Pascal Plas : l’observateur

Pascal Plas est spécialisé en histoire, histoire du droit et science politique. Il  dirige l’Institut international de recherche sur la conflictualité (IiRCO) adossé à l’Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques (OMIJ). Il nous parle de ses recherches et de sa vision de la justice.

Sur quoi portent vos recherches ?

Je développe un programme de recherche, en lien avec les juridictions pénales internationales, les ONG et différents organismes onusiens. Je travaille sur la répression des crimes de guerre, du génocide et des crimes contre l’humanité, à partir des archives des tribunaux post-conflictuels (nationaux et internationaux), des textes et rapports d’expertise du Conseil de l’Europe et des Nations Unies pour les zones post-conflictuelles. En second lieu, j’analyse les processus transitionnels à travers les process de réconciliation et de réorganisation de la justice.

Votre institut abrite également un centre d’archives internationales ?

Nous récupérons des archives des tribunaux pénaux internationaux, de l’ONU, des archives privées ou issues d’ONG. Nous les indexons de façon à les rendre accessibles et lisibles pour les mettre à disposition des chercheurs.

Le ministère de la Défense, et le ministère des Affaires étrangères soutiennent nos travaux. Nous avons des correspondants dans plusieurs pays qui abondent notre base documentaire. Nous avons des collaborations en Belgique, en Afrique, au Chili, en Asie, etc.

Votre recherche est très pluridisciplinaire.

Oui, pour analyser les processus de justice nous travaillons avec des sociologues, des anthropologues, des linguistes, des juristes, des psychanalystes, des journalistes, des enquêteurs, des médecins…

Vous menez des études comparatives sur la manière dont la justice est rendue à travers le monde. Quelles sont les procédures judiciaires qui vous ont le plus interloqué ?

Interloqué pas vraiment mais interrogé plutôt.  Sur les conséquences de la mise en œuvre de tel ou tel système judiciaire par exemple en particulier pour les victimes. Dans le système anglo-saxon, l’interrogatoire des victimes est très directif (qu’il s’agisse du procureur ou de la défense) ; les victimes ne peuvent pas développer leur récit. Elles sont souvent désarçonnées et finissent par se dire que la justice ne les écoute pas. Dans notre système romano-germanique, on laisse beaucoup plus de place à la parole des victimes ; c’est, je pense, beaucoup plus réparateur pour elles.

Quid du retour de la justice traditionnelle ?

On assiste effectivement à un retour de la justice traditionnelle sous différentes formes dans un certain nombre de pays du continent africain ; l’Ordalie par exemple  est encore pratiquée : pour établir l’innocence ou la culpabilité de l’accusé on confie le jugement à des puissances surnaturelles, avec une épreuve physique comme moyen de départager. Par exemple, l’accusé doit plonger sa main dans de l’huile bouillante, après différents processus souvent complexes, il est considéré coupable ou innocent.

Vous avez été retenu par le ministère de la Justice pour réaliser une expertise sur les procès des attentats terroristes (Bataclan, Charlie Hebdo, Nice, etc).

Oui. Dans le cadre d’un programme de recherche inter universitaire, j’ai constitué un consortium de 25 collaborateurs, pour mener, pendant 3 ans, une étude comparative. Nous assistons aux procès, nous récupérons les archives. Nous interrogeons les acteurs (magistrats, avocats, victimes, journalistes), pour faire une analyse complète de comment les procès se déroulent et comment ils sont perçus. Nous faisons également une étude comparative avec des procès terroristes ayant eu lieu en Belgique et en Espagne.

Nous collaborons avec l’INA et la BNF qui collectent les tweets et tout ce qui paraît dans les médias numériques pour essayer de comprendre la réception de la justice à travers les réseaux sociaux et la toile par le grand public.

Comment se passent les procès ? Y a-t-il une ambiance particulière ?

C’est une justice exceptionnelle par les moyens qui sont mis en œuvre, les locaux, le nombre de participants. Il a fallu construire des salles spécialisées avec du matériel de retransmission de pointe, mettre en place des canaux de diffusion spéciaux pour ceux qui ne peuvent pas se rendre aux procès. Il y a de grands moments d’émotion dans ces procès, le président du tribunal laisse beaucoup de place aux victimes pour qu’elles puissent s’exprimer ce qui contribue à leur reconstruction. Précisons enfin que les jurés sont remplacés par des professionnels, des  citoyens tirés au sort seraient trop difficiles à protéger.

Quid des accusés ?

Les principaux auteurs ne sont pas là. Ils sont morts dans la plupart des cas ou en fuite. On se retrouve plutôt avec des complices plus ou moins proches. Cela créée souvent du désarroi chez les victimes : elles attendent des réponses à leurs questions, or les gens qui sont dans le box des accusés n’ont pas les réponses.

Après avoir étudié toutes les typologies de justice, pour vous, quelle est la meilleure méthodologie pour rendre la justice ?

Toutes les formes ont un intérêt. Le tout c’est d’arriver à les adapter aux demandeurs. Une bonne justice est une justice qui permet une réparation adéquate, c’est-à-dire pas seulement matérielle, mais qui favorise une reconstruction après les souffrances endurées.

Propos recueillis par Diane Daïan