EN-VILLE – CENTRE-VILLE - Fabienne CABORD (Martinique)

4- Arrêts en cours de route

https://doi.org/10.25965/ebooks.364

p. 158-160

Texte

Note de bas de page 1 :

Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, op. cit., p. 412.

Foyal n’est pas ce que vous voyez, tout ce bétonnage, il y a un Foyal secret de jour et de nuit avec des habitués pour ainsi dire initiés, des vies de quartier tout autour de la cuvette, où la ville se ramasse, non, ce n’est pas une petite agglomération française d’Atlantique, malgré le soin qu’y portent les autorités, c’est bien une ville créole de la Caraïbe, qu’il faut savoir découvrir
Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde1

L’œuvre de Fabienne Cabord entretient un rapport au lieu très marqué. Route de la Folie est à la fois un titre d’exposition et le nom d’une rue bien réelle qui prend sa source sur le boulevard Général de Gaulle et s’étire en une longue montée pour permettre de quitter Fort-de-France. Le terme route introduit d’emblée l’idée de lien avec un autre lieu et s’établit ainsi l’importance de la relation à l’Autre (personne et lieu).

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https://www.waze.com/fr/live-map/directions/mq/fort-de-france/fort-de-france/route-de-la-folie?to=place.EjNSb3V0ZSBkZSBsYSBGb2xpZSwgRm9ydC1kZS1GcmFuY2UgOTcyMDAsIE1hcnRpbmlxdWUiLiosChQKEgnZasDh26ZqjBG4z7bYvG1WpxIUChIJIzlHgRmnaowRy5LEV9b6kxY, consulté le 23 mars 2022

On ne peut manquer de s’interroger : pourquoi « route » et pas « rue » alors que nous sommes encore dans la cité foyalaise et qu’il est coutume d’employer en milieu urbain le mot « rue » et de ne recourir au terme – certes également générique – de « route » qu’en dehors des agglomérations ? Route de la Folie serait donc une exception, voire une incohérence… qui en fin de compte ne surprend pas lorsque l’on pense au poids symbolique du second syntagme de la dénomination de cette artère. Cette route serait-elle donc déjà à penser comme hors la ville ? Cela ne rappellerait-il pas qu’elle n’a pas toujours été insérée dans le centre-ville ? Elle constitue dès lors assurément un cadre idéal pour tous les hors-la-loi (ceux en col blanc aussi) qui y transitent. Le questionnement de la mobilité n’en sera que plus profond. Et étant donné qu’une route porte généralement le nom du lieu où elle aboutit, en l’occurrence ici « la Folie », tout un programme s’ouvre à nous !

Note de bas de page 2 :

Voir par exemple : Dominique Badariotti, Les noms de rue en géographie. Plaidoyer pour une recherche sur les odonymes, Paris, Armand Colin, mai-juin 2002. 

Note de bas de page 3 :

Comme par exemple la Folie-Méricourt à Paris.

Note de bas de page 4 :

Rappelons qu’au début du XIXe siècle, à Paris, il a été d’usage de donner le nom de « folies » à des salles de spectacle comme par exemple les Folies dramatiques (1830).

L’étude onomastique des noms des toponymes2, soit l’(h)odonymie indique que tout odonyme est constitué d’un terme générique (ici : « route ») et d’un terme spécifique (à savoir » la Folie »). Comment comprendre alors l’expression « la Folie » ? Difficile de trouver une explication sûre. Faut-il y voir la référence à un état mental instable et le choix chez Fabienne Cabord de sortir des sentiers battus ? Doit-on penser que parfois c’est le type d’établissement ou de commerce qui se trouve dans la voie concernée et qui lui donne son nom ? Serait-ce la référence à un lieu lié au délabrement physique et psychique (rappelons la proximité avec le dispensaire Calmette) ou plus simplement un souvenir de l’emplacement d’une maison de campagne, alors appelée « folie »3 ou encore une salle de spectacle4 ?

Note de bas de page 5 :

Du nom d’Alain Gerbault. Premier navigateur français à achever un tour du monde en solitaire à la voile. Il est aussi célèbre pour son plaidoyer en faveur des Polynésiens et de leur culture que l’on peut trouver exposé dans son ouvrage L’Évangile du soleil.

Note de bas de page 6 :

Ajoutons-y, autour du centre-ville de Fort-de-France, la route de Didier et la route de Balata.

Il convient de souligner également qu’un camp militaire, le camp Gerbault5, se trouve au bout de cette route et que ce n’est pas la seule voie à être qualifiée de « route » et non de « rue » pour indiquer une échappée en dehors du centre-ville. Il y a aussi en effet une route6 de Moutte liée à la capitale.

« Folie » ou « De La Folie » serait-il le nom d’une famille à l’instar de celle de la Follye de Joux ? Nous ne pouvons oublier que le terme « folie » peut renvoyer aussi à l’idée d’un lieu entouré de bois (de feuillus)…, soit le rappel possible que la cité foyalaise, issue rappelons-le d’un vaste marécage, d’une mangrove végétale, n’avait pas encore sa taille et sa configuration urbanisées actuelles.

Note de bas de page 7 :

Patrick Chamoiseau, Biblique des derniers gestes, Paris, Seuil, 2002.

Rues et routes ont en commun leur revêtement : bitume, goudron, asphalte, béton, ciment… ; éléments de modernité qui les unissent et les relient, quels que soient les déplacements, erratiques ou non, qui s’y jouent. Elles peuvent d’ailleurs inviter aux road movies, ces errances sur route qui souvent se terminent mal, mais qui disent tant de nos modes de vie actuels. Prendre la Route de la Folie donnera-t-il le même résultat ? Un road movie urbain contemporain pour dire tout le malsain de nos sociétés dites « modernes » et toutes les apories de la société martiniquaise ? Direction, circulation, animation, perdition… Route de la Folie… Certes (voie de) communication, mais pour quelle revendication ? Le principe de bonté qui nous est proposé dans Biblique des derniers gestes7 l’emportera-t-il sur la destruction ? Cette Route de la Folie n’en reste pas moins une sorte d’éloge du fol foyal à rebours et en retour, entre ordre et désordre, entre identité perdue et cherchant à se retrouver, avec la conscience que sur toute route, les roues tournent pour qu’avancent véhicules – transporteurs d’humains – et temps… Des frottements qui s’ensuivent, rou(t)es et cadres s’en voient déformés, reformés, reformulés… en autant de bordures à questionner… même si peu nombreux sont ceux.celles qui souhaitent réellement le faire…

Presse Sans Papier8, 2016, acrylique, encre et collage sur papier, 65 cm x 50cm

Note de bas de page 8 :

Cette œuvre s’est aussi intitulée : Une bonne presse ça urge.

Presse Sans Papier8, 2016, acrylique, encre et collage sur papier, 65 cm x 50cm

Caducus, 2016, peinture acrylique et bombes aérosols sur panneau métallique(de récupération), 38 cm x 105 cm

Caducus, 2016, peinture acrylique et bombes aérosols sur panneau métallique
(de récupération), 38 cm x 105 cm

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Pour citer ce document

Bertin-Elisabeth, C. (2023). 4- Arrêts en cours de route. Dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Université de Limoges. https://doi.org/10.25965/ebooks.364

Bertin-Elisabeth, Cécile. « 4- Arrêts en cours de route ». L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Limoges : Université de Limoges, 2023. Web. https://doi.org/10.25965/ebooks.364

Bertin-Elisabeth Cécile, « 4- Arrêts en cours de route » dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE, Limoges, Université de Limoges, 2023, p. 158-160

Auteur

Cécile Bertin-Elisabeth
Agrégée d’espagnol et professeure des universités à Limoges (EHIC) où elle a co-créé la revue FLAMME, Cécile BERTIN-ELISABETH a œuvré pendant plus d’une vingtaine d’années au sein de l’université des Antilles(-Guyane) au développement de la recherche entre mondes américano-caraïbes et Europe, à la reconnaissance de l’apport de la pensée d’Édouard Glissant et à son inscription dans les enseignements universitaires ainsi qu’au développement de nouvelles formations comme le Master Arts caribéens, la licence d’Art et le Master Études culturelles. Spécialiste de la représentation des Noir·e·s et des picaro·a·s et des questions de marginalisation et de transferts culturels, elle a écrit et dirigé différents ouvrages sur le patrimoine artistique, historique et littéraire de la Martinique et de la Caraïbe comme Le grand livre de ma commune mon histoire, vol. I : Le sud de la Martinique, Orphie-Canopé Éditions, 2017, avec Léo ELISABETH ;  Histoire et mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions en Normandie – Libres de couleur, n° 8, Hommage à Léo ELISABETH, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, février 2019, avec Érick NOËL ;  Zobel’ ami – Lettres de Joseph Zobel, Éditions Ibis Rouge, 2020 ; L’Atlantique, machine à rêves ou cauchemar sans trêve ?, La Crèche, Presses Universitaires de Nouvelle Aquitaine, La Geste, 2021, avec Érick Noël ; Méditerranée-Caraïbe. Deux archipélités de pensées ?, Garnier, 2022, avec Franck COLLIN et  L’œuvre de Raphaël Confiant avant et après L’Éloge de la créolité, Scitep Éditions, 2023, avec Patricia CONFLON et Corinne MENCÉ-CASTER.
EHIC – Université de Limoges
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