LARDY, 7 juin 2006

L'interview de Geneviève et Monique Jeanjean a été enregistrée et transcrite aussi fidèlement que possible. L'enregistrement est de qualité médiocre, d'où quelques paroles inaudibles. Il a été entièrement réalisé au cours d'une même soirée (mais interrompu plusieurs fois pour des raisons techniques), le 7 juin 2006, Geneviève et Monique ayant exceptionnellement éteint le poste de télévision. Le texte a ensuite été découpé en une vingtaine d'épisodes ou de chapitres, correspondant aux sujets abordés successivement. Ceux-ci, à quelques exceptions près (retours en arrière, par exemple au chapitre 19) se déroulent de façon assez cohérente, comme si les sœurs, qui se sont préparées à cette remémoration, suivaient spontanément un plan.

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Au restaurant, novembre 2006. De g. à dr. Geneviève Jeanjean, Jean Péchenart, Monique Jeanjean.

Il y a trois interlocuteurs : les interviewées d'une part, Geneviève et Monique Jeanjean, l'intervieweur d'autre part, Jean Péchenart. On pourra remarquer les rôles différents tenus par chacune des sœurs : Geneviève est investie de la mémoire familiale, alors que Monique, un peu perdue et qui en souffre, s'en remet le plus souvent à sa sœur y compris en ce qui concerne sa propre histoire ; en revanche c'est souvent elle qui fait avancer l'échange, manifestant son caractère actif, alors que Geneviève s'arrête facilement à des songeries sentimentales.

Informations complémentaires en notes de bas de pages, collectées lors d'une reprise le 1er octobre suivant et par la suite.

Sommaire

Texte intégral

1 - Les dernières des Jeanjean

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Geneviève Jeanjean

Note de bas de page 1 :

Sur leur nom de Jeanjean, elles ne disent rien de particulier.
Cf. Dauzat p. 128, chapitre « Deux noms de baptème accolés ». Ce type se trouve surtout dans l’Est : Lorraine, Franche-Comté..., pays où l’ordonnance de Villers-Cotterets ne fut appliquée que tardivement.

Geneviève : – (…) Je ne m’endors pas… Je pense à… les… aïeux….
Justement je pensais que, à l’âge que j’ai, je suis la plus vieille de la famille Jeanjean.1

Monique : – Tu es restée la plus vieille…

Geneviève : – Je vais… je vis… plus vieux (sic) que tous les aïeux.

J. P. : Il n’y a pas eu dans ta famille personne qui ait vécu aussi longtemps.

Monique : – Quatre-vingt-six ans.

Geneviève : – (riant) Je suis l’aînée des aïeux !

J. P. : Mais sinon, qui est-ce qu’il y a encore, comme Jeanjean ?

Monique : – Y a plus personne.

Geneviève : – Y en a plus. La… la race Jeanjean s’éteint.

Note de bas de page 2 :

Toute la famille est enterrée au cimetière de Belleville. Elles y rejoindront le grand-père, les tantes, les parents, Madeleine et Denise. Ce qui fera dix personnes.

J. P. : La race Jeanjean s’éteint.2

Geneviève : – Dommage !

J. P. : Cette branche des Jeanjean en tous cas.

Monique : – Y a pas de raison qu’on en ait ailleurs.

Geneviève : – C’est-à-dire que Papa avait un frère…

Monique : – Oui.

Geneviève : – Mais qu’on n’a pas connu, un seul, un demi-frère. C’était pas un frère, c’était un demi-frère, qui a eu une fille, qui s’appelait Lucienne, et… qu’on n’a pas connue.

J. P. : Vous ne l’avez jamais connu ?

Geneviève et Monique : – Non.

Geneviève : – Et c’est la seule famille qui restait… Enfin eux ils ont peut-être fait… la fille a peut-être eu des enfants etc. hein, y a peut-être des Jeanjean…

2 - Naissance et enfance du père

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Lardy, sur les lieux de l'interview, le meuble aux photos : Denise, les parents, Madeleine

J. P. : Ça c’est côté Jeanjean… du côté de votre papa…

Geneviève : – Du côté de Papa.

Monique : – Papa, il était Lorrain. Il était de Metz.

Geneviève : – Né à Ambérieu.

Monique : – Né à Ambérieu mais… éduqué par ses tantes… qui étaient trois vieilles dames…

Geneviève : – Elles étaient jeunes à ce moment là !

Monique : – Trois tantes qui lui ont… alors que sa mère était morte en couches… le papa a confié le bébé aux tantes.

Geneviève : – A ses sœurs.

Monique : – Elles étaient trois.

J. P. : Il n’a jamais été élevé par ses parents ?

Geneviève : – Non. Son père était… il travaillait dans les chemins de fer et… souvent en déplacement. C’est pour ça que… il est né à Ambérieu, c’est qu’il était déplacé… à… c’était pas à Ambérieu, c’était…

Monique : – Si.

Geneviève : – Non, il est né à Ambérieu… (hésitations)

Monique : –…dans l’Ain. Le papa qui était donc le frère de trois sœurs, qui vivaient ensemble, qui n’étaient pas mariées…

Geneviève : – Qui vivaient à Metz.

Monique : – Qui vivaient, elles, à Metz. La famille était de Metz. Il y avait… Lucie... (hésitation)

Note de bas de page 3 :

Erreur : non pas Chritine, mais Célestine. Celle-ci était la marraine de Simon Jeanjean (prénommé en fait Célestin : Célestin Simon Pierre Jeanjean)

Geneviève : – Lucie, Christine [sic]3, Pauline.

Note de bas de page 4 :

C’est-à-dire à Metz. Les grands parents y sont enterrés.

Monique : – Et donc c’est elles qui ont gardé le petit, il a été à l’école là-bas...4
Le papa venait sûrement de temps en temps mais on n’en a pas entendu parler...

3 - Déménagement à Paris

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Mariage Jeanjean - 13 avril 1912

Geneviève : – Non. Mais il s’en occupait bien, parce que... à 18 ans... papa devait opter pour aller... pour faire le service militaire allemand...

Monique : – On était à Metz hein.

J. P. : Il était né en quelle année ?

Geneviève : – Papa ? En quatre-vingt six.

Donc, en 2004...

J. P. : Enfin, en 1904...

Note de bas de page 5 :

Ces personnes sont visibles sur la photo du mariage, au premier rang.

Geneviève : – Oui, en 1904, papa a dit « Je ne veux pas faire mon service allemand ». Et tout le monde est parti à Paris. Le grand-père, les trois sœurs, et papa. 5

J. P. : Donc, c’est lui qui a entraîné...

Geneviève : – Oui, oui, c’est lui qui a entraîné ses trois tantes à Paris, et le grand-père…

J. P. : A ce moment-là il était retourné à Metz…

Geneviève : – Oui, oui, il avait toujours vécu à Metz. Parce que… il est né à Ambérieu à cause du travail de son père, mais en définitive ils étaient de Metz. Ils ont toujours été à Metz. Du reste les grands-parents sont enterrés là-bas.

J. P. : Et son père, donc votre grand-père, il était…

Monique : – Il était remarié, le grand-père, non ?

Geneviève : – Euh... (hésitation) Non.

Monique : – Non ?

Monique : – Il était remarié, le grand-père, non ?

Geneviève : – Non non !...

Note de bas de page 6 :

Le grand-père, bien que mobile par profession, avait aussi des attaches à Paris.

Mais… le grand-père, quand papa a décidé de venir à Paris, il leur a cherché un logement6. Il leur a fait déménager les meubles... (geste vers la chambre) parce que les meubles de ma chambre, c’est les meubles de Metz. La table de la chambre aussi, c’est une table de Metz.

J. P. : La table... ?

Geneviève : – La table où il y a les fruits. Tu sais, c’est une table de jeu, elle se rabat. Avec un tiroir en extérieur.
Les chaises c’est la même chose, c’est de Metz. Et il y a une armoire là-haut qui est de Metz aussi.
Enfin, tout ce matériel-là est arrivé avec eux…

J. P. : C’étaient les meubles des tantes, donc...

Geneviève : – Oui.

Monique : – Tu vois, il leur a fait quitter... (? un mot pas compris)

J. P. : Alors en fait c’était lui, il avait 18 ans, c’était lui le chef de famille.

Geneviève : – Oui.
... En fait son père était là, quand même. Enfin, plus ou moins là... On n’a jamais su... Il passait ! Lui, il était en déplacement avec son travail.

Monique : – Il [papa] n’a pas vécu tellement avec son père...

Geneviève : – Non non.
Et nos grand-tantes, donc, étaient couturières, toutes les trois. Et elles travaillaient… Du reste, la lampe, qui est là, c’est une lampe qui leur servait pour travailler.

J. P. : C’est une lampe à huile ?

Geneviève : – A pétrole. C’est une lampe à pétrole... Je les revois travailler, autour d’une table, avec une lampe à pétrole.

Monique : – Et papa vivait avec elles ?

Geneviève : – Papa vivait avec elles ! Eh bien oui, tant qu’il n’a pas été marié il a vécu avec elles.

Note de bas de page 7 :

En face des sœurs de St Vincent de Paul, à l’angle de la rue des Pyrénées (précisé ensuite). C'est là que sont adressées les cartes de Simon Jeanjean à ses tantes dans la correspondance.

Monique : – Elles avaient un logement ... rue de Ménilmontant7

Geneviève : – A l’angle de la rue des Pyrénées et de la rue de Ménilmontant

J. P. : Donc dans le même coin que...

Note de bas de page 8 :

Le 21 rue de la Chine, dernier logement familial, reste le lieu de référence.

Geneviève : – Oui oui, la rue de la Chine était… est dans le coin.8

J. P. : Dans le Vingtième. C’est l’arrondissement de la famille quand même.

Geneviève : – Oui, mais nous on était plus sur le côté Gambetta que sur le côté Ménilmontant… la rue de la Chine. Parce que c’est à côté de l’hôpital Tenon.
(émotion subite :) Mais… je me dis, c’est vraiment, quand je me dis... qu’ils ont décidé de quitter tout, là-bas...

Monique : – D’abord parce que tous, ils ne voulaient pas...

Geneviève : – Elles ne parlaient pas un mot d’allemand. Elles refusaient de parler allemand. Alors que… papa allait à l’école... j’ai vu des papiers, c’était en allemand !

J. P. : Et lui, il parlait allemand ?

Monique : - Un peu oui…

Geneviève : – Oh sûrement ! Parce que... à l’école il a quand même été au brevet.

Note de bas de page 9 :

On voit dans la correspondance qu'il se remit à l'allemand pour servir d'interprète. Il se fait notamment envoyer un dictionnaire dont il est question à plusieurs reprises dans les cartes (ex. : n° 481. Pour voir les autres, cliquer sur ‘rechercher’ et taper le mot ‘dictionnaire’).

Monique : – Il l’a peut-être oublié plus tard, mais enfin il l’avait appris...9

Geneviève : – Du reste, il ne le parlait plus…

Monique : – Non non…

J. P. : Enfin, il ne voulait plus le parler…

Geneviève : – A Paris l’allemand c’était... niet !

Note de bas de page 10 :

On suit une même répulsion à travers plusieurs générations : …1°) héritage des tantes lorraines, sans doute les plus intransigeantes sur la question, à la suite de l’annexion ; …2°) Simon, le neveu, dont les archives conservent des traces de son éducation en allemand, et dont les cartes postales nous apprennent qu’il a servi d’interprète en Alsace et en Rhénanie en 1917 (ex. : n° 488. Pour voir les autres, cliquer sur ‘rechercher’ et taper le mot ‘interprète’) ; …3°) mon oncle Antonin, souvenir de famille, fut en captivité vers 1940 ; …4°) de cette aversion enfin, nous avons connu les effets jusque dans les années 80 : des rencontres franco-allemandes à l’occasion de jumelages ont été pour certains Français l’occasion d’y mettre fin, plus ou moins facilement.

J. P. : Oui, c’était comme Antonin, chez nous. Il avait été en captivité, je ne sais pas très précisément comment, mais… il ne voulait pas dire un mot d’allemand.10

Geneviève : – Oui oui… Mais papa, on ne l’a jamais entendu dire un mot en allemand.

J. P. : Oui, enfin, il n’avait pas vraiment de raison de…

Geneviève : – Non non, mais quand même, des fois il y avait…

J. P. : Quand même il avait bien dû le parler, l’entendre…

Note de bas de page 11 :

Voir dans les archives ses premiers certificats de travail.

Geneviève : – Obligatoirement, parce qu’il a fait toutes ses classes, là-bas. Il a été jusqu’au brevet, quoi. Il en est parti à 18 ans... Et quand il est arrivé à Paris, il a travaillé tout de suite.11

(enregistrement interrompu)

4 - La vie à Paris

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Les parents âgés

Monique : – (…) ...ils étaient tous les deux dans une chorale...

Geneviève : –...Ils faisaient chorale tous les deux à la paroisse de Ménilmontant.

J. P. : Ils se sont mariés en quelle année, alors ?

Geneviève : – Ils s’étaient mariés en [19]12... Et ils ont eu Denise en...

J. P. : Mais il a fait quand même son service militaire.

Monique : – Et il l’a même fait longtemps.

Geneviève : – C’est-à-dire qu’il a fait son service normalement (...)

Monique : – Et un an d’occupation de l’Allemagne.

Note de bas de page 12 :

De fait Monique mélange les époques. L' 'occupation de l'Allemagne ' (Rhénanie-Palatinat) viendra, en fin 1918 – début 1919. Nous en sommes encore au service militaire, 1906-1908. Voir le premier chapitre de la correspondance intitulé ‘Avant la guerre’.

Geneviève : – Oui mais attends !12 Il a fait son temps de service, il s’est marié : il y a eu un intervalle.

Monique : – Ah oui d'accord.

Geneviève : – Il s’est marié, il (y) a eu Denise (neuf mois après : ils ont pas raté leur coup).

J. P. : Ils se sont mariés en quelle année ?

Note de bas de page 13 :

Leur mère travaillait comme dactylo ; Denise était donc souvent gardée par les tantes pendant que les parents étaient au travail à l’extérieur.

Geneviève : – En douze.
Et en quatorze Papa est parti...
Il écrivait des cartes... en parlant de sa fille (émue)... « Ma petite chérie »… Et Denise... vers... Il est quand même parti quatre ans hein !... et donc Denise... avait à peu près trois ans, les tantes l’avaient promenée, enfin, il y en avait une qui l’avait promenée, elle l’avait perdue dans le square...13

Note de bas de page 14 :

(Souvenir, non dit, d'une aventure similaire : Pierre, fils de Jean, perdu bien des années plus tard dans le métro)

J. P. : Oh ?14

Monique : – C’est vrai !

Geneviève : – Et... elle s’est retrouvée au commissariat. Elle devait avoir quatre ans. Elle leur a dit « Moi, je veux écrire à mon papa ! »...

J. P. : C'est ça qu'elle a dit quand on l'a retrouvée...

Note de bas de page 15 :

« Nous », dit Geneviève (qui n’était pas encore née ni à naître)

Geneviève : – Non ! Au commissariat !
Elle a quand même su dire où elle habitait, et on nous a appelés.15

J. P. : A quatre ans, heureusement qu'elle a su dire où elle habitait...

Geneviève : – Eh oui. Elle était probablement assez intelligente, elle l’a toujours été ! (rire)

Monique : – Voilà.

Geneviève : ça alors, ç'a dû être un drame dans la famille. Oh la la, la fille qui est partie, qu’on ne retrouve plus, et qu’on retrouve... au commissariat. Remarque, je vais te dire, peut-être que les tantes, elles ont été directement au commissariat, pour dire « On a perdu la petite fille, cherchez-la ! ».

(exclamations diverses)

Note de bas de page 16 :

Nénette = Ginette = Geneviève.

Monique : – Puis il y a de nouveau une petite fille, qui est née en 17... Madeleine... La guerre s’est terminée, Nénette16 est née en 20.

Geneviève : – Il revenait de la guerre.

Monique : – ... Et moi, on a attendu un petit peu, puisque je suis née qu’en 24.

Note de bas de page 17 :

Curieuse phrase. Je voulais dire que ce n’était pas si éloigné que cela.

J. P. : Oui mais enfin c’est à peu près le même...17

Geneviève (malicieuse) : – T’es un accident ! (rires)

Monique : – Je ne suis pas tellement sûre que Maman ait été très heureuse mais enfin... ça a bien marché quand même.

(re-rires)

Geneviève : – Oh t’étais la chouchoute.

Monique : – Pas de maman. De papa, mais pas de maman.

Geneviève : – Si ! T’étais la chouchoute !

Monique : – Pas plus que toi !

Geneviève : – Oh quand même, tu sais, la petite elle est avantagée...

J. P. : La petite dernière, c'est souvent le cas...

(ensuite elle allume une cigarette, j’en prends une, Monique rit...)

Note de bas de page 18 :

Plusieurs fois elle relance la narration de la sorte, va de l’avant en ouvrant un nouveau chapitre.

Monique : – On avait un logement...18 dans la rue de Ménilmontant, dans une maison…

Geneviève : – On a habité d’abord en bas de la rue de Belleville, dans la rue de la Mare...

Monique : – Oui mais il ne connaît pas…

J. P. : Ça ne fait rien.

Geneviève : – … Ménilmontant, le bas, près de la paroisse Notre Dame de la Croix. Et...

Monique : – Papa était très... impliqué à la paroisse.

J. P. : Il était impliqué en quoi ?...

Note de bas de page 19 :

Il s'agit du Cercle St Rémy, apparemment situé boulevard de Ménilmontant, ou ‘cercle de Ménilmontant’, qui apparaît plusieurs fois dans la correspondance et dans les archives (ex. : n° 402 ; n° 2214, 2215).

Geneviève : – Il y avait un club… Enfin, pas un club... comment ils appellent ça ? Il y avait... un cercle de Messieurs et en général tous les ans ils donnaient une fête19. Toutes les familles étaient invitées bien sûr. Alors c’était la joie, d'aller à la fête. C’était dans la crypte de la paroisse, c’était vraiment très sympa.

Monique (insistant avec conviction) : – Très.

Geneviève : – C’est vraiment de bons souvenirs, ça…

(un temps)

5 - Le service militaire et la guerre

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Les parents avec Denise, vers 1915

J. P. : Bon, on a parlé de la guerre… Il l’a faite en entier ?

Monique : – Oh le pauvre ! Il était dans l'infanterie... comme tout le monde, quoi. Et on s'est aperçu seulement au bout de (consultant sa sœur)... trois ans ? …

Geneviève : – Oui.

Monique : – ...qu'il ne voyait plus clair.

Geneviève : – Oui, qu'il ne voyait pas assez clair

J. P. : Il était myope ?

Geneviève : – Il avait un œil... qui ne voyait pas.

Monique : – .Il ne voyait rien de l’œil droit. Et la nuit il ne voyait rien. Enfin moi aussi je suis un peu comme ça....

Geneviève : – Dans les déplacements, pendant la guerre, quand il y avait des attaques, eh bien, c’était un camarade qui le guidait, et ils sont restés amis. Et après, on s’est revus… Du reste, leur fils était le parrain de Monique.

Monique : – De toi !

Geneviève : – De toi !

Note de bas de page 20 :

C’est généralement (là encore) Ginette (l’aînée) qui a le dernier mot. Effectivement le fils Crinon était le parrain de Monique. Lors de la « révision » du 1er octobre Monique ajoute que « c’était l'amoureux de Nénette ». Geneviève : - Tu confonds avec Coty. Geneviève avait eu un camarade qui s’appelait... René Coty (sic) et qui était le neveu de sa marraine à elle (son parrain et sa marraine étaient Monique. et Mme Coty, des amis de la maman, Blanche).

Monique : – Ah oui oui de moi. Ah oui d’accord.20

J. P. : Ils s’appelaient comment ces gens là ?

Geneviève : – Crinon.

Monique (reprenant le fil de l'histoire) : – … On s’est aperçu en 17 à peu près qu’il ne pouvait pas suivre. Alors il a été mis à ce qui s’appelait je crois… le train des équipages, je ne sais pas exactement ce que c’était, mais enfin il était…

Geneviève : – En dehors.

Monique : – Il n’était plus à la guerre vraiment, quoi.

J. P. : L’intendance…

Note de bas de page 21 :

A ce moment l’émotion de Geneviève et la vivacité du souvenir (au second degré) est sensible, et partagée par Monique qui prend part fortement. Utilisation du style direct et du présent (le « c’est affreux » est l’expression du vécu émotif de la narratrice. Geneviève s’avoue par ailleurs à plusieurs reprises très émotive et le montre.

Geneviève : – Oui.
Mais il a quand même été blessé. Il a été blessé à la jambe, il a eu… mal dans la jambe, et alors il a été transporté… (émue) il a dit... ça il nous l'a dit :
On était dans des carrioles, des choses comme ça, avec du foin pourri, un vrai fumier. Les blessés étaient là-dedans…
Je me souviens qu’il nous a dit :21
Dans l’hôpital où j’étais, mon voisin, il est mort du tétanos, c’est affreux.
Forcément ! Les soins arrivaient trop tard…
Il en a souffert, de cette guerre… C’est affreux.

Note de bas de page 22 :

Dit sur un ton posé, comme pour « calmer le jeu » et interrompre ce pathos.

Monique : – Ils ont été envoyés à Nice un moment, quand même22, Hein ?

Geneviève : – Il a été envoyé à Nice, oui, et il a été envoyé ailleurs aussi.
Il a été plusieurs fois… il a été blessé, et alors après on l’a envoyé ailleurs… je ne me souviens plus.

Note de bas de page 23 :

Apparemment (passage peu audible) Monique, dans l'approximation une fois encore, se trompe d'une année.

Monique : – Enfin il est rentré qu'en... 20 quoi.23

Geneviève (reprenant) : – Parce que, à la fin de la guerre,… la guerre était finie… on l’a envoyé faire l’occupation de la Ruhr ! A la suite ! Alors qu’il avait quand même un enfant...

Monique : – Et puis il était marié, avec un enfant !

J. P. : Oui, et il avait fait son service avant.

Geneviève : – Il a fait presque sept ans !… d’armée.

Monique : – Alors voilà, là-haut... (à Geneviève) On l'a toujours le livre où il y a les photos ? Les cartes postales qu’il a envoyées ? (très hésitante) On nous l'a... chipé ?

Geneviève : – J’ai pas retrouvé.

Note de bas de page 24 :

Elle veut parler de l'album.

Monique : – Il avait fait un livre, avec toutes les cartes postales…24

Note de bas de page 25 :

Les cartes, selon elle, auraient constitué un palliatif à la censure militaire.

Geneviève : – … avec toutes les cartes postales qu’il avait envoyées à Maman. Parce que, au fur et à mesure qu’il se déplaçait, comme le courrier était, euh… (hésitation) raturé quoi… alors il envoyait des cartes, comme ça ça donnait la situation, où il était.25

J. P. : (Question pour revenir sur Nice…)

Note de bas de page 26 :

Elle sous-entend sans doute qu'il avait été envoyé à Nice pour blessure (ce qui n'a pas été dit). Les repères semblent assez flous.

Geneviève : – Après Nice il est retourné à l’armée hein ! On ne l’a pas dédouané pour ça.26

Note de bas de page 27 :

L'intervieweur n'y est pas du tout : elles sont nées en 1920 et 24.

J. P. : Et pendant ce temps là vous étiez avec votre maman…27

Monique : – … Moi je n’étais pas là, elle non plus [pas encore nées]…

Geneviève : – Maman travaillait.

Monique : – Il y avait Denise, et Madeleine… Elle faisait de la couture, non ?

Geneviève : – Maman ? Non, elle était dactylo…

Monique : – Ah oui, dactylo, dactylo !

Geneviève : – Elle faisait du secrétariat.

J. P. : Et lui, c’était quoi son métier ?

Geneviève : – Il a été directeur d’une Maison de… de lampes électriques… enfin des trucs électriques…

J. P. : Mais plus tard, non ?

(discussion pour savoir si c’était avant ou après…)

Monique : – Mais avant il y était ?

Geneviève : – Mais oui !

Monique : – Et il a repris après. Ah, je ne savais pas, je ne croyais pas.

Geneviève : – Il a tout de suite commencé chez Tourniéroux !

Monique : – Oui c’est vrai…
…et puis il est monté en grade, et quand il a fini il était…

Geneviève : – Il était directeur de cette société, quoi… C’était une petite société, ça s’appelait les Becs Visseaux.

J. P. : Et qui faisait quoi alors ? Des lampes ?

Note de bas de page 28 :

Léonard Tourniéroux, originaire de Limoges, avait fondé une société concessionnaire des Becs Visseaux (lampes à gaz au départ) à Paris. Nombreuses archives à ce sujet - cf. Textes : documents administratifs, courriers, etc. – et nombreuses allusions dans les cartes : cliquer sur ‘rechercher’ et taper ‘Tournieroux’.

Geneviève : – Oui, des lampes, des ampoules, des trucs électriques.28

Monique : – Et alors, pendant l'autre guerre, il s'était remis à son métier pour nous faire manger, en 40-44...

Note de bas de page 29 :

?... Passage confus.

Geneviève : – Longtemps après hein, pas au début.29

Monique (reprenant le fil) – Enfin voilà, Ginette est née en 20, moi je suis née en 24... Y a rien de spécial entre deux...

(une pause)

J. P. : Sinon oui, effectivement on parle surtout des cartes que le papa envoyait, pas tellement de votre maman. À cette époque -là, il n’y a pas de souvenirs...

Geneviève : – Pas tellement.

J. P. : Elle attendait...
Quoique Denise, elle, devait s’en souvenir, probabblement...

Geneviève : – Oh oui. Mais tu vois... Papa, il faisait encore des cauchemars... et c’était... des chevaux... Après la guerre...

Monique : – Périodiquement il avait un cauchemar, comme ça...

Geneviève : – De temps en temps, il se mettait (elle hausse la voix douloureusement) à crier « Non non non, ne »… enfin des trucs, des chevaux. Il voyait des chevaux arriver, probablement.

J. P. : (évoque des références littéraires : les chevaux dans A l’ouest rien de nouveau de EM Remarque...)

Geneviève : – Il s’est peut-être trouvé dans le cas d’une embardée de chevaux, tu sais, comme il a été déplacé justement, par des carrioles à chevaux... ça se peut qu’il y ait eu une histoire comme ça, parce qu’il a gardé ce cauchemar-là, mais... jusqu’à la fin. C’est curieux.

(pause silencieuse)

Il a souffert...

6 - 140 rue de Ménilmontant

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Concours de mamans en 1925 : la 4e maman debout à partir de la droite est Blanche Jeanjean, portant Monique

(revient au récit d’avant cette parenthèse)

Monique : – Alors, c’est à peu près là qu’on a emménagé au 140 rue de Ménilmontant..

Note de bas de page 30 :

La rue de la Mare est bien du côté de la rue de Ménilmontant, mais pas à proximité du 140. Malentendu expliqué ensuite.

Note de bas de page 31 :

Fernande, l'amie de toujours (décédée en 2000), que les soeurs avaient connue aux Sables d'Olonne en même temps que Blanchette Péchenart, habitait un appartement minuscule à Saint-Mandé, en bordure immédiate du boulevard périphérique. Exiguïté record. Fernande était sage-femme, et demoiselle jamais mariée. C'était une amie merveilleuse, totale simplicité et dévouement sans borne, marraine universelle. Cf. infra, 16e partie)

Geneviève : – Oui, on était à côté de la rue La Mare30
On était quatre dans ce petit logement. La cuisine, c’était un petit boyau comme chez Fernande.31

Monique : – Oh, un peu plus grand !

Geneviève : – Oh non, la cuisine n'était pas plus grande que ça, Monique.

J. P. : De toutes façons ça n’a jamais été très grand, parce que même Rue de la Chine c’était... on ne peut pas dire que c'était bien grand.

Geneviève : – Oui, mais... c’était plus petit, parce que je me souviens que moi, je jouais sous la table de la salle à manger. Je m’en souviens. Il n’y avait pas la place pour jouer.

Monique : – Mais non, ce n’est pas au 140 ça...

Note de bas de page 32 :

On comprend ici que Geneviève commence par évoquer le logement précédent, que la famille occupait avant de déménager rue de Ménilmontant, pour un appartement plus vaste. Les cartes de Simon Jeanjean à sa femme pendant la guerre sont adressées à cette même adresse initiale : 5 Villa Faucheur, rue des Envierges Paris 20ème. Geneviève a connu ce logement dans sa prime enfance.

Geneviève : – Non ! C'est à... rue des Envierges !32

Monique : – Moi je parlais du 140.

J. P. : Rue des quoi ?

Note de bas de page 33 :

On pourrait ajouter que cela part du Parc de Belleville.

Geneviève : – Des Envierges ; ça donne dans la rue La Mare33... Et la rue de la Mare arrive à l’Église Notre Dame de la Croix.

Monique : – Toujours dans le même coin. Mais après ils ont déménagé et on a été... en 36...

Note de bas de page 34 :

'Elle' = Monique.

Geneviève : – Quand elle34 est née, on a eu un logement (hésitation)... bon marché... comment ça s’appelle ?

Monique : – Habitation à bon marché.

Geneviève : – Voilà : habitation à bon marché.

Monique : – C'étaient les anciens...

J. P. : Les « pré-HLM »...

Geneviève + Monique : – Voilà.

Monique : – C’était pas mal, mais y avait pas de salle de bains.

Geneviève : – Y avait pas... Eh, pour une famille avec quatre enfants, il y avait un poste d’eau dans la cuisine, et-c’est-tout !

J. P. : Il y avait un robinet...

Geneviève : – Il y avait les waters, mais il n’y avait pas de robinet dans les waters, ...il y avait uniquement l’évier de la cuisine. Ils avaient acheté un tub, tu sais, qu’on faisait chauffer sur le gaz, et puis le collier autour du cou, pour nous doucher.

J. P. : Le collier autour du cou ?

Geneviève (avec Monique et questions de Jean) : – Oui, il y avait un collier qui jetait l’eau, qui jetait l’eau chaude, parce que ça passait par... il y avait un tuyau qui venait avec le collier, on se mettait le collier, et puis on avait l’eau qui nous descendait dessus, voilà.

J. P. : C’était pratique !

Monique : – Oui mais... Y avait que la cuisine pour faire ça hein !
Mais quand même à ce moment-là on était encore quatre filles, parce que... elle était là Denise, encore...

(...)

Note de bas de page 35 :

Le mot ne vient pas (plusieurs fois) pour qualifier ce grand ensemble d'Habitations à Bon Marché (HBM).

Geneviève : – Mais vraiment c'était... y avait un peu tout dans ce...35
Y avait, je ne sais pas, nous on était au numéro trente... l’escalier trente... le bâtiment, tu vois le nombre de bâtiments qu’il y a, dans ce coin-là hein.

Monique : – Il est très grand...

Note de bas de page 36 :

Plaisanterie. Elle sait bien qu'elle ne le fera pas.

Geneviève : – Il existe toujours. Si tu vas à Paris... on t'emmènera ! (rire)36

Monique : – Pour entrer dans ce... dans cette... il fallait faire un grand parcours dans la...

Geneviève : – Oui : pour arriver à la rue de Ménilmontant, il y avait au moins cent mètres.
C’étaient des grands bâtiments... Remarque, au point de vue construction, c’était bien, tu vois ce que je veux dire, la construction elle-même. Je suis sûr que c’est encore en meilleur état que ce qu’ils ont fait en soixante.

J. P. : C’était à quel étage ?

Geneviève+Monique : – Quatrième.

Note de bas de page 37 :

(bis)

Geneviève : – Mais alors il y avait un peu de tout hein dans ce...37

J. P. : Comme population ?

Note de bas de page 38 :

Phrase suspendue. Sous-entendu : c'était un peu la cour des miracles.

Geneviève : – Comme population. Parce que... ils avaient vidé ce qu’on appelait la ceinture de Paris, les... c’était genre bidonvilles quoi, qu’il y avait autour de Paris, et alors ils avaient vidé tout ça, et mis dans ces maisons-là. Alors tu vois, on a rencontré des gens bien, sympa, mais y avait quand même...38 On a vu des gosses... Tu sais il y avait des demi-toits, au deuxième étage, des petits toits comme ça, qui coupaient en somme le...

Monique : – La façade.

Geneviève : – La façade. Et en face, enfin en face à gauche, on a vu des enfants se sauver par le petit toit parce que le père les battait. Et les gosses se sauvaient par le toit. Un toit qui était large de cinquante centimètres.

Monique : – Oui il y avait de tout dans notre... Y avait des gens bien et puis des gens.. comme ça.

Geneviève : – Et puis alors des gens... sans éducation.

J. P. : A part ça vous ne vous souvenez pas particulièrement de voisins...

Monique : – Si, un petit peu quand même...

Geneviève : – Si. On avait eu un lapin, qu’on avait gagné à la loterie, qu’on avait gardé huit jours, pour l’engraisser, et puis au bout de huit jours, il faisait tellement de crottes dans la maison, qu’on a dit « Bon, on s’en débarrasse ». Le voisin il a dit « Je vais vous le tuer ». Il l’a tué mais il l’a mangé aussi.

(rires...)

Monique : – Nous on voulait plus manger notre lapin. Il avait été pendant huit jours dans l'appartement...

Note de bas de page 39 :

Il n'y avait pas de place pour les animaux. Elles ont raconté par ailleurs que leur père aurait beaucoup aimé avoir un chien mais cela n'était pas possible. Il avait eu un poisson nommé Théophile qu'il venait saluer tous les matins.

Geneviève : – Arthur qu’il s’appelait !!! (riant) Ah ah c'est vrai, je me rappelle maintenant. C’est Arthur qu’on l’avait appelé...39

Monique : – Non, on avait des amis qui habitaient...

Note de bas de page 40 :

Voir dans les archives les courriers concernant cette affaire (2208, 2209-2210, 2211, 2212-2213) : protestations adressées au Directeur de l'OHBM par Simon Jeanjean au nom de l'ensemble des locataires, etc. Pittoresque !

Geneviève : – Il y a des gens par exemple, qui se sont battus sur le palier, eh bien ils ont défoncé notre porte. On a eu drôlement peur parce que papa n’était pas là, il était à une réunion. Alors, tu penses... On ne pouvait plus fermer la porte. Je crois qu’il y avait un verrou... On a pu refermer mais sans ça le loquet était complètement... les voisins...40

Monique : – On avait deux chambres. Ça nous faisait quatre enfants mais il n’y avait que deux chambres, la chambre des parents et la chambre des enfants. On était quatre filles ça tombait bien, il y avait deux grands lits...

Geneviève : – Deux grands lits et quatre filles.

J. P. : Deux grands lits à deux places.

Geneviève : – Oui oui. Mais la chambre était grande ! Parce qu’on avait quand même une armoire aussi, et dedans... Il n’y avait pas de table par contre.

Monique : – Je ne sais plus.

Geneviève : – Non... Il y avait quand même la voiture de ta poupée ! (rires)

J. P. : Vous êtes allées à la même école ?

Geneviève : – Papa a eu la bonne idée de nous envoyer... parce qu’il ne voulait pas qu’on aille à l’école qui était à côté...

Monique : – On était dans la rue de Ménilmontant, et à plus d’un...

Geneviève : – Oh, deux kilomètres !

Monique : – Il y avait une école qui était mieux. Il connaissait la directrice, et donc il fallait qu’on aille là, parce que l’école qui était en face du 140 Ménilmontant était mal famée.

Geneviève : – Bien sûr, y avait tous les gosses de la... du 140.

Monique : – Alors du coup, on partait toutes les trois, toutes les quatre, en courant, toujours, parce qu’on était en retard, pour faire notre voyage pour la...

Geneviève : – C’était loin, on mettait bien vingt minutes pour y aller.

Monique : – On déjeunait là-bas, on amenait la gamelle.

Geneviève : – Au début on a mangé à la cantine, et puis après j’ai dit « Moi je mange plus à la cantine », Maman nous faisait des gamelles. Elle nous les remplissait trop, et ça débordait quand la cantinière faisait (...on l’appelait la cantinière) ...faisait chauffer ça débordait. « Dites à votre mère d’en mettre moins ça déborde ! »

J. P. : Mais je ne comprends pas, vous n’alliez pas à la cantine, mais il y avait quand même quelqu’un qui s’occupait...

Monique : – On se faisait chauffer sa gamelle.

J. P. : Et on pouvait amener son manger, à la cantine. Et toi tu ne voulais pas aller à la cantine, parce que c’était pas bon ?

Geneviève : – J’ai toujours été difficile pour manger, tu sais. Ça a commencé de bonne heure. Tu sais les haricots, avec les germes, ça me faisait penser à des asticots et alors ça m’écœurait. Enfin, il ne me faut pas grand chose, tu me diras..

J. P. : Enfin, ce n'était peut-être pas très bon quand même.

Monique : – C’est-à-dire que... étant donné que entre Denise et moi il y avait... combien d’années ?...

Geneviève : – Onze ans. Toi tu n’y as pas été en même temps que Denise.

Monique : – Un petit peu. Une année.

Geneviève : – Ah bon ?

Monique : – Après elle est allée à une école...

J. P. : Oui. Toi tu es née en quelle année ?

Monique : – Vingt-quatre.

J. P. : Et elle, elle est née en douze ?

Geneviève : – Treize.

J. P. : Treize... Oui, c’est cela : onze ans.

Monique : – Après elle a été en école... comment ça s’appelait ? C'était pas un lycée...

Geneviève : – Commerciale.

Monique : – Non, pas commerciale. Après le brevet, tout ça...

Geneviève : – Le cours complémentaire.

Monique : – Oui, le cours complémentaire, voilà !

Geneviève : – Mais c’était dans la même école, le cours complémentaire...

Monique : – Oui, mais après elle a quitté l’école, et puis on n’était que toutes les deux.

Geneviève : – Oui...

Monique :  – Toutes les trois ! Avec Madeleine.

Geneviève : – Oui oui.

(pause pensive)

7 - Denise s’en va

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140, rue de Ménilmontant : photo récente, l'immeuble est toujours là.

Monique : – Enfin voilà. Et puis qu’est-ce qui s’est passé après ?...

Geneviève : – Eh bien Denise a été jusqu’au brevet. Et puis après... elle a travaillé, non, elle a continué, je ne sais pas dans quelle école, je ne me rappelle plus. Elle a eu son brevet supérieur, mais elle n’a pas été jusqu’à la troisième année... je crois que c’était trois ans le brevet supérieur, et je crois qu’elle a eu les deux premiers mais le troisième elle devait pas l’avoir.
Enfin, ça lui a permis quand même d’enseigner quand elle a été religieuse. Elle avait le diplôme qu’il fallait. Mais comme elle préférait être...

Monique :  – Tu prends de l’avance là, tu passes un grand morceau.

Geneviève : – Oui mais c'est pour expliquer...

Monique :  – Bon enfin en 36 (c'est en 36 ?...), elle nous a quittés. Elle est rentrée chez les sœurs...

J. P. : Elle est rentrée chez les sœurs. Et elle est rentrée où alors ?

Geneviève : – A Paris. A l'hôpital...

Note de bas de page 41 :

Monique interrompt, non parce qu'elle se souvient mieux, mais parce qu'elle trouve que Geneviève (qui en effet semble peiner à raconter ce qui décidément lui pèse, cette tragédie familiale) n'avance pas assez vite.

Monique :  – A l’Hôpital St Michel.41

Note de bas de page 42 :

Le 2 février 1936, jour noir pour la famille Jeanjean, on s'en souvient.

Geneviève : – J’ai été l’accompagner avec Papa. C’est le jour des crêpes, le 2 février.42

(« rire » entendu de Monique. Manifestement on arrive au moment fort, au souvenir important, aboutissement de tout ce qui a précédé)

Note de bas de page 43 :

La question fait allusion à un sous-entendu fortement exprimé du bonnet

J. P. : Deux février 36... Et pourquoi tu fais comme ça, là ?43

Monique :  – Parce qu’on était très tristes, de la voir partir.

Geneviève : ça a été dur.

Note de bas de page 44 :

Précision ultérieure (entretien du 1er octobre) : Denise avait annoncé sa décision à la fin des vacances d’été précédentes (1935) passées en famille, à Annecy, après la visite de l’église, là... (quelle église ?)

Monique :  – On s’était battus... Papa l’avait fait attendre un an, je crois.44

Geneviève : – Oui.

Note de bas de page 45 :

C’est Monique qui parle. Silence affligé de Geneviève. Peu de mots, mais on est dans l’évocation d’un malheur inacceptable et dont ils ne s'étaient jamais remis. (Denise était chez les sœurs de St Vincent de Paul - avec cornette)...

Monique :  – Au moment où on lui en avait parlé déjà, elle en avait parlé et puis... elle a fait ce qu’elle devait faire45

J. P. : C’était son idée.

Monique :  – Voilà.

(silence et tristesse)

Note de bas de page 46 :

?... Papiers à reclasser.

Geneviève : – Du reste on a des lettres. En ce moment je suis en train de ranger les papiers. Et alors je suis tombée dans les lettres de... remerciement, pour les deuils, etc.46
Il y a des lettres sur Denise, il y en a deux, elles m’ont vraiment touchée...

(silence)

J. P. : Des lettres sur Denise ?

Geneviève : – Des lettres sur Denise, oui. Parlant de Denise...

Monique :  – Après l’enterrement.

Geneviève : – En condoléances quoi.

Note de bas de page 47 :

C’est encore Monique qui relance, mais comme elle ne sait pas très bien elle demande à Ginette

Monique :  – Alors, après les études elle est rentrée rue... à Paris. Elle a fait quoi ?47
Elle a fait l’école tout de suite ?

Note de bas de page 48 :

École des Filles de la Charité de St Vincent de Paul, 9 rue Cler, 75007 Paris.

Geneviève : – Oui. Rue Cler.48

Monique :  – Il y avait une école, donc elle a été institutrice pendant quelques années, et puis...

Geneviève : – Elle a fait ses études d’infirmière en même temps... Il fallait qu’elle le veuille hein !

J. P. : Elle était institutrice, c’est-à-dire qu’elle faisait la classe aux gamins, à temps plein ?

Geneviève+Monique : – Oui oui.

J. P. : Et en même temps...

Geneviève : – Elle a suivi ses cours d’infirmière (...)
Elle a dit « J’ai eu de la chance » parce que pour les travaux pratiques, on lui a demandé de faire une tisane ! » (rires)
Elle dit « On m’aurait demandé une piqûre j’aurais été peut-être un peu plus alarmée, mais là... »

Monique :  – Et puis donc elle a été infirmière pendant... le temps jusqu’à la retraite. Et elle était... pas infirmière... elle allait visiter les gens chez elles. (sic)

Geneviève : – Elle allait soigner à domicile.

Monique :  – Elle aimait beaucoup ça.

Geneviève : – Oui, ça, c’était la bonne période pour elle... Elle aimait... d’abord sortir. Et voir des gens, parler avec les gens.
Elle montait, tu sais, dans le Huitième, c’est les beaux quartiers, mais... faut monter au septième... par l’escalier de service. Tu ne montes pas par l’ascenseur ou par le grand escalier hein...

J. P. : Vous disiez que c’était une séparation, mais vous la voyiez tout de même souvent ?

Monique :  – Tous les quinze jours, trois semaines ?...

Note de bas de page 49 :

Elle avait la maladie de Paget : déformation des os qui avait atteint le bassin et la colonne vertébrale. Au départ elle s’en était aperçue parce que ses chapeaux (elle était la « dame aux chapeaux ») ne lui allaient plus : sa tête avait enflé et ça avait commencé par les faire rire comme quelque chose de clownesque, d’abord inexplicable et absurde...

Note de bas de page 50 :

Comprendre « était décédée ».

Note de bas de page 51 :

Métonymie familière : moi aussi je disais « rue de la Chine » pour « chez ma marraine » et l’appartement c’était « la rue de la Chine ».

Geneviève : – Une fois par mois à peu près.
Mais... on ne l’a jamais ratée.
Et quand maman était malade, et ne pouvait plus bien se déplacer...49 elle venait chez les sœurs de St Vincent de Paul, rue de Ménilmontant, en face de là où habitaient nos grand-tantes (enfin, qui n’étaient plus là) et... elle venait là, parce que c’est les sœurs de St Vincent de Paul qui la recevaient, et nous, on allait la voir là, pour que maman puisse la voir. Et puis fut un temps, maman était partie50, et papa était souffrant, on lui a donné la permission de monter à la maison. C’était la première fois qu’elle montait... elle ne connaissait pas la rue de la Chine51 ! On avait déménagé entre-temps.
On a déménagé en 36.

J. P. : Et elle, elle y est venue quand alors ?

Geneviève : – Je ne sais pas, moi. Papa est mort en 64.

Monique :  – Maman en 60 ?

Note de bas de page 52 :

La mère est morte en août 1962 (pendant les vacances, c’est raconté par ailleurs, l’année de leurs noces d’or), à l’âge de 74 ans ; le père en novembre 64 à 78 ans.

Geneviève : – Maman, c’est en 6252. Donc, oui, elle est venue en 63 quoi...

J. P. : Ah oui, elle n’y était jamais venue ?

Geneviève : – Jamais. Elle ne connaissait pas l’appartement.

(une pause)

Et alors... elle ne mangeait jamais devant nous. Même un bonbon hein. Elle était stricte au point de vue...

J. P. : Elle n’avait pas le droit ? Elle ne se donnait pas le droit.

Geneviève : – Pas le droit. Et alors Papa lui dit : « On fait un thé ? », Denise lui répond « Eh bien oui ! ». Papa était... heureux ! Comme ça tu sais... de savoir qu’elle acceptait de manger avec nous, ça lui... vraiment une joie pour lui. Tu te rappelles, hein ? C'était vraiment....

8 - Déménagement rue de la Chine

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Denise âgée ; photo prise à Lardy.

(changeant de sujet, mettant un terme aux épanchements sentimentaux de sa soeur)

Monique :  – Alors ce 140, là, on l’a quitté parce que... on habitait... Comme on te l'a dit c’était un énorme truc avec plein de bâtiments. Alors quand on rentrait, par la rue de Ménilmontant on avait au moins dix minutes à pied, presque, à travers...

Geneviève : – Oui, y avait des tas de...

Note de bas de page 53 :

Un album de photos est consacré aux guides. Voir notamment les photos-cartes n° 1021 à 1027.

Monique :  – … et Ginette était guide… 53

J. P. : C'était... 140 rue de Ménilmontant...

Monique :  – Oui, 140 rue de Ménilmontant. Alors donc je ne sais plus en quelle année… si, en 36. Tu étais bien guide en 36 ?

Geneviève : – Non, plus tôt… Attends… Je suis née en 20. Eh bien c’était en 33, à peu près, en 32-33.

Monique :  – Donc elle était en uniforme. Et pour traverser ces cours eh bien…

Geneviève : – …ça ne plaisait pas à tout le monde.

J. P. : …de te voir comme ça ? Et alors ?

Note de bas de page 54 :

Pauline (cf. chap. 2)

Geneviève : – Papa en 36 il a dit, comme les événements étaient un peu troubles, en 36, Papa il a dit « On déménage », parce que, pour les filles, c’est pas bon.
Et c’est là qu’on a habité la rue de la Chine. C’était pour nous protéger, quoi, parce qu’il avait peur qu’on nous agresse, qu’on nous chahute, quoi…
On avait une des tantes54, qui était encore vivante, qui habitait aussi au 140 rue de Ménilmontant, dans un autre bâtiment. Papa lui avait pris… elle, elle avait une chambre, une grande entrée, et un grand water dans lequel on pouvait ranger des choses quoi. Mais une belle chambre, et puis une belle entrée. C’était pas mal ; c’était un studio, quoi, ce qu’on appelle un studio.

Monique :  – Alors donc Denise est partie en 36. Et la tante, elle, est morte en quarante euh…

Geneviève : – Deux.
Pendant la guerre. Elle a été malheureuse cette pauvre femme. Elle n’avait pas à manger… Aussi bien pour nous que pour elle. Et… on lui donnait ses tickets. Elle allait chez le boulanger, et elle disait « Mais donnez-moi du pain enfin ! Pourquoi... ? ». Elle ne pouvait pas comprendre. Elle avait 79 ans hein, et elle ne pouvait pas comprendre qu’on ne lui donne pas du pain, quoi ! Le pain c’était pour elle quelque chose.. Alors ça… ça a été dur.

J. P. : C’était la dernière tante ?

Geneviève : – Oui.

Monique :  – Les autres étaient mortes.

Geneviève : – Oui oui.

Monique :  – Moi personnellement je n’ai pas connu les deux autres hein ?

(Monique est la plus jeune des quatre sœurs ; bref échange à ce sujet, au sujet des tantes et de ce que Monique pourrait en savoir)

Geneviève : – Moi, j’ai un très vague souvenir… mais très vague.

(silence)

9 - Denise lisait toujours. La lecture

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Au salon, novembre 2006

Geneviève : – Denise lisait toujours. Sa passion c’était la lecture. Elle s’asseyait sur un petit banc. Elle avait son petit banc, ou sa petite chaise, j’sais pas, pour lire.

Du coup elle a attrapé une scoliose. (Monique rit)

J. P. : Elle lisait quoi ? Tout ?

Geneviève : – On lui achetait des livres…

Monique :  – Papa avait une bibliothèque aussi.

J. P. : Elle avait de qui tenir. Votre papa...

Geneviève : – Ah oui !

Monique : – Papa était un grand lecteur.

Note de bas de page 55 :

Né en 1886.

Geneviève : – Maman aussi du reste. Ils lisaient tout le temps.
D’abord, étant donné qu’on n’a pas eu la télévision avant cinquante… six,... (hésitations) oui en 56 (puisque c’était les 70 ans de papa)55, eh bien, ils écoutaient la radio. Ils écoutaient bien hein, parce que je me souviens que… ils suivaient les pièces, il y avait beaucoup de pièces à ce moment-là, et vraiment, ils s’intéressaient beaucoup à… Je me souviens moi, j’aimais beaucoup les émissions de radio, …ça je m’en souviens.

J. P. : La radio c’était… très important.

Geneviève : – Ah oui. Il y avait des émissions, le soir…

Monique :  – Des pièces... (elles cherchent à se souvenir)

Geneviève : – Oui… le dimanche soir…

J. P. : Oui, moi je me souviens que j’ai connu Les maîtres du mystère

Geneviève : – A la télé ?

Monique : – Non, là on te parle de...

J. P. : Les maîtres du mystère, c’était bien à la radio !

Geneviève : – Ah oui oui.

Note de bas de page 56 :

En prenant la parole à ce sujet (je me souviens de l'indicatif et des ponctuations de cette émission, joués aux ondes Martenot) l'intervieweur a conscience d'interférer abusivement avec ses propres souvenirs. D'ailleurs Geneviève ensuite revient à ses moutons.

J. P. : Avec cette musique, là, ça faisait peur, c'était le grand suspense…56

Note de bas de page 57 :

« Ils lisaient », ou « il lisait » ? La phrase suivante concerne le père seul.

Geneviève : – Mais… quand même, ils lisaient57 beaucoup.
Il allait à la bibliothèque…

J. P. : Oui, il y avait des bibliothèques…

Geneviève : – Il y avait la bibliothèque de la mairie, oui, juste derrière la mairie du Vingtième.

Il allait à la bibliothèque, là, il se rapportait deux ou trois bouquins à chaque fois. Un jour il s’était cassé la figure, même… (Rire de Monique) en montant sur un escabeau, tu sais, pour attraper les livres…

J. P. : à la bibliothèque ?! Eh bien dis donc...

(Geneviève confirme)

Monique : – Tu as une bonne mémoire, moi je ne me souviens pas de ça. Il s’est cassé la figure…

10 - La famille maternelle ; les photos

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La famille maternelle. A gauche : Blanche Vattebault, épouse Jeanjean.

J. P. : Et votre maman alors ? Je ne me souviens plus de son prénom d’ailleurs…

Geneviève : – Blanche.

Note de bas de page 58 :

C’était aussi le prénom de ma mère qui est aussi un personnage important de l’histoire mais qu’on appelait Blanchette. Nous ne faisons pas le rapprochement. Quant à leur mère, dont je me souviens ni plus ni moins que de leur père, son absence relative, son effacement dans l’histoire m’interroge décidément.

J. P. : Blanche.58

Monique : – Eh bien Maman elle a continué à travailler…

J. P. : Mais elle, aux origines elle était…? Parce qu’on a parlé de la famille… La famille de votre maman c’était…

Geneviève : – On connaît très mal, très mal.
Si. On sait que notre grand-mère a été victime…

(Cette phrase reste en suspens. Jean, dans le croisement des questions-réponses, a posé une autre question sur le nom de jeune fille)

Monique : – Vattebault.

Note de bas de page 59 :

Orthographe à préciser.

Geneviève : – Non, c’était Streiff !59

Monique : – Oui mais maman...

Geneviève : – Maman c’était Vattebault, oui.

Note de bas de page 60 :

Rousseau est le nom de jeune fille de leur grand-mère paternelle.

Monique : – Parce qu'elle était remariée.
(suit un échange plutôt confus où apparaît le nom de Rousseau.60 La seule conclusion qu'on puisse en tirer est que des recherches généalogiques seraient nécessaires, au moins pour savoir si vraiment Blanche Jeanjean s'était remariée. Mais Geneviève pense sans doute à la grand-mère, et non pas à sa mère. En tout état de cause les sœurs semblent confondre les générations et les familles)
C’est Rousseau qu’elle s’appelait [la grand-mère] étant jeune fille. Mais après elle s’est mariée ; elle s’appelait Streiff, je crois...

Geneviève : – Et puis après elle s’est remariée avec… Vattebault.

Note de bas de page 61 :

Là, c'est l'intervieweur qui est perdu.

J. P. : Donc elle s’est mariée trois fois ?61

Geneviève : – Deux fois : Streiff et Vattebault. Son premier nom c’est...

(silence)

J. P. : Et de la famille, donc, de ce côté-là vous n’avez pas de…

Geneviève : – Non.

Monique : – Tu veux parler de cette famille-là, à ce moment-là !... Après on a eu…

J. P. : Oui.

(pendant ces dernières répliques Geneviève se déplace en me disant « Je vais te montrer quelque chose »)

Monique : – … Après, Maman avait… trois sœurs hein ? Ginette ?

Geneviève : – Elle avait...

Monique : – ...Suzanne, Marthe, Jeanne…Oui, ça fait trois

Geneviève

Note de bas de page 62 :
Note de bas de page 63 :

Sur l’orthographe de Wattebault (et non pas Vattebault), voir archive n° 2242

Note de bas de page 64 :

Émotion sensible dans la voix.

Note de bas de page 65 :

Il s'agit de la photo n° 1401.

Geneviève : (ouvre un carton et présente un ensemble de photographies anciennes) :62 – La famille Wattebault : 63
Ma grand-mère…
Blanche…
Marthe… Jeanne… Georges…
Euh… Suzanne, là. Et il y en a une qui est morte, comment elle s’appelle ?
Elle est morte de tuberculose64… Et lui il est mort à la guerre…
(…)
C’est la femme de notre cousin qui nous a envoyé cette photo-là quand notre cousin est mort. Elle a retrouvé ça, ils ont été inondés, la cave a été inondée, donc la photo a été très abîmée. Elle nous l’a quand même envoyée, et ça je lui en suis reconnaissante65
… Marguerite !

Monique : (Insiste pour que Geneviève montre une certaine photo. Passage difficile ; elles cherchent certaines photos, ne les trouvent pas, suivent leur idée...)

Geneviève : – … Maman.

J. P. : C’est une photo qui date de quand ? Avant 1900…

Geneviève : – Ah oui...
(discussion sur l’âge de « maman » sur cette photo :16, 15 ans ?)
Elle était belle...

11 - La tante Jeâânne et sa famille snob

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Henri et Jeanne Laurent

Note de bas de page 66 :

Cf. photo de mariage de Jeanne et Henri Laurent, à Bangkok (n° 1409)

Geneviève : – Et alors celle-là, c’était la tante Jeââânne…
(le ton en dit long sur le snobisme de la tante et sur ce qu'en pense Geneviève)
Elle était mariée à un… (hésitation)66

Monique : – Pas un ambassadeur, mais le grade en dessous...
(on cherche le nom… un diplomate…)
C’était celle qui était arrivée, tu sais !

(rires)

Geneviève : – Et j'aime mieux te dire que...

J. P. : Je vois. Et on la voyait quelquefois ?

Geneviève : – Alors là attends…
Un jour on était invités. Ils habitaient Nice. Avant ils habitaient la Bretagne. Elle avait un petit château en Bretagne. Ils ont quitté la Bretagne, ils ont mis la grand-mère dans une maison de retraite, en Bretagne, à Noyal-sur-Vilaine, et eux ils sont partis s’installer à Nice.
Mais alors ils venaient à Paris passer quelques jours. Je crois qu’ils avaient un appartement là. Et ils nous invitent. La tante Marthe avec sa fille, et puis nous. Et alors, imagine-toi que nous, on avait eu réunion de guides ce jour-là. Alors au lieu d’avoir nos belles petites robes de dimanche, on était en guides…

J. P. : Les guides c’était quoi l’uniforme, le foulard ?

Monique : – Il y avait la cravate…

Geneviève : – Ah la cravate !

Monique : – … le chapeau…

Geneviève : – Et puis la robe avec un gros pli, là… On avait une jupe bleue.

J. P. : C’était comment le chapeau ?

Geneviève : – Un chapeau rond… oui oui.

J. P. : Eh bien, c’était chic !

(rires)

Geneviève : – Mais quand on est arrivées (elle mime l'essoufflement)... Tu sais, il aurait fallu aller se mettre en dimanche…mais nous on voulait pas rater notre réunion. On a été à notre réunion, et on n’est venues qu’après.
Oh, ça a pas plu hein !... (ironique) On a été supprimés de l’héritage !

(rire de Monique)

J. P. : Carrément. Déshérités !

Geneviève : – Ah oui oui oui !

J. P. : Tu le dis avec une certaine fierté.

(rires)

Geneviève : – Comme tu dis.

J. P. : C’était pas tout à fait le même monde.

Geneviève : – Non.

12 - Photos (suite) et cartes postales

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Simon Jeanjean soldat

(recherche de photos…)

(Beau dessin au crayon d’après une photo représentant Simon Jeanjean, leur père. « C’est vraiment lui ! »)

Geneviève : – C’est vraiment lui !

J. P. : Oui. Je l’ai connu après, mais on le reconnaît très bien.

Geneviève (attendrie) : – Ah mon papa. Il était bien mon papa.

(..Photos de classe, dont une de la classe de Denise, qui tient le panneau avec le numéro de la classe)

Geneviève : – C'était la première de la classe... Imagine-toi qu’elle était dans une école libre. Et puis… jamais elle était première. Parce qu’il y avait une chouchoute, toujours la même (rires de Monique). Tu te rappelles… Eh bien papa il l’a changée d’école (nouveaux rires). D’avoir mis sa fille…

J. P. : Il soignait ses filles...

Geneviève : – Tu vois... à quel point !

(on regarde les photos)

Geneviève : – Des photos de militaires…

J. P. : Alors là, il faudrait faire des recherches… C’est comme une aiguille dans une botte de foin…

Geneviève : – C’est bizarre, je ne l’avais jamais vu(e)…

J. P. : Tu vois, on est pas venus pour rien…

Note de bas de page 67 :

Cf. Plaquette su 45e régiment d’infanterie (Simon Jeanjean était dans la 5e Compagnie), archives n° 1416 et suivantes.

Geneviève : (lisant) « Régiment d’infanterie à… à Laon ». Oui, il a été à Laon. Tiens, 5ème compagnie !67

J. P. : C’est marrant, hein, sur le bord de l’album tu as Magenta, Lodi, Friedland…
…Tiens on va trouver mieux là : mademoiselle Lorette, monsieur Negresco, Lajarrige…

(cartes postales)

Note de bas de page 68 :

Cf. Archives n°1002

Geneviève : – Ah oui, c’est quand il a été blessé, là, il y a des infirmières…68

J. P. : (lisant)
« Ma chère petite femme,
Je t’envoie notre photo à l’hôpital. Je te remercie… »
On a rayé quatre lignes…

(Geneviève et Jean déchiffrent difficilement)

J. P. : … « en le renouvelant régulièrement tous les jours » …
« Je n’ai pas de grandes nouvelles à dire, aussi je termine en t’embrassant bien fort. Embrasse bien notre fille pour moi. A bientôt. »

Geneviève + Jean : – « 1913 »
(…)
(Maman « la dame au chapeau »… « la plage »… « Sœurs de St Vincent de Paul »…)

J. P. : Denise avait choisi les sœurs de St Vincent de Paul ?

Geneviève : – Elle a vécu au milieu des sœurs de St Vincent de Paul. Enfin, vécu… ses jeudis et ses dimanches…

(une photo de Monique enfant)

J. P. : Belle photo !

Geneviève : – Elle a une belle petite bouille hein. Elle est marrante !

(photo de communion solennelle)

J. P. : Pas très souriante… Enfin c’était solennel.

Geneviève : – Je croule sous les dentelles ! (éclat de rire)
Et ça c’est qui ?

J. P. : C’est Madeleine.

Geneviève : – Regarde, j’ai une pauvre petite figure, là !

J. P. : Non, pas tellement...

Geneviève : – … mes voilettes, là.

J. P. : Bo bo bo bo, non !

Note de bas de page 69 :

Les parents étaient surtout fortiches pour choisir les photographes !

Geneviève : – J’ai trop de dentelles !
(se dit « maigrelette »... je la contredis)
Là c’est Denise sûrement…
… Ils étaient fortiches les parents69 pour les photos, ils nous rataient pas hein. Celle où on est toutes les quatre l’une derrière l’autre, elle est formid.
(…)

Geneviève : – … C’est Denise. « Onze mois, décembre 1913 »

(…photo d’un banquet, etc.)

13 – Madeleine

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Madeleine Jeanjean

(Reprise de l’enregistrement. Il est alors question de la maladie de Madeleine)

Geneviève : – On ne savait pas que ça atteignait le cœur à ce moment-là. Et après, par la suite...

J. P. : Mais elle a souffert de ça jeune ?

Monique : – Oh oui… (à Geneviève) Elle avait quel âge ?

Geneviève : – Elle a été malade au moins… plus de dix ans.

J. P. : Mais elle travaillait ? Elle faisait quoi ?

Monique : – Elle travaillotait, mais comme elle était…

J. P. : C’est-à-dire ? Elle ne pouvait pas se permettre le moindre effort ?

Geneviève : – Voilà.

Monique : – Et pourtant pendant la guerre, elle s'en est donné des efforts, pour nous faire manger.

Geneviève : – Elle allait faire la queue, à cinq heures du matin, devant la charcuterie ou la boucherie, pour avoir un os, pour mettre dans la soupe.

Monique : – Oh oui elle était…

Geneviève : – … elle était courageuse.

Monique : – Elle était courageuse, oui.

J. P. : Mais c’est une maladie qui est venue parce qu’elle était mal soignée, en fait…

Monique : – A ce moment-là, on ne savait pas que les rhumatismes articulaires donnaient des maladies de cœur… Mais depuis on le sait. Les gamins, on les arrête. Ils restent allongés pendant des mois.

Geneviève : – Ça dépend. Maintenant c’est différent…

Monique : – Monique [Luneau ?], elle avait…

Geneviève : – Un fils.

Monique : – … un fils qui était comme ça, et il a été longtemps… Je ne sais pas où il en est maintenant…

Geneviève : – Il est mort.

Monique : – Ah bon ? Il a été longtemps allongé…

Geneviève : – Et on a une collègue aussi… Comment elle s’appelait ? Elle avait son fils, il est resté couché pendant six mois pour… protéger le cœur.

J. P. : Et Madeleine était couchée aussi… ?

Monique : – Eh bien non !

J. P. : …sur la fin ?

Geneviève : – Non. Enfin, elle sortait plus ou moins, quoi !...

Le dernier jour, elle était sortie, le jour où elle a eu sa crise…

(Oh, ne parlons plus de ça, tiens !)

J. P. : Tu ne veux pas en parler ?

Geneviève : – Non…

(silence)

Ça a été des moments durs…

Monique : – Maman aussi a été…

Oh ! Maman a été… complètement…

Monique : – Alors, cette maladie de cœur… Elle est morte en quel mois, Madeleine ? Rappelle-moi…

Geneviève : – Quel mois ?... Elle est morte au mois de...

(décidément elle n'arrive pas à en parler)

Monique : – Enfin ça ne fait rien.
Trois mois après sa mort, on a entendu une émission à la radio (parce qu’on écoutait la radio) où ils faisaient la première opération pour ça. C’était trois mois après.

Geneviève : – C’était une insuffisance mitrale. Tu sais, c’est la valvule qui ne se referme pas complètement. Donc le sang continue à affluer, ce qui provoquait… le cœur marchait de travers.

(…)

Geneviève : – Remarque, à la Sécurité sociale… ils lui permettaient de partir dans le midi, pendant les mois d’hiver. A partir du mois d’octobre, il fallait qu’elle soit dans le midi, jusqu’au mois de février-mars.

J. P. : Pourquoi ? Pour éviter le froid ?

Geneviève : – Oui, l’humidité. Pour le cœur…

J. P. : Et elle le faisait ?

Geneviève : – Oui. Elle est allée une fois à Vence, Saint-Paul-de-Vence… pendant… deux ou trois fois. Et puis après elle a été...

Monique : – A Cannes.

Geneviève : à côté de Marseille. C’est des religieuses, je crois, là…

Note de bas de page 70 :

Cf. album : cartes (par exemple n° 109 et 110) envoyées par Madeleine depuis des lieux de cure.

Et du reste on a une photo où elle est grimpée sur un rocher. On voit qu’elle est heureuse, quoi70.

(long silence)

14 - Chez les guides

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Les quatre filles de Simon Jeanjean : Monique, Geneviève, Madeleine, Denise

J. P. : On va parler de vous, aussi…

Monique : – Entre-temps, alors on a été, nous, embarquées chez les guides.

J. P. : J’aime bien « embarquées »...

Monique : – Ginette, à douze ans...

Geneviève : – Oui, douze-treize ans.

Monique : – Et moi, quatre ans plus tard, puisque j’étais plus jeune.

Note de bas de page 71 :

Grande amie de Denise.

Geneviève : – Tu sais pourquoi je suis entrée aux guides ? Denise sachant qu’elle allait partir, avait dit à Renée Cherler… une très grande amie71 qui était rentrée aussi chez les religieuses (pas dans le même endroit mais…). Elle était guide, Renée Cherler, et Denise lui a dit « Il faut absolument que Ginette rentre aux guides, ça l’occupera, ça lui changera les idées, enfin ça lui fera du bien »… C’est comme ça que je suis rentrée aux guides.

J. P. : Elle trouvait que tu avais besoin de…

Geneviève : – Elle savait que…

Monique : – Ginette elle participe à toutes les misères du monde alors… De toutes façons tu la connais…

Geneviève : – Alors donc..

Monique : – La mort de Madeleine, le départ de Denise, tout ça… à chaque fois ça la...

Geneviève : – Oui, il faut assumer hein !

Monique : – Tu es comme ça. Moi je le suis un peu moins… Malheureusement !

(avec un petit rire dubitatif)

Geneviève : – Chacun son… on ne se refait pas hein.

Note de bas de page 72 :

La cheftaine Moré (voir plus bas).

Monique : – Alors donc elle est rentrée chez les guides, et bon, on avait une cheftaine formidable à ce moment-là, et...72

Geneviève : – C’était vraiment une sainte femme.

J. P. : Et toi tu y es entrée donc en quelle année chez les guides ?

Geneviève : – En trente-quatre.

J. P. : Trente-quatre. Et donc Monique en...

Monique : – Trente-sept ou huit.

Geneviève : – Mais vraiment cette femme c’était…

Monique : – Elle était d’un milieu très aisé, mais…

Note de bas de page 73 :

Boussy St Antoine, du côté de Brunoy, précise Geneviève. Cf. photos dans les albums de famille.

Geneviève : – Ils avaient une grande propriété à Boussy-Saint-Antoine 73

Monique : – Elle était bonne, elle avait toutes les qualités cette femme.

Geneviève : – Généreuse..

Monique : – On a été là... pendant quatre ans. Elle avait une maison avec un grand parc, camper dans le coin et tout ça…

Geneviève : – Oui, on plantait pas de tente, on couchait dans la maison, comment ils appelaient ça ? Enfin peu importe. Cette cheftaine, pour te dire, comme maman travaillait, elle n’avait pas le temps d’aller chercher mon costume de guide ; c’est elle qui m’a emmenée à la Samaritaine chercher mon costume de guide…

J. P. : Parce que le costume de guide il fallait l'acheter à la Samaritaine ?

Monique : – Oui, il y avait la jupe, le truc dessus, la cape, le chapeau.

Geneviève : – Oui, on avait une cape à ce moment-là.

J. P. : Oui, scouts et guides, c'était quand même assez répandu...

Geneviève : – Oui, mais séparés.

Monique : – Oui, il n'y a que maintenant qu'ils sont ensemble... (...)

Geneviève : – On ne se rencontrait pas, quoi...

(échange sur le mouvement, sur la séparation forte à ce moment-là entre guides et scouts : groupes issus du mouvement fondé par Baden-Powell, mais évaluant séparément)

Note de bas de page 74 :

Sous ces quelques mots on pourra deviner quelques regrets éternels. Geneviève a évoqué pour moi avec une grande compassion l'énorme déception sentimentale qui avait éprouvé sa sœur (en témoigne une liasse entière de courrier retrouvé dans le grenier). Mais des occasions manquées par elle-même on ne saura rien.

Geneviève : (fortement) – Moi, je regrette qu’on n’ait pas eu de contacts avec les scouts. Parce que tout le temps… on n’était que des filles dans la famille, on n’avait jamais de rencontres avec des garçons. C’était pas normal74 !

Monique : – Mais c’était comme ça hein.
Mais bon, on a eu quand même de bonnes journées avec les guides...

Geneviève : – Ça c’est sûr.
(évoque ses propres souvenirs de scouts, dans les années 60)

J. P. : Il y avait des contacts, quand il y avait des grands rassemblements… mais en gros c’était les scouts d’un côté les guides de l’autre, les louveteaux, les jeannettes…

Geneviève : – Il y avait des grands rassemblements… Jeanne d’Arc… Tu n’as pas fait des défilés pour Jeanne d’Arc toi ?

J. P. : Non !

Geneviève : – Eh bien nous, on s’est payé des… stationnements, avant le défilé tu sais. Rassembler tout le monde, et le… drapeau, non, comment ça s’appelait le bâton avec le… notre...

Note de bas de page 75 :

Le fanion ? Le totem ?

J. P. : Ça avait un nom ça ?75

(…)

(j’évoque mes quelques souvenirs des scouts : des camps, des marches, un certain nombre de techniques, la vie dans les bois, la dépense physique.. mais pas des cérémonies… Pas Jeanne d’Arc)

Geneviève : – Tu te rappelles un jour, chaque équipe devait préparer le repas, c’était dans la propriété de la cheftaine… et alors il fallait faire le feu de bois… On avait invité les parents. Et alors quand les parents étaient invités - nos parents ils venaient toujours, toujours, chaque fois, quand la cheftaine invitait les parents, papa et maman étaient là… du reste elle les appréciait bien nos parents, et les parents appréciaient bien la cheftaine...

Monique : – Enfin, donc Ginette y a passé pas mal de temps, jusqu’en 38… 39...

Geneviève : – Trente-neuf.

Monique : – A la guerre… Moi, je suis rentrée au moment où il fallait et… On y a passé de bons moments. On aimait bien.

J. P. : Et alors il y avait des camps…

Monique : – La cheftaine faisait des camps.

J. P. : C’était à des endroits différents ou… ?

Monique : – Souvent là.

J. P. : Chez elle.

Monique : – Bon mais là c’était la guerre, alors on ne pouvait pas aller très loin…

Geneviève : – Mais une année, comme j’étais chef d’équipe, la cheftaine elle m’avait emmenée, et j’avais été… où est-ce que c’était ? au bord de la mer. C’était à bicyclette, je n’en avais presque jamais fait de bicyclette… Et alors la cheftaine Hubert était rentrée dans un mur, elle s’était fait mal à un doigt, elle avait l’ongle arraché…

J. P. : C’est le nom de la cheftaine en question ?

Geneviève : – Non, une autre, l’assistante.

Note de bas de page 76 :

Est-ce la cheftaine Moré que l’on voit sur la photo-carte n° 1022 ?

Monique : – La cheftaine c’était cheftaine Moré. 76

Geneviève : – Simone Moré.

J. P. : Et on l’appelait par son nom, on disait Cheftaine Moré ?

Geneviève : – Oui oui, cheftaine Moré.

Monique : – Elle a été un bon moment notre amie, quand même.
Mais quand même les parents étaient…

Geneviève : – Ils étaient très ouverts à tout ce qu’on faisait.

15 - Le gâteau du dimanche

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140, rue de Ménilmontant

Monique : – Papa faisait du syndicat, de la politique…
Donc on avait des sorties ensemble, on y était toutes. Tout le temps, hein, et c’était bien agréable

J. P. : Et la politique ? Il était inscrit à un parti ? Le MRP ?

Monique : – Non avant-guerre c’était pas encore le MRP. Non c’était…

Note de bas de page 77 :

Simon Jeanjean fut trésorier ou président (vérifier dans les documents conservés) de la section du 20e arrondissement du Parti Démocrate Populaire (PDP) de 1928 à 1940. Réunions, soirées récréatives, congrès de Limoges (1933), de St Etienne, d'Arras (1936), etc. Ensuite président de la section du 20e du MRP de 1944 à ( ?)…

Geneviève : – Démocrate populaire.77

Monique : – Démocrate populaire. Et puis il était au syndicat...

Geneviève : – Il s’occupait beaucoup… utilement tu vois.

Le dimanche, il avait une permanence pour les gens qui ne pouvaient pas aller faire faire leurs remboursements à la Sécurité sociale. Alors il leur prenait leurs dossiers, et puis lui, il faisait les démarches, et le dimanche d’après il leur portait leurs… c’était le dimanche après la messe…

Monique : – Oui. Et alors il remontait la rue de Ménilmontant. Il allait chercher deux gâteaux chez le pâtissier, et il remontait comme ça...

Geneviève : – Non, pas deux gâteaux. Il y avait d’abord six gâteaux différents, et puis une tarte. Moi je mangeais un moka… (rires)

Monique : – Et une tarte pour le soir.

Geneviève : – Le soir, c'était la tarte.

Monique : – Comme il rentrait un peu tard, il se faisait pardonner avec la tarte.

J. P. : Il rentrait tard parce que...

Monique : – Eh bien, il avait travaillé avec d'autres...

J. P. : Il n’était pas beaucoup à la maison, quoi.

Geneviève : – Le dimanche matin ! C'est tout.

J. P. : Non, le dimanche matin y avait la messe...

Monique : – Oui, d'abord. Et puis ensuite y avait les réunions. Il avait quand même pas mal de réunions…

Geneviève : – Il ratait pas sa messe. Du reste j’ai son missel, là.

Monique : – C’était un bon chrétien, papa. Plus que maman. Maman, elle tirait un peu la patte… Mais lui il était… convaincu !

Geneviève : – Chevillé au corps.

Monique : – Chrétien convaincu.

J. P. : Et elle, votre maman alors, qu’est-ce qu’elle aimait, qu’est-ce qu’elle faisait ?...

Note de bas de page 78 :

Mot inaudible (toux de Geneviève). 'lisait' ? 'cousait' ?

Note de bas de page 79 :

Syndicat : CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens).

Monique : – Elle (… ?)78 beaucoup, elle travaillait. Mais le soir quand papa allait aux réunions, pas le parti – pas le syndicat79 mais le parti, elle y allait.

Geneviève : – Elle allait avec.

Monique : – On avait... ils avaient de très bons amis, à ce moment-là, qui se voyaient à ces réunions.

(long silence)

16 - Vacances 39, Les Sables d’Olonne

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Trégastel, 1910. Groupe féminin sur la plage. Blanche Jeanjean est la 1ère à gauche.

J. P. : Bon, vous me dites quand vous en avez assez hein.

Monique : – Non non attends, après on va arriver là en 39, pendant la guerre… Les parents nous ont expédiées... non, on était en colonie de vacances. (vérifiant auprès de sa sœur : ) Oui, en colonie de vacances, hein ?

Geneviève (solennelle) : – Ah ! C’est la première année qu’on a rencontré Blanchette.

Monique : – Voilà. C'est pour ça que...

Note de bas de page 80 :

Une fois de plus, la remémoration est très différente : Geneviève semble redécouvrir le passé au fil du discours, tâtonnant puis affirmant ce qui lui apparaît alors certain. Alors que Monique prépare constamment ce qu'elle va dire, suivant un plan structuré – même si ensuite, elle n'est pas très sûre d'elle et vérifie sans cesse les détails.

Geneviève : – Et ça me revient80: trente-neuf. Vacances 39.
J’avais dit : « Je veux bien y rester quinze jours, mais pas plus ». Parce que j’étais contre ces… ces colonies de vacances, comme on appelle. Mais enfin c'était quand même des...

Note de bas de page 81 :

Mépris sous-entendu des Jeanjean pour les colonies de vacances.

Monique : – Ce n’étaient pas des colonies de vacances comme…81

Note de bas de page 82 :

Blanchette ma mère était née en février 22, à l’été 39 elle avait donc 17 ans.

Geneviève : – On était des adolescentes. Blanchette avait 16 ans82 et moi j’en avais 19.

Monique : – Elle était plus jeune que toi Blanchette ?

J. P. : Oui, Blanchette est de 22.

Monique : – Ginette est de 20. Moi de 24.

Geneviève : – Et c’est là qu’on s’est connues. Par Fernande !

Monique : – Par Fernande, oui.

Geneviève : – On lui a dit qu’on était guides. Oh, ben alors !... Vous aussi ?... (mimant la rencontre, les exclamations)

J. P. : C’était un endroit où il y avait de tout...

Note de bas de page 83 :

On avait compris. Mais il faut toujours que cet intervieweur se fasse mettre les points sur les i.

[sous-entendu : pas seulement des guides83]

Geneviève + Monique : – De tout !

Monique : – C’était une colonie de vacances. Nous on est arrivées, on connaissait personne...

Geneviève : – On tombe sur Fernande...

J. P. : Fernande, vous la connaissiez déjà ?

Geneviève : – Non !... Fernande nous tombe dessus.

Note de bas de page 84 :

Façon de noter la grande sociabilité de Fernande, toujours ouverte aux autres (cf. supra, 6e partie, note).

Monique : – Non, on ne la connaissait pas.84

Geneviève :– C’est comme ça qu’on l’a connue.

J. P. : Je n’ai pas bien compris, toi tu ne voulais pas y aller... C’était pendant la guerre ?

Geneviève + Monique : – Non c’était avant la guerre

Geneviève : – C’était avant la déclaration de la guerre. Puisque la guerre a été déclarée en 40. Non en trente... (hésitation, elles ne savent plus très bien)

Monique : – ...a commencé vraiment en quarante.
Non mais là, on était en colonie de vacances pour 15 jours – trois semaines... Tout le monde est reparti, mais ils ont gardé là-bas des gens qui voulaient rester. Alors les parents nous ont dit « Vous restez là-bas, vous êtes [? mot non compris] de rester là-bas » - et donc on a passé l’année...

Geneviève : – ...aux Sables.

Monique : – Aux Sables d'Olonne. Et moi j’ai été à l’école, j’ai passé mon brevet...

J. P. : Aux Sables d'Olonne ? Vous y avez passé une année entière, alors, et aussi Fernande et... ?

Monique : – Non non, elles sont rentrées... la première année, en novembre à peu près. Enfin elles ne sont pas restées longtemps, elles.

Note de bas de page 85 :

Je note ici que quelques jours avant cette interview, j’avais regardé en partie un téléfilm, qui ne manquait pas de charme, dont le principal personnage était joué par Clotilde Courau (qui n’en manquait pas non plus), et qui présentait un grand nombre de points communs avec cette situation : début de la guerre (ou premiers congés payés ? Vérifier), vacances interminables passées par des femmes en l’absence de leurs maris sur ces mêmes rivages, bicyclette, balle au prisonnier.

Geneviève : – Non. Blanchette comptait retravailler. Fernande était infirmière. Donc elle avait des possibilités de travail. Elles sont rentrées toutes les deux.
Et Blanchette on l’a connue, tu sais comment ? Les premières fois où on l’a connue c’est en jouant à la balle au prisonnier85 (rire de Monique). On avait la pââssion de la balle au prisonnier ! C’était pas le rugby, ni le foot, c’était la balle au prisonnier. On aimait ça. Et puis on jouait à la carotte, le couteau dans la terre, tu sais…

Monique : – Enfin nous on est restées. Elles, elles sont parties à peu près en... novembre ?

Geneviève : – Oui elles sont restées deux-trois mois.

Monique : – Et nous, papa a dit « Vous allez rester là-bas vous y êtes très bien »... Et on est restées là-bas.

Geneviève : – Eux ils sont venus nous voir.

Monique : – Et eux sont venus nous voir... mais plus tard.

Geneviève : – Ils ont dû venir pour les fêtes. Ils sont venus avant le débarquement...

Monique : – Ils sont venus deux fois ?

Geneviève : – Oui.

Monique : – Ah bon ? Je me souviens que de la fois... en trente-neuf. Parce que quand la guerre s'est déclarée en 39, on était là-bas. Et eux ils ont quitté... tout le monde partait de Paris, et ils sont venus nous rejoindre aux Sables d’Olonne. Papa avait trouvé un chauffeur...

Note de bas de page 86 :

Ce pluriel peut désigner le patron de l'entreprise.

Geneviève : – Le chauffeur de la maison où il travaillait. Ils s'en allaient. Ils ont emmené86 papa et maman pour venir aux Sables d’Olonne, et lui il continuait son chemin je ne sais pas où…

Monique : – On a passé, je sais pas, peut-être un mois, ensemble...

J. P. : Parce que... votre père ne conduisait pas ?

Geneviève+Monique : – Non.

Geneviève : – Il n’avait pas les yeux pour, hein !

Monique : – On a passé un mois, et puis ils sont repartis...

Geneviève : – Il sont repartis, et nous on a suivi pas loin.

17 – Le retour à Paris

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21, rue de la Chine

Monique : – Et on est rentrées à Paris... Alors là qu’est-ce qu’on a fait ?...
On s’est casées un petit peu, moi j’ai fait de la sténo-dactylo, toi de la couture... ?

Geneviève :  – Non, moi j’ai été à l’Initiative... L’Initiative c’était un centre où...

Monique : – D’apprentissage

Geneviève :  – ...il y avait des élèves. D'apprentissage. Je faisais un peu tout, j’aidais, j’étais dans l’intendance, les choses comme ça, tu vois...

J. P. : Oui, tu encadrais ?

Geneviève :  – Oui, mais j’étais payée. Par l’État. C’était vraiment un organisme d’État.
Et puis après eh bien... j’ai continué à l’Initiative, j’ai fait de la couture. Et puis voilà.

Monique : – Moi je suis retournée à l’école (elle hésite), à l'Initiative...

Geneviève :  – Tu as fait de la sténo-dactylo.

Monique : – J'ai eu la possibilité de rentrer dans une école pour faire la classe... aux petits de 6-7 ans.

Geneviève :  – Tu avais 16-17 ans.

Monique : – C’était une école libre, j’étais institutrice.

Geneviève :  – C’est par la paroisse... c’était un prêtre, à la paroisse, enfin, qui passait par là, et qui a dit « Tiens », il a demandé à papa « Votre fille ne pourrait pas être institutrice ? » Bon, ça s’est engagé comme ça...

Monique : – J’ai fait la classe pendant... 5-6 ans... (toujours incertaine)

Note de bas de page 87 :

Ironique. Voir la suite.

Geneviève :  – Oh non, quatre ans. Quatre ans parce que... tu es rentrée tu avais quoi ? 20 ans, 21 ans à l’Agence Cook hein ?
Et imagine-toi que... ils étaient gentils87 à l’école, à cette école-là... Mais un jour Monique dit « Quand même je ne gagne pas beaucoup, vous savez, 5000 francs par mois »...

Monique : – Très peu.

Note de bas de page 88 :

Voir dans les archives les courriers de Simon Jeanjean au directeur de Gerson : n° 2219 à 2224, datés de 1947. Souvenir ambigu pour Monique qui, comme elle le dit, « aimait bien ».

Geneviève :  – On lui répond « Vous vivez chez vos parents, vous avez bien assez » !88

J. P. : Ah bravo, ça c’est du social... « Vous êtes une jeune fille !... Si les filles se mettent à vouloir gagner...

Geneviève :  – Voilà ! Passons ! « Elle avait assez pour acheter... sa poudre de riz »... )...
Alors, quand ils ont répondu ça, ça l’a un peu refroidie. Et puis notre voisin, qui était un Anglais...

J. P. : Et puis toi, qui as toujours eu ton caractère, tu ne l’as pas bien pris...

Monique : – Ben non.

Geneviève :  – A ce moment-là tu as changé d’école.

Monique : – Oui mais là j’étais à Gerson. J’étais dans une école chic et c’était... Bon, j’ai passé de bonnes années quand même. Je faisais la classe aux petits de... 4-5 ans quand même.

J. P. : C’était pendant la guerre...

Geneviève+Monique :  – Oui.

J. P. : A Paris.

Geneviève+Monique : – A Paris.

Geneviève :  – L’école Gerson, c’est connu.

Monique : – C’était une école où les gosses payaient assez cher, et nous on n’était pas beaucoup payé. Et puis c’était la guerre, et alors je donnais des leçons supplémentaires à un gamin, à qui on a apporté une assiette de petits sandwiches... Il a mangé ça devant moi, quel culot, il m’en a même pas offert.

J. P. : Tu as bien ressenti les différences de classe...

Monique : – Les différences, oui.

Geneviève :  – Elle avait même des élèves qui faisaient des échanges, alors il y en avait un qui échangeait les petites cuillers... les petites cuillers en argent, il lui avait échangé pour je ne sais quoi, une babiole tu sais ! (rires)

Monique : – Mais j’aimais bien, quand même.
Mais quand même, je commençais à être vieillotte et puis, je gagnais pas assez...

J. P. : Enfin vieillotte, tu avais 20 ans... enfin, 23-24.

18 - Entrée à l’Agence Cook

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Monique Jeanjean, jadis.

Monique : – Je suis rentrée chez Cook à quel âge ?

Geneviève :  – 20 ans, 21 ans.

Note de bas de page 89 :

C'est mon souvenir : je les ai toujours connues employées à l'Agence Cook and Sons.

J. P. : Et donc après, tu as toujours été chez Cook...89 A partir de quelle année ?

(Monique hésite)

Geneviève :  – En quarante-quatre. Après la guerre. C’est Monsieur Robson qui t’a fait rentrer.
C’était un Anglais qui habitait en dessous de chez nous, et avec sa femme, comme il avait été prisonnier de guerre…

Monique : – Les Anglais prisonniers avaient été internés dans un camp pendant toute la guerre, des étrangers quoi, alors donc…

Geneviève :  – Sa femme a été internée pendant quelques mois, et elle est rentrée, mais comme elle était toute seule, elle montait à la maison... on la recevait souvent, parce qu’elle s’ennuyait. Moi j’allais la voir, je me souviens que...
Et puis quand il est rentré, on a fait connaissance, bien sûr. Et c’est là qu’il a proposé à Monique de rentrer à l’Agence... et c'est comme ça que moi...

J. P. : Et lui il travaillait comme… il était directeur ?

Monique : – Oui, il était directeur.

Geneviève :  – Il était chef du personnel. Alors il avait la première place pour… (Monique rit) donner une place à Monique.

Monique : – C’était en quarante… -cinq.

J. P. : C’était sur ta formation de dactylo… ?

Monique : – Oui… J’ai commencé comme ça, et puis après je suis montée en grade…

Geneviève :  – Et puis elle a pris trois mois pour aller en Angleterre se perfectionner. Elle a fait trois mois… je ne sais pas, sans solde.

J. P. : Au début tu étais secrétaire bilingue ?

Monique : – Même pas, j’étais simple sténo-dactylo.

Note de bas de page 90 :

Curzon : chef de service, « un brave homme »

Geneviève :  – Mais bilingue quand même, parce que avec Curzon90

Monique : – Oh ! Je ne parlais pas beaucoup non plus...

Geneviève :  – Mais il te faisait faire du courrier, quand même.

Monique (précision au passage) : – C’était mon premier patron.

Geneviève :  – ...de son service.

J. P. : Il était Anglais ?

Monique : – Oui, les chefs étaient Anglais. Le personnel était français.

Note de bas de page 91 :

Mon souvenir d’enfance : l'agence Cook, place de la Madeleine, à l'angle du Boulevard de la Madeleine et de la Rue Royale qui mène à la Place de la Concorde.

J. P. : Et c’était déjà vers la Madeleine ?91

Monique : – C’était à la Madeleine.

Geneviève :  – Non à la fin…

Monique : – Oui, mais ils avaient commencé à la Madeleine. Puis ça a été vendu et puis on a été… où déjà ?

Geneviève :  – Oui, Boulevard… Rue de Rome.

Monique : – Oui, près de la Gare Saint-Lazare. Et puis c’était un peu la fin, quoi.

Geneviève :  – Elle a quand même terminé chef d’un service des groupes... des voyages groupes et séminaires hein.

Fin de la première face

19 - Retour sur 16 – les Sables d'Olonne – et sur les guides

Image20

140 rue de Ménilmontant : nouvelle rue inaugurée après la guerre de 39-45

L'enregistrement sur la seconde face commence au milieu d'une évocation des guides et des guides aînées (anciennes ayant appartenu aux guides et continuant d'entretenir des relations). Puis retour sur l'histoire initiale :

J. P. : (…) En fait vous n'aviez pas perdu contact. Et donc vous vous êtes retrouvées à Paris. Et ma mère, elle, Blanchette, était déjà guide avant…

Geneviève :  – Avec Fernande, oui, étant jeunes. Elles avaient treize ans quand elles se sont connues. Elles se connaissaient étant enfants.

Monique : – Non, pas enfants...
(comme ma mère était originaire des environs de St Gaudens dans les Pyrénées, et Fernande des Landes, je vérifie que cette relative coïncidence n'est pour rien dans leur amitié et qu'elles se sont bien connues à Paris)

Monique : – C’est aux guides qu’elles s’étaient connues, elles étaient guides en même temps, et c’est comme ça que, aux Sables, elles étaient ensemble toutes les deux. Et Fernande nous a accrochées (sic) quand elle a vu qu’on était guides, et on s’est embarquées dans leur groupe.

J. P. : Et il y a d’autres amies du groupe que vous avez connues en même temps ?

Monique : – Non non, plus tard.

J. P. : Pour vous ça a été le premier contact.

Geneviève :  – Mais vraiment, je ne les aurais pas rencontrées aux Sables, je ne sais pas ce que j’aurais fait… ah oui !

Monique : – Ah oui, elle s’embêtait. Moi j'allais à l'école, mais elle...

Geneviève :  – J’étais contre…

Monique : – Elle s’embêtait.

J. P. : Tu ne sais pas ce que tu aurais fait, qu’est-ce que ça veut dire ? Tu aurais continué ta vie, de toutes façons…

Geneviève :  – J’aurais demandé à rentrer.

J. P. : Ah oui, par rapport aux Sables d’Olonne. Ça te plaisait vraiment pas. C’était comme la cantine…

Note de bas de page 92 :

Phrase aux accents d’évidence, qui pourrait étonner quelques collégiens de l’époque récente ou actuelle.

Monique : – Elle s’est ennuyée. Bon moi, j’allais à l’école, alors je ne m’ennuyais pas…92

J. P. : Alors en fait vous avez bien sympathisé, c’est ça qui a aidé à…

Monique : – Mais elles, elles sont reparties tôt, au 11 novembre je crois.

Geneviève :  – Nous on est restées jusqu’au mois d’août suivant. On est restées un an.

J. P. : Et en fait le groupe, celui des guides aînées, c’est venu après...

Geneviève :  – Oui oui.

20 - Agence Cook, suite. Geneviève, 1950

(Revient à l’épisode de l’Agence Cook)

J. P. : En fait, c’est Monique qui était chez Cook, et toi elle t’a fait venir après.

Monique : – Voilà, exactement.

Geneviève :  – Non, c'est Monsieur Robson, quand il a vu que je ne réussissais pas… Je faisais de la couture à la maison, mais étant donné que je n’avais qu’une chambre, pour recevoir les clients et pour faire la couture, c’était pas possible. Donc, quand il a vu que ça ne marchait pas… probablement ils en ont parlé avec sa femme et… il m’a offert un poste.

Monique : – Elle a été à la comptabilité.

J. P. : Oui, comme il était content de Monique, il a dit « On va continuer avec les Jeanjean »

Geneviève :  – Et alors tu sais que… je l’ai su quand tu es né !

J. P. : Quoi ?

Geneviève :  – J’ai su que je rentrais à l’Agence Cook quand tu es né.

J. P. : En même temps ?

Note de bas de page 93 :

Dit sur le ton de « CQFD », comme si le lien entre ma naissance (mars 1950) et son recrutement chez Cook était un fait démontré (lui demander comment s’était passé la décision de mon « marrainage », si elle a eu d’autres filleuls, etc.).

Geneviève :  – Oui, c'est drôle. J’ai commencé en juin. Tu étais né en mars. Tu vois !93

J. P. : De la même année ? D’accord…

Geneviève :  – Je l’ai su en mars, et j’ai été engagée le premier juin.

Note de bas de page 94 :

Je prends conscience de cette chronologie, des années qu’elles ont passé chez Cook, de cette correspondance entre mon existence et ce travail…

Jean94

J. P. : … Vous avez fait une sacrée carrière toutes les deux…
Et vous avez quitté en même temps ?

Note de bas de page 95 :

Dépression. Nous n'en avons pas beaucoup parlé, par pudeur plus de ma part que de la sienne ou de la leur, car il y a peu de sujets tabous (exception connue : la vie sentimentale et le fiasco amoureux de Monique, dont le fonds Jeanjean conserve cependant les traces précises sous la forme d'une correspondance complète).

Monique : – Non, elle a quitté plus tôt parce qu’elle a été malade.95

J. P. : Donc toi Monique, cela t’a fait combien d’années chez Cook ?

Monique : – On a quitté… j'ai quitté en quelle année, 84 ?

(Geneviève confirme)

Je suis rentrée chez Cook en…

Geneviève :  – En 44. Ça fait quarante ans.

Monique : – Quarante ans…

J. P. : Ça vaut la retraite.

(Un temps)

J. P. : Et chez Cook tu faisais quoi ?

Monique : – Eh bien moi au début... Qu'est-ce que j'ai fait ? J’ai fait plusieurs choses, mais en définitive on organisait des voyages pour les gens. C’est-à-dire que, en dernier, j’étais au comptoir, les gens venaient, ils voulaient aller à Pétaouchnock, je leurs organisais leur voyage, c’était mon boulot. Il fallait réserver des hôtels…

J. P. : C’était individuel ou par groupes ?

Monique : – A ce moment-là c’était ce qu’on appelle des voyages individuels, mais je faisais aussi des voyages pour les groupes. Alors il fallait réserver les hôtels, les transports et tout ça...

Geneviève :  – Sa hantise c’était quand les gens comme ça… « Ah ben j’y vais pas »

Alors bon, elle avait réservé pour 30, il n’en fallait plus que 29, les billets d’avions et tout le reste… elle se cassait la tête.

Monique : – Une des dernières fois où j’ai fait un voyage comme ça comme ça pour un groupe, rien ne marchait. Les avions étaient en liste d’attente (tu sais, ce qu’on appelle liste d’attente), c’est-à-dire qu’on les avait bloqués mais alors y avait vraiment pas de place... Alors, il fallait attendre jusqu’au dernier moment, alors il y a des moments où c’était un petit peu… stressant. Le groupe, il fallait que ça marche.

J. P. : Et tu as participé à des voyages aussi...

Monique : – Oui. J’ai eu de la chance parce que... j’ai été...

Geneviève :  – Le plus beau c'est l’Afrique du Sud...

J. P. : C'était quand ?... Tu ne sais plus.

(moue d'ignorance)

Monique : – Et Nénette, on a eu la chance de faire une croisière, à nous deux.

Geneviève :  – Ah oui... Non, moi j'ai payé à moitié...

Monique : – Moi c'était gratuit. Alors c’était agréable quand même. On a été aux Canaries. Madère...

Geneviève :  – Oui, Madère avant. Oh... oh Madère !

Note de bas de page 96 :

C’était en cinémascope sur écran géant, avec effets étourdissants de caméra subjective à la manière déjà de la Géode ou du Futuroscope. Au Gaumont-Palace, je crois... dans la même salle nous avions vu « La conquête de l’Ouest »

(J’évoque ensuite le souvenir d’un documentaire touristique sur Madère96 que j’avais vu avec ma marraine. On parle ensuite des films qu’elle m’avait emmené voir : Hatari, etc. Puis on parle d’aller se coucher, mais la conversation-récit reprend après une interruption de l’enregistrement :)

Note de bas de page 97 :

Chapitre concernant la famille Péchenart, sans lien avec le dossier et l'histoire des Jeanjean.

21 – (un chapitre omis) 97

22 - Résistance et fidélité

Image21

21 rue de la Chine : 4ème étage, sans ascenseur

(passage confus. J’aimerais, dis-je, qu’elles me reparlent de l’action de leur père pendant la guerre dont elles m’ont parlé naguère… Geneviève dit à un moment « C’était inénarrable ! », comme quelque chose de très fort…)

Geneviève :  – On a commencé, on était monitrices dans la colonie que les demoiselles de… Les demaoiselles de l’Initiative tenaient une colonie de vacances à Malesherbes. On était donc à Malesherbes, il y avait Madeleine avec nous, on était toutes les trois, et bon, on rentre à la maison … et à la maison, il y avait six… Anglais euh, Canadiens, Australiens… Ils étaient six. On les avait débarqués à la maison, parce que c’étaient des aviateurs qui étaient tombés en Belgique, et qu'on rapatriait pour aller en Espagne, pour rentrer en Angleterre. Alors ils passaient. C’était une chaîne… Et là, il y avait ces six gars, d’un seul coup, qui sont tombés à la maison. Et nous on savait pas que papa s’était engagé dans cette histoire là. Bon ben, le premier soir… probablement que papa avait dû avertir qu’il faudrait peut-être que ça s’arrange… On ne pouvait pas garder ces gars dans la maison, étant donné qu'on n’avait que deux chambres… et puis bon, ça s’est passé comme ça. Ils ont couché par terre, on a mis des matelas, il y en avait partout, on a dédoublé tous les lits.... Et puis nous, on a récupéré notre chambre toutes les trois, et puis voilà !

J. P. : Et le lendemain ils...

Geneviève :  – C'était la drôle de surprise !

Monique : – Ils ne sont pas restés longtemps eux…

Geneviève :  – Non, ça ne pouvait pas durer.

Monique : – Ça a commencé comme ça, et puis après il y en avait de temps en temps, un autre, qui venait...

Geneviève :  – Il y en a un qui est resté fidèle. Il a retrouvé notre adresse...

Monique : – Il comprenait le français.

Note de bas de page 98 :

On imagine que les autres ne le parlaient pas. La situation devait être effectivement très particulière.

Note de bas de page 99 :

Retour donc avec sa femme, plus tard, sur les lieux déterminants de sa vie antérieure à leur mariage...

Note de bas de page 100 :

Lapsus. La femme de Jean s'appelle Joce (Jocelyne)...

Geneviève :  – Il parlait un peu le français98.. un Anglais. Il a retenu notre adresse, et à la fin de la guerre, il est venu nous voir avec sa femme…99 Il nous avait avertis, on leur avait réservé une chambre d’hôtel en face, parce qu’il y avait un petit hôtel justement en face de chez nous, et puis, ben voilà, on leur a fait visiter Paris. On a été… c’était une cérémonie formidable, aux Invalides, avec illuminations et reconstitutions etcetera, c'était formidable, et justement il y avait Joce (sic)100 (enfin, c'est pour ça que j’appelle Joce Joyce) il y avait Joyce et Tony qui étaient là pour cette cérémonie.

J. P. : Donc, lui, l’Anglais c’était Tony, et sa femme...

Note de bas de page 101 :

Elle semble ici dire que c’est très consciemment qu’elle appelle ma femme « Joyce ». La déformation de « Joce » en « Joyce » s’explique là, au passage.

Geneviève :  – Joyce !
Oui, c’est pour ça : un jour tu m’as dit « C’est pas Joyce, et puis moi je connais Joyce »…101

J. P. : Pour moi je ne connais qu’un Joyce, c’est l’écrivain…

(rires)

Note de bas de page 102 :

Confirmation ultérieure : elles en ont encore reçue une pour le Jour de l'an 2010.

Geneviève :  – Tu sais qu’elle continue à nous envoyer tous les ans ses vœux. Enfin, sa famille… Sa femme est décédée, et ses enfants et sa femme (séparément) nous envoient une carte de vœux.102
Et… à l’enterrement de papa, il y avait une grande corbeille, un grande gerbe, sur un piédestal tu sais, avec euh R.F.A. ?… l’aviation anglaise qu’est-ce que c’est ?...

J. P. : La R.A.F.

Geneviève :  – LA R.A.F., voilà... Et puis une magnifique… c’était pas une couronne, c'était un truc... comme ça. (geste)

J. P. : Donc il y avait des gens vraiment… qui avaient conscience...

Geneviève :  – Oui, parce que papa est mort en 64, alors tu te rends compte, ça faisait déjà des années. Ils ont continué à nous suivre… C'est formidable ! On en revenait pas…

J. P. : Donc son travail consistait vraiment à organiser le transfert…

Geneviève :  – Alors, c'est-à-dire non... Lui, quand il était à la maison, on l'appelait... Nous, on ne savait pas qu'il allait arriver, on l'amenait… et puis un jour, on était avertis : « Conduisez-nous »… Celui qui était à la maison, on devait le conduire Square Tenon, c’est-à-dire en bas de la rue de la Chine il y a l'Hôpital Tenon, et en face l’Hôpital Tenon, entre l’Hôpital Tenon et la mairie, il y a un square. Alors on nous a dit « Vous emmenez untel au square ». Alors nous, on est partis devant, ils devaient nous suivre, on devait pas marcher ensemble, il nous a suivis, on a fait le tour du square, et puis tout d’un coup on n’a plus vu personne, il avait disparu dans la nature avec une personne… qui était chargée de…

Et papa lui, on lui avait dit de descendre dans le métro…

Monique : – J’y étais, là, aussi.

Geneviève :  – De se mettre de chaque côté de…

Monique : – Tu sais là… là où on vendait les bonbons…

Geneviève :  – Alors ils étaient de chaque côté. Le gars il est parti. Papa il a rien vu.

Monique : – Moi non plus.

J. P. : Je n'ai pas compris…

Geneviève :  – Celui qui devait le récupérer connaissait le gars qu’on avait gardé. Il était averti qu'il allait prendre le métro… et là, le gars faisait lui signe, comme ça admettons, et le gars allait le rejoindre. C'était toujours... la chaîne...

Monique : – Oui… On l’emmenait dans le square, il marchait derrière nous

Geneviève :  – Et il a disparu… On s’est même pas rendu compte ! On n’a pas vu comment ça s’était passé.

Remarque, il fallait faire ça. Étant donné qu’ils ne parlaient pas français, il ne fallait pas qu'on soit pris, dans l'histoire… Et puis lui, Anglais, il était prisonnier, c’était tout…

J. P. : Oui, rétrospectivement c'est…

Monique : – On n’a jamais rien dit à Denise, bien entendu, pendant tout le temps qu’on l’a fait. On ne voulait pas que… de loin comme ça...

Geneviève :  – Elle se serait fait du mauvais sang.

Monique : – On sentait qu’à la fin…

Note de bas de page 103 :

Quoi, « à la fin » ?

(?…silence)103

Geneviève :  –– Et à Madeleine on lui disait : « Surtout ne dis rien hein ! Surtout n’en parle pas ». Non parce que c’est vrai, c’est vite fait hein ! Mais même Mme Robson n’était pas au courant. Pourtant elle montait à la maison. Et des fois elle montait – on était en train de dîner… Il partait avec son assiette son verre, dans la chambre des parents, et puis nous on continuait… Elle restait, elle restait, comme ça… Et puis après il se dégageait…

Et puis quand on partait, fallait pas qu’il tire la chaîne… la chaîne des toilettes.

Monique : – Le Tony en question, qui savait un peu parler français…

Geneviève :  Oui, parce qu'il est resté assez longtemps.

J. P. : Oui, il était à la maison. Il restait entre les quatre murs, comme ça...

Monique : – Oui. Alors là on était partis chez Denise, enfin, pour voir Denise justement, on lui avait dit « Vous ne bougez pas, vous n’allez pas aux waters »… Des fois que…

Geneviève : – Vous ne vous mettez pas à la fenêtre...

J. P. : Il allait où ? Dans les chambres ? Quand il ne fallait pas qu'on le voie...

Monique : – Oui, il allait dans une chambre

Geneviève : – Il y avait des rideaux aux fenêtres, quand même. Mais il ne fallait pas qu’il se mette à la fenêtre, il ne fallait pas qu’on le voie, quoi. Et même Mme Robson, elle est montée à la maison, elle ne l’a jamais su…

J. P. : Bien ! Bien joué.

Geneviève : – Ah oui. Ah fallait le faire, hein.

Monique : – Oui parce que quand elle arrivait, il fallait qu'on lui enlève son assiette, qu'il n'y ait pas cinq assiettes au lieu de quatre, enfin, tu vois, c'était tout un truc...

Geneviève : – Enfin, c'est pas arrivé trop souvent hein.

J. P. : Mais, alors… c’est dans les mêmes années que vous étiez guides, vous connaissiez Fernande, Blanchette, et peut-être d'autres après, mais...

Geneviève : – Oui oui. On n'a rien dit.

J. P. : Bien sûr. Il n'y avait aucun rapport entre...
Je dirai même que pour moi, c'est deux faces opposées. Puisque... ce que je connais de mes parents, le peu qu'ils m'en ont dit, c'est les Chantiers de jeunesse. C'est complètement de l'autre côté...

Geneviève : – Oui oui.

J. P. : Enfin, en même temps... C'était bizarre. Moi j'ai vu... je me souviens, les Chantiers de jeunesse, dans la mémoire collective, c'est Pétain, c'est la collaboration, enfin... c'est un côté pas très chouette, quoi...

Geneviève : – Alors que nous...

J. P. : ...une façon d'engager la jeunesse qui était plus du côté des nazis, quoi...

Geneviève : – Alors que nous, on écoutait la radio...

J. P. : ...les jeunes qui étaient là-dedans, c'était pas vraiment comme ça qu'ils le sentaient. Et vous, vous écoutiez la radio anglaise pendant ce temps-là.

Geneviève : – Oui oui...

Image22

Dans les bois de Lardy, novembre 2006

Note de bas de page 104 :

Ce 'vous' englobe tous les jeunes ayant appartenu au mouvement scout. Mais je n'ai pas demandé aux sœurs Jeanjean si elles avaient effectivement fait partie des Chantiers de jeunesse, comme mes parents qui d'ailleurs s'y sont rencontrés.

J. P. : Mais je vois... ma mère elle en a souffert après. Je ne sais pas si je vous ai raconté ça. Un petit truc, mais ça l'avait un peu choquée : des copains à nous, ou à... je ne sais plus qui, qui étaient profs, et qui avaient appris que vous104 étiez aux Chantiers de jeunesse, et puis qui l'avaient un peu... cuisinée à ce sujet, en disant... l'air de dire « Non mais vous étiez des collabos et puis avec...

(Monique rit. Geneviève écoute gravement et compatit)

Note de bas de page 105 :

Il y a aussi une génération d'écart. Mais là où je ressens un silence (les années d'avant ma naissance), elles ont les histoires et les cartes postales de leur père.

J. P. : Non ce n'étaient pas des collabos, c'étaient... je ne sais pas...
Mais on n'en a pas parlé. Avec nos parents on n'a pas tellement parlé de cette période. Moi en tous cas je n'ai pas d'idée... à la différence de vous qui avez quelque chose de très net, et qui avez vécu des choses bien fortes...105

(Monique baille)

J. P. : Oh Monique...

(elle rit)

Monique : – On va aller se coucher.

LARDY, 7 juin 2006

Notes

1 Sur leur nom de Jeanjean, elles ne disent rien de particulier.
Cf. Dauzat p. 128, chapitre « Deux noms de baptème accolés ». Ce type se trouve surtout dans l’Est : Lorraine, Franche-Comté..., pays où l’ordonnance de Villers-Cotterets ne fut appliquée que tardivement.

2 Toute la famille est enterrée au cimetière de Belleville. Elles y rejoindront le grand-père, les tantes, les parents, Madeleine et Denise. Ce qui fera dix personnes.

3 Erreur : non pas Chritine, mais Célestine. Celle-ci était la marraine de Simon Jeanjean (prénommé en fait Célestin : Célestin Simon Pierre Jeanjean)

4 C’est-à-dire à Metz. Les grands parents y sont enterrés.

5 Ces personnes sont visibles sur la photo du mariage, au premier rang.

6 Le grand-père, bien que mobile par profession, avait aussi des attaches à Paris.

7 En face des sœurs de St Vincent de Paul, à l’angle de la rue des Pyrénées (précisé ensuite). C'est là que sont adressées les cartes de Simon Jeanjean à ses tantes dans la correspondance.

8 Le 21 rue de la Chine, dernier logement familial, reste le lieu de référence.

9 On voit dans la correspondance qu'il se remit à l'allemand pour servir d'interprète. Il se fait notamment envoyer un dictionnaire dont il est question à plusieurs reprises dans les cartes (ex. : n° 481. Pour voir les autres, cliquer sur ‘rechercher’ et taper le mot ‘dictionnaire’).

10 On suit une même répulsion à travers plusieurs générations : …1°) héritage des tantes lorraines, sans doute les plus intransigeantes sur la question, à la suite de l’annexion ; …2°) Simon, le neveu, dont les archives conservent des traces de son éducation en allemand, et dont les cartes postales nous apprennent qu’il a servi d’interprète en Alsace et en Rhénanie en 1917 (ex. : n° 488. Pour voir les autres, cliquer sur ‘rechercher’ et taper le mot ‘interprète’) ; …3°) mon oncle Antonin, souvenir de famille, fut en captivité vers 1940 ; …4°) de cette aversion enfin, nous avons connu les effets jusque dans les années 80 : des rencontres franco-allemandes à l’occasion de jumelages ont été pour certains Français l’occasion d’y mettre fin, plus ou moins facilement.

11 Voir dans les archives ses premiers certificats de travail.

12 De fait Monique mélange les époques. L' 'occupation de l'Allemagne ' (Rhénanie-Palatinat) viendra, en fin 1918 – début 1919. Nous en sommes encore au service militaire, 1906-1908. Voir le premier chapitre de la correspondance intitulé ‘Avant la guerre’.

13 Leur mère travaillait comme dactylo ; Denise était donc souvent gardée par les tantes pendant que les parents étaient au travail à l’extérieur.

14 (Souvenir, non dit, d'une aventure similaire : Pierre, fils de Jean, perdu bien des années plus tard dans le métro)

15 « Nous », dit Geneviève (qui n’était pas encore née ni à naître)

16 Nénette = Ginette = Geneviève.

17 Curieuse phrase. Je voulais dire que ce n’était pas si éloigné que cela.

18 Plusieurs fois elle relance la narration de la sorte, va de l’avant en ouvrant un nouveau chapitre.

19 Il s'agit du Cercle St Rémy, apparemment situé boulevard de Ménilmontant, ou ‘cercle de Ménilmontant’, qui apparaît plusieurs fois dans la correspondance et dans les archives (ex. : n° 402 ; n° 2214, 2215).

20 C’est généralement (là encore) Ginette (l’aînée) qui a le dernier mot. Effectivement le fils Crinon était le parrain de Monique. Lors de la « révision » du 1er octobre Monique ajoute que « c’était l'amoureux de Nénette ». Geneviève : - Tu confonds avec Coty. Geneviève avait eu un camarade qui s’appelait... René Coty (sic) et qui était le neveu de sa marraine à elle (son parrain et sa marraine étaient Monique. et Mme Coty, des amis de la maman, Blanche).

21 A ce moment l’émotion de Geneviève et la vivacité du souvenir (au second degré) est sensible, et partagée par Monique qui prend part fortement. Utilisation du style direct et du présent (le « c’est affreux » est l’expression du vécu émotif de la narratrice. Geneviève s’avoue par ailleurs à plusieurs reprises très émotive et le montre.

22 Dit sur un ton posé, comme pour « calmer le jeu » et interrompre ce pathos.

23 Apparemment (passage peu audible) Monique, dans l'approximation une fois encore, se trompe d'une année.

24 Elle veut parler de l'album.

25 Les cartes, selon elle, auraient constitué un palliatif à la censure militaire.

26 Elle sous-entend sans doute qu'il avait été envoyé à Nice pour blessure (ce qui n'a pas été dit). Les repères semblent assez flous.

27 L'intervieweur n'y est pas du tout : elles sont nées en 1920 et 24.

28 Léonard Tourniéroux, originaire de Limoges, avait fondé une société concessionnaire des Becs Visseaux (lampes à gaz au départ) à Paris. Nombreuses archives à ce sujet - cf. Textes : documents administratifs, courriers, etc. – et nombreuses allusions dans les cartes : cliquer sur ‘rechercher’ et taper ‘Tournieroux’.

29 ?... Passage confus.

30 La rue de la Mare est bien du côté de la rue de Ménilmontant, mais pas à proximité du 140. Malentendu expliqué ensuite.

31 Fernande, l'amie de toujours (décédée en 2000), que les soeurs avaient connue aux Sables d'Olonne en même temps que Blanchette Péchenart, habitait un appartement minuscule à Saint-Mandé, en bordure immédiate du boulevard périphérique. Exiguïté record. Fernande était sage-femme, et demoiselle jamais mariée. C'était une amie merveilleuse, totale simplicité et dévouement sans borne, marraine universelle. Cf. infra, 16e partie)

32 On comprend ici que Geneviève commence par évoquer le logement précédent, que la famille occupait avant de déménager rue de Ménilmontant, pour un appartement plus vaste. Les cartes de Simon Jeanjean à sa femme pendant la guerre sont adressées à cette même adresse initiale : 5 Villa Faucheur, rue des Envierges Paris 20ème. Geneviève a connu ce logement dans sa prime enfance.

33 On pourrait ajouter que cela part du Parc de Belleville.

34 'Elle' = Monique.

35 Le mot ne vient pas (plusieurs fois) pour qualifier ce grand ensemble d'Habitations à Bon Marché (HBM).

36 Plaisanterie. Elle sait bien qu'elle ne le fera pas.

37 (bis)

38 Phrase suspendue. Sous-entendu : c'était un peu la cour des miracles.

39 Il n'y avait pas de place pour les animaux. Elles ont raconté par ailleurs que leur père aurait beaucoup aimé avoir un chien mais cela n'était pas possible. Il avait eu un poisson nommé Théophile qu'il venait saluer tous les matins.

40 Voir dans les archives les courriers concernant cette affaire (2208, 2209-2210, 2211, 2212-2213) : protestations adressées au Directeur de l'OHBM par Simon Jeanjean au nom de l'ensemble des locataires, etc. Pittoresque !

41 Monique interrompt, non parce qu'elle se souvient mieux, mais parce qu'elle trouve que Geneviève (qui en effet semble peiner à raconter ce qui décidément lui pèse, cette tragédie familiale) n'avance pas assez vite.

42 Le 2 février 1936, jour noir pour la famille Jeanjean, on s'en souvient.

43 La question fait allusion à un sous-entendu fortement exprimé du bonnet

44 Précision ultérieure (entretien du 1er octobre) : Denise avait annoncé sa décision à la fin des vacances d’été précédentes (1935) passées en famille, à Annecy, après la visite de l’église, là... (quelle église ?)

45 C’est Monique qui parle. Silence affligé de Geneviève. Peu de mots, mais on est dans l’évocation d’un malheur inacceptable et dont ils ne s'étaient jamais remis. (Denise était chez les sœurs de St Vincent de Paul - avec cornette)...

46 ?... Papiers à reclasser.

47 C’est encore Monique qui relance, mais comme elle ne sait pas très bien elle demande à Ginette

48 École des Filles de la Charité de St Vincent de Paul, 9 rue Cler, 75007 Paris.

49 Elle avait la maladie de Paget : déformation des os qui avait atteint le bassin et la colonne vertébrale. Au départ elle s’en était aperçue parce que ses chapeaux (elle était la « dame aux chapeaux ») ne lui allaient plus : sa tête avait enflé et ça avait commencé par les faire rire comme quelque chose de clownesque, d’abord inexplicable et absurde...

50 Comprendre « était décédée ».

51 Métonymie familière : moi aussi je disais « rue de la Chine » pour « chez ma marraine » et l’appartement c’était « la rue de la Chine ».

52 La mère est morte en août 1962 (pendant les vacances, c’est raconté par ailleurs, l’année de leurs noces d’or), à l’âge de 74 ans ; le père en novembre 64 à 78 ans.

53 Un album de photos est consacré aux guides. Voir notamment les photos-cartes n° 1021 à 1027.

54 Pauline (cf. chap. 2)

55 Né en 1886.

56 En prenant la parole à ce sujet (je me souviens de l'indicatif et des ponctuations de cette émission, joués aux ondes Martenot) l'intervieweur a conscience d'interférer abusivement avec ses propres souvenirs. D'ailleurs Geneviève ensuite revient à ses moutons.

57 « Ils lisaient », ou « il lisait » ? La phrase suivante concerne le père seul.

58 C’était aussi le prénom de ma mère qui est aussi un personnage important de l’histoire mais qu’on appelait Blanchette. Nous ne faisons pas le rapprochement. Quant à leur mère, dont je me souviens ni plus ni moins que de leur père, son absence relative, son effacement dans l’histoire m’interroge décidément.

59 Orthographe à préciser.

60 Rousseau est le nom de jeune fille de leur grand-mère paternelle.

61 Là, c'est l'intervieweur qui est perdu.

62 Archives n° 140114041409, etc.

63 Sur l’orthographe de Wattebault (et non pas Vattebault), voir archive n° 2242

64 Émotion sensible dans la voix.

65 Il s'agit de la photo n° 1401.

66 Cf. photo de mariage de Jeanne et Henri Laurent, à Bangkok (n° 1409)

67 Cf. Plaquette su 45e régiment d’infanterie (Simon Jeanjean était dans la 5e Compagnie), archives n° 1416 et suivantes.

68 Cf. Archives n°1002

69 Les parents étaient surtout fortiches pour choisir les photographes !

70 Cf. album : cartes (par exemple n° 109 et 110) envoyées par Madeleine depuis des lieux de cure.

71 Grande amie de Denise.

72 La cheftaine Moré (voir plus bas).

73 Boussy St Antoine, du côté de Brunoy, précise Geneviève. Cf. photos dans les albums de famille.

74 Sous ces quelques mots on pourra deviner quelques regrets éternels. Geneviève a évoqué pour moi avec une grande compassion l'énorme déception sentimentale qui avait éprouvé sa sœur (en témoigne une liasse entière de courrier retrouvé dans le grenier). Mais des occasions manquées par elle-même on ne saura rien.

75 Le fanion ? Le totem ?

76 Est-ce la cheftaine Moré que l’on voit sur la photo-carte n° 1022 ?

77 Simon Jeanjean fut trésorier ou président (vérifier dans les documents conservés) de la section du 20e arrondissement du Parti Démocrate Populaire (PDP) de 1928 à 1940. Réunions, soirées récréatives, congrès de Limoges (1933), de St Etienne, d'Arras (1936), etc. Ensuite président de la section du 20e du MRP de 1944 à ( ?)…

78 Mot inaudible (toux de Geneviève). 'lisait' ? 'cousait' ?

79 Syndicat : CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens).

80 Une fois de plus, la remémoration est très différente : Geneviève semble redécouvrir le passé au fil du discours, tâtonnant puis affirmant ce qui lui apparaît alors certain. Alors que Monique prépare constamment ce qu'elle va dire, suivant un plan structuré – même si ensuite, elle n'est pas très sûre d'elle et vérifie sans cesse les détails.

81 Mépris sous-entendu des Jeanjean pour les colonies de vacances.

82 Blanchette ma mère était née en février 22, à l’été 39 elle avait donc 17 ans.

83 On avait compris. Mais il faut toujours que cet intervieweur se fasse mettre les points sur les i.

84 Façon de noter la grande sociabilité de Fernande, toujours ouverte aux autres (cf. supra, 6e partie, note).

85 Je note ici que quelques jours avant cette interview, j’avais regardé en partie un téléfilm, qui ne manquait pas de charme, dont le principal personnage était joué par Clotilde Courau (qui n’en manquait pas non plus), et qui présentait un grand nombre de points communs avec cette situation : début de la guerre (ou premiers congés payés ? Vérifier), vacances interminables passées par des femmes en l’absence de leurs maris sur ces mêmes rivages, bicyclette, balle au prisonnier.

86 Ce pluriel peut désigner le patron de l'entreprise.

87 Ironique. Voir la suite.

88 Voir dans les archives les courriers de Simon Jeanjean au directeur de Gerson : n° 2219 à 2224, datés de 1947. Souvenir ambigu pour Monique qui, comme elle le dit, « aimait bien ».

89 C'est mon souvenir : je les ai toujours connues employées à l'Agence Cook and Sons.

90 Curzon : chef de service, « un brave homme »

91 Mon souvenir d’enfance : l'agence Cook, place de la Madeleine, à l'angle du Boulevard de la Madeleine et de la Rue Royale qui mène à la Place de la Concorde.

92 Phrase aux accents d’évidence, qui pourrait étonner quelques collégiens de l’époque récente ou actuelle.

93 Dit sur le ton de « CQFD », comme si le lien entre ma naissance (mars 1950) et son recrutement chez Cook était un fait démontré (lui demander comment s’était passé la décision de mon « marrainage », si elle a eu d’autres filleuls, etc.).

94 Je prends conscience de cette chronologie, des années qu’elles ont passé chez Cook, de cette correspondance entre mon existence et ce travail…

95 Dépression. Nous n'en avons pas beaucoup parlé, par pudeur plus de ma part que de la sienne ou de la leur, car il y a peu de sujets tabous (exception connue : la vie sentimentale et le fiasco amoureux de Monique, dont le fonds Jeanjean conserve cependant les traces précises sous la forme d'une correspondance complète).

96 C’était en cinémascope sur écran géant, avec effets étourdissants de caméra subjective à la manière déjà de la Géode ou du Futuroscope. Au Gaumont-Palace, je crois... dans la même salle nous avions vu « La conquête de l’Ouest »

97 Chapitre concernant la famille Péchenart, sans lien avec le dossier et l'histoire des Jeanjean.

98 On imagine que les autres ne le parlaient pas. La situation devait être effectivement très particulière.

99 Retour donc avec sa femme, plus tard, sur les lieux déterminants de sa vie antérieure à leur mariage...

100 Lapsus. La femme de Jean s'appelle Joce (Jocelyne)...

101 Elle semble ici dire que c’est très consciemment qu’elle appelle ma femme « Joyce ». La déformation de « Joce » en « Joyce » s’explique là, au passage.

102 Confirmation ultérieure : elles en ont encore reçue une pour le Jour de l'an 2010.

103 Quoi, « à la fin » ?

104 Ce 'vous' englobe tous les jeunes ayant appartenu au mouvement scout. Mais je n'ai pas demandé aux sœurs Jeanjean si elles avaient effectivement fait partie des Chantiers de jeunesse, comme mes parents qui d'ailleurs s'y sont rencontrés.

105 Il y a aussi une génération d'écart. Mais là où je ressens un silence (les années d'avant ma naissance), elles ont les histoires et les cartes postales de leur père.