DLO – EAU - Marvin Fabien (Dominique)

5- Hydriques œuvres hybrides : quelle reliance ?

https://doi.org/10.25965/ebooks.321

p. 48-64

Sommaire

Texte

OÙ EST VOTRE SIGNATURE DANS LES ŒUVRES ? À QUOI RESSEMBLE-T-ELLE ? MF : J’avais pris l’habitude de ne signer les œuvres qu’une fois qu’elles étaient exposées, j’ai donc pris beaucoup de photos sans les signatures avant leur exposition. Je vous envoie dans un email une photo d’une œuvre récente avec ma signature.

Caribbean bodies : Bouyon Series (2018), techniques mixtes sur papier, (65 cm x 50 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2018), techniques mixtes sur papier, (65 cm x 50 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2019, techniques mixtes sur papier,135 cm x 105 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2019, techniques mixtes sur papier,
135 cm x 105 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2018, techniques mixtes sur papier, 65 cm x 50 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2018, techniques mixtes sur papier, 65 cm x 50 cm)

Conscient du capital hydrique de chacun des ILs et ELLEs et de la planète Terre en général, Marvin Fabien choisit de rendre la présence d’H2O visible dans les corps ou autour des corps de ses réalisations de ces dernières années. Le recours à un bleu aux mêmes tonalités récurrentes où les extensions de taches dessinent des vagues intérieures ou diverses impressions de flots va jusqu’à rendre visible l’eau présente dans ces corps comme d’autant plus vivants alors. Le plus souvent, un autre élément de l’œuvre renvoie au contraire de l’EAU, à savoir le FEU, que ce soit par la couleur jaune-orangé, la présence d’un arbre comme calciné ou encore le port de lunettes de soleil et la stylisation de rayons. Ce contraste renforce la dominance de camaïeu de bleu.

Note de bas de page 1 :

D’autres artistes de la Caraïbe ont eu recours au café comme le Haïtien Hervé Télémaque qui dans son exposition L’inachevée conception (2019) en a imbibé le bois de son support d’une Caraïbe II (1993, marc de café, acrylique et éponge sur bois, 100 × 190 × 26 cm).

Puisque chaque molécule d’eau est le fruit de la combinaison entre un atome d'oxygène et deux atomes d’hydrogène, il convient de rappeler que l’hydrogène qui est doublement présent est en fait la plus inflammable de toutes les substances connues. Eau et flamme coexistent alors. De surcroît, comme l’hydrogène est légèrement plus soluble dans les dissolvants organiques que dans l’eau ; associer eau et marc de café1 comme le fait Marvin Fabien revient à renforcer la dimension inflammable et, symboliquement, à nourrir de feu et d’eau, en une diète hydrique fabienne, nos racines identitaires, quasiment réseaux sanguins comme le souligne la couleur rouge-bordeaux retenue alors par Marvin Fabien. On en vient à se nourrir à partir de l’eau et des particules qu’elle véhicule, comme cette figure humaine aux bleus habits d’un nageur devenu l’eau dans laquelle il se meut et qui éteint le feu qui calcine un arbuste, lequel semble représenter autant de racines s’échappant d’un crâne qui symboliquement pourrait dire nos multiplicités identitaires. Pas de personnages seuls en règle générale dans l’œuvre fabienne, plutôt des premiers et seconds plans ou un personnage plus grand qu’un autre, des mises en commun duelles – dans le sens de mise en duo complémentaire –, mais avec un jeu d’échanges de particules et/ou de fils, tubes, vaisseaux qui les relient.

Note de bas de page 2 :

Edgar Morin, La méthode, VI. « Éthique », Paris, Seuil, 2004, p. 239 : « La notion de reliance (...) comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement et en donnant un caractère actif à ce substantif. “Relié” est passif, “reliant” est participant, “reliance” est activant. On peut parler de “déliance” pour l’opposé de “reliance” ». Voir aussi M. Maffesoli, Le réenchantement du monde. « Une éthique pour notre temps », Paris, La Table Ronde, 2007, p. 109-130.

Dans les performances fabiennes, on retrouve aussi cette importance du LIEN, avec l’autre et le groupe et l’espèce humaine en général, soit le choix de la RELIANCE, pour reprendre une expression d’Edgar Morin2 qui invite justement à mieux prendre soin de la Terre et de nous-mêmes en une éthique de communauté et de solidarité. Il s’agit de refuser les déliances, c’est-à-dire les ruptures des liens humains et sociétaux, et privilégier les relations à l’instar de ce que professent les religions, du latin religare – relier – et toutes formes de spiritualité :

Note de bas de page 3 :

Edgar Morin, La méthode, VI. « Éthique », Paris, Seuil, 2004, p. 32.

Et c’est sans doute la Reliance des Reliances que célèbrent les cultes et rites des religions, les cérémonies sacrées, inconsciemment adoratrices du mystère suprême de la Reliance cosmique3.

Note de bas de page 4 :

Michel Maffesoli, Le réenchantement du monde. « Une éthique pour notre temps », Paris, La Table Ronde, 2007, p. 143.

Cette performance n’est-elle pas la transcription d’un même impératif de reliance et de souci participatif ? En anglais, to rely on c’est « faire confiance » : « […] la perpétuelle interaction qui s’établit entre le matériel, le spirituel, l’animal, l’organique, le naturel et le culturel : voilà ce qu’est la reliance »4 affirme à son tour Michel Maffesoli en 2007. 

Cette reliance qui se fonde sur la base moléculaire duelle, car en duo, de par le lien entre l’oxygène et l’hydrogène ainsi que par le double hydrogène, déjà présente au niveau moléculaire est alors la conjonction de solitudes partagées, comme le montrent si justement les personnages fabiens, à la fois seuls et à deux ou trois, soulignant ainsi combien le défi est une rencontre des différences, rencontres des identités assumées.

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Lest We Forget (2019, FIAP Martinique). Photo de ? ? lieu précis ? MF : Photo de Marielle Bompuis, La Savane des Pétrifications, 2019

L’eau, douce ou salée, n’intéresse pas seule. Ce qui compte, c’est de l’associer, notamment avec des sédiments, des amas de particules. Le terme « pélagique » renvoie justement à la pleine mer et à l’océan, ces zones éloignées des côtes, ainsi qu’aux sédiments des fonds marins. Ces sédiments sont de la terre, de la boue et de l’argile, sous la mer (et non pas des îles immergées) ; ces sédiments sont hétérogènes et peuvent constituer des aires pélagiques où des courants déplacent les particules et autres dépôts (naturels) comme des constituants organiques décomposés. Ces sédiments relient, archipélisent en somme.

Cette métaphore de l’ar(T)chipélisation se distancie peu à peu des définitions des dictionnaires comme le rappelle Georges Voisset :

Note de bas de page 5 :

Georges Voisset, L’imaginaire de l’archipel, p. 9, https://books.google.fr/books ?id =lMVb62sNDVEC&pg =PA9&lpg =PA9&dq =s %27archip %C3 %A9liser&source =bl&ots =1Uo3Em_Mm2&sig =ACfU3U0uYOpaXXnKaSTN5bEnnqjDYoWNRw&hl =fr&sa =X&ved =2ahUKEwid75eIreHoAhUl8uAKHY-ECNkQ6AEwA3oECAsQMA#v =onepage&q =s'archip %C3 %A9liser&f =false, consulté le 12 avril 2020.

Se creuse alors, de néologisme en néologisme, l’écart de la pensée, de l’art et de l’écriture avec l’usage des dictionnaires. L’être ‘insulé’ à son île s’instaure en ‘archipélie’, largement dans le sillage de ‘l’archipel Glissant’ (…)5.

Contre les continentalismes arc-boutés, Marvin Fabien choisit les interstices archipélagiques et ses ensembles de poussières de terres et de cultures. S’agirait-il alors de baliser, de donner des points de repère ? En tous les cas, c’est une façon d’établir des relations à partir de ces particules en suspension. Ces processus sédimentaires sont en effet autant géologiques qu’identitaires : altération, érosion, transport de dépôts... Comme une représentation de l’in absentia via diverses formes d’archipel(s) diffracté(s) et virtuels.

Note de bas de page 6 :

Édouard Glissant dans le Traité du Tout-monde précise : « La mise en contact de ces cultures ataviques dans les espaces de la colonisation a donné naissance par endroits à des cultures et sociétés composites, qui n’ont pas généré de Genèse (adoptant les Mythes de Création venus d’ailleurs), et cela pour la raison que leur origine ne se perd pas dans la nuit, qu’elle est évidemment d’ordre historique et non mythique. La Genèse des sociétés créoles des Amériques se fond à une autre obscurité, celle du ventre du bateau négrier. C’est ce que j’appelle une digenèse ».

Édouard Glissant nous invite à réfléchir à la digenèse6 des origines des sociétés caribéennes dénuées de filiation, de flux unique, ce qui revient à refuser toute idée de pureté généalogique pour ces cultures composites et non ataviques. Marvin Fabien paraît entreprendre pour sa part une réflexion artistique sur la DIAGENÈSE, c’est-à-dire l’ensemble des processus qui interviennent dans la transformation des sédiments en roches sédimentaires (ce qui revient à interroger le trouble, l’eau trouble) ; en considérant non pas une (seule) roche/matière géomorphologique mais le socle/magma identitaire. Deux notions qui renvoient au pluriel, au divers et à la créolisation.

Note de bas de page 7 :

Fabienne Kanor, Humus (2006) Paris, Gallimard (Coll. Continents Noirs) est le titre du second roman de Fabienne Kanor. Elle avait écrit en 2005 un texte théâtral intitulé Homo humus est.

Comment passe-t-on du pointillé ou de la particule isolée à un assemblage relié, ar(T)chipélisé ? Qu’est-ce qui relie ces corps entre eux et en eux ? A l’étape initiale, les sédiments forment une sorte de vase où l’eau permet divers échanges. Les apports organiques forment alors un véritable HUMUS, qui inspire d’ailleurs d’autres artistes comme Fabienne Kanor, artiste et écrivaine7 ou encore Patrick Chamoiseau. Il y a production d’H2S, soit d’hydrogène sulfuré, gaz inflammable à odeur très forte d’œuf décomposé. Métaphoriquement, du pourri, du négatif, s’échappe de cette dégradation de la matière organique. Une phase d’authigenèse, moment où la vie anaérobie domine et facilite les premières cimentations annonce alors une troisième étape, à savoir le début de la compaction et de la redistribution du matériel sédimentaire. Par le brassage de matériels sédimentaires, la compaction (stylolites) prend de l’importance pour ensuite, en une autre phase, déboucher sur l’expulsion de l’eau et donc la déshydratation.

Ce processus de diagenèse ne permet-il pas de recourir à une géographie utopique de l’éparpillement relié ? Celle d’une cosmogonie et géographie caribéennes, sans centre, et de ce fait aléatoire, rythmée sur un espace-temps multiple :

Note de bas de page 8 :

Claude Dumoulié, « Les Îles enchantées de Melville ou le ‘double principe d’archipel et d’espérance’ » , p. 53-70 (p. 56), https://books.google.fr/books?id=lMVb62sNDVEC&pg=PA9&lpg=PA9&dq=s%27archip%C3%A9liser&source=bl&ots=1Uo3Em_Mm2&sig=ACfU3U0uYOpaXXnKaSTN5bEnnqjDYoWNRw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwid75eIreHoAhUl8uAKHY-ECNkQ6AEwA3oECAsQMA#v=onepage&q=s'archip%C3%A9liser&f=false.

« Trois termes, qui sont trois expériences, caractérisent le perspectivisme : multiplicité, rythme et mobilité. Multiplicité spatiale des points de vue (…). Mais variation des rythmes temporels aussi. L’archipel fait coïncider des vitesses et des temps différents »8.

Toutes ces phases/strates diagénétiques de la matière organique peuvent être reliées à la matière identitaire : décomposition, compaction, dissolution, authigenèse (création de « ciments » qui maintiennent en cohésion et contribuent à la solidité finale de la roche) et recristallisation. Il ressort combien elles sont interconnectées et combien les notions de relation et de rencontre sont fondamentales pour comprendre l’œuvre fabienne qui interroge le sédiment, la roche sédimentaire, la roche mère identitaire et l’île ainsi que l’archipel alors créés. Autrement dit, il s’agit d’une hydrique reliance d’humus d’êtres hybrides/duels (en ce qu’ils sont en duo).

Note de bas de page 9 :

Patrick Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse, Paris, Gallimard, 1997, p. 111.

Note de bas de page 10 :

Op. cit., p. 110.

Note de bas de page 11 :

Op. cit., p. 109.

Note de bas de page 12 :

Op. cit., p. 116.

L’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau utilisait déjà non seulement la dimension symbolique de l’eau sacrée qui favorise les renaissances, les métamorphoses, mais aussi son caractère magico-merveilleux de « source fantastique »9 qui produit une « boue miraculeuse »10. Dans ce milieu particulier présent dans L’esclave vieil homme et le molosse (1997), le molosse – au corps couvert de boue et d’humus11 – a les yeux « chargés de matière végétale »12 et voit désormais autrement, positivement, spirituellement l’esclave fugitif, se détachant dès lors de son Maître et oubliant sa férocité première.

Note de bas de page 13 :

George Lamming, In the Castle of My Skin, London, Michael Joseph/ New York, Mc Graw-Hill, 1953.

Sous l’eau, dans l’eau, les racines plongent jusqu’au socle de la roche mère identitaire érodée et transformée par le processus, initialement physico-chimique, de la diagenèse… Sous l’eau ou sous la peau – pour plagier un titre de George Lamming : In the Castle of My Skin13 (1953) –, se jouent des dislocations corporelles et identitaires qui sont aussi des recompositions, des reconfigurations.

Note de bas de page 14 :

Cf. Celusien L. Joseph et Nixon L. Cleophat, Vodou in Haitian Memory. The idea and representation of Vodou in Haitian imagination, Maryland, Lexington Books, 2016. Voir aussi : Curtius, Anny, Symbiose d’une mémoire : Manifestations religieuses et littératures de la Caraïbe, Paris, L’Harmattan, 2006.

Car cette eau qui permet de transcrire l’archéologie sédimentaire et identitaire, voire de les transcender, de les panser, demeure porteuse de spiritualité. Dans l’approche afro-descendante, qu’elle soit liée au vaudou14 ou non, sous forme de sirène ou non (comme une sorte d’écrevisse/zabitan si commune pendant longtemps dans les rivières caribéennes…), la conscience de la vie déifiée de l’eau est prégnante :

Note de bas de page 15 :

Mimi Sheller, Citizenship from Below: Erotic Agency and Caribbean Freedom, Durham and London, Duke University Press, 2012, p. 31.

(…) there is a further sacred meaning within West African and Caribbean cosmologies in which the ancestral spirits are thought to dwell beneath the waves – or, as Haitians say, anba dlo15.

Note de bas de page 16 :

Une monumentale sculpture sous-marine le rappelle dans la baie de Saint-Pierre, réalisée par l’artiste martiniquais Laurent Valère en 2004, https://www.laurentvalereartstudio.com/manman-dlo ?lightbox =dataItem-io95iece, consulté le 14 avril 2020.

Note de bas de page 17 :

Cf. Livre de Jonas, 2, 1-11.

Note de bas de page 18 :

Anciennement, aussi petit morceau de toile introduit dans un crâne trépané. Et la figure en tache de la partie basse pourrait aussi être un crâne…

Manman dlo, rappel de l’héritage de la déesse du panthéon yoruba Yemaya, ne saurait être oubliée16 dans cette Caraïbe afro-descendante… Comme dans ce tableau des Sindon Series, la co-existence de la minéralisation/ animalisation/gazéification est rendue par une construction tripartite avec un sous-bassement entre liquide et pierre englobé comme dans un rouge magma qui le thermolyse. Peut-être une évocation du « Shéol » biblique et donc de l’enfer. Une zone intermédiaire, un rectangle noir horizontal, sépare et relie à la fois, comme cachant et invitant à imaginer en même temps une transition, un espace-temps autre, d’où s’échappe dans un aérien éther liquéfié bleuté une forme qui paraît pourtant pesante de léviathan-baleine. Le symbole, tracé blanc, qui se détache au centre de l’œuvre sur fond noir, comme une transcription d’un équilibre entre les points cardinaux du monde et rappel de fait de la dualité entre les lignes horizontales (ondes et nous, êtres vivants, comme cet énorme poisson) et verticales (lien avec Dieu et dimension spirituelle) et l’idée de mouvement possible suggéré par le recours au symbole mathématique d’un angle plat (180°) – moitié d’un cercle, moitié de l’Orbe ? – peut figurer aussi un être humain stylisé, sorte de Jonas17 en attente trois jours et trois nuits (et donc idée temporelle co-existante avec le lieu) dans le ventre de cette métamorphose en marche. On renoue avec un symbole de résurrection, de nouvelle vie possible (avec Dieu) pour ceux qui se détachent des vanités trompeuses. Remonter à la surface et donc vivre est possible. Il importe de rappeler le titre de cette série, à savoir Sindon18, soit en français le linceul qui rappelle le suaire dans lequel fut enveloppé le Christ. Entre mort et vie, les liens existent et surtout, une fois encore, Marvin Fabien nous dit qu’une issue favorable est possible, comme dans le texte biblique du Livre de Jonas où certaines traductions (2/2-6), évoquent des algues enroulées autour de la tête de Jonas environné d’eau dans l’abîme, dans les profondeurs de la mer. À la différence de l’héroïne de Wide Sargasso sea/La prisonnière des Sargasses, le Jonas fabien connaît une issue favorable grâce à sa foi, sa spiritualité assumée.

Besoins en eau, besoins spirituels… La manne tombée dans le désert est un terme hébreu (מָן, man) qui indique l’idée d’origine : « de, depuis ». Dans l’Exode (16-2), les Hébreux affamés et assoiffés murmurent contre Moïse. Dieu leur envoie alors une rosée qui lorsqu’elle se fut évaporée laissa sur la surface du sol désertique quelque chose de fin et de granuleux, comme du givre, que Moïse présenta comme le pain donné par l’Éternel (16-4) et nomma « manne », laquelle tomba régulièrement et les nourrit jusqu’à leur arrivée au pays de Canaan.

Sindon Series (2009 – 2013)

Sindon Series (2009 – 2013)

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Note de bas de page 19 :

Marvin Fabien, « La figure du dictateur dénoncée : art et politique dans les années 1970 à la Dominique (Petites Antilles) », Études caribéennes [En ligne], 39-40 | Avril-Août 2018, mis en ligne le 15 juillet 2018, http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/12195, consulté le 6 avril 2020.

Marvin Fabien écrit à propos d’Alwin Bully : « Le lieu agit parfois sur l’homme, et inversement l’homme agit sur le lieu »19. Comment appliquer cette affirmation à Marvin Fabien lui-même qui se structure en tant qu’artiste entre deux lieux : la Dominique et la Martinique ? Entre-deux ou double ancrage ? Il n’est certes pas le seul artiste caribéen à se valoir de l’eau pour transcrire son projet même s’il est vrai que c’est souvent plutôt la mer (car tombeau de tant d’âmes lors du Middle passage) qui est sondée pour inviter à réfléchir aux profondeurs historiques caribéennes comme chez le Guadeloupéen Thierry Lima et notamment lors de son exposition « Repos de lames » de 2016.

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Note de bas de page 20 :

Cf. Dominique Aurélia, « La poétique du paysage chez Derek Walcott », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 14 | septembre 2012, http://journals.openedition.org/vertigo/12327, consulté le 6 avril 2020.

Note de bas de page 21 :

Idem.

Note de bas de page 22 :

Ibidem.

Marvin Fabien ne garde-t-il pas ce goût pour l’eau, présente comme en sourdine, de ses absorptions intertextuelles dont pourrait faire partie le poème The Swamp de Derek Walcott (1965-), car l’œuvre de ce poète saint-lucien est aquatique, nourrie d’eaux et d’océan, bain d’eaux et de mers dont Omeros est assurément paradigmatique. Bouillonnement de vie plutôt que « prolifération de toutes formes de vie dégénérées et difformes »20 ; lumière plutôt qu’« une obscurité qui témoigne de l’absence de l’histoire »21, vitalité sexuelle plutôt que « bouillonnement obscène de sang et de sexe qui loin de donner naissance à une énergie créatrice, n’engendre qu’une situation de stase »22. « It begins something » semble dire Fabien en écho au « it begins nothing » de Walcott. L’énergie et la résistance des derniers vers de ce poème : « like chaos, like the road/ahead » aurait désormais pris de l’ampleur… Au paysage englobant et qui absorbe de Walcott, Fabien choisit la matrice d’un papier absorbant, à partir de laquelle une renaissance (hydrique) est possible et est visible, même dans ses errances et ses éclairs clinquants qui évoquent d’autres pertes. Point d’annihilation, mais une germination en cours même si elle n’est pas toujours réussie… La reterritorialisation s’est faite chez Marvin Fabien, sans rejet toutefois de cette phase d’émergence, de ce substrat aqueux, boueux, sédimenteux de cette contre-esthétique occidentale exotisante.

Ce n’est plus dans la mangrove sylvestre que Marvin Fabien cherche des réponses, mais dans les corps ou la mangrove des corps réunissant diverses particules, mouvants, de ses contemporains, autre forme de paysage. Paysage(s) ou détour(s) ; métamorphoses en cours (d’eau). 

*Métamorph-eau-ses in process

Note de bas de page 23 :

In incipit de La métamorphose (1915), Paris Gallimard (Folio classique), 2015, https://www.chapitre.com/BOOK/kafka-franz/la-metamorphose-etude-sur-vladimir-nabokov,280599.aspx, consulté le 19 avril 2020.

Franz Kafka nous a rappelé dans son magnifique ouvrage La métamorphose (1915) que l’homme de l’Avoir l’a emporté sur l’homme de l’Être. La dimension de révolte allégorique de la transformation de Gregor Samsa en insecte qui se réveille avec un abdomen « bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides »23 face à une vie dépourvue de sens profond, interpelle quant aux exclusions de nos mondes contemporains. Mais les nuisibles et égoïstes sont les scarabées aux formes humaines du reste de sa famille qui se métamorphosent aussi au fur et à mesure en le rejetant jusqu’à sa mort… Esprit humain dans un corps d’animal ou esprit animal dans un corps humain, telle est la question posée dans ce to be or not to be de nos époques matérialistes… Toutefois, les métamorphoses ne sont pas toujours irréversibles ou négatives :

Note de bas de page 24 :

Gilles Deleuze et Félix Gattari, Kafka, pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 65.

Le devenir-animal n’a rien de métaphorique. Aucun symbolisme, aucune allégorie. Ce n’est pas davantage le résultat d’une faute ou d’une malédiction, l’effet d’une culpabilité. Comme dit Melville à propos du devenir-baleine du capitaine Achab, c’est un « panorama », non pas un « évangile ». C’est une carte d’intensités. C’est un ensemble d’états, tous distincts les uns des autres, greffés sur l’homme en tant qu’il cherche une issue. C’est une ligne de fuite créatrice qui ne veut rien dire d’autre qu’elle-même. À la différence des lettres, le devenir-animal ne laisse rien subsister de la dualité d’un sujet d’énonciation et d’un sujet d’énoncé, mais constitue un seul et même procès, un seul et même processus qui remplace la subjectivité24

La tache est métamorphose positive en ce qu’elle est multiforme, hétérogénéité en acte, écoulement in process, marque imprévisible de nos corps physiques et psychiques. Au cœur du processus créatif de Marvin Fabien, on l’a montré, la tache concentre les transferts hydriques entre vie et mort. On retrouve alors dans Titre ? (œuvre avec du vert qui suit - MF : Titre de l’œuvre : Greenheart) la centrale colonne vertébrale et l’os du bassin d’une structure évidée d’un corps fantasmagorique qu’une main cherche à attraper comme pour évoquer la caresse sur un corps qui ne sera plus, qui n’est pas que ce que l’on touche aujourd’hui. Memento mori où la vie est symboliquement présente de cette apparente forme décharnée, entre œuf et arbre, avec dans la partie basse de l’œuvre une forme de (corps de) tambour-matrice qui semble vouloir englober le tout et ainsi amplifier la résonnance de ces multiples liens, fils, veines, os, enchevêtrement de multiples reconfigurations passées, présentes et à venir comme ces chemins qui serpentent et innerve vers/depuis un Ailleurs insoupçonné.

On retiendra à cet égard le concept de « reconfiguration » selon l’approche choisie dans sa thèse de doctorat par José Lewest :

Note de bas de page 25 :

José Lewest, Les processus de reconfigurations dans l’art caribéen – Guadeloupe, Haïti, Jamaïque, thèse soutenue en 2015 sous la direction du professeur Dominique Berthet, Université des Antilles, p. 16-17.

Le concept de reconfiguration, entendu comme un processus de reformulation perceptible à travers les orientations esthétiques relevant dans une première phase de son histoire, de l’imitation, puis plus tard, de la mutation engagée par un jeu d’adaptations et de combinaisons d’influences multiples, produit une ouverture sur des pratiques de la confluence et de l’inclusion, redistributrice des valeurs du monde d’autant de manières qu’il existe d’îles en Caraïbe. Ces considérations commandent de prendre en compte cette singulière mobilité générée par les manœuvres d’adaptations et les métamorphoses, révélatrice d’un haut degré de plasticité de l’identité et de la création caribéennes25.

Titre, date, technique, 60 cm x 35 cm, Greenheart (2003, encre, crayon sur papier, 60 cm x 35 cm)

Titre, date, technique, 60 cm x 35 cm, Greenheart (2003, encre, crayon sur papier,
60 cm x 35 cm)

José Lewest questionne également le traitement du réel dans la Caraïbe en fonction des périodes :

Note de bas de page 26 :

Les processus de reconfigurations dans l’art caribéen, op. cit. , p. 12.

Le réel dans la reconfiguration de l’art dans la Caraïbe est significatif du degré de liberté et de conceptualisation des artistes. Confrontés à la brutalité de la réalité sociale, la sublimation et le masquage sont privilégiés et révèlent les stratégies de dissimulation en œuvre dans les démarches caribéennes. Mais à partir des années 1970, l’émancipation des artistes des questions nationales libère l’art et surtout l’artiste qui passe d’une vérité culturelle à une vérité individuelle26

Note de bas de page 27 :

Pierre Charpentras, Paris, Éditions de Minuit, 1967. 

Note de bas de page 28 :

Michel Foucault, « Of Other Spaces, Heterotopias », Architecture, Mouvement, Continuité, 1984.

Comprendre l’œuvre d’un artiste et son intentionnalité demande en effet de l’insérer dans son espace-temps. Fabien propose dès lors un regard plus apaisé, mais pas pour autant lissé, car à lire, à décrypter sur différentes profondeurs (de papier ou de tissu) et invitant à la rhizomicité (sans frontières…) entre les techniques artistiques. Et c’est ainsi qu’il entend peindre et créer des sons pour rendre la réalité merveilleuse caribéenne, nourrie de syncrétisme, baroque27 (nœud, spirale ou pli) dans ses tourbillons hétérogènes qui sont autant de percolateurs d’un art caribéen, d’insulaires hétérotopies (soit selon Michel Foucault28 des localisations physiques de l’utopie), cabanes de l’imaginaire américano-caraïbe et hétérochronies possibles que les taches laissent imaginer.

Note de bas de page 29 :

Cf. http://stationculturelle.com/exposition-boite-de-desenvoutement-de-raymond-medelice/

Note de bas de page 30 :

Il empilera ces plots pour en faire des tours en 2018 dans son exposition « De formidables machines à rêver ». Cf. Cécile Bertin-Elisabeth, présentation-conférence « Rêves de tours abolies et béton dés-armé pour une recherche d’équilibres d’énergies », Habitation Clément (Martinique), 24 juin 2018, https://aica-sc.net/2018/06/25/medelice-reves-de-tours-abolies-et-de-beton-des-arme/

Bruno Pédurand a ainsi questionné depuis 2013 cette notion d’hétérochronie qui s’intéresse à la modification de la durée de développement des êtres vivants, et ce à partir de boîtes lumineuses. Marvin Fabien retient aussi cette idée de formes lumineuses dans ses performances. Le Martiniquais Raymond Médélice (1956-) propose pour sa part, en 2019, des « boîtes de désenvoutement »29 qui font écho aux boîtes/cubes déjà présent(e)s dans diverses de ses œuvres comme Enclos et Le forfait de 199530.

La valeur exploratrice du baroque demeure ainsi présente avec sa pluralité de strates, sa multiplicité de visions, réunies comme dans certaines œuvres des Bouyon Series de Marvin Fabien en un seul corps qui se dédouble, comme un être bifide en état de métamorphose (et une sorte d’autoportrait ?) ; entre-deux qui permet de souligner l’existence pour le moins de deux états possibles, concomitants, entre rêve et réalité, entre pesanteur terrestre et envol lyrico-céleste.

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Caribbean bodies : Bouyon Series (2019, techniques mixtes sur papier, 135 cm x 105 cm)

Note de bas de page 31 :

Voir Eugène Revert, La magie antillaise, Paris, Bellenand, 1951 et Ary Ebroïn, Quimbois, magie noire et sorcellerie aux Antilles, Paris, Jacques Grancher, 1977.

Le recours à la visualisation de la double peau, à l’instar des soucougnans, éléments surnaturels antillais, crée un véritable choc visuel… Serait-ce un gen gagé qui aurait passé un pacte avec le diable comme pourrait le rappeler l’emploi dominant de la couleur rouge ? Ou ce choix de pigment vif vise-t-il à établir un lien avec le sang qu’est sensé boire ce ou cette soucougnan et qui semble s’écouler par son bas-ventre, marque également de ses appétits (sexuels et autres) terrestres ? De ce corps endiablé d’où l’artiste semble vouloir (et pouvoir ?) s’extirper par sa musique rythmée qui est symbolisée par la représentation inachevée d’une guitare-micro stylisé.e qui pourrait être dans le même temps tout autant une antenne de télévision, ce qui importe, c’est en fin de compte la question des ondes. Se débarrasser des ondes négatives et en produire d’autres, comme dans une forme de « gran débarrassé »31, rite d’épuration – non pas ici pour une maison, mais pour un corps, maison de notre âme – semble être l’appel lancé par Marvin Fabien qui nous rappelle sous la forme d’une icône-rébus – située à gauche du corps de la guitare stylisée – que nous sommes tous au pied (lequel est reconnaissable car clairement dessiné) de notre tombe, symbolisée par une esquisse d’édifice surmonté d’une croix. En somme, la mort n’attend pas… Il n’empêche que la mort d’un être ou d’une partie de lui-même peut permettre la renaissance de celui-ci ou de celle-ci comme l’exprime si violemment cette œuvre.

Note de bas de page 32 :

Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 77.

Ces représentations de métamorphoses in process, comme des performances en direct, sont par conséquent autant d’invitations à s’arracher aux (fausses) évidences, à questionner les systématicités via les transformations ; à rechercher les articulations entre les ensembles et les sous-ensembles. Ce type de reconfigurations est alors une façon de dessiner des « champs de présence » ou des « champs de concomitance » qui sont autant de « champs de mémoire » – expressions que nous empruntons à Michel Foucault dans L’archéologie du savoir32 et que nous adoptons/adaptons à ce contexte artistique et ne relevant plus directement de l’Histoire naturelle.

Construire du composite et du dispersé, tisser en reconfigurant via diverses métamorphoses en taches, à la façon de nouvelles œuvres épiques, les filiations et les légitimités d’un Chaos-monde imprévisible est un programme qui rejoint certaines visées glissantiennes :

Note de bas de page 33 :

Édouard Glissant au micro de François Noudelmann, Les vendredis de la philosophie, France Culture, 2003, http://www.edouardglissant.fr/digenese.html, consulté le 12 avril 2020. Voir aussi : « Divers – L’Europe et les Antilles : une interview d’Edouard Glissant par Andrea Schwieger Hiepko, https://www.potomitan.info/divers/glissand.htm, consulté le 13 avril 2020.

Filiation et légitimité ont tissé la toile de la durée. Elles ont garanti qu’aucun discontinu ne viendrait rompre la certitude ni corrompre la croyance. Elles ont établi le droit sur le territoire. Ce qui faisait tragédie, c’étaient les moments où elles se trouvaient menacées, de l’intérieur ou de l’extérieur, par les fautes de leurs tenants ou par les entreprises des usurpateurs. Les poèmes épiques et les chants tragiques content cela33.

Note de bas de page 34 :

Édouard Glissant, Philosophie de la relation, Paris, Gallimard, 2009, p. 64.

Dans la Caraïbe – comme ailleurs si nous sommes en accord avec la démonstration glissantienne de cet aspect du Tout-Monde… –, ces processus de métamorphoses s’inscrivent alors dans une dynamique de créolisation, laquelle est « processus et non pas fixité », comme l’explicite Édouard Glissant dans sa Philosophie de la Relation34.

Le corps exprime les métamorphoses, la transformation des idées en choses, le « re-circuitage » possible. Impudeur comme dans cette peau-anamorphose mi-femme, mi-homme ? Ou expression d’un corps délivré plutôt que d’un non-corps esclavisé ? Corps maître de lui-même, prêt à assumer le désir d’autrui rendu visible par la co-présence de l’Autre, ce qui souligne l’importance de la fonction sexuelle, aussi nécessaire à ces corps nourris d’émotions et d’instincts.

Gesticulation des corps, gesticulation verbale, gesticulation des signes, comme cette queue animale qui est à la fois émettrice radio, source d’énergie pour la sonorisation du corps mâle qui vibre de l’union avec le féminin. Des signes, un nouveau langage pour tout sujet incarné (tout corps en action et donc en vie) ? et/ou un questionnement par rapport à nos langages qui semblent aller de soi comme nous invite à le penser Maurice Merleau-Ponty ? :

Note de bas de page 35 :

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard (Tel), 2003 (1945), p. 214.

C’est à l’intérieur d’un monde déjà parlé et parlant que nous réfléchissons. Nous perdons conscience de ce qu’il y a de contingent dans l’expression et dans la communication, soit chez l’enfant qui apprend à parler, soit chez l’écrivain qui dit et pense pour la première fois quelque chose, enfin chez tous ceux qui transforment en parole un certain silence (…) Notre vue sur l’homme restera superficielle tant que nous ne remonterons pas à cette origine, tant que nous ne retrouverons pas, sous le bruit des paroles, le silence primordial, tant que nous ne décrirons pas le geste qui rompt ce silence. La parole est un geste et sa signification un monde35.

La musique aussi s’écrit. Langage des corps, langage des mots et des notes qui n’est pas un simple instrument, mais une façon de révéler l’intime et le lien qui nous unit aux autres êtres humains, au monde en une rencontre multisensorielle et multigénérique.

Échapper à la seule tradition cartésienne qui nous pousse à nous défier des objets serait alors nécessaire. Le corps n’est pas un objet ; son unité n’est qu’implicite comme nous le dépeint Marvin Fabien. Il est dans le même temps toujours aussi autre chose. Mon seul moyen de le connaître, c’est de le vivre ! Ce corps nous permet dès lors l’expérience du monde, d’un monde perçu par notre corps, car le corps est espace, espace expressif et médiateur du monde de chacun de nous au monde qui nous entoure, nœud de diverses tensions et significations.

Marvin Fabien nous montre par une infinité de points sa dispersion spatiale et révèle ainsi sous l’espace objectif, une sorte de spatialité primordiale. En nous invitant à visualiser le déploiement de ce corps, en somme la manière dont il se réalise en tant que corps, il s’agit de rendre visible ce qui est invisible, de proposer une représentation visuelle de ce que nous ne regardons pas d’habitude. Se voir depuis le dedans en quelque sorte, et ainsi être comme devant mon corps ou encore plus dans mon corps. Autrement dit, Marvin Fabien nous invite à visualiser et à écouter autrement… à ouvrir les yeux et les oreilles au monde… Cette gesticulation vitale de notre corps, véritable œuvre d’art, questionne nos habitus, nos aveuglements et surdités. Ainsi, mouvements anciens et actuels, comme des systoles et diastoles, se voient reliés pour aider à créer des équilibres entre diverses rencontres métamorphiques.

Note de bas de page 36 :

Phénoménologie de la perception, op. cit. , p. 397.

Note de bas de page 37 :

Op. cit. , Avant-propos, p. 10.

Note de bas de page 38 :

Idem.

Note de bas de page 39 :

Op. cit. , p. 11.

Note de bas de page 40 :

Voir Edmund Husserl, Méditations cartésiennes : Introduction à la phénoménologie, Paris, J. VRIN (coll. » Bibliothèque des textes philosophiques »), 1986 (1929) et Paul Ricœur, » Étude sur les « Méditations Cartésiennes » de Husserl », Persée, Revue Philosophique de Louvain, 1954, p. 75-109.

Maurice Merleau-Ponty affirme d’ailleurs : « Je ne me connais que dans mon inhérence au temps et au monde, c’est-à-dire dans l’ambiguïté »36. Lui qui définit la phénoménologie, entre autres, comme « un compte-rendu de l’espace, du temps, du monde ‘vécus’«37, « comme essai d’une description directe de notre expérience telle qu’elle est »38, ajoute qu’«  elle est en route depuis longtemps (…) »39… Edmund Husserl (1859-1938) qui cherche à élucider le rapport de l’homme au monde invitait d’ailleurs avant tout (avant d’analyser ou d’expliquer) à DÉCRIRE40. Et n’est-ce pas ce que font, chacun à leur façon, les artistes, fixant avec leur palette et leurs formes, objectivant leur monde passé et présent ? Car tout ce que nous savons du monde, vient notre propre expérience, notre propre façon de regarder ce monde et de donner sens à divers symboles. Ces artistes réveillent alors cette expérience du monde en nous invitant à revenir au monde avant la connaissance. Le monde n’est-il pas là avant toute proposition d’analyse et ne prend-il pas forme selon nos regards et réceptions ? Leurs regards nous rappellent combien chaque champ perceptif comporte de reflets et d’impressions de représentations de nos théâtres imaginaires. Et ces reflets d’imaginaires peuvent être autant de métamorphoses.

Toute figure et son entour est une multiplicité de points, un enchaînement de traces, de signes que l’on découvre dans l’œuvre de Marvin Fabien, qui questionne ainsi incessamment l’ici et l’ailleurs et qui laisse une marque, un rappel, la mémoire d’un geste. Présenter des corps en mouvement revient alors à rendre l’idée d’un espace (et d’un temps) habité, inviter à prendre conscience du lieu qui nous entoure, car avec mon corps, je fais signe à travers le monde. Doit-on évoquer une approche kinesthésique chez Marvin Fabien qui proposerait une sorte d’iconicité référentielle ? Nous sommes en tous les cas invité.e.s au décodage de divers pictogrammes et dessins-rébus comme un rappel de certains signes amérindiens de son aïeule caraïbe. Serait-ce un langage autre de cet artiste pour les autistes que nous sommes de notre propre société ? Une façon de communiquer qui permet de dépasser le champ de l’actuel et ses pathologies, ses infirmités stérilisantes ? Il nous est demandé de nous projeter dans une sorte de virtuel, via sons et lumières, pour trouver d’autres clés. Comme les notes de musique permettent d’inventer une mélodie, le corps caribéen (souvent malade de son Histoire coloniale pas toujours dépassée) part à la recherche de ses mouvements, entre présence charnelle et facticité. Pour que nos corps ne soient pas que des masses amorphes, divisées, désarticulées, agitées sans ordre, pour qu’une nouvelle motricité effective, efficiente et à la puissance recouvrée émerge, il importe pour Marvin Fabien de décortiquer tout mouvement comme un processus, de penser le mouvement comme représentation d’un projet dont il convient de rechercher l’intentionnalité. Quelle est donc l’« intentionnalité motrice » pour reprendre une autre expression de Merleau-Ponty, entre mouvement et conscience du mouvement, qui nous permettra de sortir de nos aveuglements ? Retrouver ce « fond » du mouvement, immanent au mouvement, qui l’anime justement, entre éléments abstraits et concrets, serait alors une clé ? Qu’est-ce donc que je construis avec mon corps ?

Via ce corps, machine à signifier, se superposent, de façon constante, éléments concrets et subjectifs. Il permet en quelque sorte de CREUSER dans le monde plein (concret) pour atteindre le virtuel et toutes ses projections et ainsi penser la dimension identitaire labyrinthique.

Resteront en effet toujours des labyrinthes et des Minotaures comme celui – autre forme de Caliban ? – que nous propose Marvin Fabien dans ses Bouyon Series. Dans la Caraïbe aussi, ces îles reliées (et divisées) en archipel sont autant de labyrinthes qui s’ajoutent aux corpuscules reliés de nos corps, comme autant de particules pailletées où se pose, sans doute plus que dans certaines régions du fait de l’Histoire de tant de rencontres, souvent violentes et en concentré, la question de l’hybridité. Quelle serait en conséquence la méthode fabienne pour sortir de ces labyrinthiques réseaux ? Suivre le fil multiple de cette mixture qui porte si bien son nom de « bouillon » de cultures en général et de « bouyon » musical à la Dominique.

Caribbean bodies : Bouyon Series (2018, techniques mixtes sur papier, 65 cm x 50 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2018, techniques mixtes sur papier, 65 cm x 50 cm)

*Du bouillonnement du « bouyon » et de divers échos/eaux

Le rythme est l’Inégal ou l’Incommensurable.
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux

Note de bas de page 41 :

Généralement calebasse emplie de grains que l’on secoue. Cet instrument est fort usité pour la musique traditionnelle caribéenne, notamment lors du Carnaval.

La musique emplit de nombreuses œuvres de Marvin Fabien, que ce soit dans ses performances comme Lest We forget où le recours au son amplifie la dramatisation de la scénographie et du texte lu par Nyugen Smith ou que ce soit par la représentation d’instruments ou de micros aux fils reliés de façon discontinue comme une façon de rappeler, une fois encore, l’importance des ondes, de ces vagues que permettent de visualiser des torsades et serpentines formes. Demeure toujours la prégnance de l’eau sous et dans les taches qui forment le sous-bassement de ces œuvres et des rappels d’eau par les couleurs ou, comme dans cette œuvre de la série Caribbean bodies, Bouyon Series titre ? MF : Œuvre sans titre, par la présence d’une bouteille qui pourrait être aussi un « cha-cha »41 modernisé donnant le rythme.

Caribbean bodies : Bouyon Series (2019, techniques mixtes sur papier, 135 cm x 105 cm)

Caribbean bodies : Bouyon Series (2019, techniques mixtes sur papier, 135 cm x 105 cm)

Ce chanteur dont la chevelure de type rasta est en soi un solaire rhizome nous rappelle combien, du point de vue conceptuel, la musique est nœud et réseau. Gilles Deleuze et Félix Guattari appliquent d’ailleurs de façon récurrente le principe rhizomatique à la musique :

Note de bas de page 42 :

Mille plateaux, op. cit., p. 19.

La musique n’a pas cessé de faire passer ses lignes de fuite, comme autant de « multiplicités à transformation », même en renversant ses propres codes qui la structurent ou l’arbrifient ; ce pourquoi la forme musicale, jusque dans ses ruptures et proliférations, est comparable à de la mauvaise herbe, un rhizome42.

Note de bas de page 43 :

Op. cit., p. 628.

Note de bas de page 44 :

Max Edinval, Questions d'héritage, op. cit., p. 56.

Lorsque nous paraissons désarticulés, est-ce parce que nous ne serions même plus soutenus par le rythme43 comme le proposent Deleuze et Guattari ? A une autre échelle, tout territoire est fait de fragments, tout archipel est constitué d’îles. Marvin Fabien articule rythmes et formes, musique et peinture. Soit l’application du principe de « rézonans » qui est, selon Max Edinval, « prolongement ou l’amplification des sons dans certains milieux en général »44.

Le choix de travailler à partir de la musique « bouyon » semble s’inscrire clairement dans cette approche de coexistence de diverses formes, rythmes et traditions. En somme, il s’agit d’un choix conceptuel relevant encore de l’imprévisibilité de la tache, d’une forme d’hétérogénéité opaque et non de la pureté, de l’unicité.

Antonio Benítez Rojo a insisté sur la dimension rythmique de la Caraïbe qu’il se refuse à ne relier qu’aux percussions, considérant ces méta-rythmes qui courent de muscle en muscle comme autant de lucioles (bet-a-fé/bête à feu en créole…) :

Note de bas de page 45 :

Antonio Benítez Rojo, La isla que se repite, Introduction, https://www.literatura.us/rojo/isla.html, consulté le 15 avril 2020.

Pero sería un error pensar que el ritmo caribeño sólo se conecta con la percusión. En realidad se trata de un meta-ritmo al cual se puede llegar por cualquier sistema de signos, llámese éste música, lenguaje, arte, texto, danza, etc. Digamos que uno empieza a caminar y de repente se da cuenta de que está caminando “bien”, es decir, no sólo con los pies, sino con otras partes del cuerpo ; cada músculo se mueve sin esfuerzo, a un ritmo dado y que, sin embargo, se ajusta admirablemente al ritmo de sus pasos. Es muy posible que el caminante experimente en esta circunstancia una tibia y risueña sensación de bienestar, y sin embargo no hay nada específicamente caribeño en esto, sólo se está caminando dentro de la noción convencional de polirritmo, la cual supone un ritmo central (en nuestro ejemplo, el que dan los pasos). No obstante, es posible que uno quiera caminar no sólo con los pies, y para ello imprima a los músculos del cuello, de la espalda, del abdomen, de los brazos, en fin, a todos los músculos, su ritmo propio, distinto al ritmo de los pasos, el cual ya no dominaría. Si esto llegara a ocurrir —lo cual, performance al fin y al cabo, sería siempre una experiencia transitoria—, se estaría caminando como las ancianas anti-apocalípticas. Lo que ha sucedido es que el centro del conjunto rítmico que forman los pasos ha sido des-centrado, y ahora corre de músculo a músculo, posándose aquí y allá e iluminando en sucesión intermitente, como una luciérnaga, cada foco rítmico del cuerpo45.

Marvin Fabien travaille donc la transversalité des arts, autre forme d’articulation et de rhizomicité. Mais n’est-ce pas en quelque sorte d’autant plus « obligé » vu sa formation musicale ? Car comme l’a rappelé Deleuze (et aussi Whitehead), toute plasticité est aussi rythmicité. On peut ainsi « spatialiser » le son et rendre la temporalité de la peinture, inventer diverses façons de rendre dans le dessin le rythme. Entre flux et reflux des vagues, ou jeux de nervures et de branches des plantes, ailes de papillons ou autres insectes, le mouvement peut être saisi. L’œuvre de Marvin Fabien le montre depuis le début jusqu’à ses bouyons/bouillonnements actuels.

Comme l’explicite fort bien Frédéric Bisson :

Note de bas de page 46 :

Éléments d’arithmétique. Le rythme selon Whitehead et Deleuze de Frédéric Bisson, La part de l’œil, n° 27/28, 2012-2013, p. 165-183 (p. 165), https://www.academia.edu/9370583/El%C3%A9ments_darythm%C3%A9tique._Le_rythme_selon_Whitehead_et_Deleuze.

La structure garde et prend sur soi le rythme vif de sa genèse. Les œuvres d’art plastiques sont intrinsèquement rythmiques, au même titre que les gestes qui les ont fait naître. Les mouvements du spectateur ne font à leur tour que développer une temporalité déjà enveloppée dans les choses mêmes, comme la marche en pleine nature, quand elle parvient à un degré presque somnambulique de communion affective avec l’espace, ne fait que développer la temporalité intrinsèque du paysage et du relief qu’elle épouse. L’espace est intérieurement travaillé de forces plastiques que le mouvement temporel actualise. Le concept de “plasticité” désigne ainsi l’élément dynamique de l’espace : elle est ce qui dans l’espace échappe à l’inertie, l’énergie potentielle qui couve dans la matière sous son apparente immobilité. Cette énergie se manifeste physiquement dans les transitions de phases, quand la matière passe soudainement d’un état à un autre, comme dans le cas remarquable du brouillard givrant. Mais ce qui paraît soudain se prépare en réalité dans une vie secrète. C’est la force propre de l’art que de rendre visibles les forces plastiques invisibles de la matière qu’il travaille, en réinventant les points critiques de température (cristallisation, fusion, congélation, condensation, surfusion, etc.) à l’intérieur même d’un seul état apparemment homogène46.

Note de bas de page 47 :

Op. cit. , p. 176.

Note de bas de page 48 :

Op. cit., p. 179.

Note de bas de page 49 :

Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002 (La Roche-sur-Yon, éd. de La Différence, 1981).

Note de bas de page 50 :

Francis Bacon, Triptyque - Août 1972, 1972, huile sur toile, chaque panneau : 198,1 x 147,3 cm, Londres, Tate Gallery.

Il s’agit donc de rendre l’apparente immobilité par la plasticité et son énergie, ses liaisons organiques de particules et « l’identité du pattern »47. Si comme le dit Gilles Deleuze « le rythme coule dans une microryhtmie, en nouant les uns aux autres des ‘instants critiques’«48 , alors on comprend mieux que Marvin Fabien recherche la microrythmie des particules de tous les corps et cette dispersion de points en sont alors les « instants critiques ». Deleuze a analysé « cette impression de temps » dans les œuvres de Francis Bacon49. Il a ainsi étudié son Triptyque50 à partir du concept de « personnage-rythmique » de Messiaen pour montrer la dramatisation du et par le rythme. Le rapport entre augmentation et diminution, intense/faible, actif et inactif, rappelle le jeu des interstices et des tirets versus lignes continues chez Marvin Fabien. Deleuze considère que rythme peut investir le visuel comme l’auditif et Marvin Fabien créé des œuvres paradigmatiques à cet égard.

Comme dans un discours, le rythme (vitesse, intonation…) peut avoir autant ou plus de sens que le sens des paroles utilisées, selon ce qu’Henri Meschonnic appelle la « signifiance », sa valeur organisatrice, centrale, ne peut avoir laissé Marvin Fabien indifférent.

Note de bas de page 51 :

https://www.avirtualdominica.com/project/bouyon-3/, consulté le 8 avril 2020: « The group WINDWARD CARIBBEAN KULTURE (WCK Band) of Dominica created this new musical phenomenon called Bouyon. Bouyon is a fusion of Cadence-Lypso and the traditional Jing Ping sounds of Dominica. This beat becomes complete when blended with pulsating drums in a digital style. This modern, exciting, electronically-based beat is finished off with the versatile midi-sound of the keyboards. The sequencing of the prominent keyboards is an integral part of the Bouyon sound ».

Marvin Fabien choisit de questionner plus particulièrement les esthétiques des musiques populaires de la Caraïbe et notamment le « bouyon »51, genre dominicais développé à partir des années 80. Popularisée par le groupe WCK BAND (Windward Caribbean Kulture), mêlant différents styles de musique : calypso, soca, zook et des musiques traditionnelles comme le jing ping et le quadrille.

Idée de liquide, idée de liquide troublé, mélangé, hétérogène, de trouble…

Dominique Berthet décrit cet état inhabituel :

Note de bas de page 52 :

Une esthétique du trouble, op. cit. , p. 10-11.

Le phénomène de trouble concerne aussi l’expérience esthétique, c’est-à-dire le moment intime et privilégié au cours duquel s’opère une rencontre entre soi et par exemple une œuvre d’art. Les œuvres et les lieux ont ceci de commun qu’ils peuvent être à l’origine d’un émoi. Le trouble esthétique est une expérience individuelle, subjective, intime. Il est de l’ordre de la rencontre dans ce qu’elle a de déterminant. La rencontre et le trouble sont généralement associés à l’expérience de la première fois. L’expérience esthétique possède la densité de l’expérience vécue. Instant magique que cette expérience de la rencontre avec une œuvre, un lieu, une personne. Le trouble ne se programme ni ne s’anticipe. Il s’agit d’une rencontre imprévisible52.

Le terme « bouyon » et la mixture – dans le sens de mélange et de trouble hétérogénéité – qu’il désigne pourrait transcrire, cette fois-ci de par une notion musicale, en écho à la tache picturale, dès lors toute la recherche esthétique de Marvin Fabien qui mêle des genres variés : peinture, poésie, audiovisuel… et des cultures diverses : afro-caribéenne, caraïbe/kalinago, occidentale, etc., le tout en y ajoutant un langage codé qui comme un élément tiers complète cette créolisation fabienne.

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Metacaribbean (Performance sound art présentée au FIAP, Martinique, 2019)

Metacaribbean (Performance sound art présentée au FIAP, Martinique, 2019)

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Pour citer ce document

Bertin-Elisabeth, C. (2023). 5- Hydriques œuvres hybrides : quelle reliance ?. Dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Université de Limoges. https://doi.org/10.25965/ebooks.321

Bertin-Elisabeth, Cécile. « 5- Hydriques œuvres hybrides : quelle reliance ? ». L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Limoges : Université de Limoges, 2023. Web. https://doi.org/10.25965/ebooks.321

Bertin-Elisabeth Cécile, « 5- Hydriques œuvres hybrides : quelle reliance ? » dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE, Limoges, Université de Limoges, 2023, p. 48-64

Auteur

Cécile Bertin-Elisabeth
Agrégée d’espagnol et professeure des universités à Limoges (EHIC) où elle a co-créé la revue FLAMME, Cécile BERTIN-ELISABETH a œuvré pendant plus d’une vingtaine d’années au sein de l’université des Antilles(-Guyane) au développement de la recherche entre mondes américano-caraïbes et Europe, à la reconnaissance de l’apport de la pensée d’Édouard Glissant et à son inscription dans les enseignements universitaires ainsi qu’au développement de nouvelles formations comme le Master Arts caribéens, la licence d’Art et le Master Études culturelles. Spécialiste de la représentation des Noir·e·s et des picaro·a·s et des questions de marginalisation et de transferts culturels, elle a écrit et dirigé différents ouvrages sur le patrimoine artistique, historique et littéraire de la Martinique et de la Caraïbe comme Le grand livre de ma commune mon histoire, vol. I : Le sud de la Martinique, Orphie-Canopé Éditions, 2017, avec Léo ELISABETH ;  Histoire et mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions en Normandie – Libres de couleur, n° 8, Hommage à Léo ELISABETH, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, février 2019, avec Érick NOËL ;  Zobel’ ami – Lettres de Joseph Zobel, Éditions Ibis Rouge, 2020 ; L’Atlantique, machine à rêves ou cauchemar sans trêve ?, La Crèche, Presses Universitaires de Nouvelle Aquitaine, La Geste, 2021, avec Érick Noël ; Méditerranée-Caraïbe. Deux archipélités de pensées ?, Garnier, 2022, avec Franck COLLIN et  L’œuvre de Raphaël Confiant avant et après L’Éloge de la créolité, Scitep Éditions, 2023, avec Patricia CONFLON et Corinne MENCÉ-CASTER.
EHIC – Université de Limoges
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