Interview Benjamin Wetzel, lauréat de la bourse « Starting Grant » de l’ERC

Pour la première fois depuis la création du Conseil Européen de la Recherche (ERC), l’Université de Limoges compte un lauréat avec une bourse « Starting grant ». Benjamin Wetzel, chargé de recherche CNRS à l’institut XLIM – UMR CNRS 7252 est récompensé pour ses travaux en photonique et bénéficie ainsi d’un budget de 1,5 millions d’euros sur une durée maximale de 5 ans.

 

Quel est votre parcours ? Comment est né votre intérêt pour la photonique ?

Tout d’abord, j’ai suivi un cursus en physique à l’Université de Franche-Comté (Besançon). Puis, après des séjours en Espagne (Licence 3 en Erasmus – Universidad de la Laguna, Tenerife) et en Irlande (Stage de master 2 – Tyndall National Institute, Cork), j’ai obtenu un master (2009) et un doctorat (2012) en photonique. L’année suivante, j’ai poursuivi mes travaux à l’Institut FEMTO-ST (Besançon), sur des aspects se rapportant aux instabilités non-linéaires en optique fibrée, aux  méthodes de caractérisation ultrarapide, et à la mise en forme de faisceaux laser.

En 2014, dans le cadre d’une bourse « Marie-Curie », j’ai rejoint l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS) à Montréal pour 3 ans et j’ai notamment travaillé sur des systèmes photoniques intégrés avec des applications dans le contrôle cohérent et le traitement du signal quantique. Je suis ensuite revenu en Europe en 2017 dans le cadre de cette même bourse pour poursuivre mes activités à l’University of Sussex (Brighton, Royaume-Uni), avec des travaux principalement axés sur les dynamiques non-linéaires dans des architectures optiques résonantes. Je suis resté deux ans à Brighton, par le biais d’une bourse « Helena Normanton », avant l’obtention du concours de chargé.e de recherche du CNRS et mon arrivée à l’Institut de recherche  XLIM – UMR CNRS 7252 en 2019.

Mon intérêt pour l’optique et la photonique a probablement émergé de la photographie (et le reflex argentique familiale) puis s’est renforcé au fil des années par différentes expériences personnelles telle que la visite des observatoires astronomiques Canariens lors de ma licence. A la fin de ma maîtrise en physique, j’ai intégré le master PICS (Photonique Information, Communication et Système) et j’ai pris conscience que la photonique était partout. Elle est au cœur de thématiques scientifiques et d’innovations technologiques que je ne soupçonnais pas. A partir de ce moment, j’ai compris que je souhaitais poursuivre une thèse et idéalement continuer dans ce domaine de recherche.

 

Quel(s) est / sont le(s) élément(s) clé(s) du projet STREAMLINE ?

Le projet STREAMLINE vise au développement de « sources photoniques intelligentes ». Dans ce cadre, nous cherchons à tirer parti de différents éléments d’optique fibrée (fibres optiques monomodes et multimodes), de photonique intégrée (lignes à retard optoélectronique) et de systèmes de traitement du signal optique issus des télécoms pour contrôler la propagation d’impulsions laser ultracourtes (quelques centaines de femtosecondes).

Les puces photoniques intégrées sont des systèmes optoélectroniques actifs qui apportent une stabilité, une faible empreinte, un cout réduit et une flexibilité pour la reconfiguration de trains d’impulsions avec un contrôle sur des échelles temporelles très courtes (~ps) – hors de portée des systèmes électroniques conventionnels. Les systèmes fibrés permettent la propagation de ces impulsions sur d’importantes distances, avec des dynamiques non-linéaires associées permettant de modifier significativement des caractéristiques particulières de ces impulsions optiques.

Par la régulation des propriétés des impulsions initiales (via des systèmes photoniques intégrés et télécom), nous souhaitons conditionner ces mécanismes complexes de propagation, en nous reposant sur des approches d’intelligences artificielles, afin de sculpter les caractéristiques de la lumière selon des besoins spécifiquement identifiés.

 

Quelles dimensions et quelles caractéristiques de la lumière les chercheurs pourront-ils contrôler ?

Il est déjà possible, pour une grande part, de contrôler toutes les caractéristiques de la lumière, qu’il s’agisse du domaine spatial (ex. forme d’un faisceau), temporel (ex. durée d’impulsion), et spectral (ex. longueurs d’ondes). Dans le commerce ou au sein des laboratoires, on peut trouver une multitude de systèmes permettant la manipulation : du spectre, du profil d’intensité d’une impulsion et de sa phase, sa polarisation, le recouvrement temporel et la synchronisation de plusieurs impulsions, etc.

Néanmoins, la plupart de ces approches se heurtent à plusieurs limitations. D’une part, on ne peut généralement manipuler que ce qu’on « possède » déjà. Ainsi, il faut « créer » plus et de manière parfois non optimale (ex : une étendue spectrale plus large que nécessaire que l’on peut effectivement filtrer, mais où une partie importante de l’énergie n’est finalement pas utile). D’autre part, certaines caractéristiques lumineuses sont difficilement ajustables conjointement avec la même approche et/ou le même système. Dans ce cadre, le contrôle idéal des caractéristiques de la lumière se fait généralement par l’enchainement d’éléments individuels (filtres, modulateurs temporels ou spatiaux, ligne à retard, polariseurs, etc..) amenant des problèmes de coût, d’encombrement, de stabilité et de complexité expérimentale. De plus, la flexibilité et la reconfigurabilité offerte par ces architectures peuvent être très limitées, nécessitant le changement d’une partie des composants pour répondre à chacun des cahiers des charges de l’utilisateur.

Dans le cadre du projet STREAMLINE, nous souhaitons mettre en forme les impulsions initiales sur un nombre de paramètres limités, mais dont les interactions complexes et les effets non-linéaires permettront de contrôler un ensemble le plus complet possible de caractéristiques temporelles, spectrales et spatiales – ceci avec un traitement minimal du signal « a postériori » assurant ainsi la flexibilité et l’évolutivité du système.

 

Pourquoi avoir choisi d’utiliser des effets non-linéaires a priori considérés comme limitants et difficiles à prévoir dans le transport d’énergie ?

Il est vrai que les effets non-linéaires sont considérés comme des effets limitants dans le transport d’information au sein des architectures télécoms (ex : fibre optique transatlantique). La raison est en fait simple : même si celles-ci sont à l’heure actuelle très faibles, la transmission par fibre optique comporte des pertes que l’on cherche notamment à compenser par l’augmentation de la puissance du signal d’entrée (pour par exemple limiter le nombre de répéteursservant notamment à assurer les transmissions sous-marines, mais couteux à mettre en service et entretenir). Cependant, pour des puissances importantes, des effets dit « non-linéaires » rentrent en jeu et induisent des distorsions dans le signal pouvant dégrader la qualité et la robustesse de la transmission. De manière simple, augmenter la puissance du signal d’entrée ne mène pas à une augmentation du signal de sortie, mais peut au contraire modifier celui-ci de manière notable.

Bien que limitant pour la transmission « classique » d’informations, ces effets peuvent être très avantageux pour d’autres applications, donnant accès à des dynamiques plus riches et un espace des paramètres plus large que des effets purement linéaires. On peut notamment générer de nouvelles composantes fréquentielles (couleurs) qui se propagent avec des vitesses différentes, les faire interagir de manière sélective ou par exemple compresser temporellement des impulsions, selon les besoins souhaités. Il s’agit d’un très large éventail d’outils « physiques » pour lesquels l’apprentissage automatique peut s’avérer très utile.

 

Qui dit intelligence artificielle dit algorithme. L’étude d’éléments de si courte durée et de si petite taille, peut-il rendre difficile la mise en place d’un algorithme ? Qu’attendez-vous de cette intelligence artificielle ?

De nombreuses études ont récemment été lancées sur des systèmes similaires et il est clair que l’utilisation d’un algorithme optimal est une question ouverte du projet. Elle dépend notamment du système expérimental mis en place, sa dimensionnalité, l’étendue de l’espace des paramètres contrôlables, la vitesse/robustesse de convergence visée, etc.

Les problèmes anticipés à la mise en œuvre de tels algorithmes pour l’architecture de STREAMLINE relèvent en fait de plusieurs aspects. Par exemple la durée, les mesures expérimentales sont liées à des techniques de caractérisations optiques qui peuvent s’avérer « longues » au sens de techniques d’optimisation (parfois quelques secondes selon les propriétés mesurées) pouvant limiter l’accumulation rapide d’un très large ensemble de données. On notera également que ces mesures expérimentales sont intrinsèquement bruitées. Aussi, étant donné le nombre quasi infini de conditions initiales possibles, la richesse des dynamiques mises en jeu et la forte sensibilité de celles-ci aux exactes propriétés des impulsions d’entrée (un peu tel un « effet papillon optique »), le type et la qualité des algorithmes déployés (ex. réseaux de neurones, algorithmes évolutifs, etc.) va constituer un défi important du projet, ainsi qu’un enjeu primordial pour assurer l’optimisation efficace des propriétés lumineuses souhaitées.

Néanmoins, l’optique apporte aussi son lot d’avantages puisque l’évolution du système peut théoriquement se faire – au sens littéral du terme – à la vitesse de la lumière. Dans ce cadre, nous souhaitons diriger notre approche vers deux buts principaux : d’une part, le développement de sources optiques auto-ajustables, répondant aux besoins flexibles d’un utilisateur non spécialiste et sans connaissances préalables du système physique. Celui pourra définir les caractéristiques souhaitées pour son application et laisser l’algorithme optimiser le système comme une « boite noire ». D’autre part, nous espérons pourvoir utiliser l’apprentissage automatique pour extraire des informations sur les mécanismes physiques sous-jacents au système. Il s’agit tout d’abord d’acquérir une meilleure compréhension des phénomènes fondamentaux à l’œuvre en optique non-linéaire ultrarapide, mais aussi explorer des phénomènes liés au domaine de la « complexité » et au comportement collectif d’une multitude d’éléments et/ou d’effets simples (les photons mimant, dans une certaine mesure, le comportement et l’auto-organisation de fourmis au sein d’une colonie).

 

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets d’application de cette technique ?

De manière directe, le but du projet est le développement de nouveaux systèmes d’imagerie « dynamique », où les propriétés de l’illumination d’un échantillon changent périodiquement. Dans ce cadre, la technique proposée par STREAMLINE vise par exemple à optimiser les images selon la composition de l’échantillon (en sélectionnant et maximisant par exemple une modalité d’imagerie) ou à pouvoir reconstruire les informations spectrales de la réponse de l’échantillon à l’exposition lumineuse à partir de détecteurs simples et ultra-sensibles (non résolus en fréquences) mais en exploitant la connaissance des propriétés de la lumière incidente (une approche connue comme « imagerie computationnelle »).

Ainsi, nous espérons développer des méthodes d’imagerie plus efficaces, permettant idéalement d’exploiter des approches d’apprentissage profond (deep learning) jusqu’à l’histologie d’échantillons biologiques. Au-delà des aspects d’imageries mentionnés, le contrôle efficace des propriétés lumineuses concernées devrait permettre des avancées notables dans des domaines clés de la photonique tel que la métrologie (ex. contrôle des peignes de fréquences optiques) ou pour le traitement du signal quantique (ex. intrication optique multidimensionnelle).


Contact Benjamin Wetzel

Plus d’informations sur le site unilim

Consultez le communiqué de presse (page 6)