements. Mise à l’écart et incohérence (notamment psychique) versus réunion et mise en cohérence des fragments de terre et de vie. Les approches peuvent être quasiment opposées tout en s’exprimant toujours par les véhicules du corps et de l’esprit.

Marvin Fabien

Marvin Fabien

Note de bas de page 10 :

On invitera pour ce changement de paradigme à consulter les œuvres d’une écrivaine contemporaine de Marvin Fabien, née en 1970 : Fabienne Kanor dont les titres des premières œuvres montrent bien l’intérêt pour les eaux et la terre humide qui lui permettent de transcrire son approche de la Caraïbe et de son histoire : D’eaux douces (2004), Humus (2006) Le jour où la mer a disparu (2007).

Marvin Fabien expose alors une caribéanité existant par et pour elle-même, libre de ses pensées et de ses désirs. La forêt n’est plus étouffante comme dans les descriptions de Jean Rhys rendant compte du douloureux ressenti de l’héroïne Antoinette Cosway. Marvin Fabien ne conçoit plus la sylve comme un labyrinthe sans fin, il ne la représente plus d’ailleurs10 en soi et lui préfère des figures métamorphiques ou des corps, souvent humains, métaphoriques réunis, groupés, principalement représentés sur des supports « nourris » d’eau et même de formes aquatiques, imbibés de liquides parfois hétérogènes. Il souligne ainsi le fait d’être sorti, d’être libéré de ce type d’enchevêtrements et de solitude sylvestres mangroviennes, comme en un marronnage réussi, dépassé, grâce notamment à une fluide irrigation souterraine, rappel du passé, nourriture du présent et ferment d’un avenir résilient.

De l’arbre de la forêt, il reste le papier… le support en papier, matériau accessible quel que soit le lieu de création ; un papier qui servit longtemps à colmater les brèches des parois des cases caribéennes… Marvin Fabien en propose une utilisation originale, très différente par exemple de celle des Jamaïcains Omari S. Ra (1960-) et Carol Crichton (1943-), car son support papier est « nourri » d’eau, richesse vitale que ne connaît pas Antoinette Cosway dans La prisonnière des Sargasses.

Sindon series (2011, acrylique sur toile, 180 cm x 180 cm)

Sindon series (2011, acrylique sur toile, 180 cm x 180 cm)

Note de bas de page 11 :

Sainte Berthe est connue pour représenter l’enfermement le plus extrême puisqu’elle demanda à la fin de sa vie à être comme emmurée dans l’église de son abbaye.

Note de bas de page 12 :

Voir la conférence de Corinne Mencé-Caster, Manioc, Université des Antilles, http://www.manioc.org/gsdl/cgi-bin/library?e=d-01000-00---off-0fichiers--00-1----0-10-0---0---0direct-10---4-------0-1l--11-fr-Zz-1---20-about---00-3-1-00-0-0-11-1-0utfZz-8-00&a=d&c=fichiers&cl=CL2.13.126, site consulté le 14 avril 2020.

Note de bas de page 13 :

Voir par exemple les analyses de Louis-Jean Calvet sur le poids des langues et son « baromètre » des langues du monde, http://www.wikilf.culture.fr/barometre2012/, site consulté le 14 avril 2020.

Antoinette – à qui son mari ôte jusqu’à son nom en la rebaptisant Bertha11 – ne connaît que perte, folie et isolement. Ces thématiques ne sont plus d’actualité dans l’œuvre de Marvin Fabien pour qui la nomination colonisatrice et prédatrice a été transcendée12. Cet artiste choisit d’ailleurs, quel que soit son lieu de production, de donner à ses œuvres des titres en anglais : Wild Fantasy, Naked Light, Metacaribbean,… et ce sans aucun mal-être, sachant faire sien un véhicule linguistique toujours dominant13, idiome et fluide de transmissions nécessaires.

Note de bas de page 14 :

« Mason a coupé ses ailes, c’est à la suite de cela qu’il devient de mauvaise humeur ».

Note de bas de page 15 :

https://journals.openedition.org/lisa/7162, consulté le 13 avril 2020. Voir aussi : Freddy Marcin, « Jean Rhys et Shani Mootoo ou la fragmentation de l’être », Revue LISA/LISA e-journal, Écrivains, écritures, Literary studies – Varia, http://journals.openedition.org/lisa/7162, consulté le 13 avril 2020.

Dans La prisonnière des Sargasses, le problème irrésolu de la signifiance et de la reconnaissance est symboliquement transcrit par le fait que le perroquet Coco se voit couper les ailes14. Antoinette-Bertha est aussi captive que Coco, dans un mariage où l’homme a tous les pouvoirs, dans une société où ELLE ne trouve pas sa place15. Marvin Fabien est en revanche un homme issu d’une période de reconquête identitaire où il est possible de voler de ses propres ailes dans une Dominique qui n’est plus une colonie anglaise et qui a choisi justement d’insérer au cœur de son drapeau un emblématique greenparrot (endémique sisserou – Amazona imperialis), signifiant l’envol d’un peuple libéré et fier de lui-même.

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Drapeau de la Dominique

Drapeau de la Dominique

Marvin Fabien peut alors développer à son aise de l’empathie pour les ILS et les ELLES de la Caraïbe et tisser des liens avec le monde entier, le Tout-monde glissantien, en s’adressant à chaque IL et à chaque ELLE qu’il invite à vivre à tire-d’aile.

IL s’est ainsi intéressé au thème du mariage et à la place accordée à la femme dans sa série The Wedding, réalisée en 2017.

(DE COMBIEN D’ŒUVRES ? COMBIEN DE ROBES RÉALISÉES ? ACCROCHÉES COMMENT ? SUR UNE ARMATURE DE FER ? MF : The Wedding est le titre de mon installation video-mapping, lumière et son qui s’est tenue à la Barbade du 13 au 15 décembre 2017 au siège des Nations Unies à Bridgetown. Il n’y a qu’une seule robe (une structure métallique fabriquée avec du grillage, recouverte d’un tissu translucide qui accroche la lumière. La structure est accrochée par des fils de pêche transparents). Les projections d’images et de lumière donnent l’impression qu’il y a plusieurs robes. Cette installation représente la deuxième partie de mes créations, suite à l’appel à créations artistiques de ONU FEMME (Antenne des Caraïbes) dans le cadre de leur campagne des « 16 jours d’activisme contre les violences sexistes » (16 Days of Activism campaign against gender-based violence).

Note de bas de page 16 :

On rappelle qu’on a fait le choix (et le pari que le.la lecteur·trice comprendra) de conserver la trace des échanges avec Marvin Fabien (nos questions en rouge ; ses réponses en bleu) pour que sa voix résonne encore…

La première partie de ma participation à cette compagne s’est déroulée sous la forme de ma participation à l’exposition « 1 in 3 » à travers la présentation de 2 œuvres photographiques digitales. L’exposition « 1 in 3 » s’est déroulée du 1er au 15 décembre 2017 et a été organisée par le programme artistique de la Banque mondiale (Washington DC) et parrainée par l’Union européenne, Interarts et ONU Femmes. Liens vers plus d’informations : Brochure https://www.interarts.net/descargas/interarts2905.pdf (On peut y voir mes œuvres page 6 et page 27 puis mon nom + informations page 3 et page 13) – L’exposition https://www.facebook.com/pg/Interarts/photos/ ?tab =album&album_id =1015597149761970016

Série The Wedding (2017)

Série The Wedding (2017)

Cette video-mapping, installation lumière et son, a été réalisée à la demande de UN Women (United Nations Entity for Equality and the Empowerment of Women), dans le cadre de leur lutte contre les violences faites aux femmes, et a été présentée à la Barbade (LIEU PRÉCIS ? MF : au siège des Nations Unies à Bridgetown, Barbade).

Marvin Fabien explicite alors son projet de la façon suivante :

Note de bas de page 17 :

Ces informations nous ont été transmises par Marvin Fabien.

Le but de ce projet est de sensibiliser autant que possible le public, à travers une œuvre d’art, à la question des violences conjugales. Utiliser une œuvre pour transmettre un message à ce sujet peut aider le spectateur à mieux comprendre et accepter les problématiques auxquelles certaines femmes sont confrontées. En outre, cette installation digitale cherche à utiliser l’idée de vidéo mapping et les pratiques des arts digitaux et nouveaux médias, un concept novateur, pour interroger les aprioris existants concernant la violence à l’égard des femmes17.

Note de bas de page 18 :

Le Colombien Fernando Botero (1932-) est en effet connu pour la réalisation de peintures et de statues aux formes imposantes, comme « enflées ».

Les monumentales (TAILLE ? PLUS DE 2 METRES ? MF : 2,7m x 2m) robes de mariée blanches, sorte d’œuvres à la Botero18 mais inversées, car évidées de tout corps voluptueux, qu’elles soient ajourées ou non, laissent passer la lumière, la filtrent et créent ainsi des jeux d’ombres visant à exprimer les non-dits de relations ambiguës et de tant d’espoirs déçus chez ces femmes au corps non présent et pourtant à la corporéité si prégnante dans les formes suggérées par ces vêtements fantomatiques, comme pour mieux laisser subodorer les mauvais traitements subis et les blessures psychiques attenantes. Ces robes sont alors autant de symboles-mascarades, aussi grands que des pantins de Carnaval évidés de leur visible corporéité, pour mieux transcrire les espérances vidées de sens, les rêves inaboutis de prince charmant aimant, les espoirs perdus de vie commune respectueuse. Ces robes spectrales s’apparentent alors à de grands anges. Faut-il voir également une invitation à la spiritualité, un rêve en marche dans ces si grandes robes, blanches comme la pureté et la virginité bafouées, éclairées de surcroît de lumières éthérées ? Ou s’agit-il avant tout de nous rappeler les violences perpétrées, les viols, les coups et les unions forcées ? Blanc et lumière : intensité redoublée ; mise en perspective de tant d’atrocités si souvent occultées.

La dilatation des formes participe dès lors de la monumentalité et de l’effet signifiant amplifié. Robes vides, îlots perdus et reliés à la fois (Y A-T-IL BIEN DES FILS (DE FER ?) POUR TENIR SES ROBES ET COMMENT ? MF : il n’y a pas de fils de fer mais des fils de pêche transparents qui soutiennent la robe à la verticale à partir du plafond), pour nous inviter à imaginer l’archipel de ces femmes ayant perdu leur vie via leur corps martyrisé. Ces robes en clair-obscur se dressent alors comme autant de pacifiques drapeaux blancs, agités en signe d’espoirs ou comme de nouvelles pages blanches, à remplir autrement. Blanc du mariage en Occident ; blanc du deuil en Orient ; blanc du septième chakra (Sahasrara), celui de la conscience universelle et de la spiritualité. D’ailleurs, le blanc représente la somme de toutes les longueurs d’onde de la lumière. Il est donc la réunion de plusieurs couleurs superposées. Ainsi, les femmes de toutes les nations et ethnies peuvent symboliquement être représentées dans cette œuvre fabienne qui synthétise les espoirs de vie et de concorde de cet artiste qui se sent avant tout humain, sans distinction de genre.

Série The Wedding (2017)

Série The Wedding (2017)

Note de bas de page 19 :

Le 9 avril 1978.

Note de bas de page 20 :

La Dominique a d’abord fait partie de la Fédération des Indes Occidentales, puis a été un État associé à la Grande-Bretagne depuis 1967.

Dominicais, Marvin Fabien est né très symboliquement en 197819, soit l’année de l’indépendance de la Dominique (Commonwealth de la Dominique, 3 novembre 197820), alors que cette île recherche les marques de son identité politique propre. IL est plasticien et musicien, plus particulièrement guitariste depuis son utilisation très jeune de la guitare de sa mère.

Note de bas de page 21 :

Deux Jamaïcains Marley et Tosh font donc partie du panthéon musical fabien.

Note de bas de page 22 :

Échange (par courriel) avec Marvin Fabien du 13 avril 2020.

Au début j’ai voulu apprendre le piano mais je n’avais pas de professeur régulier. Ma mère avait une guitare qu'elle n’utilisait jamais et je lui trouvais l’avantage de ne pas avoir besoin d’être branchée à une alimentation électrique contrairement au piano que j’avais. Je pouvais la prendre avec moi dans des endroits plus intimes, des lieux qui m’inspiraient et ainsi composer comme je le voulais. La guitare me renvoyait également aux musiciens que j’admirais tels que Bob Marley, Tracy Chapman, Eric Clapton, Peter Tosh2122.

Note de bas de page 23 :

Encore appelé plectre.

IL a plusieurs cordes à son arc artistique enrichi des moyens multimédias actuels ; arc/lyre personnel·le qui ne saurait s’entendre sans son lien avec l’arc antillais de ses origines ; cordes sur lesquELLEs IL agit en tant que mediator23/médiateur.

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Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_(pays)#G %C3 %A9ographie_physique

Note de bas de page 24 :

Roger Toumson regrettait en revanche pour la Guadeloupe la perte de cet apport amérindien : « Les artistes-plasticiens guadeloupéens sont nolens volens, confrontés – par le biais de ce manque amérindien, et par l’autre biais, celui du manque africain – à la problématique de la désacralisation de l’art consécutive au « désenchantement du monde » tel que l’a diagnostiqué Heidegger », Anthologie de la peinture en Guadeloupe des origines à nos jours, Guadeloupe, Conseil régional de la Guadeloupe, HC Éditions, 2009, p. 9.

Note de bas de page 25 :

Le récent ouvrage de Jean-Pierre Moreau, l’anonyme de Carpentras, Un flibustier dans la mer des Antilles, Paris, Payot, 2002, a permis d’avoir un regard renouvelé sur les Amérindiens de ces îles. Voir aussi Paul Butel, Histoire des Antilles françaises, Paris, Perrin, 2002.

Au cœur de ce réseau archipélique se trouve assurément la Dominique/Waitukubuli – soit « Son corps est grand » – qui se situe entre Karukera, « l’île aux belles eaux » (la Guadeloupe), et Jouanacaera, « l’île aux iguanes » (la Martinique). Ces noms amérindiens sont importants pour comprendre l’histoire de l’île de la Dominique et de ses habitants étant donné la présence jusqu’à aujourd’hui de Kalinagos dans ce territoire24 et leur implantation stable favorisée en 1903 quand l’Angleterre leur attribua 3700 acres (15 hectares) au nord-est atlantique, formant une « Carib Reserve », aujourd’hui appelée « Carib Territory ». Actuellement, entre 2000 et 3000 Kalinagos vivent dans les villages de Salika, Kalinago Batara Autê, Bataka et Sineku25.

Note de bas de page 26 :

Le père Du Tertre publie en 1654 une Histoire générale des Isles de Saint-Christophe, Guadeloupe, Martinique et autres de l’Amérique qui devient en 1666-67 : l’Histoire générale des Antilles habitées par les Français. Pour les pionniers de l’histoire des Antilles se reporter au Grand livre de ma commune mon histoire – Le sud de la Martinique de Léo Elisabeth et Cécile Bertin-Elisabeth, Paris, Orphie-Canopé Éditions, 2017, p. 15-29.

Note de bas de page 27 :

Voir Cécile Celma (dir.), Les civilisations amérindiennes des Petites Antilles, Musée Départemental d’Archéologie Précolombienne, Conseil Général de la Martinique, Fort-de-France, 2004 et le rappel historique à ce sujet de Benoit Bérard et Gérard Lafleur, « Français et Indiens dans la Caraïbe, XVIe-XVIIIe siècles », https://hal.univ-antilles.fr/hal-00967785/document, consulté le 12 avril 2020 ainsi que Philip P. Boucher, « Why the Island Caribs ‘Loved’ the French and ‘Hated’ the English », in Franck Lestringant (dir.), La France-Amérique (XVIe-XVIIIe siècles), Actes du XXXVe colloque international d’études humanistes, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, Le savoir de Mantice, Paris, Honoré Champion, 1998.

Le père Du Tertre (1610-1687) a rappelé l’importance de Saint-Christophe/St Kitts dans la colonisation française des Petites Antilles en la déclarant « mère de toutes nos îles »26. On parlait alors peu de la Dominique qui fut tardivement colonisée par les Européens. Cette île qui appartint à la France à partir de 1623 fut cédée à la Grande Bretagne en 1763 et sera officiellement colonie anglaise en 1803. Par le traité de Basse-Terre de 1660, la Dominique, ainsi que l’île de Saint-Vincent, sont en effet laissées aux Amérindiens. Ces deux îles vont ainsi servir de refuge à ceux que l’on appelait alors Caraïbes, face aux pressions des puissances colonisatrices françaises et anglaises qui souhaiteront toutefois par la suite étendre encore leur domination, notamment après la fin de la guerre de Sept Ans (entre la France, l’Angleterre et l’Espagne, 1763)27.

Marvin Fabien revendique d’ailleurs avec fierté l’origine amérindienne de son arrière-grand-mère paternelle. Son père est issu de la partie nord de l’île, plus précisément de Vieille-Case où vivaient beaucoup d’Amérindiens en dehors de la réserve indienne.

IL a donc dans son IL-île des racines diverses dont la langue créole dominicaise (kwèyòl), à base lexicale française, est une autre richesse. Locuteur créole, IL l’est d’autant plus qu’IL est né et a grandi dans une commune du sud de la Dominique : Grand Bay qui est en quelque sorte le berceau de la langue créole à la Dominique ; commune donc où le créole vit et se vit au quotidien comme l’y a toujours encouragé d’ailleurs sa mère. De surcroît, dans cette commune, la tradition afro-créole est constante par les rites et actes de la vie contemporaine ainsi que de par le festival Le festival Isidore/Isidore festival. On ajoutera à la fête de Saint Isidore – saint patron de Grand Bay –, la période du Carnaval : The Real Mas, l’Emancipation Day (début août), le Creole Day (fin octobre) et la fête de l’indépendance de l’île (3 novembre 1978) comme autant de moments privilégiés d’une expression identitaire culturelle unifiée.

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AURIEZ-VOUS UNE AFFICHE D’UN DOMFESTA AUQUEL VOUS AURIEZ PARTICIPÉ ? MF : Malheureusement non, les affiches n’ont pas été archivées (ni de mon côté, ni du leur)

Note de bas de page 28 :

Voir pour le festival de 2019 : https://www.anichidevelopment.com/dominica-arts-and-crafts-exhibition/, consulté le 13 avril 2020.

Note de bas de page 29 :

Échange avec Marvin Fabien du 13 avril 2020.

Il convient de rappeler l’importance grandissante (VOUS ETES D’ACCORD ? MF : oui) à la Dominique de deux rencontres, à savoir le DOMFESTA (Dominica Festival of Arts) – le festival des Arts28 qui se déroule d’avril à juin – et le WCMF (World Creole Music Festival), développé durant le Kweyol Day. C’est pourquoi lors d’un échange avec Marvin Fabien, cet artiste a affirmé : « L’imaginaire créole est le filtre par lequel mon travail plastique est mieux visible, et peut être vu dans sa complexité »29. Fabien a participé aux DOMFESTA de 2002 et 2003 ; 2008 et 2010 (EST-CE BIEN CELA ? MF : oui lors d’expositions collectives), gardant un contact effectif avec son île d’origine et établissant un véritable pont culturel archipélagique entre la Dominique et la Martinique, comme deux parties de son identité caribéenne en constant enrichissement, et ce en une véritable poursuite du processus de créolisation qu’Édouard Glissant a loué pour sa riche imprévisibilité :

Note de bas de page 30 :

Entretien d’Édouard Glissant accordé au journal Le Monde en 2005 (et republié le 3 février 2011 lors du décès de l’écrivain), https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/02/03/pour-l-ecrivain-edouard-glissant-la-creolisation-du-monde-etait-irreversible_1474923_3382.html, consulté le 15 avril 2020.

La créolisation, c’est un métissage d’arts, ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs30

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Entre synapse – lieu de communication entre deux « cellules » insulaires/îliennes (pas nerveuses puisqu’il ne s’agit pas ici de synapses chimiques ou électriques, mais artistiques) – et syllepse – soit, en grec, l’action de prendre ensemble et figure de style qui choisit de déroger aux règles grammaticales pour privilégier le sens de l’esprit en permettant de superposer les sens –, Marvin Fabien jongle avec les termes et leurs sens, entre diverses formes, unitaires ou plurielles.

Note de bas de page 31 :

Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997.

Certain·e·s auteur·e·s auraient des écritures littéraires en archipel. Marvin Fabien aurait-il une création artistique en archipel ? Développe-t-il une pensée des archipels, dans le sillage glissantien ? Dans le Traité du Tout-Monde31, Glissant évoque une pensée archipélique, qu’il qualifie de pensée non systématique, inductive et qui explore l’imprévu de la totalité monde. Comment Marvin Fabien s’appuierait-il alors sur l’imprévu ? Et quelles sont les îles de son archipel ?

Marvin Fabien alterne des expositions entre son île d’origine – comme en 2004 pour l’exposition « Rendez-vous avec Me » au Old Mill Cultural Centre de Roseau – et la Martinique, comme lors de sa participation en 2017 à la FIAP : Festival International d’Art Performance où il propose son Strange Fruit Triangle. Sa soif d’altérité le conduit également à étendre chaque fois plus cette ouverture. Ainsi se rend-il à Miami, porte de la Caraïbe, où il propose la même année 2017 une performance : Lest We Forget avec l’artiste JAMAÏCAIN ? installé à New York : Nyugen Smith durant la Miami Art Week au Prizm Art Fair (MF : Nyugen Smith est d’origine trinidadienne et haïtienne). En 2018, c’est à Porto Rico qu’il participe au Mecca Art Fair avec une œuvre intitulée ? ? ? À COMPLETER (MF : Au Mecca Art Fair nous avons présenté (avec N. Smith) une nouvelle version de notre performance Lest We Forget : https://www.marvinfabien.com/copy-of-lest-we-forget-prizm-miami)

Note de bas de page 32 :

Voir à ce propos l’article de Dominique Aurélia, « Ilets, pays ébréchés, pays rapiécés », in Georges Voisset (dir.), L’imaginaire de l’archipel, Paris, Karthala, 2003.

Choisir L’AR(T)CHIPEL et non une île en particulier et tisser ainsi des fils via les flots d’eaux salines et/ou douces revient à construire un projet esthétique sur la labilité et la porosité (tout en refusant déchirement et fracture…). Il s’agit en somme d’un archipel qui géographiquement dessine des traînées et des intermittences solides et liquides pour représenter les non-dits de ces sociétés caribéennes (comme inachevées de par les lacunes de leur Histoire) et ses bifurcations. Victor Anicet, plasticien martiniquais nourri aussi de la richesse amérindienne, recherchait déjà des archipels de terre cuite pour ces pays « ébréchés, rapiécés »32. Le travail sur la matière intéresse aussi grandement Marvin Fabien qui choisit de « nourrir » d’eau le support-papier où s’étalent ses archipels artistiques.

Note de bas de page 33 :

Cette école supérieure d’enseignement artistique qui existe depuis 1987 à Fort-de-France.

De ce récurrent entre-deux ethnique et linguistique, Marvin Fabien a nourri ses aspirations artistiques qui l’ont dès lors mené au Campus Caraïbéen des Arts de la Martinique33 alors qu’il pensait initialement intégrer la section d’études en art de UWI (University of the West Indies), à Trinidad.

Note de bas de page 34 :

En créole, il s’agit de l’idée de lien, d’attache.

Arrivé en Martinique en 2000, il étudie donc à l’IRAVM (Campus Caraïbéen des Arts) pendant cinq ans, passant ainsi ses diplômes : le CNAP (Certificat National des Arts Plastiques) en 2003, le DNAP (Diplôme National d’Arts Plastiques) en 2004 et le DNSEP (Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique), pour lequel il reçoit les félicitations du jury (2006). Son mémoire de fin d’études a porté sur le thème de la RENCONTRE ; rencontre entre les îles de la Dominique et de la Martinique (en plus de Trinidad au nom ternaire si symbolique), soit un véritable lyannaj34 entre divers matériaux, avec comme fondement l’hétérogénéité des techniques, entre installation, vidéo et sculpture.

Cette présentation fabienne de la rencontre a d’ailleurs inspiré à Sébastien Martial un article intitulé « Caribbean Trouble ou l’Archipel des spectres », publié dans Une Esthétique du Trouble où il décrit l’installation vidéo dont Marvin Fabien est l’auteur, l’acteur, le musicien et le chanteur :

Note de bas de page 35 :

Sébastien Martial, « Caribbean Trouble ou l’Archipel des spectres », Une Esthétique du Trouble, Dominique Berthet (dir.), Paris, L’Harmattan (coll. Ouverture philosophique), 2015, p. 175-183 (p. 175-176).

Ce dernier est assis, une guitare à la main, au centre d’une installation. Autour de lui, sur plusieurs écrans circulaires, sont projetées ses créations vidéelles. Petit à petit, l’atmosphère est envahie par la musique jouée par l’artiste puis par sa voix, le tout dans un style Dub Poetry. Au cœur d’une orchestration aux apparences rituelles ou mystiques, vidéos, images et sons épars se déclenchent ou s’annulent en interaction avec les gestes et signaux donnés par l’artiste. Ici et maintenant, c’est l’événement : images, bruitages, musique, performance et installation ont créé le lien entre notre espace et celui de l’œuvre. Le discours de l’artiste nous parcourt. Nous voyons, entendons et ressentons35.

Marvin Fabien nous donne son point de vue personnel sur l’élection de ce thème de la RENCONTRE :

Note de bas de page 36 :

Échange avec Marvin Fabien du 13 avril 2020.

Le thème de la rencontre s’est dessiné à partir de mes expériences du lieu, des personnes, des matériaux, de la langue et de la culture française et martiniquaise qui m’étaient très étrangères à l’époque de mon arrivée sur l’île. L’idée de la rencontre était pour moi un sujet très riche et propice à la création. Cette idée de rencontre était ainsi visible à travers les œuvres que je produisais et qui correspondaient plus à l’idée d’art plastique, de plasticité, de maniabilité de l’œuvre qu’aux beaux-arts suivant la méthode d’apprentissage du campus. Tandis que dans les pays anglophones de la Caraïbe il existe plus une notion de beaux-arts, une vision de l’art plus strict, plus académique36.

Cet artiste se souvient de son arrivée à la Martinique :

Note de bas de page 37 :

Idem.

En arrivant en Martinique ce fut un véritable choc pour moi, l’accent et la culture me semblaient étranges accentués par un certain « académisme » de la langue. C’était très difficile au départ, j’ai appris seul, au fil de mon immersion dans la langue. J’avais un carnet de vocabulaire tout le temps avec moi où j’écrivais tous les mots que j’entendais mais que ne comprenais pas. J’essayais aussi d’être autour de personnes qui parlaient bien la langue et je lisais beaucoup37

Le choix de Marvin Fabien s’est porté sur la Martinique même s’il ne maîtrise pas alors tout à fait le français bien qu’il ait étudié pendant cinq ans cette langue étrangère à l’école à la Dominique. Il a en effet souhaité quitter son pays et obtenir son indépendance financière. (AVEZ-VOUS EU UNE BOURSE DE L’IRAVM ? MF : J’ai reçu une bourse de l’ambassade de France à Sainte Lucie) L’opportunité lui est donnée de découvrir l’existence de l’IRAVM grâce à un ami de son père, et ce depuis la Dominique, et comme il souhaite s’ouvrir à l’art caribéen et découvrir ses formes de développement en dehors de son île d’origine, ce choix lui semble judicieux. Marvin Fabien avait aussi pensé se rendre à Cuba. Toutefois, l’on n’y délivrait pas à l’époque de bourse pour les études artistiques pour les étrangers (à la différence d’autres disciplines comme la médecine, l’économie ou l’agriculture).

Note de bas de page 38 :

Voir 40 entretiens d’artistes, Dominique Berthet (dir.), Paris, L’Harmattan, entretien n° 8, « Bertin Nivor, ‘Pour une recherche symbolique’, entretien avec Dominique Berthet », janvier 2016, p. 101-118, tiré de Recherches en Esthétique n° 3 : La critique, 1997. Dans cette publication qui présente des entretiens réalisés avec divers artistes antillais entre 1996 et 1999, il s’agit de répondre notamment aux questions suivantes : « L’art des Antilles se caractérise-t-il par un certain nombre d’aspects spécifiques ? Est-il identifiable comme tel ? ».

Note de bas de page 39 :

40 entretiens d’artistes, op. cit. , entretien n° 5 : « Bruno Pédurand, ‘Passage à l’acte’, entretien avec Frédéric Leval » (1996).

Note de bas de page 40 :

Leroy Clarke a été nommé en 2003 « icône nationale » (National Living Treasure) par le gouvernement de Trinidad et Tobago. Il est notamment l’auteur de Taste of the endless fruit, New York, Karaele Publications, 1974.

Note de bas de page 41 :

Perpétuant donc les traditions religieuses yorubas et honorant les divinités afro-américaines.

Note de bas de page 42 :

Extrait de l’interview du 9 octobre 2013 dans Ewag- Média positif, https://www.ewag.fr/2013/10/art-contemporain-caribeen-interview-exclusive-bruno-pedurand/, consulté le 14 avril 2020.

À l’IRAVM, Marvin Fabien est formé notamment par le Martiniquais Bertin Nivor38 et le Guadeloupéen Bruno Pedurand39. Il y découvre également le très emblématique plasticien et poète trinidadien Leroy Clarke40, chef Orisha41. Rappelons l’intérêt de Bertin Nivor pour l’héritage amérindien dans la Caraïbe ainsi que pour les Noirs du fleuve de la Guyane et du Surinam. Ce questionnement entre les arts et le sacré rejoint l’intérêt de Marvin Fabien pour la spiritualité. Bruno Pédurand interroge quant à lui la mémoire collective antillaise et notamment « la part et l’incidence du sacré et du profane sur les comportements humains dans nos sociétés »42.

Note de bas de page 43 :

Le décès de Marvin Fabien l’a empêché de soutenir cette thèse.

La soif d’apprendre de Marvin Fabien et sa rencontre avec le Professeur en esthétique Dominique Berthet le pousseront à continuer ses études en préparant d’abord à l’Université des Antilles(-Guyane) un master (ANNEE ? MF : 2015-2016) en Arts caribéens et promotion culturelle, puis un Doctorat en Esthétique et Sciences de l’Art (ANNEE ? MF : 2016 – jusqu’à aujourd’hui où je finalise l’écriture de ma thèse) portant sur « L'émergence des nouveaux médias dans les pratiques artistiques de la Caraïbe insulaire »43.

Note de bas de page 44 :

Et d’autant plus novateurs à la Dominique.

Cette formation chaque fois enrichie, lui permet désormais de présenter des projets artistiques fort originaux44, mêlant divers arts et pratiques comme l’audiovisuel, la musique (MORCEAUX CRÉÉS PAR VOUS OU D’AUTRES AUTEURS ? MF : la musique et les sons sont toujours uniquement composée par moi-même) et la poésie (QUEL TYPE DE POÉSIE ? MF : Prose, slam QUELS POETES ? MF : J’ai présenté mes textes lors d’une rencontre de l’Association Poétique les Griots de la Martinique en 2003, ainsi qu’au Literary Festival en 2012 et lors de l’exposition « Ten stories » en 2011 à l’alliance française de la Dominique EXEMPLES DE TEXTES ?) pour son récent Behind the Sun (2019), soundart performance (performance art sonore), exemple de texte à la fin de la page sur ce lien : https://www.marvinfabien.com/sound-art.

Note de bas de page 45 :

Cf. https://www.youtube.com/watch?v=bckob0AyKCA

L’archipélisation hors de la Dominique a assurément porté ses fruits. Et ces fruits sont présentés, au propre comme au figuré, en 2017, dans son installation/Performance digitale : Strange Fruit Triangle dont le nom relève peut-être, en plus du lien avec la dramatique chanson de Billie Holliday45, d’une filiation avec le célèbre Taste of Endless Fruit de Leroy Clarke (1972), lequel recourt aussi à diverses formes géométriques, comme celle du triangle.

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Photo et œuvre proposées dans Leroy Clarke.com, http://www.leroyclarke.com/index.php?option=com_content&view=article&id=78&Itemid=53 consulté le 14 avril 2020.

Note de bas de page 46 :

Ou d’un yoni, lequel dans l’hindouisme, désigne l’organe génital féminin et est le symbole de l’énergie féminine dénommée shakti.

Note de bas de page 47 :

Cf. Dictionnaire des symboles, op. cit. , p. 968 : « Le triangle, la pointe en haut, symbolise le feu et le sexe masculin ; la pointe en bas, il symbolise l’eau et le sexe féminin ».

La figure géométrique du triangle suppose une archipélisation basique de trois éléments réunis et distants à la fois, symbole ésotérique et synchrétique qui invite aussi, indirectement, à penser aux relations amoureuses/sensuelles de par la forme des sexes, qu’ils soient féminins46 avec le recours à un triangle avec une pointe orientée vers le bas – symbolisme archétypal du féminin et de la fertilité – ou masculins – avec un triangle dont la pointe est présentée dans le sens ascendant. Signe vitaliste par excellence, le triangle annonce une production efficiente, réussie. Il est aussi le symbole de l’eau47 si présente comme substrat fabien. Le triangle implique l’idée de solidification, de stabilisation, d’autant plus parlante lorsqu’il est inséré, comme le fait Marvin Fabien dans Strange Fruit Triangle, dans un carré (OU DEMI-CARRE ? ? MF : oui un demi-carré) lumineux (CONSTITUE D’UNE TOILE TENDUE ? MF : constitué d’une toile translucide tendue). Rappelons à ce propos que le carré est le symbole de la terre et donc de l’univers créé (par opposition au ciel), figure par antonomase de la représentation de l’espace.

Strange Fruit Triangle

Strange Fruit Triangle

Note de bas de page 48 :

Le prénom « Fabien » vient du nom latin Fabius qui signifie « appartenant à la gens Fabia ». La gens Fabia désigne une célèbre famille qui a introduit à Rome la culture de la fève, une plante issue de la famille des Fabaceae. Grâce à la notoriété de cette famille, ce prénom s’est très vite répandu dans l’Antiquité.

Note de bas de page 49 :

Marvin Fabien commence en effet par des études à Trinidad où il obtient en 2000 son MCSE/» microsoft certified system engineer » « A+ Certified technician » au Townsend Institute de Trinidad.

Note de bas de page 50 :

Édouard Glissant, Introduction à un poétique du Divers, Paris, Gallimard, 1996.

En somme, le Dominicais Marvin Fabien48, comme poussé de façon programmatique par un prénom anglophone et un patronyme francophone, choisit de s’archipéliser, à partir notamment de la triangulation qui le relie à l’île de la Martinique, après avoir été à Trinidad49, comme refusant la « prison des systèmes et des identités » qu’évoque Édouard Glissant dans sa fameuse Introduction à une poétique du Divers50 (1996).

Note de bas de page 51 :

Voir notamment de F. Dupuis-Déri, L’archipel identitaire, Lieu, éditeur, 1997 et Edouard Glissant. C. Ruby, L’archipel de la différence, 1989 et J. Viard, La société d’archipel ou les territoires du village global, 1994.

Georges Voisset nous rappelle dans L’imaginaire de l’archipel l’importance de ce terme « archipéliser », en expliquant que depuis les « eaux archipélagiques » qui abolissent les frontières continentales traditionnelles et la référence aux « poissons et crustacés pélagiques », on retrouve le verbe et néologisme « archipéliser » tant chez les géographes, les juristes, les philosophes de l’éclatement du sujet que les littéraires et les plasticiens51.

Note de bas de page 52 :

Édouard glissant, Poèmes. Un champ d’îles, La terre inquiète, Les Indes, Paris, Seuil, 1952.

Note de bas de page 53 :

Premier des Kalinagos.

Note de bas de page 54 :

Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Lettres créoles : Tracées antillaises et continentales dans la littérature 1635-1975, Paris, Hatier, 1991, p. 17.

Marvin Fabien semble mettre en acte le « champs d’îles »52 (1965) glissantien et dire ainsi sa modernité caribéenne, nourrie du passé de cet arc antillais et de ses utopiques temps des commencements évoqués par Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant dans leurs Lettres créoles : Tracées antillaises et continentales dans la littérature 1635-1975 : « Là, un collier d’îles, minuscules comme graines de courbaril, germe des rondelles d’écume (…). Yali53 nous mena d’île en île en spirale infinie »54.

Il importe donc de lire entre les lignes et les formes, entre les îles et les matières.

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Photo proposée in https://www.evaneos.fr/dominique/voyage/explorer/11681-1-les-indiens-caraibes/, site consulté le 12 avril 2020.

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Pour citer ce document

Bertin-Elisabeth, C. (2023). 1- Bi-o/eau entre deux ILs/îles ou l’archipel(ELLE) fabien. Dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Université de Limoges. https://doi.org/10.25965/ebooks.374

Bertin-Elisabeth, Cécile. « 1- Bi-o/eau entre deux ILs/îles ou l’archipel(ELLE) fabien ». L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Limoges : Université de Limoges, 2023. Web. https://doi.org/10.25965/ebooks.374

Bertin-Elisabeth Cécile, « 1- Bi-o/eau entre deux ILs/îles ou l’archipel(ELLE) fabien » dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE, Limoges, Université de Limoges, 2023, p. 10-24

Auteur

Cécile Bertin-Elisabeth
Agrégée d’espagnol et professeure des universités à Limoges (EHIC) où elle a co-créé la revue FLAMME, Cécile BERTIN-ELISABETH a œuvré pendant plus d’une vingtaine d’années au sein de l’université des Antilles(-Guyane) au développement de la recherche entre mondes américano-caraïbes et Europe, à la reconnaissance de l’apport de la pensée d’Édouard Glissant et à son inscription dans les enseignements universitaires ainsi qu’au développement de nouvelles formations comme le Master Arts caribéens, la licence d’Art et le Master Études culturelles. Spécialiste de la représentation des Noir·e·s et des picaro·a·s et des questions de marginalisation et de transferts culturels, elle a écrit et dirigé différents ouvrages sur le patrimoine artistique, historique et littéraire de la Martinique et de la Caraïbe comme Le grand livre de ma commune mon histoire, vol. I : Le sud de la Martinique, Orphie-Canopé Éditions, 2017, avec Léo ELISABETH ;  Histoire et mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions en Normandie – Libres de couleur, n° 8, Hommage à Léo ELISABETH, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, février 2019, avec Érick NOËL ;  Zobel’ ami – Lettres de Joseph Zobel, Éditions Ibis Rouge, 2020 ; L’Atlantique, machine à rêves ou cauchemar sans trêve ?, La Crèche, Presses Universitaires de Nouvelle Aquitaine, La Geste, 2021, avec Érick Noël ; Méditerranée-Caraïbe. Deux archipélités de pensées ?, Garnier, 2022, avec Franck COLLIN et  L’œuvre de Raphaël Confiant avant et après L’Éloge de la créolité, Scitep Éditions, 2023, avec Patricia CONFLON et Corinne MENCÉ-CASTER.
EHIC – Université de Limoges
cecile.bertin@unilim.fr
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