Le modèle du patient vertueux : un modèle doublement inverse The virtuous patient model: a doubly inverted model

Ambre LAPLAUD 

https://doi.org/10.25965/trahs.5357

Le droit, en tant qu’ensemble normatif, est le témoignage ou l’expression d’une culture, de positionnements de groupes sociaux. Les valeurs ainsi véhiculées sont parfois « posées », c’est-à-dire qu’elles deviennent des normes sociales dont le législateur s’est inspiré. Appliqué à la santé, le modèle du patient vertueux n’a de cesse d’évoluer. D’abord en réaction aux revendications des associations de patients, le législateur a affirmé les droits fondamentaux des usagers du système de santé au cœur de la démocratie sanitaire. Cependant, ce modèle chimérique du patient autonome, ne peut être le reflet de la réalité en ce qu’il n’est pas transposable aux personnes vulnérables. D’autre part, en raison du système de sécurité sociale budgétairement contraint, le législateur tente d’orienter les comportements responsables, plus économes des ressources budgétaires en santé. Le modèle du patient vertueux est alors un patient dont l’autonomie est recherchée dans son parcours de vie et son pendant invoqué celui de sa responsabilisation. Cependant, il semble possible d’alimenter le capital vertueux du patient dans la relation de soins d’abord par la valorisation des savoirs expérientiels mais également par un usage raisonné du numérique pour que celui-ci soit un outil au service des usagers. Enfin, d’autres versions du modèle du patient vertueux devraient être esquissés par le législateur. En effet, afin de protéger le climat et les ressources naturelles, l’invocation des droits des générations futures trouverait ici un terreau fertile pour faire valoir leur droit à la protection de leur santé, y compris environnementale.

El derecho, como conjunto normativo, es el testimonio o la expresión de una cultura, de posiciones de grupos sociales. Los valores así transmitidos a veces se “postulan”, es decir, se convierten en normas sociales en las que el legislador se ha inspirado. Aplicado a la salud, el modelo del paciente virtuoso está en constante evolución. Primero en respuesta a las demandas de las asociaciones de pacientes, el legislador afirmó los derechos fundamentales de los usuarios del sistema de salud en el corazón de la democracia sanitaria. Sin embargo, este modelo quimérico del paciente autónomo no puede reflejar la realidad en la medida en que no puede trasladarse a personas vulnerables. Por otro lado, debido a la restricción presupuestaria del sistema de seguridad social, el legislador está tratando de orientar el comportamiento responsable, que ahorra más recursos presupuestarios en salud. El modelo del paciente virtuoso es entonces un paciente cuya autonomía se busca en su curso de vida y su contrapartida invoca la de su empoderamiento. Sin embargo, parece posible alimentar el capital virtuoso del paciente en la relación asistencial valorando primero el conocimiento experiencial pero también un uso razonado de la tecnología digital para que sea una herramienta al servicio de los usuarios. Finalmente, el legislador debería esbozar otras versiones del modelo del paciente virtuoso. En efecto, para proteger el clima y los recursos naturales, la invocación de los derechos de las generaciones futuras encontraría aquí terreno fértil para hacer valer su derecho a la protección de su salud, incluida la ambiental.

O direito, como um todo normativo, é o testemunho ou expressão de uma cultura, das posições dos grupos sociais. Os valores assim veiculados são, por vezes, « estabelecidos », ou seja, tornam-se normas sociais das quais o legislador se inspirou. Aplicado à saúde, o modelo de paciente virtuoso está em constante evolução. Em primeiro lugar, em resposta às reivindicações das associações de doentes, o legislador afirmou os direitos fundamentais dos utentes do sistema de saúde no cerne da democracia sanitária. No entanto, este modelo quimérico do doente autónomo não pode refletir a realidade na medida em que não é transponível para pessoas vulneráveis. Por outro lado, devido ao sistema previdenciário fiscalmente restrito, o legislador tenta orientar um comportamento responsável, recursos orçamentários mais econômicos na saúde. O modelo do paciente virtuoso é, então, um paciente cuja autonomia é buscada em seu curso de vida e sua contraparte invocada a de sua responsabilidade. No entanto, parece possível alimentar o capital virtuoso do paciente na relação de cuidado, primeiramente valorizando o conhecimento experiencial, mas também pelo uso racional da tecnologia digital para que ela seja uma ferramenta a serviço dos usuários. Finalmente, outras versões do modelo de paciente virtuoso devem ser delineadas pelo legislador. Com efeito, para proteger o clima e os recursos naturais, a invocação dos direitos das gerações futuras encontraria aqui um terreno fértil para afirmar o seu direito à proteção da sua saúde, incluindo a saúde ambiental.

The law, as a normative set, is the testimony or the expression of a culture, of positions of social groups. The values ​​thus conveyed are sometimes “wroten”, that is to say, they become social norms from which the legislator has drawn inspiration. Applied to health, the virtuous patient model is constantly evolving. First in response to the demands of patient associations, the legislator affirmed the fundamental rights of users of the health system at the heart of health democracy. However, this chimerical model of the autonomous patient cannot reflect reality in that it cannot be transposed to vulnerable people. On the other hand, because of the budgetary constrained social security system, the legislator is trying to guide responsible behavior, which saves more budgetary resources in health. The model of the virtuous patient is then a patient whose autonomy is sought in his life course and his counterpart invoked that of his empowerment. However, it seems possible to feed the virtuous capital of the patient in the care relationship first by valuing experiential knowledge but also by a reasoned use of digital technology so that it is a tool at the service of users. Finally, other versions of the virtuous patient model should be sketched out by the legislator. Indeed, in order to protect the climate and natural resources, the invocation of the rights of future generations would find fertile ground here to assert their right to the protection of their health, including environmental.

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Introduction

« À chaque instant, nous sommes inconscients de la majeure partie des phénomènes sociaux qui agissent sur nous. La « main invisible » qui, dans une société libérale idéale, ajuste au mieux les intérêts de tous, échappe à la perception des individus. Certes, elle est parfois efficacement aidée par la violence de l’État, qui, elle, se donne à voir de façon spectaculaire, mais le plus souvent, l’ordre social s’exerce silencieusement. De nombreuses formations sociales nous dictent nos conduites sans que nous nous y sentions contraints. Chacune des nombreuses collectivités auxquelles nous appartenons nous proposent des idéaux que nous faisons nôtres. Nous prenons les places que nous assignent l’école, l’hôpital ou le musée, sans qu’on nous y force, parce que nous adoptons les idéaux de ces institutions pour faire partie des heureux bénéficiaires de l’éducation, de la santé et de la culture… »
DIATKINE G. (2002) « L'inconscient des peuples »

Note de bas de page 1 :

Pour un aperçu de la notion de pluralisme voir : John Griffiths, “What is Legal Pluralism?”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, vol. 18, n° 24, 1986, pp. 1-55. Pour ses origines, voir notamment : Santi Romano, L’ordre juridique, Dalloz, Paris, 2002.

Du point de vue de l’ethnologie juridique, au sein de groupes constitutifs de sociétés, des comportements et des valeurs s’enracinent dans l’organisation sociale parfois de manière relativement autonome par rapport au droit étatique, selon la théorie du pluralisme juridique reconnaissant l’existence d’une pluralité de normativité1. À l’inverse, selon le monisme juridique, seul le droit constitue un support de ces valeurs, à condition de comprendre qu’il se dissémine dans des pratiques diverses : il se diffuse dans la société. Ainsi, par les valeurs qu’il véhicule, le droit, en tant qu’ensemble normatif, est le témoignage ou l’expression d’une culture (Négri et Schulte-Tenckhoff, 2016 :18). Il permet l’insertion de modèles. Ainsi, le droit positif est compris comme « posé à partir de ce qui le pose » (Terré, 2003 : 36).

Note de bas de page 2 :

On la retrouve dans le droit des successions avec l’idée que celui qui est mort continue à vivre dans la personne de ses descendants notamment en matière de dette ou pour protéger les intérêts d’un enfant à naître ou encore dans le droit des sociétés où la création de la personne morale est anticipée avec la reprise des actes passés pour le compte de la société en formation.

Note de bas de page 3 :

cf. C. Fleury, Vulnérabilités, disponible sur : https://chaire-philo.fr/philosophie-design-sous-langle-du-care-pourquoi-et-comment-introduction-au-design-with-care/

Parfois ce n’est pas un modèle vivant qui invite le législateur à déployer son art normatif mais son imaginaire. Celui-ci crée un idéal social, une tendance vers laquelle tout usager du système de santé devrait se confronter, se comparer et s’inspirer, afin d’en copier l’essence. Le recours du législateur à la fiction juridique est parfois d’un grand secours, ce qui n’a rien d’inédit en droit français2. L’exemple bien connu de cette technique juridique est celle du « Bonus Pater Familias » autrement dit « du bon père de famille ». Sa désuétude lui vaut à ses origines qui remontent au système patriarcal, du temps où seuls les hommes étaient sujets de droit. Cette expression a inspiré un grand nombre de textes de loi, principalement du Code civil. D’une fiction juridique à un fantasme ? Le législateur n’est pas le seul à recourir à cette technique. Les designers utilisent le « design fiction »3. Ils proposent un modèle d’usage pour ensuite le confronter à la réalité et suivant l’analyse faite de la posture des usagers, adressent des préconisations d’usages.

En l’espèce, ce ne sont pas ses fondements qui interpellent mais son model, son processus. Il s’agit d’un concept, d’un standard juridique. Le « bonus pater familias » est un individu abstrait, considéré comme la norme en fonction de laquelle se mesure le comportement d’une personne donnée pour déterminer l’existence ou la mesure éventuelle d’une faute. Le bon père de famille se veut prudent, diligent, attentif, soucieux des biens et/ou des intérêts qui lui sont confiés. Or, lorsque le comportement d’une personne s’est écarté de cette norme, il est qualifié de fautif, faute qui peut être simple ou lourde selon la gravité du comportement ou le degré de déviation par rapport à la norme. Depuis son abrogation en raison de son caractère sexiste par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, on retrouve ce concept sous la notion de « raisonnable ».

Appliqué à la santé, le patient vertueux n’est pas qu’un concept abstrait, reflet d’un individu exempt de problèmes de santé, de maladie… Il s’agit d’un idéal, un patient qui utilise, sollicite les services qui lui sont proposés, ou du moins ceux qui sont prévus par le système de santé, de façon raisonnable mais surtout responsable. Cependant, l’évolution de la posture sociale recherchée du patient ne peut être analysée sans son pendant : celle du professionnel de santé. Ainsi, qu’en est-il aujourd’hui de la fiction juridique du « colloque singulier » ? Est-elle une image du passé ? Selon François Vialla, « la métamorphose de la relation de soins est manifeste » (Vialla, 2023), longtemps elle fut décrite comme associant « un profane à un initié » (Savatier, 1959 : 189), elle fut, ensuite, présentée comme « le rapport de l’ignorant au savant » (Savatier, 1959 : 191), ou « d’un faible envers un protecteur » (Auby, Péquignot, Savatier, 1956 : 224). Il semble bien possible de considérer que « la représentation traditionnelle du colloque singulier en tant que rencontre entre un « sachant » et un « ignorant » se périme » (Debost, 2015 : 385 et 389).

Quels sont les contours du modèle du patient vertueux ? Pour y répondre, il convient de s’intéresser au processus qui a permis à ce concept abstrait de prendre vie au sein du Code de la santé publique. En effet, le modèle actuel est un modèle paradoxal, chimérique. Il est celui d’un patient autonome, autodéterminé, responsabilisé par un système de santé contraint financièrement (I). Cependant, ce modèle mérite d’être mis en perspective car même si le législateur influe sur les comportements des usagers pour induire une posture plus raisonnable et vertueuse, les usagers sont également créateurs de nouveaux modèles dont le législateur pourrait s’inspirer (II).

I- Un artiste législateur inspiré, des modèles d’usagers inspirants : un patient vertueux autonome et responsable

Le législateur avait initialement comme modèle le professionnel de santé, car soigner, serait le premier art de la vie (Collière, 1998). Ars-artis signifie talent, savoir-faire, l’habilité et ce à quoi s’appliquent ces qualités, le métier, la profession. L’art médical et du soin relève donc davantage de la réitération d’un savoir-faire que de la création artistique. Ainsi, le « respect des règles de l’art » fait référence à la manière de faire les choses selon une méthode, un protocole, des recommandations de bonnes pratiques. Cependant,

par la réitération du savoir-faire acquis, le médecin ne produit pas à proprement une œuvre originale quand il prodigue un traitement ou lorsqu’il pratique un acte. Il doit, en revanche, par son « savoir-être », faire en sorte que la relation nouée avec chaque patient soit une œuvre unique. (…) Le soin impose d’être tout à la fois technicien-artisan et artiste inspiré, créateur d’une relation interpersonnelle (Vialla, 2023).

Mais l’attention du législateur s’est portée, bon gré malgré, sur le patient-acteur de sa santé. En effet, les mutations sociétales du modèle du patient influent conjointement sur le comportement attendu du professionnel de santé. Son savoir-être est lié à la métamorphose du colloque singulier au sein duquel le patient jouirait de son autonomie (A). Ce concept du « colloque singulier vertueux » a malheureusement tendance à orienter le système de santé vers une pénalisation des comportements considérés comme « non raisonnables », contraires aux préconisations des sociétés savantes et des autorités administratives (B).

A) L’autonomie du patient en clair-obscur

Le principe de l’autodétermination modélise un patient détenteur de ses choix (1), et d’un côté plus pervers, celui de le rendre plus responsable dans un domaine où il demeure un profane (3). Le législateur a dressé les contours du droit médical qui a permis l’émergence d’une forme de socialisation des risques (Laplaud, 2016 : 108) et le mythe du colloque singulier (2).

1- L’origine du mythe de la codécision : le modèle vivant du patient sujet de droit

Note de bas de page 4 :

Vers 460-380 avant Jésus-Christ, Hippocrate de Cos a dressé un ensemble de règles de pratiques médicales qui lient encore aujourd’hui les médecins lorsqu’ils prêtent serment.

Les évolutions législatives et jurisprudentielles sont récentes comparées aux origines du droit de la santé4. Même si la rationalisation de l’activité médicale, l’organisation de l’offre de soins sont des préoccupations constantes pour le législateur, il a fallu attendre une vision plus globalisante vers les 19 et 20ème siècles. Pendant longtemps les règles de déontologie médicale étaient fortement empreintes de paternalisme médical. En 1955, l’article 29 du code de déontologie médicale précisait encore que « […] le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’exécution du traitement, particulièrement si la vie du malade est en danger […] ». La suprématie du sachant conduisait alors à une infantilisation du patient, a fortiori singulièrement envers les personnes vulnérables dont les personnes âgées (Vialla, 2021), tant dans ses propos que dans sa posture. Le modèle du patient vertueux était un patient docile, confiant, conciliant, passif, davantage objet de soins que sujet des soins. D’où le nécessaire changement de paradigme. Ainsi, selon Philippe Clément,

les soins ne [peuvent] avoir d’actions au-delà des symptômes qu’à condition que le malade soit réhabilité dans sa position de sujet ; réhabilitation qui commence peut-être par donner au malade la possibilité d’être sujet du droit, avec les avantages, mais aussi les contraintes que cela implique, et notamment celle d’avoir à s’expliquer, le cas échéant devant la société (Clément, 2001 : 341).

Si l’approche moderne du droit de la santé s’est développée avec les grandes avancées scientifiques, l’essor de l’éthique et du modèle du patient-sujet de droits n’est pas le seul fruit de la volonté des praticiens d’améliorer leurs pratiques. Il est né en réaction aux scandales liés aux recherches biomédicales pendant et après la seconde Guerre Mondiale. C’est en réaction à ces atrocités qu’un droit à la protection de la santé est proclamé à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Il affirme clairement que « La Nation garantit à tous (…) la protection de la santé ». Sa référence au sein du préambule de la Constitution de 1958 lui confère une valeur constitutionnelle.

Par conséquent, la source d’inspiration du législateur pour dresser le modèle du patient sujets de droits est récente et est relative à la prise en considération du consentement du patient. Tout d’abord au début des années 1980 avec la découverte du syndrome d’immuno déficience acquise, les patients ont été très demandeurs d’informations pour comprendre cette infection. Puis entre les années 1990 et 1995, la demande des patients a été fortement relayée par des associations mieux structurées et porteuses de ces revendications. Enfin, la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients est la reconnaissance des libertés fondamentales du droit à l’information et au consentement. Cette loi symbolise la volonté du législateur de placer le malade au cœur du système de soins et de lui reconnaître son autonomie (Laplaud, 2019 : 12).

En plus d’être inscrit dans le marbre des droits fondamentaux, le législateur l’a modelé dans l’argile du Code de la santé publique. Le législateur a donc consacré le modèle « du patient sujet de droits » tel que prôné par les associations revendicatrices (Carlin, 2014 : 2) créant un nouveau modèle mythique, celui de la codécision.

2- Le mythe de la codécision : du modèle vivant à des modélisations impossibles

Le modèle du patient codécideur repose sur l’expression d’un consentement. Ainsi, l’émergence des problématiques relatives à la codécision est liée aux transformations sociales, dont l’affirmation de la démocratie. Le patient, comme tout autre sujet de droit, est passé d’une forme de domination, de consentement fondé sur le rapport mutuel et réciproque de deux volontés inégales à un consentement « démocratique » fondé sur un principe abstrait de liberté et l’avènement d’un individu autonome (Coste, Costet, Tangy, 2008 : 5).

La clé de voûte de la relation sociale, a fortiori médicale, est d’asseoir la légitimité d’un acte -médical - pour obtenir le consentement éclairé du citoyen - patient. Le consentement est alors le sujet fondamental et principiel du droit de la santé (Laplaud, 2019 : 10).

Or, le modèle du patient vertueux dépeint par le législateur implique nécessairement un patient capable de consentir à un acte respectant un « méta-cadre » afin d’éviter toute dérive où le patient serait libre de porter atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce modèle du patient vertueux s’analyse donc à l’aune cette notion de consentement et de ses limites.

Il s’agit d’un outil juridique, contrôlé par le juge et qui prend sa source dans une fiction sociale, éthique et médicale tenace. Ainsi la confiance du patient qu’il accordait à son professionnel de santé a fait place à l’expression du consentement et à la reconnaissance du principe d’autonomie du patient. Ainsi, « le consentement est prioritairement l’expression d’un droit de la personne humaine, un droit à l’autodétermination » (Guillot, 2014 :1). Selon Marion Girer, « le véritable fondement de l’exigence du consentement se trouverait dans un ordre juridique supérieur imposant le respect de la dignité et de l’inviolabilité de la personne humaine » (Girer, 2008 : 189). Il est un préalable indispensable à la contractualisation de la relation médicale. Le consentement intervient en second lorsqu’il est question d’accepter, d’adhérer aux soins. En effet, les conséquences du geste médical ne concernent pas uniquement le corps. Le patient ne confie pas seulement une partie de son corps, il se confie en tant qu’être humain, avec toutes les dimensions que cela recouvre.

Note de bas de page 5 :

CE, ord., 16 août 2002, Feuillatey.

Note de bas de page 6 :

CC, 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Loi bioéthique ; Cass. Civ. 1ère, 19 octobre 2001

Sous l’influence et la prévalence de la conception anglo-saxonne, traditionnellement opposés au principe de bienfaisance, dont l’excès est le paternalisme, les droits ont évolué et le modèle du patient vertueux a suivi cette mouvance. Les droits à l’autonomie et à l’autodétermination se sont progressivement imposés et limitent le principe d’indisponibilité du corps humain. Ainsi, lorsque le consentement dépasse les contours légaux5, les principes de dignité - qualifiée de droit constitutionnel6 - et d’autonomie prennent le relai. Ils s’immiscent dans les débats sociétaux à l’instar de la fin de vie, la gestation pour autrui, les recherches biomédicales, l’usage des données de santé. L’ordre public de protection de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine fait donc appel à une notion objective, ou à une notion « objectivée » de l’intérêt et du bien-être du patient-usager et subjective de liberté personnelle.

Note de bas de page 7 :

CCNE, avis, n° 87, p. 20 : « le consentement à l’acte médical se rattache au principe de respect de l’intégrité du corps humain, au nom de la dignité de la personne humaine. Ce principe est présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme, et la Charte des droits fondamentaux y consacre son titre 1 et y place le principe de l’intégrité du corps humain ».

Le consentement de la personne ne peut donc légitimer toute atteinte au corps humain7. Il s’agit dès lors d’un pouvoir négatif, un pouvoir d’opposition à l’atteinte partagée entre le sujet et le professionnel de santé.

Note de bas de page 8 :

Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 – art. 3

Note de bas de page 9 :

Art. R. 4127-32 Code de la santé publique

On constate une mutation sociale par un évident relâchement de l’exigence de « nécessité médicale », notion particulièrement évasive (Gründler, 2014 : 65-82), légitimant l’entorse aux principes de l’inviolabilité (Binet, 2017 : 130) et de l’indisponibilité (Vialla, 2010 : 64). Le Civil8 et le Code de la santé publique précisent les conditions. En vertu de l’article L. 1110-5, l’acte doit être respectueux de normes techniques évoquées sous l’expression de « connaissances médicales avérées » et des « données acquises de la science »9. Il s’agit des « règles de l’art » qui s’inscrivent dans une balance de proportionnalité entre bénéfices escomptés et risques normalement prévisibles encourus.

Or, il est manifeste que notre rapport au corps a considérablement évolué. « Préserver ou restaurer un pouvoir être est au cœur du soin, mais un glissement se fait jour devant des revendications nouvelles sollicitant la médecine pour accompagner des choix de vie, voire pour satisfaire des désirs » (Truchet, 2022 : 423). Dès lors les conditions strictes d’atteinte à l’intégrité corporelle, exigées dans la relation de soins, semblent en décalage avec les métamorphoses de la société. Le spectre d’une médecine de convenance se profile si la volonté est érigée en unique critère de licéité de l’acte. Ainsi, La subjectivisation de la santé élargit la sphère médicale, de ce qui était pathologique à une médecine plus utilitariste. Le recours à un acte médical vise à répondre à des désirs individuels en dehors de toute finalité préventive, de diagnostic ou de soin. (Laplaud, 2019 : 34).

Note de bas de page 10 :

Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO du 5 mars 2002

Par ces nouveaux droits reconnus aux patients, le modèle évolue en faveur d’un patient « citoyen-acteur » (Laude, 2007 : 1151) de la « démocratie sanitaire »10 opérant ainsi une « révolution culturelle du patient » (Leca, 2008 : 317). Il faut dès lors être conscient que

la fiction juridique du droit des malades repose sur une égalité des statuts […] mais qui ne peut feindre d’ignorer que l’égalité ne fait pas la similitude. Que le malade soit sujet de droit n’enlève pas la dépendance qui fait que, dans sa demande de soin, il est dépendant, vulnérable, fragilisé au point de ne pouvoir choisir seul, ou être laissé seul dans la solitude du choix, exalté au nom de l’autonomie. […] La reconnaissance récente de l’autonomie de l’usager en droit de la santé n’annihile pas cette dépendance mais interroge la possibilité d’une autonomie dans la dépendance (Vialla, 2023).

3- L’illusion de l’autonomie des usagers vulnérables

Du modèle paternaliste, sur lequel se fonde le principe de bienfaisance, la relation médicale glisse vers un modèle plus respectueux des droits individuels. Battant en brèche le postulat selon lequel le patient se soumettait à l’expertise du médecin, ce dernier est tenu de procurer des soins adaptés après avoir informé le patient et recueilli son consentement libre et éclairé. Celui-ci est présenté d’abord comme un levier contre l’asymétrie de la relation médicale avant de parvenir à l’apogée sur l’influence de la subjectivité de l’autonomie du patient (Laplaud : 2019. 13). La « médecine contrainte » laisserait la place à une implication plus volontariste, à la responsabilisation des acteurs.

Note de bas de page 11 :

Avis 136 CCNE, « L’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin », 2021 : 4.

Si le CCNE a pu considérer que le consentement « […] bénéficie d’un cadre juridique clair qui le consacre en tant que droit et liberté fondamentale […] »11, cette approche suscite toujours des débats. En effet, l’aptitude à percevoir l’information et à consentir à longtemps été sujette à caution : « le consentement “éclairé” du malade, à chaque étape de ce petit drame humain, n’est en fait qu’une notion mythique que nous avons vainement cherché à dégager des faits » (Portes, 1954 : 170). Convient-il de dire la vérité au patient ? Est-il éthique de faire de la rétention d’information ? Le mensonge peut-il amener à un meilleur soin ? Ces questions ont longtemps été, et demeurent débattues dans le souci de préserver « la liberté d’appréciation au médecin, faute de quoi on risquait de limiter ses initiatives thérapeutiques aux dépens de l’intérêt réel du malade » (Portes, 1954 :173).

Note de bas de page 12 :

Art. L. 1111-4 al 5 du Code de la santé publique.

Note de bas de page 13 :

Ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d'accompagnement social ou médico-social à l'égard des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique – art. 2 modifiant l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique.

Que serait l’image du « bonus pater familias » à l’aune de l’article 1129 du Code civil ? Celui-ci dispose que : « Conformément à l'article 414-1, il faut être sain d'esprit pour consentir valablement à un contrat », sans pour autant expliquer ce qu’il faut entendre par « sain d’esprit ». Sur le plan lexical et dans la continuité du concept abstrait, une personne saine d’esprit est une personne sensée, raisonnable. Mais a contrario, cela fait écho à l’insanité, la déraison, l’irrationalité, ainsi qu’au volet médical de la santé mentale tels que les troubles du comportement, l’aliénation mentale, la démence… Stricto sensu, le Code civil exclurait alors du droit de contacter tous les malades dont le jugement serait mentalement altéré. Une telle approche ne peut être retenue sur le plan éthique. C’est là tout l’enjeu de l’analyse du principe du consentement. De plus, l’article 1148 reconnaît que « Toute personne incapable de contracter peut néanmoins accomplir seule les actes courants autorisés par la loi ou l'usage, pourvu qu'ils soient conclus à des conditions normales ». La question se posait de savoir si le consentement des personnes incapables juridiquement, dans le domaine médical, dérogeait aux dispositions du droit commun et être inclus dans l’exception relative aux « actes courants » (Viennois, 2005 : 37-50). Aujourd’hui, tant pour les mineurs que les majeurs sous mesure de protection, « leur consentement (…) doit être systématiquement recherché »12. Par conséquent, la théorie du consentement nuance le droit des incapacités13. Le consentement est valorisé et se présente comme un vecteur d’évolution de la décision et de la relation médicale. Finalement, c’est la matière médicale, au croisement de la science, de l’éthique et du droit, qui redessine les notions de « consentement », de « responsabilité » et le « mythique » contrat médical. Ainsi,

la place faite aujourd’hui à l’autonomie et à la recherche de la volonté de la personne vulnérable, ou/et en perte d’autonomie, permet de considérer que dans la relation de soins notre droit fait le pari de ne plus exclure par l’incapacité mais de protéger par l’autonomie : L’autonomie du patient semble donc faire reculer le pouvoir du médecin (Vialla, 2023).

Ainsi, l’évolution de nos sociétés interrogent sur la figure traditionnelle de « l’usager » des services sanitaires. Que ce soit face à la maladie, au handicap, ou au grand-âge, que signifie aujourd’hui d’être usager de ces politiques publiques ? L’usager est-il désormais un véritable acteur, non seulement pour lui-même mais pour la collectivité qu’il peut contribuer à améliorer ? Dans quelle mesure une personne malade peut-elle faire valoir sa parole dans le processus de ses propres soins ? De quels pouvoirs disposent les personnes âgées pour agir sur les politiques publiques qui leur sont consacrées ?

Enfin, le modèle du patient vertueux, tel que retranscrit par les aspirations sociales, dépeint une approche magnifiée de l’autonomie du patient, au risque de cantonner le professionnel de santé dans un rôle de « technicien du corps » et de prestaires de service, répondant aux volontés des patients.

La crise du système de santé résulte de la fracture entre égalité, autonomie, auto-perception, autodétermination, vie privée, droits des patients et la liberté des praticiens. Alors même que cette tendance vise à favoriser et valoriser les comportements vertueux, ce système de « récompense » se heurte au principe de réalité : elle nie l’existence même des inégalités sociales et territoriales de santé. Ainsi en suivant une telle logique, une personne âgée en perte d’autonomie pourrait-elle être « pénalisée » du fait de sa non-adhésion aux programmes de prévention ? Les institutions créeraient alors une injustice sociale, à l’opposé de la solidarité nationale prônée par notre système de sécurité sociale. Or ce sont les facteurs de cette non-adhésion qu’il convient de rechercher et sur lesquels il convient d’agir en respectant les droits fondamentaux des usagers.

B) Les exigences du législateur en toile de fond pour le renforcement de la responsabilisation du patient : un comportement socialement contraint ?

Le modèle du patient vertueux est aussi un citoyen participant à la démocratie sanitaire et un usager qui consent à une prise en charge particulière, s’inscrivant dans le cadre d’une politique publique, que ce soit autant en termes d’actes que de pertinence (Ginon, 2018 : 428) et de qualité des soins. Il est enfin un assuré-social dont le comportement individuel est orienté, via une éducation à la santé et par la peur d’une sanction ayant pour effet de limiter son droit à la protection de la santé tels que le non-financement des soins ou la suppression de prestations (1). En sus de son caractère actif, le modèle du patient vertueux intègre le patient dans un parcours de santé (2).

1- Du patient responsable au patient observant et débiteur du droit à la protection de sa propre santé

La version du modèle du patient vertueux « observant » est une déclinaison poussée à son paroxysme de son œuvre originale : un patient autodéterminé, responsable de ses choix et devant en répondre devant la société. En effet ses choix de santé ont des répercussions sur les finances du système de santé.

Note de bas de page 14 :

Loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 sur l’aide médicale d’Etat.

Note de bas de page 15 :

Cons. Const., décision n° 2009-504 DC du 12 sept. 2002, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, Rec., p. 540, Cons. Const., décision n° 2004-504 DC du 12 aout 2004, Loi relative à l’assurance maladie, Rec., p. 153, Cons. Const. Décision 2009-584 DC du 16 juillet 2009, Loi portant réforme de l’hôpital relative aux patients, à la santé et aux territoires, Rec. p. 140 ; AJDA 2009. 1399 ; D. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 131, obs. X. Bioy.

Note de bas de page 16 :

M.-L. Moquet-Anger, Santé et Constitution : l’exemple français, RDSS 2013 : 127.

Note de bas de page 17 :

Constitution de l’OMS du 22 juillet 1946 (Préambule).

D’abord, l’œuvre du législateur pour la création d’un corpus normatif s’est imposée de facto, car le droit à la protection de la santé est une obligation régalienne14, « une exigence constitutionnelle »15 et un droit-créance qui met à la charge de l’Etat une obligation de mise en œuvre, complétée par une obligation de moyen des professionnels de santé. En effet, il est à la fois un droit subjectif, personnel mais dont la protection relève de la collectivité16. Par conséquent, les contours du droit à la protection de la santé déteignent sur la posture des usagers et de leurs droits. Ainsi, selon l’OMS, l’objet du droit à la protection de la santé est la « possession du meilleur état de santé que (tout être humain) est capable d’atteindre quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale »17.

Note de bas de page 18 :

Si le Conseil constitutionnel, à près de quarante reprises, a conforté la valeur constitutionnelle de la protection de la santé (déc. n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, rec. p. 19 ; déc. n° 80-117 DC, 22 juillet 1980, rec. p. 42 ; déc. n° 89-269 DC, 22 janvier 1990, rec. p. 33), les formules retenues conservent une tournure objective ou « catégorielle » (v. not. JUAN (S.), « L’objectif à valeur constitutionnelle du droit à la protection de la santé : droit individuel ou collectif ? », RDP, 2006, p. 439 ; SAINT-JAMES (V.), « Le droit à la santé dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RDP¸ 1997, p. 463 ; MATHIEU (B.), « La protection du droit à la santé par le juge constitutionnel. À propos et à partir de la décision de la Cour constitutionnelle italienne n° 185 du 20 mai 1998 », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 1999, n° 6).

Note de bas de page 19 :

Le principe d’égalité est un principe généraliste d’égalité des hommes devant la loi, tel que l’a affirmé pour la première fois l’article 1er de la DDHC du 26 août 1789, aux termes duquel « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Ce que confirme l’article 6 de cette même Déclaration puisqu’il dispose que « [la loi] est la même pour tous ». De ce principe mère, le juge constitutionnel a dégagé des principes dérivés tels que « le respect du principe constitutionnel d’égalité des usagers devant la loi et devant le service public » (Cons. const., déc. n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, rec. p. 74, D., 2001, p. 2533, note B. Mathieu ; D., 2002, p. 1948, obs. G. Nicolas ; RSC, 2002, p. 672, obs. V. Bück ; JCP, 2001, II, n° 10.635, note C. Franck ; LPA, 10 juillet 2001, n° 136, p. 25, note J.-E. Schoettl ; RD publ., 2001, p. 1483, note V. Gimeno).

Note de bas de page 20 :

Art. 3 de la Convention d’Oviedo de 1997. Sur ce principe, v. DUCOLOMBIER (P.), LUCAS (K.), « Équité et égalité d’accès aux ressources de santé : un principe éthique au soutien d’un principe juridique ? », in CALMETTE (J.-F.) (dir.), La santé publique à l’épreuve de la rareté, PUAM, 2013, p. 131 et s. ; v. aussi MAHALATCHIMY (A.), « Le développement de la solidarité et la circulation des ressources biologiques humaines », AJDA, 2021, p. 1856.

De même, la Nation française garantit « à tous » la protection de la santé, selon le Préambule de la Constitution de 1946. Le principe d’égalité en matière de protection de la santé découle donc d’une conjugaison entre le droit à la protection de la santé18 et le principe originel d’égalité19, même si le principe du droit aux soins n’est, dans l’absolu, pas forcément égalitaire. En effet, l’objet de ce principe d’égal accès aux soins est la généralisation du droit à la protection de la santé, qu’il faut distinguer d’un principe d’équité dans l’accès aux soins, sans sélection par l’argent (Tabuteau, 2016-673), qui oppose les « besoins de santé » et les « ressources disponibles », pour prôner « un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée »20. Or, l’organisation du système de santé est fondée sur l’équilibre des finances publiques, devant respecter les Objectifs nationaux de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM). Ce nécessaire équilibre médico-économique ne permet donc pas de proposer ce qui est l’idéal pour l’usager/patient mais ce qui est économiquement viable pour une qualité des soins « suffisante ». Le modèle du patient vertueux devient donc celui qui pèse le moins possible sur dépenses de l’assurance maladie.

Note de bas de page 21 :

C. const., 18 déc. 1997, n° 97-393 DC, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, AJDA 1998 : 181 ; ibid. : 127, note J.-E. Schoetti ; D. 1998 : 523, note V. Champeil-Desplats ; ibid. 1999 : 234, obs. L. Favoreu ; Dr. soc. 1998 : 164, note X. Prétot ; RFDA 1998 : 148 note B. Mathieu.

Note de bas de page 22 :

Art. L. 162-2-1 du CSS.

Note de bas de page 23 :

Art. 8 (art R. 4127-8 du CSP) : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ».

Note de bas de page 24 :

Article 12 (article R.4127-12 du CSP) : « Le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire. Il participe aux actions de vigilance sanitaire. (…) ».

Note de bas de page 25 :

Cons. const., n° 2003-DC du 11 décembre 2003, « Loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 ».

Toutefois ce modèle présente différentes teintes. Le Conseil constitutionnel s’est montré soucieux de la protection des intérêts des assurés sociaux21. Il a consacré la préservation de l’équilibre financier de la Sécurité sociale en tant qu’objectif à valeur constitutionnelle. Par conséquent, pour atteindre cet objectif, les prescriptions médicales doivent être les plus économiques possibles tout en étant compatibles avec les exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité22. Cette exigence légale et constitutionnelle est reprise également dans le code de déontologie médicale tant sur la prescription23 que sur la protection de la santé au sens large24. La protection de l’intérêt social collectif vient donc limiter la liberté de prescription et, par conséquent, restreindre les choix proposés au patient. Ainsi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de dépense de santé est ambivalente. Si jamais le législateur entend restreindre les dépenses de santé, le Conseil constitutionnel peut ne pas se référer à l’alinéa 11 du Préambule25 car il entend limiter le droit à la protection de la santé au profit d’un autre impératif : celui de l’équilibre financier de la sécurité sociale (Mandy, 2013 : 623).

Note de bas de page 26 :

Art. L. 1110-1 du CSP : « les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible ».

En outre, la problématique de la soutenabilité du régime social et de l’effectivité de l’accès aux soins se pose et se développe le modèle du patient-citoyen-assuré social tenu à une obligation d’utilisation judicieuse des ressources en santé. Le patient « vertueux » se colore plus spécifiquement en débiteur du droit à la protection de sa propre santé. Effectivement, la littérature fait de plus en plus référence au « comportement vertueux » du patient, économe des ressources du système de santé (Vioujas, 2014 : 517). Conformément à l’article L. 1110-1 du Code de la santé publique26, les usagers concourent à l’effectivité du droit fondamental à la protection de la santé. Ils deviennent à la fois créanciers de cette obligation et débiteurs. Ceci se comprend car l’usager, en tant qu’assuré social, doit d’abord contribuer au financement du système de santé mais aussi rendre des comptes de son recours au système de santé (Girer, 2011 : 45). Le patient serait donc débiteur du droit à la protection de la santé en devant prendre soin de sa propre santé afin que l’Etat providence (Lenoir, 2013 : 161) puisse offrir les moyens de soigner les autres usagers (Laplaud, 2019 : 532).

Note de bas de page 27 :

OMS, Adherance to long-terme therapies - Evidence for action, juill. 2003.

Une des émanations du « patient médico-socialement » vertueux se manifeste dans le cadre de la « télé-observance ». En effet, consentement et observance sont intimement liés : l’observance ne pouvant être totale qu’avec un consentement libre et éclairé. La littérature juridique commence à intégrer le terme « observance », aussi utilisé sous l’anglicisme « compliance » (Tabuteau, 2007 : 9). Il tire son origine étymologique du latin observentia signifiant le strict respect d’une règle. Aujourd’hui, cette notion, bien peu employée par les patients eux-mêmes, désigne la concordance entre les recommandations médicales et le comportement du patient. Il est défini par l’OMS comme « le degré jusqu’où le comportement du patient coïncide avec un avis médical ou une recommandation de santé qui lui a été prescrite »27. L’observance devient alors une des premières préoccupations dans la relation de soins. Elle évoque « l’idée d’un devoir comportemental » (Huteau, 2017 : 9) dans un « objectif de santé » (Reach, 2005 : 16). Cette notion s’apprécie largement car elle inclut les règles d’hygiène, de diététique, de suivi médical… Le principe d’observance est révélateur d’un conflit entre des principes éthiques : consentement aux soins, prise en charge adaptée et accessibilité des soins.

L’observance est donc plus importante que l’adhésion au traitement car elle conduit à une responsabilisation du patient mais aussi à une évolution des conséquences du consentement face au droit de la sécurité sociale. La question se pose de savoir si le faible consentement aux soins, couplé à une non-compliance, ne façonnerait pas un nouvel ordre public économique en filigrane, par la reconnaissance d’une obligation d’observance.

Note de bas de page 28 :

A. Milon, Rapport au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi HPST, Sénat,n° 380 : 264.

Note de bas de page 29 :

v. délibération de la CNIL n° 2014-046 du 30 janv. 2014 portant autorisation unique de traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les PSAD pour la télé observance en application de l’arrêté du 22 oct. 2013, JO 9 févr. 2014.

Plusieurs dispositifs créent actuellement un flou, en défaveur des patients. Lorsque la loi HPST a introduit l’éducation thérapeutique du patient (ETP) dans le code de la santé publique, il avait été question de spécifier que l’observance faisait partie de l’ETP28. Or, pour être inclus dans un programme d’ETP, le patient est volontaire. L’ETP ne peut pas être un outil pour conditionner le remboursement des soins afférents à sa maladie. Il promeut l’autonomie du patient afin qu’il acquière les connaissances nécessaires pour le rendre acteur de sa prise en charge (Laude, 2013 : 79). Quant aux dispositifs de téléobservance29, ils ne requièrent pas de consentement préalable et ils visent à contraindre les patients au respect du traitement par la menace d’une baisse de la prise en charge.

Note de bas de page 30 :

Cf. la télésurveillance au sens de l’article R. 6316-1 du code de la santé publique.

Note de bas de page 31 :

Art. R. 6316-1-3 du CSP

De plus, ce dispositif de « télé-observance » crée une confusion avec d’autres dispositifs de télémédecine dont la télésurveilance30. Celle-ci permet de réduire les visites à l’hôpital en améliorant le suivi à distance. La télésurveillance reste un acte médical car elle a pour objet de « permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient »31. Ce qui diffère entre la télésurveillance et la télé-observance est donc d’abord le destinataire des données de santé (le professionnel médical d’un côté, la caisse d’assurance maladie de l’autre) et les conséquences qui résultent de l’analyse des données : un acte médical ou un acte économique, le déremboursement de la prestation (Postel-Vinay, 2013). Cependant, le but ultime de ces mesures demeure similaire : améliorer l’observance pour des raisons sanitaires et financières. Par conséquent, le cumul de ces dispositifs risque de nourrir une certaine méfiance, préjudiciable de la télémédecine qui constitue une priorité nationale et européenne.

Les dispositions actuelles sont divergentes voire opposées. D’un côté, il est prôné en faveur de l’autodétermination du patient […] D’un autre, l’observance contraint, soumet le patient au respect d’une décision médicale, risquant de faire renaître un « paternalisme médical » à consonance financière (Laplaud, 2019 : 545).

Note de bas de page 32 :

Art. L. 162-56 CSS.

C’est exactement ce que le législateur a fini par mettre au premier plan : la téléobservance de la télésurveillance. Quant aux modalités de remboursement, en aucun cas le patient ne peut se voir facturer par un opérateur de télésurveillance médicale d’autres montants que le montant forfaitaire arrêté. En revanche, la prise en charge et le remboursement des activités de télésurveillance médicale sont subordonnés à l’utilisation effective du dispositif de télésurveillance par le patient et, lorsqu’ils existent, à l’obtention de résultats individualisés ou nationaux d'utilisation en vie réelle, évalués sur le fondement d’indicateurs définis dans un référentiel32.

Dans ce contexte, les opérateurs de télésurveillance peuvent recueillir et transmettre, avec l’accord du patient (et dans le respect des dispositions du RGPD), les données nécessaires à la vérification de l’utilisation effective du dispositif numérique au service du contrôle médical de l’assurance maladie. En cas de refus opposé par le patient à la transmission de ces données, l’activité de télésurveillance médicale ne peut faire l’objet d’une prise en charge ou d’un remboursement. Lorsque ce refus est opposé après l’ouverture de la prise en charge ou du remboursement, ces derniers sont suspendus et le patient en est informé, sans délai, par l'assurance maladie.

Note de bas de page 33 :

CE, 28 nov. 2014, Union nationale des associations de santé à domicile et autres, N° 366931, 374202, 374353.

Le Conseil d’Etat avait pourtant annulé deux arrêtés33 conditionnant le remboursement des soins à la téléobservance du patient. Il rappelait le rôle central du professionnel de santé qui, dès lors qu’il avait connaissance d’un arrêt ou d’un mésusage du dispositif de télésurveillance, devait revenir vers le patient pour le ré-informer de la balance bénéfice/risque. L’idée était de renouveler l’adhésion du patient aux soins qui lui sont proposés par les professionnels de santé…

Note de bas de page 34 :

v. L’observance des traitements : un défi aux politiques de santé, Livre Blanc de la Fondation Concorde, mars 2014.

Ainsi, derrière cette notion d’observance et de responsabilisation du patient-assuré social, se profilent des considérations financières34 : la responsabilisation du patient vise « à susciter l’adhésion à une norme extra-juridique, en l’occurrence une prescription ou une recommandation médicale » (Houteau, 2017 : 149), cette dernière étant le résultat d’une codécision.

L'arsenal de mesures envisagées porte sur les stratégies médicales qui sont désormais placées au cœur de l'action publique en santé. La décision médicale, et tout particulièrement, le processus de réflexion dont elle est le résultat a toute l’attention des pouvoirs publics. L’évolution du colloque singulier, le déploiement d’outils numériques d’aide à la décision sont les enjeux des profondes réformes du système de santé. Ainsi, même le raisonnement médical fait l’objet d’évaluations sur les stratégies de soins et plus largement, sur les stratégies de santé. C’est pourquoi les pouvoirs publics entendent désormais concentrer leurs efforts sur la qualité de la décision médicale pour prescrire le bon acte, à la bonne personne, au bon moment, au bon tarif. L’évaluation de la pertinence de la décision médicale – via l’objectivation de la décision médicale et de ses motifs - pénètre les dispositifs juridiques.

S'observe ainsi une formalisation inédite des motifs de prescription médicale des produits et des prestations remboursés par l'assurance maladie en même temps que le développement d'une politique normative d'évaluation et de rationalisation des stratégies médicales dont l'objet est de produire de nouvelles formes d'action publique (Ginon 2018 : 428).

2- Le mythe du patient vertueux, actif, acteur de sa santé au cœur du parcours de santé

Certaines expressions telles que « mon patient », « mon médecin » deviennent anachroniques, le parcours de soins ne permettant plus de leur donner vie. C’est l’idée sous-jacente du « parcours » qui efface la notion de « relation ». Le colloque singulier, fondateur du mythe du contrat médical, est devenu un décloisonnement du sanitaire, du social et du médico-social. Le parcours de santé coordonné, devient un parcours de vie, pluridisciplinaire et pluriprofessionnel.

Introduire une relation plus collaborative avec les acteurs de soins et de santé, affirmer une plus grande autonomie dans les prises de décision et garantir une émancipation dans la gestion de son parcours de santé sont de ce fait les volontés des pouvoirs publics en réponses aux doléances citoyennes. C’est ainsi que le concept de « co-construction » est apparu et s’est démocratisé dans les discours politiques et institutionnels incarnant cette volonté de donner plus de poids à l’usager et de renforcer la réduction de l’asymétrie d’information qui peut s’établir entre lui et son professionnel de santé.

Depuis le début des années 2000, la notion de parcours s’est imposée comme une nouvelle catégorie de l’action publique (Chéronnet, 2016, Jaeger, 2017).

Répandue dans de nombreux domaines (…) elle est même devenue un « véritable leitmotiv » des politiques publiques sanitaires (Tabuteau, 2013). L’adoption d’une approche en termes de parcours de santé est présentée comme le moyen de rompre avec un système caractérisé par le cloisonnement des acteurs, l’éclatement des dispositifs de régulation et la prédominance du financement à l’acte. Ce dernier serait non seulement inadapté aux nouveaux enjeux du système de santé, mais également générateur de surcoûts et de perte de qualité (Minvielle, 2018) (Aubert, Kletz, Sardas, 2022 : 11).

Ainsi, qui du législateur ou des acteurs a été l’artiste de la modélisation du parcours ? D’après la littérature,

L’émergence de l’approche parcours est souvent présentée sous la forme d’une évidence découlant « naturellement » des transformations du système de santé. Or, on ne peut comprendre ni l’évolution de son contenu, ni ses avancées et ses difficultés, sans inscrire l’analyse dans une une perspective généalogique longue : celle-ci rend compte de la manière dont l’Etat a reformulé sa doctrine, problématisé d’une manière différente ses relations avec les acteurs de terrain et modifiés ces techniques d’intervention dans le champ de l’accompagnement des personnes, en réponse aux limites qu’il percevait des politiques existantes. Réciproquement, il importe d’analyser comment les acteurs de terrain ont alimenté et influencé ce processus, en fonction de la perception qu’ils avaient des limites de leurs propres pratiques et du positionnement des pouvoirs publics (Aubert, Kletz, Sardas, 2022 : 15).

L’approche parcours fonde l’émergence d’un nouveau mode de gouvernance de la santé. En effet, on assiste à une nouvelle posture de l’Etat dans le champ sanitaire, ainsi qu’à l’évaluation de la cohérence et de l’efficacité des politiques se réclamant de cette nouvelle approche. On ne peut que regretter que l’évaluation ne soit pas centrée sur le patient…

Ces dispositifs s’inscrivent dans une démarche globale de prise en charge dans un parcours de soins, afin de limiter les ruptures dans le parcours, de favoriser l’accompagnement et d’éviter une multiplication d’actes. Les professionnels de santé œuvrent conjointement et en équipe pour soigner, dispenser des soins et traiter les patients ainsi qu'au maintien ou à l'amélioration de la santé des individus. L’information du patient relative à son parcours de santé est tout autant un outil essentiel au consentement éclairé du patient, qu’un levier de régulation des dépenses de santé (Aubert, 2021). Le consentement aux soins implique alors une interaction du patient avec l’ensemble de l’équipe médico-soignante. Le consentement n’est donc pas réservé à la relation médicale, il intervient de façon itérative pour le patient pris en charge dans son parcours de soins, au cœur de son suivi pluridisciplinaire. Ainsi, le financement à l’acte se substitue progressivement par un financement au forfait, le législateur incitant les professionnels à nourrir le modèle du patient vertueux, inscrit dans un parcours.

Mais la notion de parcours n’invite-t-elle pas d’autres artistes à inspirer collectivement le législateur ? En effet, dans ce cadre, une place est laissée à l’expérimentation et à la co-construction, comme l’illustrent les projets e-parcours ou les expérimentations de l’article 51. Avec cette posture moins descendante, le législateur assume moins son rôle de « knowledge manager ». Il se présente davantage comme un commanditaire d’une œuvre : celle du parcours dont les auteurs sont, pour partie, les usagers et bientôt les traitements algorithmiques, le numérique en santé ayant pour objectif de prédire les parcours de santé.

Note de bas de page 35 :

Décret n° 2022-731 du 27 avril 2022 relatif à la mission de centre de ressources territoriaux pour personnes âgées et au temps minimum de présence du médecin coordonnateur en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ; Arrêté du 27 avril 2022 relatif à la mission de centre de ressources territoriaux pour les personnes âgées ; Instruction n° DGCS/SD5B/DSS/SD1A/CNSA/DESMS/2022/108 du 12 avril 2022 relative aux orientations de la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées pour l’exercice 2022 ; Instruction n° DGCS/SD3A/2022/113 du 15 avril 2022 relative à l’appel à candidature portant sur le déploiement de la mission de centre de ressources territorial pour les personnes âgées.

En effet, les parcours de santé « optimisés » étant déjà tracés, anticipés, bientôt prédis… Pourquoi un patient voudrait-il s’en éloigner ? Ceci soulève des questions éthiques, cliniques, logistiques sur lesquelles il sera important de s’interroger. Par exemple, pour les personnes âgées résidant à domicile et souhaitant bénéficier des services des centres de ressources territoriaux35, ils doivent adhérer à toutes les modalités du suivi, y compris l’installation à leur domicile de dispositifs de domotique et de télévigilance. Le consentement est alors globalisé et non personnalisé. D’une certaine manière, le positionnement de l’usager est socialement contraint par les critères d’inclusion du dispositif CRT (Laplaud, 2023). Ainsi, le modèle du patient acteur et inclus dans un parcours est une tonalité majeure du modèle du patient vertueux observant, assuré social.

En outre, les parcours de soins doivent être suffisamment souples et adaptés aux cas individuels. C’est tout l’enjeu des concertations pluridisciplinaires et des programmes personnalisés de soins (Bizard, 2017 : 152). Une attention doit toutefois être portée à ce que l’approche « parcours de soins » demeure dans une logique visant à orienter les comportements plutôt qu’à les conformer. Au nom de la démocratie sanitaire et sous le registre de l’engagement du patient différents concepts ont été mobilisés pour alimenter la littérature. Malheureusement, seule la dimension comportementale, autrement dit « ce que le patient fait » est dominante (Barello et al., 2016 ; Graffigna et al., 2013 ; Mockford et al., 2012) et prime sur la dimension cognitive, à savoir « ce que le patient pense et connaît », et la dimension émotionnelle « ce que le patient ressent ». En effet, ces dimensions étant particulièrement qualitatives et subjectives sont difficilement évaluables. Ainsi, en situant le niveau de l’engagement sur un continuum l’analyse de l’aspect comportemental a donné naissance à différentes approches : consultative, collaborative et partenariale.

Comme le constate Danièle Cristol, « malgré les indéniables avancées de la place de l’usager dans le champ de la santé, de nouveaux défis restent à relever pour que la démocratie en santé ait une pleine effectivité » (Cristol, 2018 : 413). Il convient alors de valoriser « le renforcement de la place de l’usager sous deux angles, renvoyant à deux figures de l’usager : celles de l’usager acteur de son parcours de santé et de l’usager acteur dans le système de santé » (Cristol, 2018 : 413). L’information et la formation des usagers doivent servir de pilier à la démocratie en santé. Ainsi le patient vertueux répond aux attendus sociaux : un patient actif, responsable, consommateur des soins requis par le pouvoir scientifique même si cela pose vraiment la question symbolique et juridique de la valeur des recommandations de bonnes pratiques, des politiques promouvant la prévention et de l’effectivité du consentement de l’usager tout au long de son parcours.

II- Une mise en perspective du modèle du patient vertueux

La métamorphose de la relation de soins est manifeste. Initialement décrite comme associant un « profane à un initié », il semble aujourd’hui possible de considérer que la représentation historique du colloque singulier se pare de nouvelles teintes. A la fois le législateur apporte des nuances, des déclinaisons à son modèle (A) et à la fois la posture des usagers tentent d’inspirer le législateur vers de nouveaux modèles (B).

A) Alimenter le cercle vertueux autour du patient

Les usagers du système de santé revêtent à la fois le rôle d’interprète, de chorégraphe et de compositeur. Selon la posture qu’ils adoptent, ils influent sur le modèle du patient vertueux, en tant qu’œuvre collective. Ainsi, par la collecte, l’analyse et l’exploitation de l’expérience du patient, celui-ci participe à la production de cette œuvre. C’est pourquoi, le crédo actuel est centré sur le vécu du citoyen et son implication car il constitue un nouveau pilier des démarches d’amélioration de la qualité (1). Ce dernier tend inexorablement vers le modèle d’un patient acteur de sa santé connectée. Ainsi, avec la collecte des données de santé, le modèle du patient vertueux s’affine chaque jour car chaque patient nourrit, soit directement, soit indirectement, son propre avatar numérique. En effet, tout individu a une identité numérique (l’INS), un clone numérique. Par exemple, celui-ci permet d’étudier l’acceptabilité des traitements et des dispositifs de santé utilisés par des usagers. Ainsi, une première recherche en réalité virtuelle a permis de mesurer les relations entre crédibilité, confiance et attitude (Menvielle, Menvielle, Audrain-Pontevia, 2018 : 43). Il convient alors de s’intéresser à ce model en création du patient vertueux au sein d’un « humanisme numérique » (2).

1- Le modèle du patient vertueux : le savoir expérientiel du patient revalorisé et intégré dans la relation de soin

Au-delà de l’engagement des patients au sein d’associations en défense des droits et de médiation, de nouveaux rôles sont aujourd’hui endossées par les patients au sein du système de soin français, créant une réelle identité artistique : « patient partenaire », « patient expert », « patient formateur », pair-aidant, « médiateur santé-pair » etc. Ces rôles reposent sur des savoirs issus de l’expérience de la maladie et du système de soins détenus par le patient, de leur pertinence, voire la possibilité de s’appuyer sur eux pour fonder une expertise spécifique (Godrie, 2020 : 19-29). Selon Eve Gardien :

 Ces derniers sont suffisamment différents pour ne pas être véritablement opposables, mais bien plutôt complémentaires aux savoirs professionnels. Les savoirs expérientiels des patients peuvent être utiles de différentes façons aux soignants et au système de soin (Gardien, 2020).

Sur le plan économique, il est incontestable que l’ETP fait partie intégrante du disease management (Bras, Duhamel, Grass, 2006). L’idée est de faire de l’ETP un « instrument de maitrise médicalisée » des dépenses de santé « qui repose sur un présupposé simple : intervenir sur les pathologies chroniques est moins coûteux en médecine ambulatoire qu’en milieu hospitalier ». Mais l’ETP n’est pas qu’un outil comptable. Il participe à la reconnaissance de l’émancipation du patient et de sa « subjectivité juridique particulière » (Peigné, 2010. 221). En sus du droit à l’information, on voit émerger le droit à l’éducation thérapeutique pour améliorer le processus de codécision lors de l’exécution du traitement (Toledano, 2022). Cependant, l’ETP ne valorise l’expérience de la maladie que pour le patient-lui-même.

Quid alors des savoirs expérientiels ? Les savoirs expérientiels sont, par nature et par définition, issus de l’expérience. La question est : vivre une expérience suffit-il pour constituer un « savoir » ? La réponse est négative car vivre une expérience n’implique pas directement de lui donner du sens ou d’en savoir quelque chose. L’expérience n’est pas directement savoir. En effet, l’expérience « ordinaire » est le fruit d’un processus social d’apprentissage, ayant pris appui sur des savoirs mis à disposition par l’environnement. Reconnaître des savoirs expérientiels implique de prêter une attention particulière aux modalités de leur élaboration, de leur validation et de leur reconnaissance auprès des différents acteurs impliqués, sans omettre que des contraintes ont été propres à chaque situation. Ainsi, valoriser ces savoirs nécessite d’avoir recours à des disciplines variées – anthropologie, sciences du langage, sciences de l’éducation, sciences de l’information et de la communication (Simon, Arborio, Halloy, Hejoaka, 2020).

Ces postures relationnelles prenant en compte les savoirs expérientiels des patients sont favorables à l’établissement d’une relation de confiance, car le malade a davantage le sentiment d’être compris et reconnu dans sa singularité et son expérience. Elles permettent de répondre plus couramment aux problèmes tels que les patients les conçoivent et non pas seulement tels que la médecine les définit, et renforce ainsi l’implication du patient. Il faut bien comprendre que soigner la maladie n’est pas toujours la priorité du malade, tant s’en faut. Aussi, ces postures attentives à ce qui importe au patient et à son expérience sont propices à l’adhésion thérapeutique. Les apports des savoirs expérientiels ne se limitent pas à la simple description de l’expérience du patient aux soignants dans le cadre de la relation de soin. Leur utilité peut s’envisager dans de nombreuses directions : adhésion au traitement, bien-être du patient, qualité des soins, démocratie sanitaire, formation des professionnels, éducation thérapeutique et contribution à la recherche…

Note de bas de page 36 :

Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Note de bas de page 37 :

Avis CCNE n° 142 sur le consentement et le respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques ou touchant à l’intime, mars 2023, disponible sur https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2023-03/Avis%20142%20Finalis%C3%A9.pdf

Le législateur tente de retranscrire progressivement ces nouvelles attentes sociales. Depuis la loi HPST36, les patients ont été promulgués officiellement contributeurs dans le cadre d’activités d’éducation thérapeutique. À ce titre, ils peuvent devenir patients ressources pour leurs pairs. Les patients sont également devenus enseignants auprès de quelques universités de médecine en France (Groud, 2019 : 291-302), ou encore formateurs auprès d’instituts délivrant des diplômes paramédicaux. Dans toutes ces positions, ils font bénéficier de leur expérience et de leurs savoirs auprès de (futurs) professionnels de santé. L’enjeu majeur est de « nouer une alliance profonde ainsi qu’une considération mutuelle, permettant de renouer la pratique soignante à un art qu’elle ne devrait jamais cesser d’être »37.

Cependant, la question se pose des limites à la mobilisation des savoirs expérientiels des patients et des usagers : jusqu’à quel point faire la place à ces savoirs ? Comment articuler la prise en compte de ces savoirs, les orientations pratiques qu’ils supposent, les responsabilités professionnelles ou institutionnelles n’étant pas systématiquement convergentes ? Ces modèles demeurent au stade de l’ébauche créative.

Une première réponse se trouve dans le Code de la santé publique à l’article R. 4127-32 ainsi rédigé : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ». Ce texte rappelle l’obligation personnelle d’assurer les soins et, le cas échéant d’avoir recours à un tiers. Il convient de noter que l’article ne fait référence qu’à la « compétence » et non à une quelconque qualification, profession ou diplôme. Cette interprétation est confirmée également à l’article R. 4127-36 selon lequel :

le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant, dans toute la mesure du possible, des méthodes scientifiques les plus appropriées, et s’il y a lieu en s’entourant des concours les plus éclairés.

À l’aune de ces éléments, il semble que le recours au concours approprié laisse une véritable place, y compris règlementaire, au « patient expert/partenaire » dans la relation de soins.

Ces outils contribuent à faire évoluer le modèle du patient vertueux au sein de notre système de santé. Il se trouve à la croisée de plusieurs enjeux : progrès de la démocratie sanitaire et émergence d'une relation partenariale avec les professionnels de santé. Quelle que soit la forme de son engagement sa responsabilisation et son implication, le vocabulaire relatif au patient s’est enrichi. Les concepts « e-patient engaged » (impliqué dans sa prise en charge), « equipped » (éduqué/informé sur sa maladie), « enabled » (se donnant les moyens d’agir) et « emancipated » (émancipé) révèlent la participation et l’engagement du patient grâce aux fonctionnalités techniques et aux espaces de socialisation du web 2.0 (Ferguson & Frydman, 2004). Ainsi, le développement du numérique renverse plusieurs siècles de paternalisme médical pour donner une part active aux patients, à la fois dans leur propre parcours de santé et dans le parcours d'autres patients.

2- Un patient vertueux au cœur d’un « Humanisme numérique » ?

Note de bas de page 38 :

Commission européenne, Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Permettre la transformation numérique des services de santé et de soins dans le marché unique numérique ; donner aux citoyens les moyens d’agir et construire une société plus saine », COM(2018) 233 final, 25 avril 2018.

Le numérique en santé constitue-t-il un accessoire au modèle du patient vertueux ? Considérée comme l’un des « challenges du XXIème siècle » (Duguet, 2021 : 66-74), la Commission européenne se positionne en accessoiriste et scénographe en affirmant que la transformation numérique de la santé et des soins peut améliorer le bien-être de millions de citoyens et transformer radicalement la manière dont les soins sont délivrés aux patients/usagers/citoyens, mais aussi aider à faire face à des crises sanitaires aussi importantes que celle de la pandémie de Covid-1938.

La question principale est celle de savoir si le numérique permet véritablement une « santé personnalisée », comme l’affirme l’expression « la médecine 6P ». Le numérique apporte-t-il une réponse médicale différente ? Ne sommes-nous pas dans l’illusion d’une médecine personnalisée par le truchement du numérique ? La santé de chacun n’est-elle pas « personnelle » par essence ? Quel modèle du patient vertueux se dessine-t-il avec la e-santé ?

D’un point de vue purement juridique, l’information délivrée au patient se doit d’être claire, loyale et appropriée, autrement dit l’information est personnalisée, adaptée aux capacités de compréhension de l’usager. Or, en quoi le numérique permettra-t-il de répondre différemment à ces critères qualitatifs de l’information, tels que codifiés et posés par la jurisprudence ? Le numérique ne semble pas supplanter le professionnel dans le devoir de s’assurer que le patient a bien la capacité à comprendre et à raisonner à partir de l’information qui lui a été délivrée. De plus, le principe posé par le Code de la santé publique est bien celui de la codécision. Santé numérique ou non, ce principe demeure.

Mais d’autres questions sous-jacentes se posent. Quelles sont les causes de cette « attente » de la personnalisation de la santé ? La santé a-t-elle pris un versant trop collectif avec des modes de prise en charge trop standardisés ? Est-ce l’effet papillon des recommandations de bonnes pratiques ? Du numérique en santé ? D’un reflet d’une tendance sociétale individualiste, voire narcissique (Namian, Kirouac, 2022) ? Le patient vertueux serait-il celui qui investit son avatar numérique ?

Note de bas de page 39 :

RDSS 2021, numéro hors-série dossier « défiance et santé ».

Une des causes de ces évolutions peut être rattachée à la métamorphose du lien de confiance (Py, 2014 : 308). Etant la pierre angulaire de la relation professionnelle de santé/patient, elle est devenue un dû et non plus un risque (Vialla, 2022 : 67). En effet, aujourd’hui, le patient ne l’accorde plus aussi aisément39 et lorsqu’il est contraint de faire confiance, ce n’est pas à un professionnel librement choisi par lui-même en raison de la tension de la démographie médicale actuelle. Ainsi, le lien de confiance se tisse dorénavant davantage avec l’organisation générale, voire la qualité de l’équipement de l’institution, « l’intuitu personae se [muant] parfois en intuitu instrumentae et/ou en intuitu firmae » (Vialla, 2023), y compris dans le numérique en santé. Comme le constate F. Vialla,

Nos sociétés sont entrées « au temps de l’équipe et de l’équipement (Savatier, 1959 : 229) » et, conséquemment, la médecine, et plus généralement la relation de soins, en sont bouleversées : « Le temps de l’omnipraticien isolé semble révolu, l’ère de “l’hyper spécialisation” lui a succédé (Vialla, 2022 :68) (Vialla, 2023).

Quant au recours au numérique, il participe à l’évolution des savoirs faire. Le professionnel, autant actif que le patient, ne devrait pas récuser de façon dogmatique l’intrusion de ces nouvelles techniques/technologies dans le soin mais de repenser et redéfinir son statut d’outil au cœur d’un processus artisanal de la décision en santé (Kempf, 2015 : 48). Par ailleurs, s’intéresser à ce positionnement implique de s’intéresser au savoir-être, car « on ne saurait nier le risque d’une « déshumanisation » et le possible glissement vers une forme de sécheresse relationnelle dans une relation de soins désincarnée » (Vialla, 2023). Il convient de trouver les bons leviers susceptibles de permettre un juste positionnement dans l’utilisation de l’outil numérique, d’où l’humanisme numérique où le numérique demeure au service de l’humain (Le quillerier, 2017 : 16).

Note de bas de page 40 :

Rapport d'information n° 866 (2020-2021) de Mmes Christine BONFANTI-DOSSAT, Corinne IMBERT et Michelle MEUNIER, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 septembre 2021.

Il est indéniable que les technologies jouent un rôle croissant en santé, il est donc nécessaire de mettre fin à une fausse dichotomie entre les soins de santé de haute technologie et les soins de haute qualité. Cependant, le système est perfectible, certaines données ne sont ni fiables ni complètes en raison d’une traçabilité insuffisante aussi bien à l’hôpital qu’hors les murs, à l’instar des données concernant les soins palliatifs et la fin de vie40. Elles ne sont donc pas représentatives des pratiques, notamment concernant la sédation terminale ce qui ne permet pas d’objectiver les trajectoires de fin de vie ni d’alimenter le champ de la recherche. Une meilleure traçabilité renforcerait la transparence et les garanties procédurales. En plus d’apprendre, d’anticiper, d’accéder, d’accompagner : le numérique peut contribuer tant au repérage précoce qu’à la planification des ressources pour organiser un continuum de la prise en charge. Par ailleurs, certaines politiques publiques de déploiement du numérique en santé ont pour objectif de promouvoir des outils qui recueillent des données objectives et subjectives des patients, à l’instar des pays anglo-saxons dans le cadre de l’« advanced care planning », plus respectueux de la temporalité du patient et mieux adapté à son profil et à la planification en soins y compris palliatifs. C’est dans cette temporalité que les outils numériques pourraient investir le champ de la valorisation du vécu expérientiel des patients.

De plus, la co-construction du modèle du patient vertueux connecté est le maître mot. La télémédecine, le DMP, comme le suivi de la santé via des objets connectés ne peuvent prendre leur essor que s’ils se construisent pour et avec les patients. Cependant cette co-construction ne suffira pas sans que la e-santé s’appuie sur le développement de la littératie et de la e-littératie en santé. C’est en colorant la co-construction avec la littératie que l’empowerment, l’autonomisation des patients via l’usage du numérique en santé, passera d’une chimère à une réalité.

Afin que le numérique en santé ne soit pas assimilé à un modèle technocratique et mercantile (Combet, 2022 : 587), le créateur de l’humanisme numérique, qu’il soit législateur ou usager ou une alliance des deux, est confronté à un dilemme philosophique de la santé digitale : allons-nous [co]-créer « un homme augmenté par la technique » ou « un homme autant augmenté que diminué, voire soumis à la technique » ? Certes le modèle idéal allierait puissance technologique et l’impérieuse nécessité de responsabilité et d’humanité… Cependant, cette vision, tout aussi évocatrice des dynamiques technologiques de e-santé (objets connectés, médecine « personnalisée » avec e-surveillance, détection automatique des émotions et de la baisse relationnelle...) qu’idéalisée et simplificatrice, avec son approche de plus en plus individualiste et individualisée ne prend pas suffisamment en compte la complexité du monde sanitaire, social et médico-social. D’un côté le patient peut se sentir engagé dans son parcours mais d’un autre, se trouver piégé par autant d’outils qui dominent son quotidien. A la recherche de plus d’engagement et d’implication, son bien-être se trouve colonisé par une diversité d’outils, d’applications. Espionné, contrôlé, dépendant il se retrouve tout autant impliqué, engagé et intégré. N’y a-t-il pas une responsabilité collective à créer de nouveaux modèles ?

B) Quid d’une création collective de nouveaux modèles du patient vertueux ?

Quand il n'est question que de droit, ce dernier est volontiers son propre monde, il ne souffre d'aucune autre approche a priori, on peut même dire qu'il est son propre a priori. Dans le cas contraire, où le droit est suiveur d'évolutions qu'il n'est pas à même d'impulser et de maîtriser de bout en bout, il laisse la place première à d'autres savoirs que le sien (Bergé, 2023 : 183).

Face au déploiement exponentiel du numérique en santé, les problématiques sous-jacentes de cybersécurité se posent. Comment les patients investiront ces nouveaux enjeux ? Quid d’instaurer une « démocratie sanitaire cyber » ? (1) Enfin, le numérique responsable est une nouvelle tendance pour réduire l’impact écologique et environnemental. Aura-t-il sa place dans le monde de la santé ? (2)

1- Quid d’une démocratie sanitaire cyber ?

Note de bas de page 41 :

Stratégie d’accélération – Santé numérique, Dossier de presse du Gouvernement, 18 octobre 2021.

En France, puisque la santé numérique est devenue une priorité nationale41, les enjeux sont multiples. Si les enjeux de politique publique – notamment la lutte contre la désertification médicale – et les enjeux économiques – de réduction des dépenses de santé – sont centraux, les enjeux juridiques, méritent également d’être envisagés, au regard du modèle du patient vertueux.

D’après Béatrice Espesson-Vergeat, « Le développement exponentiel du numérique, perçu comme une révolution, est désormais un prérequis dans l’innovation en santé. Cette évolution fait exploser les principes acquis de secret, de confidentialité et de consentement éclairé et nécessite en droit, de repenser la relation entre les acteurs et la définition de leur responsabilité. Au cœur du dispositif législatif européen et national, le patient est un acteur actif, informé, participatif autour duquel s’articule l’ensemble du système dans une vision de la médecine globale impliquant une lecture pluridisciplinaire en droit et transdisciplinaires au sein des sciences sociales, humaines, médicales, scientifiques et numériques. La protection de la santé publique intègre la protection des données individuelles et de santé de la personne, la lutte contre la cybercriminalité, la maîtrise des données des IA fortes (…) (Espesson-Vergeat, 2021).

Note de bas de page 42 :

L’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ou l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et v. H. Oberdorff, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 7e éd., LGDJ, 2019 : 36, no 16.

Note de bas de page 43 :

OCDE, Lignes directrices du 23 sept. 1980 sur la vie privée et les flux transfrontières de données à caractère personnel.

Note de bas de page 44 :

P. de Hert et S. Gutwirth, « Data protection in the case law of Strasbourg and Luxembourg: constitutionalisation in action » et S. Rodotà, « Data protection as a fundamental right », in Reinventing data protection?, dir. S. Gutwirth, Y. Poullet, P. de Hert, C. de Terwangne et S. Nouwt, Springer, 2009 : 3 s. et 77 s. ; G. González Fuster, The emergence of personal data protection as a fundamental right of the EU, Springer, 2014 ; E. Debaets, Le droit à la protection des données à caractère personnel. Recherche sur un droit fondamental, th. Paris I, 2014 :245 ; S. Peyrou, « La protection des données à caractère personnel : un droit désormais constitutionnalisé et garanti par la CJUE », in La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne, dir. R. Tinière et C. Vial, Bruylant, 2015 : 213 s.

Note de bas de page 45 :

Loi n° 78-17 du 6 janv. 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Note de bas de page 46 :

Règlement UE no 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JOUE 4 mai 2016, L-119/1 : 1 s.

Note de bas de page 47 :

v. Commission, COM2020 66, « Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Une stratégie européenne pour les données », 19 févr. 2020, et Commission, COM2020 264, « Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil. La protection des données : un pilier de l’autonomisation des citoyens et de l’approche de l’Union à l’égard de la transition numérique – deux années d’application du règlement général sur la protection des données », 24 juin 2020.

Concrètement, le modèle d’un patient vertueux acteur de la démocratie sanitaire cyber implique que les usagers aient connaissance des enjeux dont le droit à la protection des données à caractère personnel, sous le prisme du droit au respect de la vie privée, en s’imprégnant de préoccupations liées à la protection individuelle (Goubeaux, 1989 : 243), à la dignité (Rochfeld, 2013 : 10). Les données personnelles sont protégées par plusieurs sources supranationales42 telles que la Convention 108 du Conseil de l’Europe, les lignes directrices de l’OCDE43, ou l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne44. Au niveau français, ces règles se répartissent principalement entre la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés45, et le règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données46, constituant un nouveau paradigme de la protection des données personnelles (Scottez, 2019 : 229). Le droit des données à caractère personnel est avant tout un droit d’équilibre (Netter, 2019 : 5-31) mettant en balance des intérêts de nature différente47 : il reconnaît des droits aux personnes concernées et pose un principe de loyauté des traitements de données (Tambou, 2020 : 32) et il vise aussi à instaurer un marché intérieur européen reposant sur la libre circulation des données (Antippas, Beignier, 2020 : 233).

Une acculturation des usagers est fondamentale pour comprendre que la donnée de santé est un élément de réification de la condition physiologique du patient. Elle est à la convergence entre les attributs de la personnalité et du corps humain. A fortiori, elle est rattachée de façon imprescriptible à la dignité de son hôte. Par conséquent elles font l’objet d’une protection renforcée en raison de leur nature : elles sont l’émanation de l’intime de la personne. Le législateur a consacré le principe d’indisponibilité des données personnelles par la loi informatique et liberté. Il n’existe donc pas de « propriétaire » de données personnelles mais uniquement des usufruitiers. La propriété des données personnelles de santé n’a donc pas de composante patrimoniale. Cependant, lorsque la donnée de santé est requalifiée en données de recherche, elle devient une chose anthropomorphique commune et tombe dans le patrimoine commun informationnel. La centralisation de ces éléments empreints d’humanité et l’instauration d’une gouvernance ad hoc devrait garantir leur intégrité, leur confidentialité, leur sécurisation, leur contrôle et leur traçabilité.

L’ambition est de modéliser un patient citoyen doté d’un pouvoir d’agir sur ses données de santé en Europe, afin de bénéficier de meilleurs soins, et d’un cadre juridique pour l’utilisation de ces données à des activités de recherche et d’innovation. Le 3 mai 2022, la Commission européenne a publié le projet de règlement pour l’espace européen des données de santé (ou EHDS pour EuropeanHealth Data Space), qui vise à encadrer l’utilisation des données de santé au sein de l’Union. Que ce soit en vue de la continuité des soins ou pour des activités de recherche et d’innovation, ce cadre se veut fiable, efficace, interopérable et sécurisé, dans le respect des règles de l’Union européenne en matière de protection de données.

Toutefois, la couverture numérique des territoires est aussi devenue un enjeu majeur d'égalité démocratique, avec des zones toujours laissées pour compte en dépit des progrès techniques, contribuant ainsi à ce que l'on appelle la « fracture numérique ».

Quant à la protection des données collectées, traitées et stockées par ces outils numériques, la sensibilisation et la coopération se présentent comme des ajouts majeurs de la directive SRI2. Le développement implique d’agir bien au-delà de « la criticité des entités concernées par la directive [pour analyser] la réception par les citoyens de cette sensibilisation à la cybersécurité » (Saillant, 2023). Au travers de cette directive, il paraît clair de rendre effective une démocratie sanitaire « cyber ». Néanmoins, le droit de la cybersécurité encore émergent met en exergue la difficulté pour le législateur d’instaurer un corpus juridique nouveau affirmant la souveraineté numérique (Warusfel, 2022 : 547). De plus « la régulation juridique de l’espace numérique est devenue la seule façon pour les Européens d’exercer un softpower efficace dans ce secteur-clé qui reste compatible avec un modèle de société ouverte et démocratique » (ibid).

Il convient d’étudier cette actuelle transition juridique inhérente à la transition numérique du secteur de la santé et par conséquent à celle de l’État et de son droit (Poirot-Mazères, 2018). En effet, pour démocratiser la santé numérique, encore faut-il trouver des réponses à des questions diverses telles que : la gestion du déploiement de solutions techniques pour couvrir l’ensemble de la population, la garantie d’une confidentialité des données à caractère personnel, la clarification des rôles et des responsabilités des acteurs de la santé, la transition vers le numérique des services de santé actuels, la formation des professionnels de la santé, l’objectif d’autonomisation des patients, ou encore l’acceptabilité sociale et technique de ces nouveaux outils. Par conséquent, « les avancées technologiques alliées à des usages diversifiés des réseaux 3.0 et 4.0, aux progrès de l’intelligence artificielle et des objets connectés obligent désormais à interroger les termes de l’équation entre la santé, le numérique et le(s) droit(s) » (ibid).

Dans le même temps, ces mêmes attentes sont traversées de dissensions d’approches et de tensions entre les revendications individuelles et les contraintes collectives, « dans un entrelacs de niveaux d’analyse selon que l’on considère l’individu ou le citoyen, le professionnel ou l’autorité publique » (Thonnet, 2018 :61-78). Ces postures différenciées conduisent conséquemment à un éclatement des systèmes sociétaux. La problématisation de la disruption technologique existe au niveau européen et la réflexion est incarnée aux niveaux nationaux dans les politiques et services du bien commun, la fabrique des politiques publiques, le pilotage des politiques de santé, les enjeux communs à la transition numérique, les usages et la propriété des données ou encore les modèles économiques. Il convient de penser « numérique et démocratie sanitaire » : pour un patient plus acteur de sa santé via le numérique (Sebai, 2020 : 123-144).

La recherche d’une qualité de service améliorée à travers une meilleure coordination des parcours de santé, une « capacitation du patient », un rééquilibrage des pouvoirs liés à l’expertise entre le médecin et le patient, une « conquête d’une (certaine) autonomie », un « contrôle des données par le patient » sont les principales revendications, du moins les plus médiatisées, justifiant l’irruption du débat sur l’engagement du patient (Dumez et Minvielle, 2017). Cependant, rien ne concernerait directement une « santé numérique responsable et bas carbone » dans le modèle du patient vertueux dressé tant par le législateur français qu’européen.

2- Une santé « responsable » et bas carbone : de l’inspiration pour le législateur

Note de bas de page 48 :

https://esante.gouv.fr/actualites/tous-engages-pour-limiter-limpact-environnemental-du-numerique-en-sante

Désormais l’impact du numérique en santé fait l’unanimité y compris pour les pouvoirs publics48 : le législateur ne peut plus ignorer ses coûts/impacts environnementaux. Il va devoir créer un nouveau modèle de santé.

Note de bas de page 49 :

https://theconversation.com/soins-de-sante-il-faut-aussi-inclure-les-couts-sociaux-et-environnementaux-123562

En sus du numérique, le secteur des soins de santé laisse une grande empreinte environnementale. Il contribue à la contamination des sols et des cours d’eau, produit de grandes quantités de déchets et est une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. Il est possible d’estimer les coûts économiques, environnementaux et sociaux d’une intervention et de les relier aux résultats cliniques. Cependant, il y a aujourd’hui peu d’indicateurs liés à l’environnement et il est difficile de les prioriser. Le secteur de la santé est un secteur clé pour promouvoir la durabilité dans la prestation des services. L’OMS a pourtant souligné la nature complémentaire de la durabilité économique, environnementale et sociale au sein des systèmes de soins de santé. Pourtant, peu de recherches ont été consacrées à ces facteurs qui se chevauchent. Des entreprises et organisations publiques ont peu recours au triple bilan pour évaluer leur performance et améliorer leurs impacts environnementaux et sociaux. Or des recherches ont montré que cela peut aussi augmenter la valeur organisationnelle49.

La prise de conscience de l’ampleur de la crise climatique, en tant que crise multiforme aux conséquences environnementales variées, est également une prise de conscience de la vulnérabilité du genre humaine, de sa santé, de son environnement et des droits des générations futures (Djemni-Wagner, Vanneau, 2023). La société civile porte devant le juge cette notion de droit des générations futures. Malheureusement, à l’heure actuelle, les contentieux portent principalement sur l’environnement mais la santé en étant une composante, il est possible de présager de nouveaux contentieux y compris celui du droit au développement qui doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures, conformément au principe 3 de la déclaration de Rio. Tant que le législateur ne se positionnera pas clairement, la question du rôle et de l’office du juge se pose également. Doit-il uniquement se positionner comme le porte-parole de la loi ? Ces usages de la justice par la société civile, place le juge dans une position complexe. Il est tenu de trancher les conflits – pour ne pas commettre un déni de justice - sans prendre la place du politique. Or, il lui est indirectement demandé de participer à la construction d’un nouveau modèle de société.

Le juge constitutionnel n’est pas le seul concerné. Le juge administratif et le juge judiciaire, en matière civile comme en matière pénale, le sont également. L’arme du droit est maniée avec dextérité par la société civile qui transforme le tribunal en tribune et pousse le juge à se positionner sur des enjeux majeurs (Djemni-Wagner, Vanneau, 2023 : 17).

Note de bas de page 50 :

Décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre [Délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger].

À l’image des associations revendicatrices des droits des patients, le législateur proposera-t-il une nouvelle fiction juridique ? Dans l’affirmative, le corpus juridique le permet. Le droit des génération futures trouve ses fondements dans le préambule de la Charte des Nations Unies selon lequel « Nous, Peuples des Nations unies, [sommes] résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Ce n’est que bien plus tard que le souci de cette communauté s’est tourné en faveur de la préservation de l’environnement de l’Homme. Le Conseil constitutionnel français a lui aussi pris appui sur le concept des générations futures dans sa décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022. On peut noter l’invocation de différentes théories et fictions juridiques permettant de pallier à la problématique de la qualification préalable « des générations futures » en tant que sujet de droit, comme la théorie de l’équité intergénérationnelle (Brown Weiss, 1992 : 19-26), ou l’invocation du principe de fraternité transgénérationnel50. Pour Jean Lefevre, la fiction juridique du droit des générations futures permet de « neutraliser le caractère médiat des générations futures et de leur inexistence » (Lefevre, 2022).

La notion de droit(s) des générations futures est difficile à manier en raison de ses ambiguïtés, tant pour le législateur que pour le juge. Cependant, elle est une réelle force évocatrice permettant d’inspirer des projets de façon systémique, y compris le droit de la santé, à différentes échelles : nationales, européennes, voire mondiale en ce qu’elle mobilise la société civile. En effet, cette notion n’a pas qu’une valeur politique ou philosophie, elle vaut en droit.

Appliquée au modèle du patient vertueux, ce qui est intéressant est la construction de cette fiction juridique et des conséquences juridiques. La fiction constitue une alternative à la construction d’une protection fondée sur la qualification préalable de sujet de droit. La légitimité du recours à une telle fiction tiendrait au fait qu’elle serait circonscrite « à la protection de leurs droits fondamentaux – droit à la vie, à la santé, à l’intégrité du corps humain – qui fondent la primauté de l’intérêt de protéger les générations futures. Ainsi, s’interroger sur la place des générations futures dans l’ordre politique ce n’est pas seulement se demander quelle est la place institutionnelle qu’elles occupent ou devraient occuper mais comment la notion s’articule avec la conflictualité de la vie sociale présente. La question principielle, éthique, sociale et philosophique qui devra être traduite en droit est celle de savoir : qu’est-ce que les générations présentes sont prêtes à perdre au profit des générations futures ? Serons-nous moins consommateurs de soins ? Est-elle là la réelle œuvre du « patient vertueux » ?

Conclusion

Comme le chantait « M », « qui de nous deux inspire l’autre ? ».

Enraciné dans l’organisation sociale, le droit est le témoignage ou l’expression d’une culture – la culture étant ici considérée comme un ensemble d’idées, de symboles et de modèles qui pénètrent tous les niveaux de la société, qui définissent cette société et la marquent. Le modèle du patient vertueux réside à la fois dans le monisme et le pluralisme juridique. Le modèle du patient vertueux est en création constante. Usagers et législateur en sont des compositeurs aux impératifs divergents : vecteur d’autonomie, de responsabilité individuelle et collective, dans un parcours de soin issu de l’expérience, numérique intégré, cybersécurisé et responsable. Le modèle du patient vertueux pose la question du « comment redevenir libre de nos corps individuellement et dans le cadre de la collectivité ». Il s’agit de l’enjeu du XXIème siècle car « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », la santé devenant « ainsi à la fois un projet individuel et un projet politique de salut sanitaire » (Masse, 2007 : 842).