Les gilets jaunes au miroir de la presse espagnole The yellow vests as seen by the spanish press

Nadia Duchêne 

Ce travail se donne pour objectif, selon une approche comparatiste, de mieux cerner dans les quotidiens espagnols ABC et El País le traitement discursif de la révolte des gilets jaunes qui débuta en France à l’automne 2018. Nous tenterons dans un premier temps de situer l’évènement et d’en préciser les contours. Puis nous aborderons le cadre de lecture de deux éléments constitutifs du mouvement, à savoir la caractérisation de l’évènement et de ses acteurs et la représentation du président de la République. Nous avons pris le parti d’examiner ces deux éléments en raison de l’importance majeure que leur ont accordée les deux médias, sachant toutefois que d’autres thématiques (violence, répercussions au niveau international, soutiens de personnages publics, crises auxquelles le mouvement fait écho…) ont également contribué à l’ampleur médiatique du mouvement.

Este trabajo tiene por objetivo analizar con un enfoque comparatista en los periódicos españoles ABC y El País el tratamiento discursivo de la revuelta de los chalecos amarillos que empezó en Francia en otoño del 2018. En primer lugar, contextualizaremos el acontecimiento y delimitaremos los contornos de la protesta. A continuación, abordaremos el marco de lectura de dos elementos constitutivos : por una parte, la caracterización del acontecimiento y de sus actores y, por otra, la representación del presidente de la República. La decisión de examinar estos dos elementos concretos se debe a la mayor importancia concedida por ambos medios, conscientes, sin embargo, de que otras temáticas (violencia, repercusión a nivel internacional, respaldo de personajes públicos, crisis de las que se hace eco…), han contribuido al alcance mediático del movimiento.

O objectivo deste trabalho é, utilizando uma abordagem comparativa, compreender melhor nos diários espanhóis ABC e El País o tratamento discursivo da revolta dos casacos amarelos que começou em França no Outono de 2018. Primeiro vamos tentar situar o evento e definir os seus contornos. Em seguida, abordaremos o quadro de leitura de dois elementos do movimento, nomeadamente a caracterização do evento e dos seus actores e a representação do Presidente da República. Optamos por examinar estes dois elementos devido à grande importância que lhes foi dada pelos dois meios de comunicação, sabendo no entanto que outros temas (violência, repercussões internacionais, apoio de figuras públicas, crises que o movimento ecoa) também contribuíram para a cobertura mediática do movimento.

The aim of this work is to examine from a comparative viewpoint in the Spanish daily newpapers ABC and El País, the discursive treatment of the gilet jaune protests (yellow vest protests) that started in France in autumn 2018. First, we will set the context of the protest and define its outline. Then, we will analyse the reading frame of two particular elements of the movement, namely the characterization of the protest and its participants and the representation of the President of the Republic. The choice of these two elements is based on the greater relevance they received from both newspapers, although other issues (violence, international impact, public figures support, echo of other crises…) have also contributed to the outstanding media coverage of the movement.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

La crise des gilets jaunes a débuté en octobre 2018 avec une vidéo postée sur le réseau Facebook adressée au président de la République dans le but de dénoncer la «  chasse aux automobilistes  » en raison de la hausse des prix du carburant. La révolte est amorcée dans les régions dites périphériques et semi-rurales, c’est-à-dire des territoires ni urbains, ni banlieues immédiates. Trois jours plus tard, une pétition est lancée sur la plateforme change.org exigeant une baisse du prix des carburants. Les deux initiatives connaissent un grand succès et sont suivies par des milliers de personnes. Vidéos, pétitions et revendications de toutes sortes se multiplient en quelques jours sur les réseaux sociaux pour interpeller l’Exécutif.

Le 17 novembre est organisée la première journée de blocages de routes et d’occupation des ronds-points sur une grande partie du territoire français et des manifestations ont lieu dans les grandes villes. Les manifestants portent le vêtement de sécurité obligatoire dans tout véhicule, le gilet jaune, lequel deviendra l’emblème du mouvement.

Au fil des jours, les motifs de contestation se multiplient allant du poids de la fiscalité jusqu’à la demande d’une démocratie plus participative, d’une réforme du système en passant par la démission du président de la République. Malgré certaines concessions accordées par le gouvernement et le grand débat national tenu du 15 janvier jusqu’au 7 avril 2019, les rassemblements organisés sous le nom «  d’actes  » auront lieu chaque samedi dans les grandes villes et surtout à Paris pendant plusieurs mois. Le mouvement va s’essouffler progressivement et sera nettement moins suivi à partir de la tenue des élections européennes ; raison pour laquelle notre corpus intègre la période allant du 17 novembre 2018 au 26 mai 2019.

La crise des gilets jaunes doit forcément prendre une résonance particulière dans l’esprit du lecteur espagnol. Rappelons ici le mouvement des Indignés en Espagne et le rassemblement du 15M en mai 2011, impulsé sur Facebook et sans le soutien de partis politiques ou de syndicats. Des centaines de milliers de jeunes manifestaient alors dans les grandes villes espagnoles et allaient occuper les places publiques des mois durant, rejoints par des retraités, des victimes de la bulle immobilière expulsées de leur logement ou encore des fonctionnaires. À la différence du mouvement français, ils sont pour la plupart de gauche et dénoncent la politique d’austérité et les restrictions budgétaires menées par le gouvernement de droite ainsi que la corruption du monde politique.

À l’instar d’autres situations de crise sociale, les journalistes vont tenter de reconstruire dans l’information le mouvement des gilets jaunes. Ce dernier est considéré comme inédit en raison de son mode opérationnel, de la multiplicité des revendications, de l’absence d’affiliation à un quelconque parti ou syndicat ainsi que de la violence. En dehors de la chronologie des faits, il s’avère fort difficile de l’inscrire dans un cadre précis de sorte que la lecture politique habituelle et la lisibilité de l’évènement s’en trouvent complexifiées. La seule possibilité de rassembler tous les acteurs de la révolte se limite au rejet du gouvernement, dont la principale référence sera le président de la République. L’axe traditionnel droite/gauche qui structure le cadre éditorial des médias est déstabilisé en raison de la difficulté à représenter la réalité du mouvement. La crise des gilets jaunes exhibant diverses facettes, elle ne présente qu’une identité contradictoire et confuse. Journalistes et spécialistes de la réalité sociale ont été déconcertés et leurs registres de catégorisation et d’interprétation parfois bouleversés. Notons également que les médias, en tant qu’espace de représentation de la force et de la dynamique du mouvement, sont l’objet de la méfiance et de l’exaspération des manifestants, dont un grand nombre dénonce une forme de connivence des journalistes avec le pouvoir et les élites.

Corpus

Le corpus comprend 293 articles publiés dans deux quotidiens nationaux espagnols, ABC et El País. Le journal ABC a été fondé en 1903 à Madrid, il appartient au groupe Vocento. Réputé être un journal de droite, sa ligne éditoriale s’inscrit dans le courant conservateur, monarchiste et catholique  ; il est proche des milieux de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Le journal El País, appartenant au groupe éditorial Prisa, a été créé en 1976, six mois après la mort de Franco. Quotidien le plus lu en Espagne, le plus diffusé à l’étranger, il se situe au centre-gauche de la vie politique espagnole. Le choix des journaux a été établi en raison de leur référence institutionnelle dans le paysage journalistique national et de l’intérêt que présentent leurs lignes éditoriales opposées face à un mouvement a priori apolitique.

162 articles sont parus dans le journal ABC et 131 dans El País. Ces derniers, tous genres confondus, consacrés aux gilets jaunes ont été recueillis grâce aux archives électroniques des quotidiens. Le corpus comprend non seulement des textes journalistiques dits exclusivement informatifs, factuels tels que des synthèses, des reportages ou encore des brèves, mais également des textes explicitement argumentatifs et subjectifs comme les éditoriaux, les tribunes ou les colonnes d’opinion. Notons donc que les journalistes ne sont pas les seuls énonciateurs intervenant dans le média. Certains personnages publics contribuent également à construire la représentation d’un évènement par le média. Raison pour laquelle il s’avère intéressant de combiner l’analyse du discours dénommé «  primaire  » des hommes politiques, témoins, porte-parole et le discours «  secondaire  » qui renvoie à celui des journalistes eux-mêmes.

Les limites temporelles ont été déterminées en fonction de la temporalité propre au mouvement ainsi que celle des médias, lesquels suivent un rythme quasi identique. Nous avons pris le parti de nous intéresser à la période allant du 17 octobre 2018 au 26 mai 2019, car autour de cette dernière date, période des élections européennes, le mouvement connaitra un affaiblissement certain en termes de participation et les occurrences dans la presse deviennent de plus en plus sporadiques.

De la désignation des «  Gilets jaunes  »

Il ne s’agit pas ici de procéder à une étude lexicométrique consistant à observer la fréquence d’emploi de certains termes, mais de nous intéresser au sémantisme des mots et expressions qui caractérisent le discours autour du mouvement afin de mettre en exergue le regard porté par les deux médias sur les gilets jaunes. Le procédé d’énonciation pour désigner renvoie aux choix des auteurs des articles et donc à la représentation et à l’interprétation des actes d’un groupe déterminé, en d’autres termes à la caractérisation de l’altérité. Bourdieu (1972) avait déjà signalé que le rôle des médias dans le cadre de la diffusion des représentations dans un groupe social est de produire des ancrages.

Dans ce sillage, Denise Jodelet fait remarquer que les représentations «  nous guident dans la façon de nommer et définir ensemble les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur égard et les défendre  » (1989 : 31). Dans le contexte de la crise des années 2000, elle soumet l’hypothèse selon laquelle «  Les médias, prenant parfois le relais des milieux scientifiques, donnent des situations de vie et de l’état du monde social, politique et économique des interprétations qui interviennent dans la formation et la formulation des peurs sociales  » (2011 : 245). Ainsi, nous suivons la perspective selon laquelle les médias disposent d’un pouvoir considérable, à savoir le pouvoir de représenter la réalité d’une certaine manière et d’exercer une influence sur les relations sociales, les identités de groupe, les valeurs, le savoir tout comme les croyances. Chaque énonciateur, à travers son lexique, donne un sens au monde, décrit la réalité, désigne les évènements et leurs acteurs  ; cela lui permet de délimiter les territoires symboliques.

Note de bas de page 1 :

C’est nous qui soulignons

Note de bas de page 2 :

 “[…] una franquicia que utilizan grupos muy diversos […]”. Traduction de l’auteur.

Note de bas de page 3 :

“Los chalecos amarillos se han convertido en una franquicia que ‘vende’ chalecos del mismo color, pero con distinta sensibilidad”.

Note de bas de page 4 :

“[…] la prenda obligatoria en los coches que se ha convertido en el emblema del movimiento […]”.

L’une des premières observations concerne le nom donné au mouvement. Le syntagme «  gilets jaunes  » vient de s’imposer, les évènements qu’il désigne sont en train de se produire et nul ne sait sur quoi ils déboucheront. Le journal ABC le dénomme dans la majorité de ses articles sous l’expression franquicia de los chalecos amarillos. Cette formule peut donner lieu à un éventail de sens implicites possibles et la lecture des textes nous amène à penser qu’elle est teintée d’ironie. Il est ainsi question de « franchise », dont le sens premier fait référence à l’état de celui qui est de condition libre, qui n'est assujetti à aucun maître. En effet, les acteurs du mouvement affirment ne pas avoir de porte-paroles, ne se reconnaitre dans aucun parti, ni être représentés par aucun syndicat. La « franchise » renvoie également à l’exemption de paiements d’impôts, de taxes ; comme nous l’avons précisé plus haut, le mouvement a jailli de revendications liées pour l’essentiel à des mesures fiscales dont, initialement, la hausse de la taxe des carburants pour évoluer vers la demande d’une annulation massive de taxes. Ainsi à plusieurs reprises nous trouvons l’expression : « […] une franchise1 qu’utilisent des groupes très différents […] »2 (08/12/2018) ou encore « Les gilets jaunes sont devenus une franchise qui « vend » des gilets de la même couleur mais de différente sensibilité »3 (09/12/2018). Le « franchisé » a le droit de s’installer là où il le souhaite de manière indépendante sur le modèle d’une franchise commerciale permettant le développement de la présence de sa « marque » sur un large périmètre. Le quotidien El País quant à lui, utilise la formule « gilets jaunes » (chalecos amarillos), mais prolongée de manière récurrente de l’explication « […] le vêtement obligatoire dans les voitures qui est devenu l’emblème du mouvement […] »4. Le lecteur comprend ainsi qu’il est question de visibilité dans une situation où les porteurs de ce vêtement sont susceptibles d’être menacés. Le gilet jaune est avant tout un symbole identitaire, un signe de ralliement de tous les automobilistes.

Note de bas de page 5 :

“[…] un termómetro del profundo malestar que padece parte de la sociedad gala”.

Note de bas de page 6 :

“Por eso mismo lo que ayer era una movilización menos numerosa que hace una semana puede volver a ser una marea incontrolable en cualquier momento, de fiebre amarilla”.

Note de bas de page 7 :

“[…] reclaman un cambio que tiene flecos apocalípticos […]”.

Note de bas de page 8 :

“[…] exigencias más o menos apocalípticas […]”.

Au cours des trois premières semaines, le journal ABC informe des revendications des gilets jaunes, à savoir l’injustice du système fiscal, la précarité, les revenus insuffisants, mais par la suite la teneur du discours dominant devient plus négative. La représentation se fera alors à travers la métaphore de la maladie. Le lexique médical contribue à désigner «  l’épidémie de fièvre jaune  » et met en scène la colère fébrile des manifestants et la couleur de leur signe distinctif, le gilet jaune. Cette « maladie infectieuse  » touche certains secteurs de la société française : « […] un thermomètre du profond mal-être dont souffre une partie de la société française »5 (01/12/2018) et la contagion pourrait se propager : « C’est pour cette même raison que, ce qui hier était une mobilisation moins importante qu’il y a une semaine, peut à n’importe quel moment redevenir une marée incontrôlable de fièvre jaune »6 (15/12/2018). Les revendications sont irraisonnables et exposent la société française à un futur pour le moins inquiétant, voire épouvantable : « […] réclament un changement qui montre des signes apocalyptiques […] »7 (16/12/2018) ou encore « […] exigences plus ou moins apocalyptiques […] »8 (23/03/2019).

Les descriptions sont dans leur ensemble peu élogieuses et le quotidien se montre volontiers moqueur, ridiculisant les acteurs du mouvement. Dans l’extrait ci-dessous, le champ sémantique est celui de la réflexion, l’activité consacrée à la pensée dans le but d’examiner plus en profondeur une idée, une situation, un problème. Or, ici le discours devient dévalorisant, car les gilets jaunes sont précisément dépourvus de cette faculté. L’emploi réitéré de la forme négative permet de les dépeindre comme des individus bêtement vindicatifs et ineptes, irrationnels, aux comportements aberrants, incapables de formuler avec clarté leurs malaises. À la suite d’un titre sans équivoque, certaines formules employées permettent d’étayer nos propos :

Note de bas de page 9 :

De una revuelta imbécil
No hay
programa, no hay contenidos. Por no haber, no hay siquiera una tabla de reivindicaciones. Hay, eso sí, un rechazo. Físico. No parecen precisar respaldo conceptual alguno, los chalecos amarillos. Ni lógica ni discurso, bien o mal trabado: ausencia de palabras y de criterios. […] Van ya 23 sábados insurreccionales: cinco meses. Y nadie sabe aún -no lo saben los actores- qué busca conseguir esa brutalidad descodificada.
¿Qué busca ese tartamudo oleaje? Puede que nada. Nada, salvo la exaltación del choque físico contra los agentes de un orden al cual resulta tan grato agredir semana tras semana. Nada. […] Sin límites ni convenciones: reyerta pura.
[…] Los chalecos amarillos maquinan «actos» cada sábado: anteayer, el vigésimo tercero. «Actos», a la manera en que se numera lo más rentablemente estúpido -y lo más estupidificador-: las series televisivas. Y sus citas son expandidas por el multiplicador más inexorablemente idiota: Facebook, la máquina de descerebrar.

D’une révolte imbécile
Il n’y a pas
de programme, il n’y a pas de contenu. En effet, il n’y a rien, il n’y a même pas une liste de revendications. Par contre, il y a un rejet. Physique. Ils ne semblent pas avoir besoin d’un quelconque support conceptuel, les gilets jaunes. Ni logique, ni discours, bien ou mal construit : absence de mots et de critères. […] Voilà déjà 23 samedis insurrectionnels : cinq mois. Et personne ne sait toujours pas – les acteurs ne le savent pas – ce que cette brutalité indécryptable cherche à obtenir.
Que recherche ce flot de bégayeurs ? Peut-être rien. Rien sauf l’exaltation du choc physique contre les agents d’un ordre qu’il est tellement agréable d’agresser semaine après semaine. Rien. […] Sans limites, ni principes : de la bagarre à l’état pur.
[…] Les gilets jaunes trament des « actes » tous les samedis : avant-hier, le vingtième. « Des actes », telle la numérotation de ce qui est le plus rentable en matière de stupidité - et ce qu’il y a de plus abêtissant : les séries télévisées. Et leurs rendez-vous sont répandus par le multiplicateur le plus inexorablement idiot : Facebook, la machine à décérébrer9 (22/04/2019).

Ces procédés d’énonciation accentuent ainsi l’image d’un mouvement constitué d’individus impétueux, dénués de valeurs, de faculté d’analyse, disposés à orchestrer des actions violentes et adeptes de pratiques culturelles abêtissantes. Lorsqu’il s’agit de définir le mouvement et de répondre à la question : «  Qui sont les gilets jaunes  ?  », le journal ABC rencontre la même difficulté que ses confrères, mais propose à son lecteur une classification composée de sept catégories ; catégorisation qui se veut exhaustive et plus précise, mais non dépourvue de sarcasme. Cette «  photo de groupe  » est agrémentée de commentaires au ton persifleur illustré par l’emploi d’un registre de langue familier qui vise à illustrer et stigmatiser le niveau d’expression des gilets jaunes, puis des guillemets ; grâce à ces derniers, l’énonciateur dédouble son discours et marque une distance avec le terme ou la locution ou en attribue la responsabilité à un autre, exprimant ainsi l’altérité dans l’énonciation :

Note de bas de page 10 :

- Chalecos amarillos «libres»: moderados, que denuncian la radicalización. No han participado en las manifas de hoy en París
- Chalecos amarillos de provincias: tranquilos, que protestan con amigos y familia, con calma y paciencia cortando carreteras y autopistas.
- Chalecos amarillos jóvenes que están hartos de tanta protesta sin respuesta ni solución. Tienen un «careto» de mucha angustia social.
- Chalecos amarillos de clases medias: temen la precariedad. Muy presentes en las primeras manifas de los Campos Elíseos, han comenzado a alejarse del movimiento.
- Chalecos amarillos de ultraderecha violenta que piden una «revolución nacional». Destacan por su «profesionalidad» e indumentaria.
- Chalecos amarillos de extrema izquierda que quieren la «extensión de la lucha». Se les nota la «pinta proleta»
- Chalecos amarillos de la banlieue/suburbios: se han tirado a la calle para «protestar» en el río revuelto de la crisis, el incendio de coches y las llamas de los escaparates. Son los recién llegados y los más temidos por las clases medias o acomodadas.

- Gilets jaunes « libres » : modérés qui dénoncent la radicalisation. Ils n’ont pas participé aux manifs d’aujourd’hui à Paris.
- Gilets jaunes provinciaux : tranquilles, qui protestent avec des amis et de la famille, dans le calme et avec patience en coupant des routes et des autoroutes.
- Gilets jaunes jeunes qui en ont assez de toutes ces protestations sans réponse ni solution. Ils ont une « tronche » de grosse angoisse sociale.
- Gilets jaunes de classes moyennes : ils craignent la précarité. Très présents dans les premières manifs sur les Champs Élysées, ils ont commencé à s’éloigner du mouvement.
- Gilets jaunes de l’extrême droite violente qui demandent une « révolution nationale ». Ils se caractérisent par leur « professionnalisme » et tenue vestimentaire.
- Gilets jaunes d’extrême gauche qui veulent « l’étendue de la lutte ». On remarque leur « dégaine prolo ».
- Gilets jaunes de la banlieue : ils se sont jetés dans la rue pour « protester » dans les eaux troubles de la crise, les voitures incendiées et les flammes des vitrines. Ce sont les nouveaux-venus et les plus redoutés par les classes moyennes et aisées.10 (09/12/2018)

Note de bas de page 11 :

“[…] arco iris que tiene muy distintos tonos, del amarillo pasión ultranacionalista (extrema derecha) al amarillo chillón de ultraizquierda […]”.

Note de bas de page 12 :

“La realidad virtual no siempre coincide con la realidad material”.

Ces diverses sensibilités sont réitérées au fil des articles afin de pointer la difficulté de cerner la structure et la mécanique du mouvement. Dans le chaos qui en découle en matière de revendications, le seul dénominateur commun ou consensus est la destitution du Président Macron. Le mouvement est comparé à un arc-en-ciel aux multiples nuances évoquant à la fois la diversité et la présence des extrêmes, le tout débouchant sur une attitude qui refuse tout compromis : « […] arc en ciel aux tonalités très différentes, du jaune passion ultra nationaliste (extrême droite) au jaune vif de l’extrême gauche […] »11 (03/02/2019). La protestation est qualifiée de » Puro nihilismo anti sistema » (05/01/2019), un mouvement n’admettant aucune contrainte de la société sur l’individu, dans une démarche antisystème. Les réseaux sociaux servent de support logistique permettant d’appeler à la mobilisation et de «  réservoir  » de revendications, mais selon le quotidien, ne reflètent pas la réalité. L’activisme en ligne n’est pas représentatif de l’activisme dans les manifestations, nettement moins important : » La réalité virtuelle ne correspond pas toujours à la réalité matérielle »12 (03/12/2018). Du fait d’insister exclusivement sur certaines actions des gilets jaunes qui investissent le terrain de manière incohérente, voire violente, le journal accentue le manque de «  consistance  » du mouvement, ce qui oriente l’interprétation que se font les lecteurs de l’actualité française et confère une solidité événementielle à leur identité politique.

Note de bas de page 13 :

Objeto político no identificado, un movimiento sin líderes ni estructura que refleja el descontento de una parte de la Francia de provincias con el presidente Emmanuel Macron”.

À la lecture des textes du journal El País, force est de constater une représentation de la révolte de teneur moins acrimonieuse en raison de choix énonciatifs a priori plus effacés. Les constats trouvent des points de similitude avec le journal ABC quant à la spécificité du mouvement. Cependant des disparités sont masquées derrière une homogénéité de surface. L’absence délibérée de structure des gilets jaunes est mise en relief tout en gardant une énonciation apparemment neutre, mais non dénuée d’humour : « Objet politique non identifié, un mouvement sans dirigeants ni structure qui reflète le mécontentement d’une partie de la France provinciale envers le président Emmanuel Macron »13 (14/11/2018). Sur le modèle de l’ovni (objet volant non identifié), nous avons affaire ici à un objet politique non identifié – ce qui effectivement résume le manque de lisibilité du conflit.

Au tout début du mouvement, le quotidien avance «  naïvement  », par le biais du sous-entendu, une double hypothèse sur la nature de la révolte, illustrée par le mode verbal du subjonctif en espagnol. Il pourrait s’agir d’un nouvel épisode de conflit social, d’une énième fronde gauloise en vertu de la «  vérité admise  », selon laquelle la France est un pays contestataire ou peut-être aussi du développement du populisme auquel la France avait cru échapper grâce à l’arrivée du président Macron – s’affichant volontiers ni de gauche, ni de droite- et ainsi être une exception :

Note de bas de page 14 :

“[…] quizá no sea más que una de estas expresiones periódicas del descontento francés. O podría representar, finalmente, la llegada del momento populista francés que otros países occidentales ya han vivido, y que Francia esquivó con la victoria de Macron en las presidenciales de 2017”.

Peut-être s’agit-il seulement de l’une de ces manifestations périodiques du mécontentement français. Ou, tout compte fait, cela pourrait représenter, l’arrivée du moment populiste français que d’autres pays occidentaux ont déjà vécu et que la France a esquivé avec la victoire de Macron aux présidentielles de 2017.14 (24/11/2018)

Note de bas de page 15 :

“El genio ha salido de la botella y nadie sabe cómo volver a meterlo dentro”.

Note de bas de page 16 :

“Las protestas de los chalecos amarillos son, en principio, apolíticas y están desligadas de los sindicatos y partidos”.

Note de bas de page 17 :

“Lo novedoso de este movimiento es su carácter espontáneo, sin programa, ni líder, ni dirección”

Note de bas de page 18 :

“Toda la cuestión es sobre qué dialogar y con quién. No hay representantes del movimiento con un mandato para hablar en nombre de todos. Ni una reivindicación clara. […]”.

Note de bas de page 19 :

“[…] un movimiento social aparentemente espontáneo, acéfalo en la forma, donde la red está probando su enorme eficacia para potenciar estados sociales de malestar, disponibles para la protesta”.

Le renvoi à un stéréotype - celui d’un pays «  au caractère éternellement insatisfait  » en référence au passé politique ou historique est révélateur du bagage commun postulé chez le lecteur ; ce tempérament exacerbé est réitéré : « Le mauvais caractère est sorti de la bouteille et personne ne sait comment le remettre dedans »15 (08/12/2018). Quant au populisme, se manifestant dans d’autres espaces, il rend intelligibles les éventuels enjeux du mouvement pour le lecteur espagnol. Derrière une apparente prudence sémantique simulant la parole de l’Autre, une forme de doute est cependant perceptible quant au caractère apolitique des gilets jaunes : « Les protestations des gilets jaunes sont, en principe, apolitiques et n’ont pas de lien avec les syndicats et partis »16 (14/11/18) tout en s’attachant à insister, sans positionnement explicite, sur le caractère insaisissable du mouvement sur lequel gouvernement, partis politiques ou syndicats n’ont aucune prise : « La nouveauté de ce mouvement est son caractère spontané, sans programme, ni leader, ni direction »17 (01/12/18). L’impossibilité de dialoguer ainsi que le manque de convergence de revendications claires sont aussi signalés à plusieurs reprises : « Toute la question se résume à savoir sur quoi échanger et avec qui. Il n’y a pas de représentants du mouvement mandatés pour parler au nom de tous. Ni une revendication claire […] »18 (02/12/2018). Le rôle essentiel joué par les réseaux sociaux – Facebook est devenu une place publique - est exposé tout en alertant du fait qu’ils ne permettent pas de faire émerger des représentants ou porte-paroles suffisamment légitimes. Leur éventuelle nocivité est dénoncée ; les groupes constitués en ligne recherchent le plus souvent une reconnaissance de soi et une expérience de partage des souffrances dans ces nouveaux modes de coexistence, convertis en réceptacles de mal-être : « […] un mouvement social apparemment spontané, acéphale dans la forme où le réseau est en train de tester son énorme efficacité pour renforcer des états sociaux de mal-être, disponibles pour la protestation »19 (02/12/2018).

Note de bas de page 20 :

“El pegamento entre todos ellos es el rechazo, a veces visceral, al presidente Emmanuel Macron”.

El País insiste à plusieurs reprises sur le rejet sans appel de la classe politique et dans l’exemple suivant, joue sur le sémantisme du terme pegamento : ironie du sort malgré la multiplicité de leurs univers et contestations, la «  substance  » qui les fait adhérer les uns aux autres et les unit, est le président de la République érigé en bouc émissaire : « Le dénominateur commun de tous c’est le rejet, parfois viscéral, du président Emmanuel Macron »20 (02/12/2018). El País se montre moins hostile et plus empathique à l’égard des acteurs du mouvement. Il les met en scène autrement aux yeux du lecteur en pointant l’indifférence d’une élite à l’endroit du «  petit peuple  », une élite qui n’hésite pas à se gausser de la difficulté de certains à bien s’exprimer, et ce, dans une langue de qualité. Le média convoque de nouveau le stéréotype historique d’un peuple façonné à l’insurrection, une sorte de constante dans la vie sociopolitique française :

Note de bas de page 21 :

Víctimas de la violencia estructural de una economía globalizada, se sienten menospreciados por numerosos representantes de la República que no pueden evitar sonreír con displicencia ante su manera de expresarse o sus faltas ortográficas en las redes. Sienten encarnar al pueblo francés y no les falta un profuso pasado revolucionario del que nutrirse.

Victimes de la violence structurelle d’une économie mondialisée, ils se sentent méprisés par de nombreux représentants de la République qui ne peuvent éviter de sourire avec dédain devant leur façon de s’exprimer ou leurs fautes d’orthographe sur les réseaux. Ils sentent qu’ils incarnent le peuple français et ne sont point dépourvus d’un riche passé révolutionnaire duquel s’inspirer.21 (11/12/2018)

Note de bas de page 22 :

Al carecer de líderes y programa, el movimiento sirvió de contenedor para todo tipo de tendencias y reclamaciones: desde la extrema izquierda a la extrema derecha, desde pacifistas hasta antisemitas y violentos con fines insurreccionales”.

Au même titre que le quotidien ABC, El País souligne l’évolution du mouvement dont les actions se sont développées de manière très contrastée, voire contradictoire, allant de l’occupation pacifique des ronds-points jusqu’à la violence, en passant par des blocages et des actes extrêmes de vandalisme et d’antisémitisme : « Du fait de manquer de leaders et de programme, le mouvement a servi de fourre-tout pour tout type de tendances et de réclamations : de l’extrême gauche à l’extrême droite, des pacifistes aux antisémites et violents aux desseins insurrectionnels »22 (16/03/2019).

Il semblerait donc que le quotidien ABC ait davantage recours à une énonciation s’inscrivant dans un registre sarcastique alors que El País articule un discours entre positionnement factuel et ironie. Le premier est plus blessant dans sa désignation des gilets jaunes et semble manifester une certaine hostilité à leur endroit. Le second présente une interprétation moins justicière sans pour autant se départir d’une certaine distance ni de l’esprit de «  mise en doute  ».

Le président de la République

Si nous nous intéressons maintenant à l’image du président de la République dans les deux médias, nous constatons que le quotidien ABC présente un portrait du président selon trois angles : tout d’abord un chef d’État affaibli et acculé par les circonstances, puis un homme brillant à la reconquête de son peuple et finalement un homme politique discrédité dont les grands projets sont probablement voués à l’échec. Les exemples suivants, au contenu sémantique négatif, montrent comment l’ABC met en scène un président déstabilisé, fragilisé et malmené essayant d’éteindre, d’étouffer et de faire taire les acteurs du mouvement dont la réalité est extrêmement dispersée :

Note de bas de page 23 :

La histórica jornada sin precedentes del movimiento de los Chalecos amarillos ha dado este sábado a Emmanuel Macron una severa advertencia con flecos dramáticos (17/11/2018).
[…] el presidente de la República anunció anoche decisiones destinadas a salvar su amenazada presidencia, intentar apagar el incendio social […] (10/12/2018)
Macron cede ante la fiebre amarilla […] un movimiento como el de los chalecos amarillos, que ha impuesto su criterio a través de manifestaciones violenta. […] Emmanuel Macron les ha dado claramente la razón al asumir ciertos gestos de apaciguamiento como la subida del salario mínimo y alguna bajada de impuestos, medidas más o menos cosméticas con las que sofocar la revuelta. (11/12/2018).
Macron reduce, pero no acalla la protesta (15/12/2018).
Pero la impopularidad de Macron sigue siendo excepcional (22/12/2018).

La journée historique sans précédent du mouvement des Gilets jaunes ce samedi, a donné à Emmanuel Macron un sévère avertissement aux allures dramatiques (17/11/2018).
[…] le président de la République a annoncé hier soir des décisions destinées à sauver sa présidence menacée, à tenter d’éteindre l’incendie social […] (10/12/2018)
Macron cède devant la fièvre jaune […] un mouvement comme celui des gilets jaunes qui a imposé son point de vue à travers des manifestations violentes. […] Emmanuel Macron leur a clairement donné raison en s’engageant à certains gestes d’apaisement tels que la hausse du SMIC et certaines réductions d’impôts, des mesures plus ou moins cosmétiques permettant d’éteindre la révolte. (11/12/2018).
Macron réduit, mais ne fait pas taire la protestation (15/12/2018).
Mais l’impopularité de Macron continue d’être exceptionnelle23 (22/12/2018).

Note de bas de page 24 :

Experiencia sin precedentes en la historia de la V República, el gran debate nacional propuesto por Emmanuel Macron se presenta como una respuesta presidencial a las exigencias y crisis de la franquicia de los chalecos amarillos”

Malgré quelques critiques peu récurrentes, le quotidien dépeint de façon appuyée un président qui reprend la situation en main et agit sur le mode de la reconquête de la France en colère. Le portrait est maintenant celui d’un homme à l’intelligence exceptionnelle. L’initiative du grand débat national prend ainsi des allures de marathon intellectuel et physique au cours duquel Emmanuel Macron est érigé en super héros : « Expérience sans précédent dans l’histoire de la Vè République, le grand débat national proposé par Emmanuel Macron se présente comme une réponse présidentielle aux exigences et à la crise de la franchise des Gilets jaunes »24 (13/01/2019). Néanmoins, une certaine dérision est introduite dans le discours par le biais d’un élément culturel lié à l’Histoire de France associé aux clichés véhiculés par les Bonaparte (l’empereur Napoléon 1er et son neveu Louis Napoléon Bonaparte).

Le président de la République a été maintes fois associé par certains historiens, politologues et médias au bonapartisme, une pensée politique et forme de gouvernement autoritaire et centralisée reposant sur l’adhésion populaire. Emmanuel Macron a été comparé à Louis-Napoléon Bonaparte en raison aussi de son jeune âge quand il accéda au pouvoir, de sa forte personnalité et de son statut politique situé entre gauche et droite - Louis Napoléon Bonaparte «  zigzaguait  » entre monarchistes et socialistes. Le journal ABC reprend cette image et le stéréotype de l’homme providentiel venu sauver la France pour la sortir de son marasme est ainsi réactivé dans cette mise en scène énonciative. L’image est celle d’un chef militaire exceptionnel, tacticien et stratège :

Note de bas de page 25 :

Macron lanza la operación reconquista contra los chalecos amarillos
Estimulado por una inesperada mejora de su popularidad, muy baja, todavía, Emmanuel Macron ha decidido lanzar una «operación reconquista» en la mejor tradición de los generales bonapartistas: a caballo, sable en ristre, a paso de carga.

Macron lance l’opération reconquête contre les gilets jaunes
Stimulé par une amélioration inespérée de sa popularité, très basse, encore, Emmanuel Macron a décidé de lancer une « opération reconquête » dans la meilleure tradition des généraux bonapartistes : à cheval, sabre au poing et au pas de charge25 (22/01/2019).

Note de bas de page 26 :

Macron discutía ‘a tumba abierta’ con las autoridades locales, departamentales y regionales, que podían exponer sus ‘quejas’ y puntos de vista, iniciándose una discusión que no siempre ha sido un diálogo de sordos”.

C’est un nouveau président, disposé à faire des efforts et à montrer davantage d’empathie auprès des Français. On assiste à la mise en scène d’un dirigeant politique à l’écoute, charismatique, le charisme étant une forme symbolique de l’exercice du pouvoir : « Macron discutait à « tombeau ouvert » avec les autorités locales, départementales et régionales qui pouvaient exposer leurs « plaintes » et points de vue, donnant lieu à une discussion qui n’a pas toujours été un dialogue de sourds »26 (02/04/2019). Il aspire à reconquérir son peuple et à rebondir pour sortir la tête haute du conflit social. Il se singularise par des compétences exceptionnelles. Le lexique est particulièrement élogieux :

Note de bas de page 27 :

Un nuevo Macron
El presidente francés ha salido del bache tras la crisis de los chalecos amarillos. […] El joven presidente rectifica alguno de sus tics napoleónicos, recupera popularidad y vuelve a proponer grandes ideas sobre el futuro del continente. […] Macron sigue siendo uno de los pocos dirigentes capaces de mirar a largo plazo y proponer una visión estratégica.

Un nouveau Macron
Le président français est sorti de la mauvaise passe après la crise des gilets jaunes. […] Le jeune président corrige certains de ses tics napoléoniens, il regagne de la popularité et propose de nouveau de grandes idées sur le futur du continent. […] Macron continue d’être l’un des quelques dirigeants capables de projeter à long terme et de proposer une vision stratégique27 (08/03/2019).

Cultivant cette image d’un président différent, innovateur et ouvert à l’échange, à la suite des élus locaux, il invite également la classe intellectuelle à prendre part au débat national :

Note de bas de page 28 :

Emmanuel Macron lanzó este lunes una nueva iniciativa sin precedentes: recibir, en el Elíseo, a la élite intelectual francesa, para discutir de la gran crisis nacional de la franquicia de los chalecos amarillos, entre otros temas de fondo, con el fin de intentar buscar «nuevas ideas» para el gran debate nacional que nadie sabe qué conclusiones prácticas tendrá.

Emmanuel Macron a lancé lundi une nouvelle initiative sans précédent : recevoir, à l’Élysée, l’élite intellectuelle française, pour aborder la grande crise nationale de la franchise des gilets jaunes, entre autres sujets de fond, afin de tenter de chercher de « nouvelles idées » pour le grand débat national pour lequel personne ne connait les conclusions pratiques qu’il adoptera28 (19/03/2019).

Les discours employés par les médias évoquent des épisodes plus ou moins glorieux, des épreuves et des personnages éminents de la nation ou encore des références à la mythologie. Ainsi, d’autres figures historiques lui sont associées telles que Jupiter, Louis XIV ou d’ex-présidents. La mémoire discursive met en scène et définit l’identité, elle permet ainsi aux lecteurs de reconnaître leurs appartenances à une culture. Emmanuel Macron s’était lui-même qualifié de président jupitérien. Jupiter est là pour conduire le pays avec la collaboration de tout le monde :

Note de bas de page 29 :

Macron se reserva el puesto “jupiterino” de “padre de la nación” […] (19/03/2019)
Macron: sorprender y transformar
En la historia política de Francia, Macron encarna la tradición del «reformismo autoritario» (Luis XIV, Napoleón, de Gaulle, Giscard) […] La presidencia de Macron evoluciona para dejar de ser jupiterina y distante a favor de un liderazgo más terrenal y empático.

Macron se réserve le rang « jupitérien » de « père de la nation » […] (19/03/2019)
Macron : surprendre et transformer
Dans l’histoire politique de la France, Macron incarne la tradition du « réformisme autoritaire » (Louis XIV, Napoléon, de Gaulle, Giscard) […] La présidence de Macron évolue pour cesser d’être jupitérienne et distante en échange d’un leadership plus réaliste et empathique29 (26/04/2019).

Au cours de ce débat national, on observe sous la plume des journalistes de l’ABC que lorsque le président de la République accorde certaines mesures sociales pour répondre aux revendications des gilets jaunes, le discours devient nettement plus critique et assorti d’un ton moqueur qui le discrédite. Par ailleurs, on retrouve le regard particulièrement dépréciatif à l’endroit des gilets jaunes, à travers le procédé de la parodie permettant de les comparer à un animal sauvage, jamais rassasié :

Note de bas de page 30 :

Hizo al comienzo reformas impositivas y laborales tímidas que parecieron augurar, junto a algunos gestos europeístas simpáticos, el cumplimiento de su promesa. Pronto se notó que había más estilo que sustancia y cierta confusión: las medidas liberales fueron rápidamente contradichas por políticas estatistas. […] Porque a los «chalecos amarillos» no les gustan los impuestos que pagan ellos, pero les encantan los que pagan los demás. Este trozo de carne lanzado desde el Elíseo no aplacó al tigre y Macron convocó un «debate nacional» que, oh sorpresa, ha sacado al «chaleco amarillo» que todos llevamos dentro.

Au début, il a fait de timides réformes fiscales et du travail qui laissaient augurer, à côté de certains gestes européistes sympathiques, de l’accomplissement de sa promesse. On s’est rapidement rendu compte qu’il y avait davantage de style que de substance et une certaine confusion : les mesures libérales furent rapidement contredites par des politiques étatistes. […] parce qu’aux gilets jaunes, les impôts qu’ils paient ne leur plaisent point, mais ils apprécient beaucoup ceux que paient les autres. Ce morceau de viande jeté depuis l’Élysée n’a pas calmé le tigre et Macron a convoqué un « débat national » qui, Oh surprise, a réveillé le « gilet jaune » que nous portons tous en nous30 (01/02/2019).

Ce discours est réitéré à l’issue du grand débat national et le bilan est dressé  ; Emmanuel Macron est décrit comme un homme politique déchu, dont les promesses ne pourront aboutir. Le lexique employé est celui de l’échec, de l’anéantissement, de la mort, de telle sorte qu’une certaine distance est prise avec l’homme «  providentiel  » initialement apprécié pour ses politiques de tendance libérale  ; la maladie (la fièvre jaune) a emporté avec elle les élans réformateurs du jeune président. On constate donc une rupture avec le discours précédent d’un chef d’État brillant :

Note de bas de page 31 :

La fiebre amarilla paraliza las difuntas ambiciones reformistas de Macron
Los proyectos reformistas liberales de Emmanuel Macron han quedado aplazados «sine die» […] la timidez de las reformas, sometidas a voto parlamentario, sugieren un simple «maquillaje», muy alejado de la gran «transformación» anunciada hace dos años. […] Elegido presidente en 2017, Macron entierra sus difuntas ambiciones liberales más tarde, para intentar apagar el incendio amarillo que estalló el mes de noviembre de 2018 con subvenciones y «cheques» por pagar con deuda pública.

La fièvre jaune paralyse les défuntes ambitions réformistes de Macron
Les projets réformistes libéraux de Macron ont été reportés "sine die" […] la timidité des réformes, soumises au vote parlementaire, suggèrent un simple « maquillage », très éloigné de la grande « transformation » annoncée il y a deux ans. […] Élu président en 2017, Macron enterre ses défuntes ambitions libérales pour plus tard, pour tenter d’éteindre l’incendie jaune qui a éclaté en novembre 2018 avec des subventions et des « chèques » à payer moyennant dette publique31 (13/05/2019).

Sous la plume des journalistes de El País, le portrait et la mise en scène du président de la République se font aussi à partir de trois perspectives : tout d’abord, il est abordé sous ses traits de caractère, puis il est ensuite question de la phase d’affaiblissement pour terminer par le changement d’attitude. Il s’agit davantage de l’individualité du sujet que d’un discours axé autour de sa politique :

Note de bas de page 32 :

La movilización es un toque de atención para el presidente Emmanuel Macron […] pasando por la supuesta arrogancia de Macron.
[…] la falta de tacto en el trato con los ciudadanos: la percepción de que es un líder arrogante y elitista.
[…] reiteradas meteduras de pata y frases ofensivas.
[…] un presidente que quería estar en todos los sitios a la vez y hacerlo todo […] Nadie debía hacerle sombra; solo él daba la cara. Nadie más.

La mobilisation est un rappel à l’ordre pour le président Emmanuel Macron […] en passant par la soi-disant arrogance de Macron (17/11/2018).
[…] le manque de tact à l’égard des citoyens : la perception d’un dirigeant arrogant et élitiste (30/11/2018).
[…] des bourdes et des phrases offensives réitérées (08/12/2018)
[…] un président qui voulait être partout à la fois et tout faire […] Personne ne devait lui faire de l’ombre ; lui seul assumait. Personne d’autre32 (29/04/2019).

De même que l’ABC, El País exploite l’image de Jupiter et du roi Louis XIV. Emmanuel Macron fut le premier à utiliser l’adjectif «  jupitérien  » dans une entrevue à un magazine économique hebdomadaire, assumant parfaitement une forme de verticalité du pouvoir. Un clin d’œil moqueur aux prétendues dépenses du président en maquillage révélées à l’été 2018 - permet d’ironiser sur le fait que la dureté de la situation ne peut être dissimulée et personne n’était préparé à ce mode inédit de protestation. Cette référence présuppose une connaissance de l’actualité française chez le lecteur :

Note de bas de page 33 :

Júpiter, como llaman al dios Macron, ha sufrido un duro aterrizaje en la realidad. Francia no es como se la dibujan sus asesores de imagen. Tanto gasto en maquillaje no sirvió de ocultamiento. […] Una pintada en el muro del Palacio de la Ópera reza: “Macron = Louis 16
El descenso a la tierra de Júpiter - el omnipotente dios romano - está siendo estrepitoso.
Júpiter encarnó el sino de los tiempos erigiéndose como fabuloso hombre movimiento, vanguardia del momento de defunción de los partidos.

Jupiter, comme on appelait le dieu Macron, a subi un difficile retour à la réalité. La France n’est celle que lui dépeignent ses conseillers. Tant de dépenses en maquillage n’ont pas suffi à dissimuler. […] Un graffiti sur le mur du palais de l’Opéra dit : « Macron = Louis 16 » (06/12/2018).
La descente sur terre de Jupiter – le dieu romain tout puissant – s’avère fracassante (08/12/2018).
Jupiter a incarné le signe des temps en s’érigeant en homme fabuleux en mouvement, avant-garde de l’annonce de la disparition des partis33 (14/12/2018).

Puis une approche plus critique caractérise le discours de El País mettant en avant, par le biais de la stratégie discursive de la métaphore culinaire – la France est un exemple en matière de gastronomie - l’incapacité du président à maîtriser la situation sociale. Les qualificatifs empreints d’ironie dépeignent un dirigeant qui manque d’expérience et qui pourtant prétendait maîtriser les «  recettes  » pour réformer la France :

Note de bas de page 34 :

La receta fallida de Macron
Como en la cocina, en política son cruciales los ingredientes, los tiempos y la temperatura. […] Pero él ha hecho del reformismo su marca personal. […] tan listo, tan urbano, tan arrogante y tan inexperto, con una mayoría parlamentaria compuesta de gente parecida a él, en peor, no ayuda en absoluto.

La recette ratée de Macron
Comme en cuisine, en politique les ingrédients, les étapes et la température sont essentiels. […] Mais lui, il a fait du réformisme sa marque de fabrique. […] si intelligent, si urbain, si arrogant et si novice, avec une majorité parlementaire composée de gens lui ressemblant, en pire, ne contribue pas du tout à améliorer la situation34. (07/12/2018).

Selon El País, la méthode ne fonctionne pas : comprendre, écouter les souffrances et garder une attitude de fermeté relève d’une stratégie perdante mise en scène par l’utilisation d’un lexique illustrant la dégradation de l’image, la fin d’un «  règne  » et la difficulté à être audible pour le président. L’autoritarisme qu’on lui voue devient une faiblesse :

Note de bas de page 35 :

Las manifestaciones agravan la erosión del presidente francés […] (30/11/2018)
[…] un presidente desbordado […] El presidente francés sigue sin encontrar la fórmula para desactivar una revuelta cuyo grito más extendido va contra él: “Macron, dimisión”. […] El mensaje de Macron, hasta ahora, ha sido doble. Por un lado, dice comprender el malestar de los chalecos amarillos por la erosión del poder adquisitivo y las desigualdades sociales y territoriales. Del otro, se reafirma en sus reformas y se niega a ceder
Macron a la intemperie
Macron se queda sin respuesta ante la magnitud de la crisis de los ‘chalecos amarillos’ […] Tampoco ha sabido dar con la fórmula que desactive la contestación. […] La respuesta de Macron ha sido minimalista […] El despotismo se transforma entonces en alienación […] Hoy por hoy, Macron está quemado.

Les manifestations aggravent l’érosion du président français […] (30/11/2018)
[…] un président débordé […] Le président français ne trouve toujours pas la formule pour désactiver une révolte dont le cri le plus répandu s’adresse à lui : « Macron, démission ».
[…] Le message de Macron, jusqu’à présent, a été double. D’un côté, il dit comprendre le mal-être des gilets jaunes en raison de l’érosion du pouvoir d’achat et des inégalités sociales et territoriales. De l’autre, il se réaffirme dans ses réformes et refuse de céder (01/12/2018).
Macron dans l’intempérie
Macron demeure sans réponse face à la magnitude de la crise des « gilets jaunes » […] Il n’a pas non plus réussi à trouver la formule pour désactiver la contestation. […] La réponse de Macron a été minimaliste […] Le despotisme se transforme alors en aliénation […] Aujourd’hui, Macron est discrédité35 (02/12/2018).

Le procédé de l’anaphore «  pour la première fois  » contribue à insister sur l’aveu de faiblesse et à ternir l’image fragilisée du président annonçant le point d’inflexion :

Note de bas de page 36 :

Por primera vez, Macron —el presidente jupiterino, como él mismo teorizó sobre la función— titubea y da la impresión de que no sabe qué hacer. Por primera vez, bajo la presión de la calle, rectifica y anula una decisión ya adoptada como es la subida de las tasas al carburante (08/12/2018).

Pour la première fois, Macron – le président jupitérien, comme lui-même a théorisé sur la fonction- titube et donne l’impression qu’il ne sait pas quoi faire. Pour la première fois, la pression de la rue a baissé, il corrige et annule une décision déjà adoptée comme c’est le cas de la hausse des taxes du carburant36 (08/12/2018).

Le quotidien s’attache à souligner un changement d’attitude du chef de l’État face aux demandes des gilets jaunes. Le procédé d’énonciation appartient au champ de la réconciliation mettant en scène un homme désormais disposé à l’échange et à l’écoute, le lexique relève quasiment de la contrition. Dans les extraits suivants, le lecteur comprend l’urgence d’une crise que le président souhaite apaiser :

Note de bas de page 37 :

Macron busca desactivar, sin ceder, las protestas de los “chalecos amarillos” […] desconcertado por esta revuelta sin líderes ni ideología […] abrir el diálogo con la sociedad […] ceder ahora dejaría tocada su credibilidad y la presidencia. Pero empleó un tono humilde, empático con las clases medias […] La nueva actitud […] El gesto señala una corrección de la verticalidad que ha caracterizado el estilo de gobierno de Macron: él decidía; el resto obedecía […] El presidente exhibió una voluntad de atender a la Francia periférica.
[…] entonó un mea culpa por su actitud, percibida como hiriente hacia los más desfavorecidos […] gesto de humildad […] El discurso fue un primer paso en el esfuerzo de Macron por reconquistar a los franceses. […].
El mea culpa del presidente por las actitudes arrogantes del pasado puede ayudarle a reconquistar a los franceses.
Macron, acusado de gobernar con arrogancia desde que ganó las elecciones de 2017, parece haberlo entendido.

Macron cherche à désactiver, sans céder, les protestations des « gilets jaunes » […] déconcerté par cette révolte sans leaders ni idéologie […] ouvrir le dialogue avec la société […] céder maintenant mettrait à mal sa crédibilité et la présidence. Mais il a utilisé un ton humble, empathique avec les classes moyennes […] La nouvelle attitude […] Le geste signale une correction de la verticalité qui a caractérisé le style de gouvernement de Macron : lui décidait, le reste obéissait […] Le président a montré une volonté de s’occuper de la France périphérique (26/11/18).
Le mea culpa du président pour les attitudes arrogantes du passé peut l’aider à reconquérir les Français (11/12/2018).
Macron, accusé de gouverner avec arrogance depuis qu’il a remporté les élections de 2017, semble avoir compris37 (13/01/2019).

L’énonciation du média consiste à personnaliser le récit et à créer un sentiment d’humanité chez le président alors décrit de manière peu sympathique plus haut. El País, sur le même mode que son confrère l’ABC, emploie une rhétorique plutôt flatteuse pour représenter un «  nouveau  » président plus humain et brillant lors du grand débat national :

Note de bas de page 38 :

Macron retoma impulso tras la crisis de los ‘chalecos amarillos’ […] el presidente demostró su dominio exhaustivo de todos los temas […] La humildad es una estrategia. En los debates, Macron despliega sus dotes persuasivos y expía su arrogancia […]”.

Macron reprend de l’élan après la crise des « gilets jaunes » […] le président a démontré sa maîtrise exhaustive de tous les sujets […] L’humilité est une stratégie. Dans les débats, Macron déploie ses talents de persuasion et rachète son arrogance […]38 ». (05/02/2019).

Note de bas de page 39 :

Como ejercicio de democracia de base - los ciudadanos expresándose y el poder escuchando - es una novedad”.

Cependant, El País reste plus modéré et réservé en termes de compliments que l’ABC quand il présente l’initiative de ce débat national : « Comme exercice de démocratie élémentaire – l’expression des citoyens et le pouvoir à l’écoute – est une nouveauté »39 (15/03/2019). L’exemple suivant illustre le ton moqueur déjà employé ailleurs. Le quotidien cherche la complicité de son lecteur grâce à une référence culturelle espagnole et par ce procédé, minimise l’initiative du débat national comme deuxième réponse à la crise sociale. Vicente est un personnage littéraire populaire, créé par Rafael Azcona pour la revue humoristique La Codorniz, publiée dans l’Espagne franquiste. Vicente est un jeune garçon prodige à l’intelligence exceptionnelle, capable de tenir des discours sur n’importe quel sujet, d’où son côté exaspérant :

Note de bas de page 40 :

Pregunte usted: Macron lo sabe todo […] El líder francés exhibe en los debates con alcaldes y ciudadanos un dominio detallado de los temas, reflejo de la formación de las élites de su país […] ¿Líder ejemplar? ¿O repelente niño Vicente?

Posez votre question : Macron sait tout […] Le dirigeant français exhibe dans les débats avec les maires et les citoyens une maîtrise précise des sujets, reflet de la formation des élites de son pays […] Dirigeant exemplaire ? Ou odieux Monsieur Je Sais Tout ?40 (09/02/2019).

Le quotidien conclut à l’issue du grand débat national que la méthode Macron doit être impérativement revue. Pour construire cette représentation du «  nouveau président  », il utilise une référence historique, ayant recours à la notion que Lamizet (2006 : 177) dénomme «  l’interévenementialité  » qui donne sa signification à un évènement en le rapprochant ou en le confrontant à un autre évènement, ici l’exercice de la monarchie. Ainsi, il est urgent que le chef de l’État cesse de gouverner seul et cède du pouvoir à son équipe :

Note de bas de page 41 :

La impostación monárquica —esa voluntad, que el propio presidente ha teorizado, de ocupar el espacio que dejó vacío el rey al ser decapitado en 1793— deja paso a las proclamaciones de humildad. El nuevo método implica ceder poder a su primer ministro, a sus ministros y a los diputados

L’optique monarchiste – cette volonté que le président lui-même a théoriséé, d’occuper l’espace libéré par le roi quand il a été décapité en 1793 – laisse place aux proclamations d’humilité. La nouvelle méthode implique de céder du pouvoir à son premier ministre, à ses ministres et aux députés41 (29/04/2019).

Nous pouvons poser à grands traits que dans le corpus des articles tirés de l’ABC, la plupart des textes véhiculent une représentation culpabilisante des gilets jaunes qui semblent être les responsables des évènements et de plus sont dépeints comme une menace pour la paix sociale, un phénomène dérangeant. En revanche, les articles de El País offrent une image plutôt victimisante des acteurs. Ce quotidien semble plus enclin à apporter une analyse visant à expliquer et comprendre le mouvement, mobilisé pour la recherche d’une justice sociale dans une société de plus en plus polarisée entre riches et pauvres. Les gilets jaunes représentent certains secteurs de la France qui se sentent méprisés, laissés pour compte par les institutions, donc par le Gouvernement. El País n’omet cependant pas d’informer sur les actions commises par certains gilets jaunes, mais sans toutefois les qualifier ni les déplorer.

En ce qui concerne le président de la République, chacun des médias présente un schéma d’analyse quelque peu différent. L’ABC commence par la complexité de la situation que doit affronter Emmanuel Macron alors que El País se consacre d’abord à dessiner le portrait psychologique de l’homme faisant essentiellement ressortir les faiblesses et les insuffisances. La seconde étape pour l’ABC sera d’exposer la reprise en main de la situation avec brio par Emmanuel Macron quand El País dépeint un président de la République débordé et dépassé par les évènements. La troisième et dernière consiste pour l’ABC à tracer un bilan de la situation pour conclure que l’élan réformateur promu et défendu par l’homme d’État ne pourra pas être mené à bien. El País exposera la disposition de l’homme à changer, mais sous des airs de contrition. Comme nous pouvons le constater, la rhétorique diffère d’un journal à l’autre et offre une grille de lecture particulière pour proposer aux lecteurs de se reconnaître. Le quotidien de centre gauche privilégie les aspects sociaux alors que celui de droite préfère un patron d’argumentation qui pointe une situation particulièrement difficile à maîtriser pour le président et son gouvernement. La bipolarité n’est pas complètement tranchée, mais il n’en demeure pas moins qu’en dépit de l’extrême difficulté à représenter et expliquer le mouvement, chacun des médias priorise certains aspects plus que d’autres. Afin de prolonger cette étude, ce qui n’était pas envisageable ici en raison des limites de l’article, il serait intéressant d’aborder la représentation de la violence du mouvement et les parcours argumentatifs adoptés par chacun des médias.