Introduction aux journées d’étude de Bologne - 24 et 25 octobre 2003

Texte intégral

Troisième rendez-vous autour du thème de la sensorialité, après les journées d’étude de Louvain sur « Les effets de matière comme synesthé-sies » et celles de Limoges consacrées aux « Rhétoriques polysensorielles », ces journées bolonaises se proposent d’aborder la question de l’hétérogénéité sensorielle du visuel en en considérant un aspect encore différent, qui est celui des modalités de représentation de la multiplicité sensorielle.

L’objet de la réflexion ne sera pas constitué par la synesthésie, en tant que production chez le sujet, au moyen d’une stimulation reçue par un canal sensoriel donné, d’une expérience relevant d’un domaine sensoriel différent. Il ne s’agira pas non plus de la polysensorialité, en tant qu’association esthétique découlant, chez le spectateur, du syncrétisme des substances de l’expression des textes-objets « multi-modaux ». Il sera plutôt question de la sensorialité en tant qu’elle est mise en scène, mise en récit comme l’objet même du discours, par des textes, tels le tableau et la photo « classiques », qui construisent et exploitent une « mono-esthésie » programmatique.

Comment donc une image (picturale, photographique, graphique…) nous parle-t-elle, par ses moyens spécifiques, non seulement du « voir » (ce qu’on a depuis longtemps étudié), mais aussi du toucher, de l’odorat ou de l’ouïe ? Loin d’impliquer une analyse iconologique ou pseudo-iconologique de productions visuelles telles les représentations allégoriques des « Cinq sens », cette interrogation viserait la problématique plus générale de la conversion sensorielle. Cette opération de conversion ou de traduction peut être distinguée de la transformation synesthésique -de laquelle elle pourrait évidemment être rapprochée- en ceci : qu’il ne s’agit pas, pour le dire simplement, de la façon dont une image peut arriver, par exemple, à nous faire entendre un son, mais bien des opérations par lesquelles elle peut nous le faire voir.

Si la peinture classique nous apparaît comme un domaine privilégié d’investigation, notamment par sa réflexion séculaire sur l’articulation de la vue et du toucher et les stratégies de conversion du toucher en voir (cf. les représentations de L’incrédulité de Saint Thomas et du Noli me tangere), la photographie publicitaire contemporaine semble offrir pour sa part, de nombreux exemples d’une visualisation spécifique des champs tactile, olfactif, auditif, gustatif, qui supporte et accompagne l’association proprement synesthésique. Ces deux cas de figure nous font entrevoir au moins deux différentes stratégies mises en oeuvre par les objets visuels : d’un côté, l’exploitation de la narrativité et de l’aspectualisation, de l’autre la mise en jeu de leurs ressources proprement plastiques. On pourra dès lors se demander dans quelle mesure cette traduction sensorielle effectuée par l’image passe spécifiquement par son articulation plastique ou par une manipulation particulière de sa structure énonciative.

La question est d’ailleurs d’une portée plus générale qu’il n’y paraît à première vue ; elle pourrait même dépasser, peut-être, le domaine de la figuration et celui même du langage visuel, en se reformulant ainsi : comment une substance expressive qui fait théoriquement appel à un seul canal sensoriel, nous parle-t-elle des autres sens ? Comment parler d’un sens par la syntaxe d’un autre ?

L’exploration des différentes solutions élaborées pour répondre à ce défi nous amènera sans doute à reconnaître dans les textes analysés le déploiement d’une véritable pensée métalinguistique. Dans son interrogation sur la diversité sensorielle, le langage visuel réfléchirait en fait aussi, d’une manière spécifique, sur ses propres potentialités et ses propres limites.