Problème ou mystère
Pour le design, telle est la question

Estelle Berger 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.3729

A partir de l’étude de deux berceaux pour enfants, ce texte propose un examen critique de la problématisation en design. Dès l’amont du projet, cette reformulation du cahier des charges cadre en effet le champ d’intervention du designer, et anticipe aussi sur les expériences qui pourront être vécues avec et autour de l’artefact conçu. L’analyse croisée de deux cas polaires permet de rendre tangible le questionnement qui préside à la démarche design. Considérer un problème à résoudre ou un mystère à adresser implique des rapports bien différents à la technique, aux objets mais aussi à nos propres corps et à ceux des autres. Les objets de design fonctionnent ainsi comme supports dynamiques de questionnement sur la vie que nous menons et souhaitons mener.

Based on the case study of two baby cradles, this article proposes a critical analysis of problem framing in design. This early stage of the project sets the designer’s scope of intervention, and anticipates potential experiences with the future outcome. Considering two extreme cases allows to highlight different approaches to inquiry in the design process. Attempting to solve a problem or to address a mystery implies different relations to technology, objects and bodies. In a dynamic manner, designed artefacts hence question the lives we lead and wish.

Sommaire
Texte intégral

La vie n’est pas un problème à résoudre mais un mystère à vivre.
(Kierkegaard, 1846 - 1977)

1. Introduction – L’imaginaire incorporé dans les objets

Mis en lumière par la phénoménologie, l’imaginaire est un langage structuré fait de récits, d’images et d’émotions. Ce contenu narratif tacite entre en jeu à chaque fois que nous interagissons avec un objet, système ou média. Il agit ainsi comme connecteur par lequel se constitue toute représentation humaine, entre expérience réelle et symbolique du monde (Durand, 1969). L’imaginaire est un matériau partagé à l’échelle des sociétés, où il opère à long terme, bien qu’il soit intensifié et accéléré dans l’innovation (Balandier, 1996 ; Musso, 2005). Cela explique que des mythes séculaires se trouvent réinterprétés ou réactivés lorsqu’ils paraissent exprimer l’expérience d’une époque. Le récit de Prométhée rencontre par exemple les paradoxes de la société industrielle, entre foi dans le progrès et crainte de ses conséquences non maîtrisées (Munier, 2014). Dans l’imaginaire populaire s’expriment donc les aspirations comme les inquiétudes les plus profondes d’une civilisation. Par son ambivalence intrinsèque, mettant en scène des tensions entre polarités, il cristallise les questionnements éternels qui nous concernent en tant qu’humains.

Mais bien que l’imaginaire soit collectif et culturel, les niveaux intimes d’interprétation de chaque individu créent des variations dans son appréhension (Korzybski, 2007). La philosophie pragmatiste contemporaine a ainsi mis en lumière que nos opérations d’évaluation, même lorsqu’elles se veulent rationnelles, se basent sur nos affects et émotions. Dans ce processus s’entremêlent notre vécu intime, viscéral, et la perception de notre environnement (Dewey, 2005 ; Hennion, 2007). L’imaginaire est donc évidemment porté par les technologies d’une époque et les usages qui en sont faits, mais il réside aussi dans la dimension symbolique et culturelle de nos expériences. À la fois patrimonial et dynamique, il concilie transmission et source de création. Pour les designers, l’imaginaire est donc autant un matériau à explorer qu’à modeler, pour atteindre des niveaux profonds de signification et proposer des scénarios puissants d’expériences à vivre.

Le processus de design représente la traduction et l’incorporation de valeurs au sein d’expériences tangibles (Tunstall, 2012) prenant pour support des artefacts à valeur médiatique. Ceux-ci sont des métaphores nées dans l’esprit des designers, mais se font surtout interfaces avec les personnes qui vivront avec eux. Lorsque nous percevons et manipulons un objet, nos propres affects et émotions se combinent aux valeurs, symboles et partis pris de conception – qu’ils soient délibérément assumés ou inconsciemment véhiculés par leurs designers (Heschong, 1979). Au point de rencontre, bien au-delà des dimensions d’usage, un scénario proposé devient expérience vécue. L’objet fonctionne comme frontière opérant une médiation cognitive et sociale (Trompette et Vinck, 2009), où se confrontent les imaginaires du concepteur et du récepteur.

À partir de l’étude croisée de deux berceaux, cette analyse vise à un examen critique de la phase primordiale de problématisation. Dès l’amont du projet design, cette reformulation du cahier des charges cadre en effet la démarche et le champ d’intervention du designer ; comme elle anticipe sur les expériences qui pourront être vécues avec et autour de l’objet.

2. Enjeux du cadrage de problématique en design

Il est commun de définir le design comme une activité de résolution de problèmes complexes et pernicieux (Rittel et Webber, 1973). En ce sens, la phase de problématisation est reconnue comme décisive dans la démarche. Après une première phase d’immersion et/ou d’observation, son enjeu consiste à intégrer les enseignements disparates qui auront été récoltés pour les formuler de manière focalisée. La forme de pensée divergente laisse ainsi place à la convergence pour établir cette question, qui constituera le cahier des charges définitif. Si cette étape est clé, c’est qu’elle circonscrit a priori les phases ultérieures du projet, du champ d’exploration et d’intervention du designer à l’évaluation de la proposition finale par les parties prenantes du projet.

La dimension cognitive du processus de cadrage de problématiques est un sujet récurrent dans la littérature (en particulier Schön, 1983 ; Simon, 1969 ; Cross, 2001). Or, les variations individuelles restent peu prises en compte. Il n’y a ainsi pas de continuité en design entre problème, processus et solution. La problématique traitée n’induit pas plus une méthode que la méthode employée ne détermine une solution (Beck et Stolterman, 2015). Les réponses de différents designers à un même cahier des charges ne s’excluent pas mutuellement, et leur qualité et pertinence ne peuvent pas être évaluées objectivement les unes en fonction des autres. Plutôt que de donner une « bonne réponse », il est ainsi plus important d’avoir posé une question pertinente. Cela est exprimé par la maxime « ne demandez pas à un designer de dessiner un pont, demandez lui plutôt un moyen de traverser la rivière », comme par Einstein qui déclarait qu’« aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré ». Pour remonter à la source, le rôle de diagnosticien du designer apparaît donc clé (Krippendorff, 2011 ; Proulx, 2018). La technique des « 5 Pourquoi » mise en place pour la gestion de la qualité se retrouve ainsi reprise pour le design et l’innovation (Ohno, 1988).

Mais, comme en médecine, le diagnostic est moins une science qu’un art. La formulation du problème racine comporte bien une part d’expertise pour distinguer symptômes et cause sous-jacente, mais aussi une part de subjectivité et d’intuition. Les critères qui permettent à un designer de sélectionner des éléments pertinents ou inspirants impliquent sa créativité personnelle, sa vision du monde, son histoire et son mode d’apprentissage (Lawson et Dorst, 2009). Une telle relativité remet en cause l’idéal d’objectivité dans la démarche, au profit du parti pris, du positionnement. C’est la raison pour laquelle la pensée design se décale de la logique et de la rigueur dites « scientifiques ». Ses critères de validité sont dans la pertinence plus que dans la vérité. Chaque designer exprime plutôt, à partir de ses expériences et de sa personnalité, « ce que [son] individualité capte comme un sismographe des phénomènes humains » (Mendini, 2014).

3. Du problème technique au mystère humain: comment vivre?

Note de bas de page 1 :

Voir URL : http://lettres.tice.ac-orleans-tours.fr

Si le design prend « le monde comme projet » (Aicher, 2015), il s’agit de définir sous quel angle. Se confronter à une situation comme à un problème appelle une posture combative pour trouver une solution – qui, étymologiquement, le « désagrège, lave, efface »1. À l’inverse, considérer le monde à l’image des existentialistes comme un mystère auquel nous appartenons, ouvre à d’autres dimensions de perception et d’action. Ces deux attitudes impliquent des rapports bien différents à la technique, aux objets mais aussi à nos propres corps et à ceux des autres. Alors qu’un problème peut être résolu de manière rationnelle, un mystère relève de la subjectivité, car il n’existe pas indépendamment de l’expérience humaine. S’y confronter implique de s’immerger totalement, et de déployer sensibilité et imagination. En termes de conception, l’approche est donc techniciste et positiviste d’un côté, plus compréhensive et holistique de l’autre.

Cette dernière est naturellement plus en ligne avec le design, opérant dans des environnements complexes où règne l’incertitude et où l’approche analytique seule est insuffisante. Fondée sur une part de subjectivité, l’approche design articule esprit critique et créatif (Berger, 2017) pour adresser des aspirations humaines plutôt que des problèmes techniques (Findeli, 2000). Les concepts de berceaux Max Motor Dreams et Rosemary’s Berceuse incarnent cette distinction conceptuelle entre problème et mystère, en tant qu’ils appellent deux modes de relations bien différents au sein de la famille.

3. 1. Max Motor Dreams

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Figure 1. Max Motor Dreams (2017), Ogilvy et Espada y Santa Cruz pour Ford

Imaginé en 2017 par l’agence espagnole Ogilvy et le studio Espada y Santa Cruz pour la marque Ford, ce concept n’a pas été commercialisé. Partant du constat que les trajets en voiture permettent souvent aux enfants de s’endormir, le projet propose de répliquer ses conditions dans un berceau connecté. L’analogie n’est pas seulement symbolique : grâce au gyroscope et à l’accéléromètre de leur smartphone, les parents enregistrent les réelles conditions de circulation pour les transmettre au berceau, qui adaptera son bercement en fonction des données reçues. Il recrée les mouvements dus aux virages, les bruits du moteur et l’éclairage environnant.

Note de bas de page 2 :

Voir URL : https://fordmotordreams.ourworkurl.com

Le constat de départ s’appuie sur un réel problème identifié sur le terrain, comme l’exprime un des concepteurs : « Après de nombreuses discussions avec les mamans et les papas, nous savons que les parents de nouveau-nés sont souvent désespérés de passer une bonne nuit de sommeil. Bien qu’une rapide balade nocturne en voiture puisse faire des merveilles pour endormir le bébé, ce n’est pas une solution de repos pour les parents épuisés. »2

Co-conçu par une marque, une agence de publicité et un studio créatif, le statut de ce berceau connecté reste peu clair. Présenté comme prototype, préfigure-t-il une offre commerciale, est-il une vitrine, un manifeste ou un support de discussion ? Sa présentation en ligne au travers d’une vidéo séduisante semble plus destinée au partage viral sur les réseaux sociaux qu’au débat sur les usages et implications en contexte réel. Au-delà de l’intérêt médiatique pour la marque, on peut en effet questionner la pertinence d’un tel dispositif pour les familles. Puisqu’un bébé ne perçoit pas de différence entre la simulation et la diffusion des paramètres d’un trajet réel, la proposition de valeur devrait logiquement s’adresser aux parents. Mais l’application d’enregistrement et de programmation améliorerait-elle réellement leur qualité de vie ? Alors que la méfiance monte autour de l’utilisation de nos données par les firmes, la proposition paraît pour le moins paradoxale.

Mais puisqu’aucune prise de parole critique ou réflexive n’accompagne la présentation par la marque, l’intention de conception semble univoque. Littéralement, le berceau connecté propose de supprimer certaines contraintes de la situation initiale [faire un tour en voiture] et d’améliorer les performances de l’action [bercer]. Il se présente donc comme solution rationnelle répondant au besoin [endormir son enfant], à partir de l’extrapolation de comportements actuels [applications mobiles, digital et IoT]. Le designer considère donc les parents en tant qu’usagers avec un problème à résoudre, à qui l’on propose une solution meilleure [berceau connecté] que l’existant [faire un tour en voiture]. Pour construire cette solution, la technologie est employée de manière incrémentale, comme amenant de nouveaux moyens pour adresser une même finalité. Le paradigme étant inchangé, l’évaluation de la proposition reste basée sur l’efficacité de l’action pragmatique et mesurable [endormissement de l’enfant].

En revanche, la relation à l’enfant ne semble pas un enjeu. Récepteur passif, il apparaît finalement comme le dernier usager du dispositif où la communication s’établit surtout entre le parent et le berceau, par l’intermédiaire de la voiture familiale et de l’application. En ce sens, ce projet fonctionne comme un effet de discours, où la marque Ford revendique sa présence dans les familles dès le plus jeune âge grâce à une mise en parallèle de l’imaginaire de la voiture et de celui du berceau. Celui-ci est donc plus un signe qu’un objet relevant d’une démarche design.

3. 2. Rosemary’s Berceuse

Figure 2. Rosemary’s Berceuse (1993), Elisabetta Gonzo et Alessandro Vicari

Figure 2. Rosemary’s Berceuse (1993), Elisabetta Gonzo et Alessandro Vicari

Ce berceau rocking-chair a été créé en 1993 par les designers Elisabetta Gonzo et Alessandro Vicari, en réponse à un concours portant sur l’hybridation d’objets.

Note de bas de page 3 :

Citation issue d’un entretien avec Alessandro Vicari (2018)

Note de bas de page 4 :

op. cit.

« Nous étions en couple à l’époque. Au lieu de faire un enfant, nous avons dessiné un berceau ! Plus sérieusement, nous sommes partis du matériau. Puis la thématique du bébé est arrivée naturellement lorsque nous avons appris qu’il était d’usage dans la tradition italienne de les transporter dans des paniers de rotin. Cela faisait donc sens. »3 Nul besoin d’expliciter la métaphore, l’objet étant lisible au premier regard comme la rencontre d’une assise pour adulte et d’un couchage pour enfant. D’apparence vernaculaire, il semble avoir « toujours été là », et ses formes rassurantes annoncent une relation sereine. Ainsi, chacun se projettera instinctivement dans l’expérience proposée – effet renforcé par l’économie de moyens qui est à l’œuvre. Cette puissance d’évocation explique sans doute le succès d’exposition de cet objet. En revanche, une fois mis en production, il s’est peu vendu à cause d’un prix perçu comme trop élevé. Cela s’explique par la complexité du processus de fabrication pour une plage d’utilisation somme toute réduite. « Après quelques mois, quand le bébé a grandi, il ne reste que le chat pour utiliser le berceau ! »4 reconnaît le designer.

Si le succès commercial ne répond pas au succès d’estime, c’est également peut-être que l’objet ne promet pas véritablement d’amélioration fonctionnelle. Il ne vise effectivement pas à optimiser ou augmenter l’efficacité de l’action [bercer], mais à suggérer un basculement du sens, une recombinaison de significations. Ce n’est pas à proprement parler le besoin [endormir son enfant] qui est au centre de l’expérience. La solution [berceau rocking-chair] ne se revendique pas supérieure aux dispositifs existants, dans un mouvement incrémental. Elle pose plutôt un nouveau cadre de référence. Pour le parent, l’action [bercer son enfant] entreprise dans un objectif [l’endormir] se transforme en expérience [moment de relaxation partagée]. Il devient alors impossible d’évaluer cette proposition dans le paradigme préexistant basé sur l’efficacité. En créant autour de lui une symétrie entre parent et enfant, l’objet propose plus qu’une nouvelle routine d’usage : une autre manière d’envisager leurs relations.

Note de bas de page 5 :

op. cit.

Par cette invitation à penser si la proposition fait sens à leurs yeux, les parents ne sont plus considérés comme usagers mais comme personnes vivant au sein d’un foyer. Il ne s’agit plus d’envisager simplement l’interaction avec un dispositif, mais de reconnaître toute l’interdépendance des actions du quotidien. Les vrais gens sont en effet complexes et ambivalents, et telles sont aussi leurs relations aux autres comme aux objets. Ce basculement commence avec le nom de l’objet, Rosemary’s, emprunté au personnage infanticide d’un film de Roman Polanski. Assumée par les designers, la provocation visait à contrebalancer la douceur et la sérénité véhiculées par le berceau. « Cela lui donnait une note plus piquante, en ligne avec l’esprit du design italien de l’époque. Mais l’éditeur a préféré le nommer Rosemary tout court, pour gommer un peu la référence à Rosemary’s baby ! »5

4. Conclusion – Une question d’éthique

L’analyse comparée de ces deux berceaux ne vise pas à construire une frontière entre deux modes de vie extrêmes, au risque de la caricature, mais à rendre tangible le poids du questionnement qui préside à la démarche de design. Tous deux basés sur des besoins et/ou aspirations mal et/ou non adressés, les projets Max Motor Dreams et Rosemary’s Berceuse peuvent se revendiquer d’une démarche centrée sur l’humain. Mais cela n’implique pas qu’ils le considèrent de la même manière : comme usager ou comme personne vivant une expérience.

D’un côté, le designer proposera une solution innovante, qui aura de la valeur en tant qu’elle représente une amélioration de la situation problématique existante. On peut qualifier cette posture de démarche créative de résolution de problèmes. À partir des travaux d’Osborn au XXe siècle s’est développée une lignée de pensée centrée sur la génération d’idées dans un cadre alternant pensée divergente et convergente. La démarche amène ainsi à sélectionner, affiner et évaluer le concept qui solutionnera au mieux la problématique.

De l’autre côté, l’ambition se situe à un niveau différent. Plutôt que de répondre à un besoin existant [comment … ?], il s’agit d’en interroger le sens [pourquoi … ?]. Dans notre exemple, [endormir son bébé plus rapidement] devient [vivre mieux les réveils nocturnes]. Le designer ne raisonne plus en termes de problèmes à résoudre mais d’opportunités à ouvrir au sein du mystère humain. Cette nouvelle interprétation transforme radicalement la proposition de valeur et donc l’échelle d’évaluation de sa proposition. Il ne s’agit pas d’offrir plus de performance, mais une nouvelle direction qui accompagne les gens dans leur quête de sens (Verganti, 2017). Pour le designer de Rosemary’s, « le plaisir poétique de jouer avec les mots répond à celui de jouer avec les formes ». Le mystère réside dans la complexité et l’ambiguïté de tous les ingrédients orchestrés par le design, qu’ils soient techniques comme humains, et sa démarche consiste avant tout à le reconnaître. De la saisie du contexte à la proposition finale, la réalité du projet demeure polymorphe (Latour, 1993) et questionne le designer quant au sens de son influence sur le monde. Prendre parti est une démarche arbitraire, dans laquelle il engage son plaisir de proposer ce qui lui semble juste, mais aussi sa responsabilité, par l’influence que ses propositions auront sur la vie des autres.

Choix et responsabilité constituent justement les deux piliers d’une démarche éthique (Pichevin, 2014). Depuis Aristote, celle-ci est considérée comme une sagesse pratique, ancrée en société, s’accomplissant dans l’action et contribuant ainsi à façonner le monde (Arendt, 1981 ; Ricoeur, 1998). Elle est donc la réflexion dans l’action (Schön, 1983) qui sous-tend la pratique du design, pour équilibrer intentions orientées vers certaines valeurs (éthique déontologique en amont) et examen des usages et conséquences sur le terrain (éthique utilitariste en contexte). Dans les deux exemples étudiés ici, l’intention envers les familles est déjà bien différente. S’agit-il de leur offrir la performance et précision de technologies de pointe, ou intimité et partage de manière plus rustique ?

Mais plus que dans un résultat théorique ou général, qui aurait des visées morales, l’éthique se loge dans le raisonnement même. Et celui-ci commence par expliciter ses convictions, sa méthode, sa démarche, pour susciter une discussion fondée sur l’esprit critique de chacun. En préservant la diversité des usages et expériences vécues, en proposant des alternatives et en éduquant au choix éclairé, les objets de design peuvent fonctionner comme supports dynamiques de questionnement sur la vie que nous menons et souhaitons mener.