Jacques Fontanille, référent Intégrité scientifique

"Mon objectif a très vite été de travailler sur la qualité des pratiques de la recherche et d’entrer dans le vif du quotidien de travail des chercheur.e.s., en dialogue avec eux"

Jacques Fontanille, référent Intégrité scientifique pour l’Université de Limoges

Jacques Fontanille est référent Intégrité scientifique pour l’Université de Limoges depuis le 1er janvier 2017. Le domaine de l’intégrité scientifique couvre l’ensemble des conditions qui permettent de garantir la fiabilité et la crédibilité des résultats quant à l’honnêteté et la rigueur de la recherche au regard des attentes légitimes de la société.

Il nous livre une vision de sa mission qui va bien au-delà de celle d’une surveillance des mauvais comportements.

Quelle a été votre motivation pour occuper cette mission ?

Cette mission m’a été proposée par le Président de l’Université. Spontanément, j’ai pensé que derrière cette question d’intégrité scientifique, on pouvait mettre autre chose que la surveillance des mauvais comportements. Mon objectif a très vite été de travailler sur la qualité des pratiques de la recherche et d’entrer dans le vif du quotidien de travail des chercheur.e.s., en dialogue avec eux.

Le représentant intégrité scientifique doit être indépendant de l’équipe présidentielle et des responsables des différentes structures, mais la politique d’intégrité scientifique qu’il contribue à définir et qu’il applique est validée par le Président et les instances de l’université.

Pouvez-vous nous parler de votre mission ?

Ma mission consiste d’un côté à mettre en place une procédure pour traiter les cas de manquement, et de l’autre, à diffuser les principes et les pratiques de l’intégrité scientifique. Le référent propose une politique de qualité scientifique à l’établissement, mais aussi des contenus de formation à destination des doctorant.e.s et des chercheur.e.s avec la mise en œuvre de pratiques conformes aux principes de l’intégrité scientifique.

Quels sont vos objectifs ?

La politique d’intégrité scientifique existe puisqu’elle a été votée en Commission Recherche. Je souhaite maintenant la partager avec les équipes et les instituts – il s’agit en effet de dire ce que l’on fait et de faire ce que l’on dit. Sur un tel sujet, qui concerne directement la déontologie de notre métier, on ne peut pas se permettre d’enseigner aux doctorants des choses qui ne se pratiquent pas ou se pratiquent autrement dans les équipes !

Comment allez-vous procéder ?

La partie procédure est explicite et vise à examiner des plaintes, des allégations, des alertes, et à chercher un compromis scientifique sans avoir nécessairement à passer par des mesures coercitives ou disciplinaires. Quand aucune solution n’a été trouvée par le référent, il transmet l’affaire à la Présidence, et les instances de l’université sont alors saisies.

A ce jour, je n’ai été interpellé que deux fois : une fois pour un cas de plagiat d’une thèse soutenue à l’Université de Limoges dans une autre thèse soutenue dans une autre université française ; et une seconde fois, pour un cas d’oubli injustifié d’un collègue dans la liste des auteurs d’une publication.

Je souhaite que ma mission aille donc au-delà de cet aspect, et inspirer, au moins en son début, une démarche de qualité et surtout d’amélioration continue des pratiques scientifiques.

Qu’avez-vous pu réaliser à ce jour ?

La maquette des formations doctorales intègre désormais un module de formation à l’intégrité scientifique. Au niveau de la COMUE, j’ai participé à une concertation qui a notamment débouché sur des propositions pour une évolution de la « Charte des thèses ».

Comment votre mission est-elle perçue à l’Université de Limoges ?

Dans le quotidien de la recherche et de ses publications, la question des auteur.e.s et des citations se pose très fréquemment. Les chercheur.e.s sont réceptif.ve.s à ces aspects en lien avec l’intégrité scientifique, non en termes de sanction, mais sous l’angle de la qualité des décisions et des procédures utilisées quotidiennement.

Je rencontre aussi d’autres personnes qui sont intéressées par ces questions, mais qui n’ont pas toujours le temps de s’y consacrer.

J’essaie donc de faire comprendre que la mise en œuvre des objectifs de l’intégrité scientifique peut avoir des retombées sur la qualité quotidienne de la recherche, bénéfiques et durables.

Par exemple, dans la plupart des disciplines de recherche, on peut difficilement admettre que plusieurs personnes ou équipes qui suivent la même procédure expérimentale ou le même processus méthodologique aboutissent à des résultats différents. Les résultats scientifiques ne sont crédibles que s’ils sont reproductibles et vérifiables. Ceci est un problème sociétal considérable, mais aussi économique, en recherche et développement dans les entreprises. La problématique de la reproductibilité des résultats apparaît surtout sur la place publique quand des contestations surgissent, ou que des scandales éclatent, mais ce n’est que la toute petite partie visible du problème et de ses conséquences.

Un.e. doctorant.e. doit pouvoir connaître les différentes manières dont un sujet de recherche a été abordé et conduit pour pouvoir faire ses propres propositions. On doit être à même de détailler et mettre à disposition des protocoles reproductibles pour pouvoir revendiquer la propriété intellectuelle d’une recherche, réguler la concurrence entre les équipes – la recherche est un processus cumulatif et collaboratif, ce qu’un.e. chercheur.e. a trouvé doit servir de point d’appui pour les recherches d’un.e. autre chercheur.e.

Il m’apparait indispensable de normer les protocoles de recherche en les déposant dans une base de données commune à une équipe pour qu’un.e. doctorant.e. puisse s’appuyer sur la manière dont les recherches ont été conduites précédemment sur son sujet. L’Institut GEIST a produit un travail sur les protocoles de recherche et la reproductibilité des résultats et les céramistes de l’IPAM ont aussi initié un travail en ce sens. Nul doute que ces contenus élaborés par les équipes serviront de cadre et de support pour la formation des doctorant.e.s.

Il en est de même dans le domaine du plagiat, une part considérable ne relève pas de la fraude, mais d’un manque d’attention, de négligences, d’une mauvaise organisation du travail et donc, là encore, de la qualité et de la mise en œuvre des meilleures pratiques. Là aussi, la qualité des bonnes pratiques doit être à la fois un objectif de la formation des doctorant.e.s et et de l’information et de la sensibilisation des chercheur.e.s.

Je souhaite que l’Université de Limoges puisse trouver et mettre en place la volonté et la méthode pour assurer la qualité des pratiques de recherche avant que le couperet ne tombe, actionné de l’extérieur et par les pouvoirs publics ou privés. Par exemple, l’ANR demande déjà que le texte de politique scientifique de l’Université et sa méthode en matière d’intégrité scientifique soient produits pour chaque demande de financement d’un projet de recherche. Les revues scientifiques pourchassent de plus en plus vigoureusement le plagiat, et y compris l’auto-plagiat. Il faut donc se préparer maintenant à mettre en place les bonnes pratiques, plutôt que d’attendre que les injonctions et les difficultés n’arrivent.

Quels sont les enjeux pour l’Université ?

Le grand public ne connaît souvent que ce qui est médiatisé, donc les pires situations. Il en découle une suspicion à l’égard des résultats de la recherche, sur laquelle se greffent des discours politiques réactionnaires qui opposent aux résultats de la recherche scientifique des opinions idéologiques, par exemple en matière de climat et d’environnement, mais aussi de technologie ou de santé.

Pour les universités et le monde scientifique en général, et l’Université de Limoges en particulier, il s’agit d’avoir une meilleure crédibilité vis-à-vis de la société en mettant en place des bonnes pratiques, et en le faisant savoir,  pour rassurer et construire une confiance.

Par ailleurs, en recherche, l’objectif reconnu est l’excellence, voire l’excellence à tout prix, dans un esprit de compétition qui s’est exacerbé ces dix dernières années. L’intégrité scientifique, à cet égard, est une sorte de garde-fou, un ensemble de principes et de précautions pratiques qui complètent l’objectif d’excellence. Il s’agit maintenant de s’orienter vers une démarche de qualité qui permettrait d’en faciliter le partage au sein de notre communauté.

Interview réalisé par Françoise Mérigaud – Pôle Recherche


> Contact : Jacques Fontanille