Pratiques sémiotiques et isocinétisme en MPR

Jean-Michel Wirotius 

https://doi.org/10.25965/visible.379

Sommaire
Texte intégral
Note de bas de page 1 :

Le mot de « sémiologie » correspond ici non pas à une prise de position sur le couple sémiologie – sémiotique mais à l’usage commun du mot sémiologie en médecine pour décrire la « science des signes et des symptômes » utilisé dans le discours des professionnels de santé.

Note de bas de page 2 :

Centro Internazionale di Semiotica e Linguistica. Università degli Studi di Urbino « Carlo BO ».

Notre travail en sémiotique porte sur l’identification et la description dans la langue des systèmes de signification qui ont cours dans le champ du handicap et de la rééducation. « Handicap » et « rééducation » renvoient au sens commun et leur reconstruction dans un champ scientifique et sémiotique propose un long chemin à parcourir pour ceux qui en acceptent le défi. L’objectif est de décrire la sémiologie1 en rééducation comme est décrite la sémiologie en cardiologie, en gastro-entérologie, dans tous les autres champs de la médecine. Il s’agit d’un travail exploratoire et nous proposons ici de rendre compte de l’application des premiers résultats de ces recherches sémiologiques sur un sujet singulier : l’isocinétisme. Ce choix de l’isocinétisme tient à ce qu’il s’agit d’une technique d’évaluation de la force musculaire utilisée en rééducation et d’une pratique d’imagerie. L’imagerie scientifique a été le thème des rencontres sémiotiques d’Urbino en Italie2 lors de l’été 2007.

Notre lieu d’observation et d’études est constitué par les unités de Médecine Physique et de Réadaptation qui représentent le champ de la santé dédié aux soins des personnes handicapées. Le handicap est en pont entre deux champs de pratiques qui sont en France totalement disjoints sur les plans budgétaires et statutaires : le milieu de la santé (hôpitaux, cliniques, centres de rééducation, …) et le milieu social.

Note de bas de page 3 :

Edeline F., Klinkenberg JM. : « Voir percevoir concevoir. Du sensoriel au catégoriel », in Ateliers de sémiotique visuelle, Hénault A. et Beyaert A., Paris, PUF, 2004, pp. 65-82.

La singularité du champ du handicap par rapport à celui de la maladie est depuis 25 ans un thème développé par l’Organisation Mondiale de la Santé qui propose la mise en place d’une classification internationale des handicaps en parallèle à la classification internationale des maladies. La catégorie comme synonyme de sens3 nous invite à la recherche du parcours de la signification qui conduit du sensoriel au catégoriel. Pourtant si à la classification internationale des maladies correspond une « sémiologie » médicale écrite et enseignée, il n’y a encore rien de comparable pour le handicap. La « sémiologie » des handicaps est en construction, difficile à mettre en mots et décrite comme un discours du corps se déployant dans le temps et l’espace. Les premiers résultats de ces recherches permettent de contraster les deux registres de la maladie et du handicap sur le plan de la « sémiologie » et de questionner les propositions de catégorisation.

Nous proposons d’examiner du point de vue sémiotique ces pratiques qui médiatisent le corps dans le champ du handicap. Quelle place ont-ils, dans quels types de fonctions ont-ils leur place ? Et lorsqu’ils existent sont-ils inclus de façon complète dans la sémiotique du handicap.

C’est l’occasion d’analyser la question de l’imagerie de façon générale en MPR où les examens complémentaires restent marginaux par rapport au plan clinique, à l’observation du corps. En rééducation, la clinique reste reine par rapport aux examens complémentaires, radiographiques, biologiques, qui sont ici en retrait.

Pour illustrer cette approche de l’imagerie en MPR nous proposons une lecture des examens médicaux médiatisés (imagerie, etc.) selon les deux schémas sémiotiques, celui de la médecine et celui du handicap, celui de la sémiologie diagnostique qui permet l’accès à la catégorisation des maladies et celui de la sémiologie fonctionnelle qui donne accès au champ du handicap.

Nous centrons notre propos sur une technique d’évaluation du mouvement nommé l’isocinétisme. Le mouvement volontaire d’un bras, d’une jambe, du tronc est enregistré, via un dynamomètre assisté par ordinateur qui asservit la vitesse. L’action est lancée dans une intensité maximale et vient buter sur la vitesse contrainte imposée par le programme. Les résultats de ces efforts physiques maximaux sont proposés sous forme de chiffres, de courbes et de diagrammes. Est-ce de la « sémiologie » médicale allant vers la catégorisation en termes de maladie ? Est-ce de la « sémiologie » rééducative allant vers la catégorisation des handicaps ? L’isocinétisme est utilisée pour l’évaluation et elle est proposée comme technique de rééducation de la force musculaire déficiente.

Note de bas de page 4 :

C’est-à-dire : faut-il en proposer le remboursement par les assurances qui couvrent le risque maladie ?

Cette réflexion sur la pratique de l’isocinétisme est légitime car cette procédure d’analyse de la force musculaire est questionnée sur le plan de ses risques (mécanique, cardio-vasculaire) et de ses apports à la clinique des maladies comme à celle des handicaps, de sa justification médico-économique4. Est-elle sans risque et est-elle utile ?

L’isocinétisme est une technique très valorisée mais dont la légitimité est discutée. La sémiotique peut-elle aider à comprendre le ressenti de cette ambiguïté ? Cette pratique n’a pas de caractère indispensable : toutes les unités de MPR ne disposent pas de cette technique qui est très inégalement répartit dans les milieux professionnels.

L’isocinétisme est-elle en médecine (diagnostique, thérapeutique) ou en rééducation : l’approche sémiologique peut nous aider à faire la part des deux possibilités. Est-ce de la sémiologie médicale ou de la sémiologie rééducative ? L’analyse de l’isocinétisme doit se faire selon les deux principes, selon les deux sémiotiques professionnelles.

Quelle place a la sémiologie en isocinétisme : comment fonctionne la sémiologie « isocinétique » : est-elle de la sémiologie médicale, est-elle de la sémiologie MPR ? ou encore, est-elle ailleurs ?

1. La médecine physique et de réadaptation

Le développement dans les différents pays d’une approche médicale du handicap se construit avec difficulté dans le champ de la santé. Cette préoccupation du champ de la santé, du champ sanitaire, pour la question du handicap est assez récente et dans tous les pays et date de moins d’un siècle. Auparavant, la question du handicap était renvoyée à la solidarité, aux mécanismes d’entre-aide, à une gestion politique, mais la médecine n’avait pas de visée ni de prise sur ces questions.

En Italie, l’Université de Bologne va fêter le 50ème anniversaire de la formation des médecins spécialistes de ce domaine. Le 35ème congrès national de la SIMFER (Società Italiana di Medicina Fisica e Riabilitativa) s’est déroulé à San Benedetto del Tronto du 10 au 13 octobre 2007. En France cette spécialité a débuté sur le plan académique en mars 1968 avec la création de la chaire de rééducation motrice par André Grossiord.

Figure 1 : Les deux sémiosphères5 médicale et rééducative et leur intersection

Note de bas de page 5 :

Lotman Y., La sémiosphère, Limoges, Pulim, 1999.

Figure 1 : Les deux sémiosphères5 médicale et rééducative et leur intersection

La singularité de la rééducation (de la MPR) est d’avoir un double système de signes à gérer : d’une part celui de la sémiologie médicale qui implique ses propres schémas diagnostiques et thérapeutiques et d’autre par la sémiologie rééducative qui est dans un autre champ d’application des soins.

Note de bas de page 6 :

Pour une analyse des notions de limites, seuil, concession, implication, survenir, parvenir, voir Zilberberg C : Eléments de grammaire tensive, Limoges, Pulim, 2006.

SEMIOSPHERE MEDICALE

SEMIOSPHERE REEDUCATIVE

La forme du corps (dichotomie forme / contenu)

Force (Travail)

Fonction

Faire

Faire-faire

Interventions

Activités

Limites

Seuils6

Concession

Implication

Survenir

Parvenir

Tableau 1 : Les deux logiques des soins selon les deux sémiosphères médicales et rééducatives

L’isocinétisme propose sa contribution dans le cadre de la logique médicale de la rééducation. Cette approche est centrée sur la « force » comme analyse puis comme réponse à une anomalie de la forme du corps. Cette forme est à concevoir dans sa permanence au moins immédiate avec son enveloppe et son aura. Cette technique isocinétique balance entre le « faire » (un intervenant est là pour faire cet enregistrement) et le « faire-faire » pour sa réalisation (c’est le sujet qui déployant sa force sur les incitations du professionnel réalise cette épreuve). L’intervenant, le professionnel « fait » l’examen, en ce sens que c’est lui qui maîtrise le calendrier, l’installation, la réalisation, les incitations pour faire produire au mieux les efforts durant le test, mais c’est le sujet qui fait l’action, qui déploie le mouvement. C’est lui qui développe au mieux sa force, en sachant qu’il fait partie de la philosophie du test que la marge de manœuvre du sujet acteur de l’effort soit réduite. Il doit faire au mieux de son possible sinon cela apparaît à l’enregistrement et l’interprétation sera celle d’une contribution imparfaite à l’examen.

La figure met en scène la co-présence des schémas médicaux et rééducatifs avec l’imbrication des deux champs sémiotiques dans ce champ de la santé. La MPR, dans son image première, gère plutôt des pertes corporelles et elle est surtout présente dans le champ du manque, plutôt que dans celui des excès. Pour l’isocinétisme c’est le manque de force musculaire par exemple pour les muscles qui font l’extension et la flexion du genou. Dans le champ des excès, c’est par exemple les excès de troubles du comportement qui peuvent franchir des limites pour les équipes soignantes (une agitation excessive dans le contexte de lésions cérébrales ischémiques, traumatiques) et revenir alors dans les schémas médicaux. Les indicateurs les plus communs utilisés en MPR sont pertinents dans la zone des manques lorsqu’apparaît la nécessité de faire tout ou partie des actes à visée corporelle à la place du sujet. Le sujet a besoin d’aide pour se laver, pour manger, etc. Ce sont les indicateurs d’incapacités fonctionnelles utilisés de façon extensive en MPR dans le monde comme l’index de Barthel et la Mesure d’Indépendance Fonctionnelle. Les limites encadrent la zone clinique qui voit coexister le faire et le faire-faire chez un même sujet pour les activités de base de la vie quotidienne. A un bout de la chaîne, le sujet fait tout, tout seul (se laver, s’habiller, se déplacer, etc.) et à l’autre bout, le sujet ne fait rien tout seul. Cette dernière situation si elle est en nombre à un moment donné dans l’unité de soins (c’est-à-dire que de nombreux patients ont peu d’autonomie personnelle) et si elle est durable (avec une charge de travail majorée pour l’équipe soignante) va induire une demande d’intervention médicale pour exclure toute nouvelle entrée de sujets trop gravement handicapés dans le service d’hospitalisation.

Figure 2 : La co-présence des schémas médicaux et rééducatifs en MPR7

Note de bas de page 7 :

Pour une analyse des notions de « seuils et de limites » voir C. Zilberberg : « Seuils, limites, valeurs » in Questions de Sémiotique, sous la direction de A. Hénault, Paris, PUF, pp. 343-360.

Figure 2 : La co-présence des schémas médicaux et rééducatifs en MPR7

[Barthel : Index de Barthel ; MIF : Mesure d’Indépendance Fonctionnelle : ces indicateurs évaluent les capacités d’un sujet à faire seul ou avec aide les activités de la vie quotidienne, comme se laver, s’habiller, manger, …]

2. L’imagerie en MPR parmi les examens complémentaires

La médecine sépare de façon commune les examens dits cliniques qui supposent la présence immédiate du corps (le corps est vu, entendu, touché, etc.) et les examens para cliniques qui médiatisent le corps. Ce sont par exemple, les examens radiologiques, et biologiques.

Ils sont utilisés en MPR dans la sémiosphère médicale et aussi dans la sémiosphère rééducative. C’est le cas du suivi lésionnel (la cause du handicap), des cascades lésionnelles (une première lésion en provoque une seconde, puis la seconde une troisième, etc.), des situations de rééducation où une technique vaut pour une médication, de la gestion des excès, et des analyses fonctionnelles de l’équilibre, de la marche, de la déglutition, de la miction, etc.

Les examens complémentaires sont sollicités pour le suivi :

A - des lésions corporelles (1) responsables du handicap, par exemple les lésions cérébrales ou osseuses, etc. (2) de leurs causes (un diabète, etc.), (3) pour la recherche de conséquences en cascades. C’est l’effet de spirale des conséquences négatives, par exemple une paralysie responsable d’une perte de mobilité et de sensibilité qui peuvent entraîner une escarre, une phlébite, une embolie pulmonaire) ;

B – des niveaux fonctionnels dans le cadre de la clinique ou dans celui de la recherche. Cinq fonctions sont analysées de façon usuelle en rééducation : (1) les fonctions fondamentales : les explorations concernent les fonctions dites fondamentales, comme la miction, la déglutition, la respiration, etc. ; (2) les fonctions motrices (marche, gestes, …) ; (3) les fonctions cognitives (langage, mémoire, attention, …) ; (4) les fonctions émotionnelles (humeur, etc.) ; (5) les fonctions sensorielles (vision, audition, etc.).

LES FONCTIONS

IMAGERIE

PHYSIOLOGIE

BIOLOGIE

F MOTRICES

++

++

+

F COGNITIVES

+

+

+

F FONDAMENTALES

+++

+++

+++

F EMOTIONNELLES

F SENSORIELLES

+

++

Tableau 2 : Les différentes fonctions en rééducation et l’importance des examens complémentaires notée de 1 (+) à 3 (+++)

[Les fonctions motrices : l’équilibre, la marche, les gestes, etc. ; les fonctions cognitives : mémoire, langage, attention, etc. ; les fonctions fondamentales : déglutition, miction, nutrition, etc. ; les fonctions émotionnelles : anxiété, dépression, etc. : les fonctions sensorielles : vision, audition, etc.].

C – De la biologie : les bilans sont le plus souvent des examens dits de base, ceux qui témoignent d’un suivi des constantes métaboliques, sanguines usuelles, mais sont aussi sollicités pour le champ nutritionnel, infectieux, endocrinien.

Cette panoplie d’examens est en toile de fond pour les schémas médicaux qui sont présents en rééducation, et de façon plus marginale pour les schémas rééducatifs.

3. La place des enregistrements de la force musculaire en rééducation

La « force » est l’un des emblèmes du champ de la rééducation. La récupération quantitative de la force musculaire est l’une des cibles communément attendue en rééducation pour compenser les manques physiques ressentis.

Pour celui qui voit son corps se modifier après un accident, une maladie et changer de « forme », le désir de récupérer les formes perdues en recourant à la force et à son déploiement dans le temps (le travail) est une approche souhaitée par les personnes soignées. La « fonte » musculaire, est une métaphore commune pour traduire cette modification perçue de l’enveloppe corporelle et son interprétation en termes de manques.

Figure 3 : Les origines des arthromoteurs en MPR8

Note de bas de page 8 :

Wirotius JM., « Histoire de la rééducation », Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Elsevier, Paris, Médecine Physique - Réadaptation, 1999, 26-005-A-10, 25p.

Figure 3 : Les origines des arthromoteurs en MPR8

L’usage d’une technique d’enregistrement de la force musculaire en rééducation n’est pas récent car la force est une donnée physique connue de longue date et qui offre un possible accès à la mesure. L’enregistrement instrumental de la force musculaire a donné lieu à des développements théoriques importants entre les deux guerres mais ces approches ont été marginalisées au profit des mesures cliniques. Le retour en grâce de ces matériels d’enregistrement est récent avec l’apparition de l’isocinétisme.

4. La technique isocinétique

L’isocinétisme est une technique de mesure de la force segmentaire et est aussi une technique de renforcement musculaire. Une sorte de tradition dans ce champ de la santé où les techniques d’amélioration de la force musculaire ont longtemps représentés l’essentiel des pratiques théorisées et enseignées. Cette pratique trouvait naturellement sa place dans les soins de rééducation. L’évaluation comme la récupération de la force musculaire sont des repères toujours à la surface des préoccupations communes de la réadaptation.

4.1 Des caractéristiques singulières :

L’isocinétisme est située dans la filiation des arthromoteurs qui ont été tour à tour dans l’histoire de la rééducation encensés puis décriés, puis de nouveau acceptés et valorisés, L’isocinétisme dont les débuts dans les années 60 sont attribués à James Perrine aux USA, va se développer en France à partir des années 80, avec un déploiement plus important depuis 15 ans. A Brive, nous l’utilisons depuis 1997.

Note de bas de page 9 :

La manœuvre de Valsalva consiste à effectuer une expiration forcée à glotte fermée pour rigidifier le tronc et faciliter les mouvements en force.

Note de bas de page 10 :

Yoon Tae-Sik, Jang Byung-Hong : Comparison of exercise indexes between repeated 1-leg knee extension-flexion exercise using isokinetic dynamometer and treadmill exercise. 2006 Academy Annual Assembly Abstracts. Archives of Physical Medicine and Rehabilitation Medicine Vol 87, Nov 2006, E10.

L’isocinétisme fait craindre la survenue lors de l’examen de troubles cardio-vasculaires liés aux efforts courts mais violents réalisés lors des enregistrements. L’effort physique est maximal et se réalise le plus souvent en apnée dans une situation proche de la manœuvre dite de Valsalva9. Cet état modifie les paramètres tensionnels et rythmiques cardiaques. Cette technique est d’ailleurs pour certaines équipes de rééducation utilisée comme un équivalent d’une épreuve cardiaque d’effort10.

L’ensemble de l’appareil d’isocinétisme est constitué d’un siège, d’un dynamomètre et d’un ordinateur. Il nécessite par son encombrement une pièce dédiée, d’autant que l’intensité de l’effort suppose un volume d’air ambiant suffisant.

Les matériels sont des dynamomètres assistés par ordinateur qui enregistrent la force musculaire maximale d’un segment de membre. Le mouvement est bloqué à une vitesse articulaire prédéterminée par l’opérateur : le sujet cherche à rattraper la vitesse imposée et vient s’y caler pour poursuivre son mouvement.

Les courbes sont visualisées au moment de l’effort sur l’écran de l’ordinateur puis sont mémorisées et transférées secondairement sur papier.

Figure 4 : Le matériel d’isocinétisme avec l’assise et le dynamomètre assisté par ordinateur

Figure 4 : Le matériel d’isocinétisme avec l’assise et le dynamomètre assisté par ordinateur

4.2 Une image professionnelle favorable

L’isocinétisme est parée en rééducation de vertus favorables : elle est originaire des USA et a été valorisée à ses origines par son utilisation dans la recherche spatiale. Cette technique sera utilisée lors des missions Skylab (14 mai 1973 – 11 juillet 1979) et cette aventure spatiale liée à l’isocinétisme va concerner trois équipages de trois membres pour des missions de 28, 59 et 84 jours. Il s’agissait alors de mesurer le retentissement de l’apesanteur sur les fonctions motrices des astronautes après leur retour sur terre.

Elle utilise un support informatique et fournit des données chiffrées et des schémas dans un registre des soins, celui de la rééducation, orphelin sur le plan des mesures, des procédures d’évaluation.

Elle est coûteuse à l’achat et en temps nécessaire à sa mise en œuvre. Le coût n’est pas sans importance dans l’échelle des valeurs en médecine.

Elle est centrée sur la « force musculaire » emblème pour le sens commun des capacités fonctionnelles.

Cette technique qui associe une mesure de la force musculaire maximale et un type d’exercices musculaires bénéficie d’un intérêt particulier dans notre spécialité médicale : des livres, des revues, des articles lui sont consacrés. Il existe aussi des groupes de travail réunis en association avec des rencontres régulières. La dynamique dans cette pratique est volontiers soutenue par les fabricants et revendeurs de matériels qui s’associent à des journées de formation.

Figure 5 : Exemple de documents de synthèse sur l’isocinétisme en rééducation

Figure 5 : Exemple de documents de synthèse sur l’isocinétisme en rééducation

Toutes ces considérations ont fait accepter cette technique en MPR avec un développement non négligeable dans les unités de soins en nombre de matériels installés. On estime le nombre de matériels isocinétiques dans les unités de MPR en France à plus de 200.

Figure 6 : Les matériels d’isocinétisme en 2001 (Nombre d’appareils disponibles dans divers pays selon l’ANAES devenue l’HAS)

Figure 6 : Les matériels d’isocinétisme en 2001
(Nombre d’appareils disponibles dans divers pays selon l’ANAES devenue l’HAS)

Les matériels d’isocinétisme sont répartis de façon inégale selon les pays et dans un même pays selon les régions. Ce matériel est considéré comme un atout de qualité mais dont on peut se passer au quotidien.

4.3 Des interrogations

Pourtant quelques points interrogent les professionnels :

  • Il n’y a pas de normes reconnues pour un outil de mesures qui se veut rigoureux. Aucune référence à des chiffres normés dans une population de référence n’est disponible auprès des constructeurs.

  • Le matériel reconnu comme très fiable et très solide a un devenir incertain sur le plan commercial. La marque principalement représentée en France a disparu dans l’une des tourmentes financières survenue USA ces dernières années.

  • Les actes réalisés ne pouvaient recevoir de cotation de remboursement auprès des organismes de sécurité sociale. N’avaient-ils alors pas de valeurs ?

Figure 7 : La Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM)

Figure 7 : La Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM)

Le bilan isocinétique est mentionné au niveau de la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) mais sans tarification. En pratique cela limite grandement ses possibilités de développement et témoigne du doute qui entoure l’intérêt de cette méthode d’évaluation et de renforcement musculaire. Cette classification est en constante évolution et rien n’est figé pour l’avenir.

4.4 La présentation graphique des résultats

Les résultats en isocinétisme sont présentés sur des documents imprimés avec des courbes, des histogrammes et des chiffres.

Le graphisme porte une part essentielle de l’information : les courbes sont lissées et ce sont les pics, les sommets qui disent l’importance des forces musculaires mises en jeu. L’essentiel de la lecture des résultats de l’isocinétisme est représenté par une courbe enveloppe qui pour une vitesse angulaire donnée représente la force maximale qui se déploie lors du mouvement. C’est ce que montre dans ses cadrans supérieurs gauche et droit la .

Figure 8 : Exemple de résultats graphiques d’un examen isocinétique du genou(en haut à gauche : l’extension du genou, en haut à droite : la flexion du genou)

Figure 8 : Exemple de résultats graphiques d’un examen isocinétique du genou
(en haut à gauche : l’extension du genou, en haut à droite : la flexion du genou)

Les différences intra–individuelles sont diverses : selon le moment de l’examen à un temps t1 puis plus tard à un moment t2, entre les côtés droit et gauche, entre les muscles agonistes et antagonistes, selon les vitesses angulaires imposées par la machine, selon la durée de l’épreuve (fatigabilité). Les différences inter-individuelles sont moins pertinentes en l’absence de normes et de correspondance complète entre les machines des divers fabriquants. On note alors les grandes tendances avec une interprétation de l’examinateur en termes de gradations et non de limites.

Lorsque l’on filme un examen isocinétique du genou, on observe l’interaction homme - machine avec l’intervention stimulante des professionnels qui encouragent « vigoureusement » le sujet pour optimiser ses performances. Ces incitations vocales à aller au maximum de ses possibilités, comme la rétroaction visuelle si la courbe qui se dessine sur l’écran de l’ordinateur est vue, ne sont pas présentes sur le document imprimé. Le document avec les résultats est la trace de l’expérience du moment de la passation mais l’expérience vécue et le document imprimé n’ont pas d’équivalence.

5. L’isocinétisme selon les sémiologies médicales et rééducatives

Nous avons analysé la pratique de l’isocinétisme selon le regard de la sémiologie des maladies (dite sémiologie médicale ou encore sémiologie diagnostique) ou celui de la sémiologie du handicap (rééducation). En effet cette pratique ne semble exister en pleine adhésion ni dans le champ da la médecine, ni dans le champ de la rééducation. Notre hypothèse est qu’elle n’est ni tout à fait de la sémiologie médicale, ni tout à fait de la sémiologie rééducative et que cette ambiguïté renvoie à ce positionnement encore incertain dans le champ de la santé. L’isocinétisme ne serait ni une technique totalement incluse dans les schémas médicaux, ni totalement incluse dans les schémas rééducatifs, ce qui pourrait expliquer son statut de technique identifiée, nommée mais non classée.

Cette approche qui enregistre des paramètres moteurs répond-elle aux schémas médicaux, c’est-à-dire donne-t-elle accès à des diagnostics appartenant à la Classification Internationale des Maladies, et ou cette technique est-elle dans le registre de la sémiologie rééducative et permet-elle d’éclairer le champ du handicap ?

Nous proposons de lire le positionnement de l’isocinétisme selon des critères qui opposent les deux types de sémiologie (médicale et rééducative) : (1) les unités signifiantes sont-elles des « signes » discontinus ou des plans gradués ? ; (2) le discours du corps est-il en jeu ? ; (3) la syntaxe modale a-t-elle une place essentielle ? ; (4) le schéma médical ou le schéma rééducatif (forme – fonction) est-il prédominant ; (5) la temporalité est-elle présente ?

5.1 Le continu et le discontinu

Les schémas médicaux fonctionnent sur la base de discontinuités, de signes discrets et de limites. Les schémas rééducatifs sont dans le registre du continu et des seuils (voir le Tableau 1 : Les deux logiques des soins selon les deux sémiosphères médicales et rééducatives).

L’isocinétisme propose des oppositions graduelles en intra-sujet : l’opposition entre des valeurs avant – après, des valeurs entre côté gauche et côté droit, des valeurs entre muscles agonistes et antagonistes (par exemple entre des muscles assurant la flexion et les autres l’extension). Ce sont des valeurs graduées sans identification d’unités minimales élémentaires sans effet de limites. Tout au plus a-t-on comme limite inférieure, le fait de pouvoir développer une force suffisante pour mettre en jeu le dynamomètre. En cela l’isocinétisme semble relever d’une logique tensive et graduée et alors être plus proche de la sémiologie rééducative que de la sémiologie médicale. Certaines (rares) discontinuités sont observables comme les ruptures de ligne (, voir le quadrant supérieur gauche) lorsque la vitesse du mouvement se trouve ralenti par une douleur sur une partie du mouvement comme dans les syndromes rotuliens au niveau du genou.

En isocinétisme, le sujet est sa propre référence. En effet, même si l’on retrouve des valeurs communes, des valeurs usuelles ou habituelles pour une équipe, elles n’ont pas valeur de normes et les fabricants de ces matériels ne proposent pas d’étalonnage. L’isocinétisme se réfère en pratique au quantitatif (mesurer une force maximale) plutôt qu’au qualitatif.

Ce qui fait sens est l’observation de différences de résultats pour un même sujet entre le côté droit et gauche, entre les ratios des muscles extenseurs et fléchisseurs, et dans une répétition des mesures dans le temps pour un même groupe musculaire. C’est ce que propose l’isocinétisme en traduisant la force musculaire en chiffres et en courbes, tant pour les pathologies neurologiques que pour les pathologies mécaniques.

5.2 La présence du corps

La sémiologie fonctionnelle conçoit le corps qui se déploie dans le temps et l’espace, comme un discours, là où la sémiologie diagnostique est un énoncé logique et intemporel.

Note de bas de page 11 :

Sicard D., La médecine sans le corps, Paris, Plon, 2002.

Le support du sens pour le handicap est constitué pour l’essentiel du discours du corps alors que les techniques médiatisées par l’imagerie médicale, par les examens biologiques, ou dans l’exemple que nous proposons d’analyser ici, par l’isocénétisme qui rend compte via un dynamomètre informatisé des capacités motrices, sont marginales. Cette singularité de la rééducation est remarquée dans le monde de la santé dans une évolution médicale, devenue selon la formule de Didier Sicard11, ancien Président du Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, « une médecine sans le corps ». Il faut entendre une médecine sans la médiation corporelle immédiate, sans la confrontation nécessaire au corps matière, alors que la rééducation conserve une sémiologie essentiellement alimentée par les perceptions sensorielles dans une présence.

Note de bas de page 12 :

Bertrand D., Sémiotique littéraire, in Questions Sémiotiques, A Hénault dir., Paris, PUF, 2002.

Les différents modes d’expressions en rééducation sont visuels, auditifs, olfactifs, gestuels, etc. La principale modalité est visuelle mais le corps est regardé, écouté, touché, senti, et c’est la totalité des sensations qui construit les significations en rééducation. Ces modes d’expression sont syncrétiques dans le sens où ils « délivrent simultanément un seul ensemble de significations12 ».

L’isocinétisme est très peu dépendante du contexte. Au contraire, on insiste sur sa grande reproductibilité. Le document imprimé peut prendre sens sans le sujet, même dans une version figée. Ici, pour l’isocinétisme, la présence du corps comme élément décisif de la sémiologie MPR n’est pas nécessaire. Les données sont médiatisées par les courbes et les chiffres, mais restent loin de la fonction. Nous sommes ici davantage dans le champ de la sémiologie médicale, dans un registre à priori décontextualisé qui pourra être reproduit de façon identique à un autre moment tout en permettant une comparaison.

5.3. La catégorisation

Notre propos concerne le handicap lorsque l’on contraste le handicap à la maladie. La maladie permet une autonomie d’analyse, de catégorisation. Le handicap ne peut se définir sans la maladie et reprend de fait dans son discours usuel les catégorisations médicales.

L’isocinétisme au niveau lésionnel a peu de place ou une place marginale. Il n’aucun apport dans les phases aiguës des affections traumatiques où l’examen est même contre indiqué, et de fait peu fiable lorsque des douleurs entravent la réalisation complète du mouvement. Il s’agit d’une technique réalisée à froid, loin de la pathologie aiguë. A distance d’un accident, il peut montrer des images évoquant un syndrome rotulien, mais il n’a pas de rôle dans le bilan lésionnel articulaire ou périarticulaire. Ainsi, au niveau des décisions thérapeutiques, l’isocinétisme n’a pas de positionnement dans le diagnostic des lésions osseuses, cartilagineuses, musculaires et n’apporte rien en termes de classification des maladies. L’isocinétisme n’intervient ni dans la nosographie, ni dans la nosologie. Il ne donne accès à une catégorisation ni en médecine, ni en MPR.

La prise de décision thérapeutique peut être modifiée par l’isocinétisme, mais de façon assez contingente. Elle intervient par exemple comme un élément de décision pour la date de reprise du sport, pour gérer le temps dans les soins en rééducation. Mais globalement, l’isocinétisme en médecine a peu de prise sur les décisions thérapeutiques.

L’isocinétisme intervient au niveau pronostic, c’est un champ essentiel et présenté comme tel : la mise en évidence d’altérations persistantes des performances correspondrait à une prise de risque en cas de retour aux activités sportives. Ceci a été en particulier étudié chez le footballeur.

Ainsi, le rôle dans la catégorisation des maladies est modeste. En effet, elle ne participe pas au diagnostic des affections de l’appareil locomoteur et elle est inutilisable dans les phases initiales de ces affections en raison des phénomènes douloureux. Dans la sémiologie en rééducation, c'est-à-dire dans la sémiologie fonctionnelle, le rôle de cette technique reste marginal.

5.4 Le schéma médical vs le schéma rééducatif

Les deux sémiologies médicale et rééducative, tout comme les deux schémas de soins qui leur correspondent, coexistent en MPR. Si la qualification en rééducation est toujours liée à la « forme » du corps, ensuite selon le schéma, vient s’associer la force ou la fonction. Dans le schéma médical la forme est associée à la force et au travail, et dans le schéma rééducatif la forme est associée à la fonction.

L’isocinétisme se situe dans le champ d’intersection des sémiosphères médicales et rééducatives.

Pour le schéma médical, l’isocinétisme renseigne sur la force et le travail musculaire. La forme de la courbe est métaphorique de la forme du muscle. Plus le muscle a de la puissance, plus la courbe est ample. L’isocinétisme, outre sa dimension d’évaluation, est utilisée comme technique de rééducation. La réponse à un déficit de force musculaire dans le schéma médical correspond à des « interventions » de renforcement. La technique isocinétique est alors une intervention proposée qui vaut comme une médication (intervention vs activité) qui va agir sur des symptômes et proposer une normalisation des difficultés via l’amélioration de la force segmentaire.

Au niveau des schémas rééducatifs, nous passons de la forme à la fonction, et non plus comme dans le schéma médical de la forme à la force.

La fonction est l’emblème de la rééducation, le lieu qui uniformise le consensus des professionnels. Tous s’accordent pour dire que la fonction est l’objectif qui justifie les projets de soins en rééducation. Or, l’isocinétisme reste loin de la fonction. Au niveau de la fonction, l’isocinétisme ne fournit pas d’informations : le sujet peut-il courir, sauter, porter une charge ? Cet examen ne peut apporter de réponse. Un progrès en force ne dit rien d’un transfert de ces modifications dans le champ de la fonction. La valeur prédictive de l’isocinétisme par rapport aux capacités fonctionnelles d’un sujet reste très discutée.

Note de bas de page 13 :

Young JL, Casazza BA, Press JM, « The physiatric approach to sport medicine », in JA DeLisa, BM Gans, Rehabilitation Medicine : Principle and Practice, Third Edition. Lippincott – Raven Publishers, Philadelphia, 1998 : 1602.

Les livres de synthèse de la spécialité de Médecine Physique et de Réadaptation aux USA indexent volontiers l’isocinétisme mais cela se limite à quelques lignes volontiers critiques : « il est important de reconnaître que la contraction isocinétique ne se produit pas dans la vraie vie, ce qui fait que l’extrapolation des données de l’isocinétisme vers les situations cliniques est assez limitée13 »

Auteur

Titre

An

P total

Pages

In

L

1

RUSK

Rehabilitation Medicine (3 ed)

1971

687

87-88

1

20

2

FARD

Physical Medicine and Rehabilitation

1971

161

-

0

0

3

GROSSIORD

Médecine de Rééducation

1981

813

-

0

0

4

KOOTKE

Krusen’s Handbook of PMR (4 ed)

1990

1323

513-516

0

84

5

GARRISON

Handbook of PMR basics

1995

452

385

0

2

6

0’YOUNG

PMR secrets (1 ed)

1997

602

390, 514-515

2

11

7

HELD-DIZIEN

Traité de MPR

1998

860

179-180

0

43

8

TAN

Practical manual of MPR

1998

830

165

0

16

9

DELISA

Rehabilitation Medicine

1998

1822

698, 723, 1602

3

40

10

GRABOIS

Physical Medicine and Rehabilitation

2000

2002

488

1

5

11

LENNARD

PMR Pearls

2001

214

-

0

0

12

GONZALEZ

Physiological basis of Rehabilitation Medicine

2001

890

380, 387

2

29

13

BRAMMER

Manual of PMR

2002

510

-

0

0

14

0’YOUNG

PMR secrets (2 ed)

2002

626

489

0

6

15

FRONTERA

Essentials of PMR

2002

836

-

0

0

16

SILVER

Essentials of PMR

2003

346

-

0

0

17

CHOI

Physical Medicine and Rehabilitation

2003

134

58

1

10

18

BRADDOM

Handbook of PMR

2004

995

404-406

0

53

19

BRADDOM

Handbook of PMR (Pocket)

2004

995

271

1

13

20

CUCCURULLO

PMR, Board Review

2004

848

572

1

5

TOTAL

15946

12

337

Tableau 3 : L’isocinétisme dans les livres de MPR

[An : année de parution ; P total : nombre total de pages de l’ouvrage ; Pages : numérotation des pages du livre consacrées à l’isocinétisme ; In : indexation de l’isocinétisme en nombre d’entrées ; L : nombre de lignes de l’ouvrage consacrées à l’isocinétisme ; PMR : Physical Medicine and Rehabilitation – MPR : Médecine Physique et de Réadaptation ; Les ouvrages sont présentés selon leur année de parution, et les deux traités français sont surlignés]

Dans cette référence première à la force c’est vers le schéma médical (qui est celui aussi du sens commun) que l’on s’oriente, et l’on sait que le schéma rééducatif privilégie la fonction qui ici n’est pas représentée de façon explicite. L’isocinétisme se place du côté du couple forme – force (travail) et non du côté du couple forme - fonction.

L’isocinétisme appartient de fait aux schémas médicaux de la rééducation. D’où sans doute son fort impact auprès des professionnels avec une image beaucoup plus favorable que son utilité supposée au quotidien.

5.5 La syntaxe modale

L’importance de la syntaxe modale est un des éléments clés de la sémiologie en MPR. En médecine on « fait », c’est le faire qui domine, en MPR on « fait faire », c’est le factitif qui est essentiel.

La syntaxe modale en isocinétisme que nous limitons ici au faire est un mélange du faire et du faire-faire. Il y a bien à « faire » un examen isocinétique, mais il convient aussi de faire-faire. Il y a un faire technique pour celui qui pilote l’examen et aussi il convient de faire-faire au sujet une performance optimale.

Ainsi pour ce chapitre sur les modalités, l’isocinétisme, est partagée et se situe sur les deux tableaux : il y a du faire (faire pragmatique), et du factitif, du faire faire.

5.6 La temporalité

La temporalité sépare de façon décisive les deux contextes sémiotiques. Du côté médical, le temps est une valeur absente ou négative, pour la MPR le temps est réinvesti comme une valeur première. Le temps en rééducation est essentiel pour définir le handicap, la sémiologie en MPR et pour la conception des soins.

En isocinétisme, l’examen est réalisé par exemple pour les lésions ligamentaires du genou lorsque cela est possible sur le plan mécanique, c’est-à-dire en pratique au moins après 3 mois d’évolution après la blessure. La temporalité intervient dans le moment où l’examen est proposé. C’est alors la référence au temps de la maladie, au temps médical.

Le temps apparaît aussi comme le temps du corps, comme un temps rééducatif, lorsqu’à distance d’un accident, l’examen permet de différer la reprise d’une activité sportive.

Le temps pour l’isocinétisme est le temps de la maladie (médecine), mais aussi le temps du corps (rééducation).

L’analyse de ces six paramètres laisse le débat ouvert. (1) Pour les schémas médicaux : sur le plan diagnostique l’isocinétisme est très peu pertinent, mais il a une place meilleure dans ses capacités à traduire dans des chiffres et des courbes la force musculaire, dans des possibilités pronostiques, dans le renforcement musculaire. On aboutit à des signes stables indépendants du contexte mais pour autant ne contribuant pas à la Classification Internationale des Maladies. (2) Pour les schémas rééducatifs, l’isocinétisme propose une analyse graduée des manques de force, introduit un faire-faire et met en scène une temporalité immédiate et différée. Mais il lui manque un lien fort et consensuel avec la fonction.

Conclusions

L’isocinétisme est une technique de mesure graduée de la force musculaire en rééducation. Cette méthode d’évaluation possède une forte identité car elle porte des valeurs reconnues par les professionnels (ses origines liées à la conquête spatiales, ses rapports à la force, ses aptitudes métrologiques, son coût, son interface informatique, etc.) et elle est directement acceptable par le public par son positionnement dans le sens commun des attentes via le schéma d’une réponse par la force à une modification de la forme du corps.

Pourtant son positionnement reste en retrait, car si sa dimension iconique est incontestable, comme image de modernité, de valorisation des effecteurs musculaires, sa place opérationnelle sur le versant professionnel est plus incertaine.

L’analyse montre que la sémiologie de l’isocinétisme n’est ni tout à fait de la sémiologie médicale car son apport à la sémiologie diagnostique est modeste, ni tout à fait de la sémiologie rééducative car ses relations à la fonction sont floues et contestées. Mais l’isocinétisme, par cette place à cheval sur la sémiologie diagnostique et la sémiologie fonctionnelle, tire son avantage de plaire et d’avoir du sens en médecine comme en rééducation. Ainsi à cette ambiguïté correspond un atout et une faiblesse de n’être ni tout à fait de la médecine, ni tout à fait de la rééducation.

L’analyse sémiotique montre son intérêt pour éclairer un débat où la question du sens est volontiers évacuée au profit de considérations économiques et rhétoriques. Ainsi pouvons-nous comprendre que face à cette situation floue, à ce statut sémiologique hybride, l’isocinétisme ait une reconnaissance incomplète et soit encore en quête d’une légitimité professionnelle plus affirmée.