DLO – EAU - Marvin Fabien (Dominique)

4- Corps1 : mater-i-eaux de l’imaginaire caribéen

https://doi.org/10.25965/ebooks.301

p. 42-47

Texte

Note de bas de page 2 :

Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 18.

C’est par l’imaginaire que nous gagnerons à fond sur ces dérélictions qui nous frappent, tout autant qu’il nous aide déjà, dérivant nos sensibilités, à les combattre.
Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde 2

Note de bas de page 3 :

Merleau-Ponty, Rapport sur ses travaux présenté au Collège de France, 1951.

Si le monde est le « milieu naturel » où s’exercent toutes mes perceptions, entre transparences et opacités, Maurice Merleau-Ponty évoque alors un « corps explorateur voué aux choses et au monde »3. Marvin Fabien prend justement appui sur ce corps qui exprime le plus individuel de moi-même et qui est à ma mesure du monde, le lieu où se joue toutes mes relations avec l’Autre et le monde, le Tout-monde. Et ainsi, c’est un appel à redécouvrir le monde en chacun de nous, comme centre de tous mes horizons, me permettant de me découvrir et de m’assumer comme être au monde.

Note de bas de page 4 :

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard (Tel), 2003 (1945), p. 116.

S’agit-il de ce fait de se réduire à notre corps ? Non, en fin de compte, il y aurait plutôt une ouverture par le corps, ses stimuli et ses perceptions jusqu’à notre moi profond, individuel et collectif. Car tout corps est à la fois frontière et système de réseaux ; tout corps est mangrove. Loin d’un simple assemblage de membres et d’organes, il s’agit, toujours selon Merleau-Ponty, d’un « schéma corporel » qui permet une prise de conscience globale de notre posture dans le monde intersensoriel4 et qui se déploie dans l’espace extérieur, comme un point qui permet de toucher l’horizon.

Note de bas de page 5 :

Environ 60 %.

Le corps est généralement conçu comme la partie matérielle d’un être animé (distincte de sa partie immatérielle, spirituelle), renvoyant en somme à sa dimension physique et physiologique (incarnée), constituée de diverses particules et molécules. Il se caractérise pour l’être humain par une présence prépondérante d’EAU5. Comme principal constituant de notre organisme, H20 est notre matériau/mater-i-eau fondamental.

Strange Fruits Triangle (2017, Digital Performance, Fiap17)

Strange Fruits Triangle (2017, Digital Performance, Fiap17)

Le terme « corps » désigne également tout type de substance ainsi que l’idée d’un ensemble, généralement organisé, d’éléments. C’est aussi en musique une caisse de résonance. N’est-ce pas de surcroît, symbo­liquement, la caisse de résonance de nos imaginaires ? Les corps sont donc variés et la façon de les regarder, de les imaginer, aussi. Le phénotype, visibilité extérieure de ces corps, a longtemps constitué une barrière dans les imaginaires caribéens.

Note de bas de page 6 :

Aimé Césaire, Une tempête, Paris, Gallimard, 1969.

Note de bas de page 7 :

George Lamming, The Pleasures of Exile, Londres, Michael Joseph, 1960, University of Michigan Press, 1992.

Note de bas de page 8 :

Max Dorsinville, Caliban Without Prospero: Essay on Quebec and Black Literature, Erin (Ontario), Press Porcépic, 1974.

Note de bas de page 9 :

http://ile-en-ile.org/dorsinville_max/, consulté le 14 avril 2020.

Aimé Césaire6 a justement montré dans sa réécriture de La Tempête de Shakespeare combien Caliban, le personnage de l’esclave monstrueux, n’était monstrueux que selon la représentation eurocentrée et devenait un vibrant symbole de résistance des dépossédés de toutes les colonisations occidentales. Le Barbadien George Lamming7 fait passer Caliban de l’espace insulaire à la ville de Londres où il est à la fois acteur, peintre et musicien, et se trouve violemment aux prises avec le monde qui l’entoure. La violence est en revanche dépassée chez Marvin Fabien, non seulement parce qu’un peu à l’instar du Haïtien Max Dorsinville qui a recourt à l’image des Canadiens français subalternisés par les anglophones dominants8, il conçoit un Caliban qui n’est pas « que » Nègre, qui n’est pas « qu’» ancien esclave, mais surtout parce qu’il intègre Prospéro en chacun de nous : « L’antithèse entre Caliban et Prospero est la division ultime que chaque individu porte en lui-même »9.

Note de bas de page 10 :

Édouard Glissant, Le Sel noir, in Poèmes complets, Paris, Gallimard, 1994.

Marvin Fabien propose dès lors un regard plus apaisé, mais pas pour autant lissé, car à lire, à décrypter sur différentes profondeurs (de papier ou de tissu) et invitant à la rhizomicité (sans frontières…) entre les techniques artistiques. Et c’est ainsi qu’il entend peindre la réalité merveilleuse caribéenne en rendant compte d’un dépassement des destructivités passées : Traite, esclavage, souffrances sur la Plantation… Loin des corps aux fers, des Ferrements (1960) d’Aimé Césaire et des cadavres mémoriels, Marvin Fabien retient plutôt la notion de « ferments », de levure vitale et de corps en actes résilients, qui semble renvoyer, à sa façon, au Sel noir10 (1994) évoqué par Édouard Glissant, gisement de vie et non gisant souffrant.

Les vers de Césaire et de Glissant n’ont donc plus le même écho chez cet artiste issu d’une génération régénérée ayant transcendé ce mal des origines douloureuses et la violence de la nature environnante et des hommes qui s’y trouvent :

Note de bas de page 11 :

Aimé Césaire, Ferrements, in La poésie, Paris, Seuil, 1994, p. 319.

Note de bas de page 12 :

Édouard Glissant, Le Sel noir, in Poèmes complets, Paris, Gallimard, 1994, p. 185.

Car il y a ce mal
ci-gît au comble de moi-même
couché dans une grande mare la sourde sans ressac11
……..
En ce cœur fut la gloire, les orées, le sable noir
En ce cœur le silence : affres délires bêtes sourdes.
Là le matin suinte dans la roche un sang d’hier12.

Note de bas de page 13 :

Voir sur ces traumas le cas de la « blès » : Patricia Donatien Yssa, L’exorcisme de la blès - Vaincre la souffrance dans Autobiographie de ma mère de Jamaica Kincaid, Paris, Éd. Le manuscrit-Recherche université, 2008.

Marvin Fabien ne s’inscrit pas « que » dans le mythe d’une (lointaine) Afrique merveilleuse ou d’un (proche) paysage, nouvel espace de liberté et de beauté. Il reconnaît l’Afrique, il loue la richesse esthétique du paysage caribéen, mais il choisit une autre voie d’interpellation et d’expression, un autre « méthode », car il a dépassé les traumas originels bréhaignes13 et invite toute la Caraïbe à aller de l’avant, riche de son passé et de son originalité ethnique et culturelle et forte de ses apprentissages, entre troubles et transparences fertiles.

Note de bas de page 14 :

Édouard Glissant, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997 (1981), p. 145.

Il n’en demeure pas moins conscient des différences de cheminement entre la Dominique et la Martinique notamment, et continue d’être surpris par les chemins de superficialité consommatrice/consumériste/ « consumatrice » dirons-nous, de ses frères franco-créolophones dont les îles encadrent son île d’origine et en font dès lors ressortir l’originale frugalité et authentique rusticité. Édouard Glissant avait déjà dénoncé dans son fameux Discours antillais la « politique pulsion » d’une population martiniquaise qui face à l’impossibilité de saisir sa propre vie enchaînait divers déséquilibres : « chacun croit qu’il vaut mieux à tout prendre se figer dans son analyse mais au moins faire quelque chose, pour supporter de vivre »14.

Note de bas de page 15 :

Marvin Gaye est un chanteur de soul et R’n’B américain.

De l’Afrique, terre promise césairienne et chez tant d’autres auteurs et artistes à la recherche de mise en phase avec le lieu-corps paysage caribéen, réenchanté en quelque sorte par Glissant, Marvin Fabien, à l’instar du héros carpentrien Esteban du Siècle des Lumières/El siglo de las Luces affirme que la « terre promise » est en fait en chacun de nous. Rappelons que comme une coïncidence, Marvin15, est un prénom dérivé du celtique « Merfyn » qui signifie « ami de la mer ». Il est donc plus qu’un déporté de/par la mer-océan du Middle Passage. Re-territorialisé et d’autant plus indépendant – et non plus subalternisé – que son île-matrice-mater a déjà réglé cette rencontre avec l’histoire d’elle-même avec sa phase d’indépendance assumée. Marvin Fabien ne cherche-t-il pas à faire comprendre à tous cette nécessaire réinsertion apaisée dans le monde caribéen en particulier et dans le monde en général ?

Note de bas de page 16 :

Cf. N. Lazarus (dir.), Penser le postcolonial : une introduction critique, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.

Note de bas de page 17 :

Voir à cet égard l’article de Marvin Fabien, « La figure du dictateur dénoncée : art et politique dans les années 1970 à la Dominique (Petites Antilles) », Études caribéennes [En ligne], 39-40 | Avril-Août 2018, mis en ligne le 15 juillet 2018, http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/12195, consulté le 6 avril 2020.

Note de bas de page 18 :

Cf. Rose, E.A., et M. Alvin (2002). Dependency and Socialism in the Modern Caribbean: Superpower Intervention in Guyana, Jamaica, and Grenada, 1970–1985, Lexington Books et Chambers, E. (2017). Roots & Culture: Cultural Politics in the Making of Black Britain, I.B.Tauris.

Note de bas de page 19 :

Wessinger, C. (2000). Millennialism, Persecution, and Violence: Historical Cases, Syracuse University Press.

À la Dominique, certaines orientations de l’art contemporain postcolonial16 ont été en fin de compte liées à des choix corporels. En effet, le port ou non de locks a entraîné des réactivités politiques dans la seconde moitié du XXe siècle. Rappelons à cet égard que l’artiste dominicais Alwin Bully a permis une émergence des questions de la résistance et de la mémoire à la Dominique dans les années 7017 en créant mythologie et héros propres et en invitant, avec d’autres, à se détourner de l’hégémonie occidentale18 et à valoriser la fierté raciale, le désir de reconnaissance d’une identité nègre, sous l’influence notamment du Black Power Movement. Les violences perpétrées sous le régime de Patrick John qui, en 1974, par le Dread Act, a autorisé les Dominicains à tuer tout porteur de locks (dreadlocks), en vue de freiner le mouvement rastafari, ont généré un retour à la Nature d’une partie de la population pour se préserver de ces exactions19. Beaucoup d’artistes ont alors accompagné ce retour à la Nature.

Note de bas de page 20 :

Christian George travaillait notamment avec les groupes de musique Exile One et Midnight Groovers.

Celui-ci est exprimé de façon sous-jacente dans l’œuvre de Marvin Fabien qui introduit l’EAU comme base de son travail, mais – on l’a vu – base visible/invisible, tache/strate, qui peut apparaître comme une façon oblique d’exprimer une conscience éthico-durable de la Nature. Dans ces mêmes années 70, l’artiste Gilda Thebaud Nassief a influencé les artistes dominicais par ses choix de racines africaines mises en valeur. Rares étaient les professeurs d’art à cette époque à la Dominique ; beaucoup d’artistes sont alors autodidactes. Les arts s’entremêlaient au politique comme chez Christian George20, artiste rasta militant.

Marvin Fabien s’inscrit-il dans cet héritage d’artistes engagés, bivalents ? Propose-t-il un art de la contestation ? Pas directement, l’époque est en effet autre. Son art n’en demeure pas moins identitairement rhizomique et « mangrovien » par son substrat aqueux. Il participe à la conscientisation de nos dérives actuelles en passant par les corps et corpuscules.

Marvin Fabien a choisi en tous les cas d’étudier l’approche d’Alwin Bully reliant corps, lieu et mémoire :

Note de bas de page 21 :

Marvin Fabien, « La figure du dictateur dénoncée : art et politique dans les années 1970 à la Dominique (Petites Antilles) », Études caribéennes, op. cit.

Pour Alwin Bully, le lieu est habité par des corps sensibles et libres et tout corps sensible représente un lieu à explorer, un lieu de mémoire. Les œuvres d’Alwin Bully portent des fragments du lieu et des résidus d’un temps vécu21.

Les corps chez Marvin Fabien sont-ils des lieux de mémoire ? Et de quelle mémoire ? Nous propose-t-il de réhabiter nos corps caribéens ? Et comment ?

Pour mieux comprendre la démarche fabienne, écoutons ce que Marvin Fabien nous dit lui-même à propos de l’importance de la performance en ce qu’elle constitue une :

Note de bas de page 22 :

Marvin Fabien, « Festival International d’Art Performance (FIAP) 2017. La projection multiple de l’œuvre en action : la place des nouveaux médias dans l’art de la performance », Recherches en Esthétique – Art et action, Revue du CEREAP-CRILLASH, n° 23, janvier 2018, p. 193- 203 (p. 193).

pratique artistique peu connue et peu pratiquée par les artistes caribéens, (qui) définit un acte qui réunit pratiques artistiques dans une forme d’évènementiel, où le corps de l’artiste est le support de la communication de l’œuvre. Cette pratique hétéroclite issue d’une symbiose de pratiques et d’outils artistiques très accessibles de nos jours semble être véhiculée et valorisée grâce aux outils numériques22.

Forme éphémère, expérience évolutive, en cours devant des spectateurs, Marvin Fabien affirme également, toujours dans cet article de la Revue en Esthétique, l’importance du véhicule du corps dans la Caraïbe :

Note de bas de page 23 :

Op. cit., p. 197.

Le corps semble être le matériau qui construit l’imaginaire de l’espace caribéen. D’une part, il est le support sur lequel et avec lequel la mémoire est archivée. D’autre part, le corps est un poids, marqué par l’histoire de l’esclavage, mais qui pourtant ne cesse de s’inventer pour trouver un accord avec son lieu et son histoire23.

Naked Light (Performance Digitale FIAP 2017)

Naked Light (Performance Digitale FIAP 2017)

Ainsi, dans Naked Light 2017, Marvin Fabien propose de voir le corps dans une partie physique (corps réel) et une autre numérique (corps avatar), modifiée par les sons de la guitare portée par le corps physique. Les spectateurs filment et photographient et ce faisant deviennent des acteurs en une réception évolutive de l’œuvre. Malgré l’absence d’eau H20, il y a toujours une FLUIDITÉ : celle des flux internet et des flux de lumière et de sons qui rappelle la matière matricielle fabienne. Corps et attributs digitaux ne font-ils pas alors émerger de nouvelles identités immergées et, pour le moins, ne proposent-ils pas de prendre conscience d’ubiquités fragmentées, à ar(T)chipéliser ? À construire en synergie avec le spectateur, ce qui propose une relation au monde multi-interrogée depuis la Caraïbe.

Note de bas de page 24 :

Op. cit., p. 198.

Performeur, Marvin Fabien se demande si ce corps est connecté à d’autres corps24 et répond :

Note de bas de page 25 :

Idem.

Il est intéressant de concevoir le corps d’un performeur en action comme l’accumulation de plusieurs éléments : émotion, ethnie, lieu, culture, langue, parmi d’autres. De ce fait, dans un acte performatif, le performeur cherche en lui un autre corps, c’est-à-dire un corps performatif. La disposition de ce nouveau corps correspond à la tentation de renouer des liens et de communiquer avec le corps du spectateur, lui-même connecté à d’autres corps par l’intermédiaire d’Internet25.

Photo Pascal Bernier (Miami,2017) Lest We Forget (Performance multi-sensorielle de Marvin Fabien et Nyugen Smith. Présentée au Prizm Art Fair 2017 - Miami Meca Art Fair 2018 - Puerto Rico et Fiap 2019 – Martinique)

Photo Pascal Bernier (Miami,2017) Lest We Forget (Performance multi-sensorielle de Marvin Fabien et Nyugen Smith. Présentée au Prizm Art Fair 2017 - Miami Meca Art Fair 2018 - Puerto Rico et Fiap 2019 – Martinique)

Note de bas de page 26 :

https://www.youtube.com/watch?v=u57n6DKhhq4, consulté le 18 avril 2020.

Note de bas de page 27 :

Voir par exemple l’article de Maurizio Lazzarato, « Du biopouvoir à la biopolitique », Multitudes 1, mars 2000, https://www.multitudes.net/Du-biopouvoir-a-la-biopolitique/, consulté le 15 avril 2020.

Note de bas de page 28 :

Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale », Conférence prononcée dans le cadre du cours de médecine sociale à l’Université de Rio de Janeiro, octobre 1974, Revista centroamericana de Ciencias de la Salud, n°6, janvier-avril 1977, p. 89-108, in Dits et écrits, n°196, Gallimard, 2004, tome II, p. 207-228 (p. 209-210).

Cette performance26 est à lier à la conception du biopolitique de Michel Foucault27, car elle interroge le corps social et l’économie politique. La multiplicité des relations coextensives au corps social est rendue visible par des fils et des cordes qui sous-entendent autant de liens multimédias. Comme le rappelle Michel Foucault, « le corps est une réalité biopolitique »28  et le pouvoir coordonne et dans le même temps institutionnalise et stratifie. Il ressort combien une multitude de forces interagissent. Il s’agit donc d’envisager le pouvoir à partir de son action sur le milieu, sur ce qui nous permet de vivre, et pas directement à partir de son action sur les êtres humains. Cette « gouvernementalité » qui veut tout gérer a été théorisée par Michel Foucault.

Note de bas de page 29 :

https://www.nyugensmith.com/about, consulté le 18 avril 2020.

Note de bas de page 30 :

Michel Foucault, Dits et Écrits, IV, p. 729.

Ce sont ces dynamiques de rapports de commandement et d’obéissance que Marvin Fabien et Nyugen Smith29 mettent en exergue pour nous sensibiliser à ces questions inhérentes à nos sociétés. A l’instar de Foucault (puis de Deleuze et Guattari), ils nous rappellent qu’il y a des relations de pouvoir plutôt que du pouvoir en soi30. Marvin Fabien et Nyugen Smith dénoncent plus précisément dans cette performance collaborative et multisensorielle initiée en 2017 et reproduite en 2018 et 2019 (est-bien cela ? MF : Oui), preuve que cela leur tient à cœur, les stratégies gouvernementales des chefs d’État caribéens comme les Premiers ministres de Barbuda et de la Dominique : Gordon Browne et Roosevelt Skeritt qui présentèrent aux Nations Unies en 2017 leur critique des choix occidentaux quant au climat entraînant notamment des dommages économiques, mais aussi physico-psychiques si visibles lors du passage des ouragans meurtriers Maria et Irma. Marvin Fabien et Nyugen Smith se mettent littéralement dans la peau de ces politiques en ayant revêtu un costume cravate, ironiquement fabriqué en bâche, ces mêmes bâches qui servent aux victimes de ces cyclones à se protéger une fois leur toit envolé. De par cette « peau » ajoutée, ces artistes peuvent dire à la fois les figures politiques et les douleurs des victimes comme l’explique Marvin Fabien :

Note de bas de page 31 :

Information fournie par Marvin Fabien.

Dans ce travail, les artistes se mettent à l’épreuve en attachant des cordes à leurs costumes, qui sont donnés aux spectateurs alors qu’ils essayent de bouger. Leurs actes semblent être une métaphorisation de la rencontre entre le cyclone et les victimes. Ils se mettent à la fois dans la peau des représentants de ces nations en s’habillant en costumes formels mais en même temps dans la peau des victimes à travers leurs costumes fabriqués avec des bâches, un outil indispensable après le cyclone et une matière devenue alors symbole de « l’après désastre »31.

En somme, il s’agit d’inviter à trouver une façon d’agir, un mode de résistance (de « libération » ?) face à l’échec des gouvernants à limiter les changements climatiques ; résistance qui passe par la création et non la seule négation ou dénégation, ce qui rejoint tout à fait le positionnement de Michel Foucault qui dans une interview (1984) proposait son point de vue quant au lien entre résistance et création :

– C’est seulement en termes de négation qu’on a conceptualisé la résistance. Telle que vous la comprenez, cependant, la résistance n’est pas uniquement une négation : elle est processus de création ; créer et recréer, transformer la situation, participer activement au processus, c’est cela résister.

Note de bas de page 32 :

Michel Foucault, Dits et Écrits, IV, p. 741.

– Oui, c’est ainsi que je définirais les choses. Dire non, constitue la forme minimale de résistance. Mais naturellement, à certains moments, c’est très important. Il faut dire non et faire de ce non une forme de résistance décisive32.

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Pour citer ce document

Bertin-Elisabeth, C. (2023). 4- Corps : mater-i-eaux de l’imaginaire caribéen. Dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Université de Limoges. https://doi.org/10.25965/ebooks.301

Bertin-Elisabeth, Cécile. « 4- Corps : mater-i-eaux de l’imaginaire caribéen ». L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE. Limoges : Université de Limoges, 2023. Web. https://doi.org/10.25965/ebooks.301

Bertin-Elisabeth Cécile, « 4- Corps : mater-i-eaux de l’imaginaire caribéen » dans L’art mangrove caribéen : DLO*PIE BWA*EN-VILLE, Limoges, Université de Limoges, 2023, p. 42-47

Auteur

Cécile Bertin-Elisabeth
Agrégée d’espagnol et professeure des universités à Limoges (EHIC) où elle a co-créé la revue FLAMME, Cécile BERTIN-ELISABETH a œuvré pendant plus d’une vingtaine d’années au sein de l’université des Antilles(-Guyane) au développement de la recherche entre mondes américano-caraïbes et Europe, à la reconnaissance de l’apport de la pensée d’Édouard Glissant et à son inscription dans les enseignements universitaires ainsi qu’au développement de nouvelles formations comme le Master Arts caribéens, la licence d’Art et le Master Études culturelles. Spécialiste de la représentation des Noir·e·s et des picaro·a·s et des questions de marginalisation et de transferts culturels, elle a écrit et dirigé différents ouvrages sur le patrimoine artistique, historique et littéraire de la Martinique et de la Caraïbe comme Le grand livre de ma commune mon histoire, vol. I : Le sud de la Martinique, Orphie-Canopé Éditions, 2017, avec Léo ELISABETH ;  Histoire et mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions en Normandie – Libres de couleur, n° 8, Hommage à Léo ELISABETH, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, février 2019, avec Érick NOËL ;  Zobel’ ami – Lettres de Joseph Zobel, Éditions Ibis Rouge, 2020 ; L’Atlantique, machine à rêves ou cauchemar sans trêve ?, La Crèche, Presses Universitaires de Nouvelle Aquitaine, La Geste, 2021, avec Érick Noël ; Méditerranée-Caraïbe. Deux archipélités de pensées ?, Garnier, 2022, avec Franck COLLIN et  L’œuvre de Raphaël Confiant avant et après L’Éloge de la créolité, Scitep Éditions, 2023, avec Patricia CONFLON et Corinne MENCÉ-CASTER.
EHIC – Université de Limoges
cecile.bertin@unilim.fr
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