Francisco Javier Cervantes Bello et María del Pilar Martínez López-Cano (dir.), La Iglesia en la construcción de los espacios urbanos, siglos XVI al XVIII, México, Universidad Nacional Autónoma de México/Benemérita Universidad Autónoma de Puebla, 2019, 368 p., ISBN : 978-607-30-1180-8
1Paru peu avant la pandémie, cet ouvrage est issu des travaux du Seminario Historia de la Iglesia (Séminaire Histoire de l’Église), groupe de recherche interinstitutionnel de l’Universidad Nacional Autónoma de México et de la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla. Fondé en 2002 par María del Pilar Martínez López-Cano et Francisco Javier Cervantes Bello, ce groupe a réussi, en une vingtaine d’années, à se constituer en un pôle incontournable de la recherche sur la Nouvelle-Espagne à la faveur d’une double approche. Autour de la thématique ecclésiastique, le Seminario Historia de la Iglesia fédère, d’une part, un cercle restreint de chercheurs provenant d’horizons historiographiques différents (histoire sociale, économique ou encore intellectuelle), dont l’intérêt est d’offrir des regards diversifiés. D’autre part, le groupe a assumé depuis sa création une dynamique de travail soutenue, traduite notamment par une série de publications dont l’ouvrage présenté ici constitue le neuvième volume.
2Comme son titre l’indique, La Iglesia en la construcción de los espacios urbanos, siglos XVI al XVIII s’intéresse aux groupes cléricaux novohispanos dans leurs relations avec l’espace urbain. Pour l’histoire coloniale, la problématique est centrale, dans la mesure où tant la ville que l’Église ont été des éléments clés dans la configuration des sociétés indianas. À la différence de la situation européenne où existèrent des institutions intermédiaires comme les Cortes ou les États Généraux, la ville constitua un rouage de régulation politique incontournable dans les territoires américains de la Couronne d’Espagne. Qu’elle soit régulière ou séculière, l’Église fut, de façon plurielle, une autre instance décisive dans l’Empire. Malgré leur importance respective, les liens entre Église et ville ont néanmoins, jusqu’à présent, tendu à être envisagés principalement par l’historiographie depuis une perspective patrimoniale, entre intérêt architectural et artistique. L’ouvrage présenté ici se propose quant à lui d’élargir l’enquête à double titre. Tout d’abord, l’objectif a été d’abandonner les analyses statiques en faveur d’un modèle dynamique, capable de rendre compte de la manière dont ville et Église se sont façonnées (dimension chronologique). Ensuite, il s’est agi d’intégrer des protocoles de recherche diversifiés (dimension diachronique).
3Autour de ce programme, l’ouvrage rassemble onze travaux de douze chercheurs, préalablement présentés, en avril 2017, lors d’un colloque à Puebla et à México. Dans un effort de représentativité, ceux-ci couvrent l’ensemble de la période coloniale, du XVIe au XVIIIe siècle. Surtout, ils ont l’intérêt de permettre d’échapper à la surreprésentation de México en se consacrant également à d’autres villes majeures de la Nouvelle-Espagne comme Valladolid, Querétaro, Puebla Pachuca ou encore Mérida et Campeche. Dans l’ouvrage, leur distribution a été organisée en trois grands ensembles, fondés sur un principe thématique.
4La première partie porte sur le rôle des groupes ecclésiastiques dans la configuration du paysage urbain de la Nouvelle-Espagne. Les quatre travaux qui la composent démontrent en effet son ampleur et surtout pointent ses ressorts. Arrivant dans des espaces urbains jeunes ou en reconstruction, les différents clergés auraient profondément modelé les villes novohispanas en fonction de logiques variées. Partant du cas yucateco, Adriana Rocher Salas signale le déséquilibre entre l’amplitude des lieux du culte à Mérida et à Campeche et les faibles envergures tant économiques que démographiques de celles-ci. Elle explique cette disproportion par une série emboîtée de facteurs tant locaux (rivalité régionale, affirmation des élites urbaines) qu’impériaux (exemplarité face aux populations indigènes, démonstration du pouvoir royal). Ensuite, Jessica Ramírez Méndez s’intéresse au cas du clergé régulier à Valladolid, dans le Michoacán. Selon l’auteure, l’établissement précoce de sièges régionaux des institutions mendiantes au sein de la ville aurait permis à celle-ci de maintenir un rang de capitale épiscopale, pourtant disputé par les proches Tzintzuntzan et Patzcuaro. Consacré à Queretaro, l’article suivant d’Antonio Rubial García démontre pour sa part l’impact de l’entreprise franciscaine sur l’identité de la ville à travers leurs sanctuaires, même une fois que les frères mineurs se sont trouvés moins nombreux. Finalement, Francisco Javier Cervantes Bello s’attache à la ville de Puebla pour exposer l’importance des rentes ecclésiastiques dans la consolidation de celle-ci. À travers ses circuits financiers, le clergé poblano contribua à donner une valeur au sol urbain et à mettre Puebla au centre des réseaux.
5Après l'intérêt porté à la configuration des espaces urbains, la deuxième partie porte sur leur régulation interne des espaces urbains par les groupes ecclésiastiques. Elle se compose de trois textes. Les deux premiers démontrent de quelle façon les divisions paroissiales ont constitué un enjeu social majeur à México et à Pachuca, dépassant même les seuls intérêts ecclésiastiques. Dans la capitale de la Nouvelle-Espagne, la délimitation des paroisses constitua en effet, selon Leticia Pérez Puente et Oscar Reyes Ruiz, un instrument employé par la municipalité pour favoriser la croissance urbaine et renforcer le pouvoir des élites créoles. À Pachuca, la disposition des paroisses se combina, d’après Rodolfo Aguirre Salvador, à l’agencement minier de la ville pour apporter un cadre urbain stable au monde incertain de la mine. Le troisième article proposé par María del Pilar Martínez López-Cano, montre pour sa part comment la vente de charges d’administration du culte (oficios del Tribunal de Cruzada) aux laïcs, à México, contribua à modeler les élites urbaines et leur inscription sociale dans la capitale.
6Finalement, la dernière partie rassemble les travaux consacrés à l’inscription matérielle et symbolique des clergés dans l’enceinte urbaine. À partir du palais archiépiscopal de México, María Teresa Álvarez Icaza Longoria interroge les stratégies spatiales de démonstration de pouvoir des premières autorités ecclésiastiques de la Nouvelle-Espagne. Elle montre l’attention particulière portée à leur résidence par des prélats aussi éloignés dans le temps que Juan de Zumárraga (1530-1548) et Manuel Rubio y Salinas (1748-1765). Depuis l’histoire du Saint-Office, Gabriel Torres Puga s’intéresse ensuite aux formes d’inscription urbaine de l’institution inquisitoriale à México. Au-delà de son intérêt intrinsèque, le texte de Torres Puga a en plus le bénéfice de revisiter une historiographie qui a tendu à surestimer la réalisation publique d’une des modalités inquisitoriales les plus extrêmes : l’autodafé. En clôture du volume présenté, les deux articles suivants relèvent d’une même approche liée à l’histoire intellectuelle et démontrent l’impact de l’activité des élites savantes sur la construction urbaine. À travers la comparaison entre deux relaciones écrites par des dignitaires religieux de Cuzco et Valladolid, Oscar Mazín souligne la différence géopolitique entre ces deux villes et l’ambition de leurs élites cléricales. Pour sa part, Iván Escamilla González explore les processus de sédimentation d’une mémoire historique de México par une succession de groupes savants. Après avoir été écrite par le clergé régulier dans le cadre des chroniques conventuelles, Escamilla Gónzalez met en évidence les tentatives adverses, au XVIIIe siècle, des élites municipales et épiscopales pour imposer une historiographie de la capitale qui coïncide avec leurs objectifs respectifs, entre sécularisation et culte de la Vierge de Guadalupe.
7Au niveau méthodologique, l’ouvrage présenté réussit donc pleinement à convaincre de la pertinence de ses apports pour comprendre le développement des villes coloniales en corrélation avec les acteurs ecclésiastiques, et ce dans une perspective pluridisciplinaire. Il ouvre notamment la voie à un élargissement à d’autres espaces américains, de la vice-royauté péruvienne à celle de la Plata. Au sein du débat historiographique français actuel, cet ouvrage démontre également le poids des logiques locales, nombreuses et même parfois contradictoires, dans la constitution d’un empire suprarégional né d’une première expansion européenne.
8Un regret peut néanmoins être exprimé. Dans ce cadre géographique volontairement étendu, on aurait apprécié la présence de travaux sur des villes pourtant clés en Nouvelle-Espagne comme Antequera, Guatemala ou encore Guadalajara. Cependant, l’ouvrage séduira à n’en pas douter tous les spécialistes des études urbaines de l’époque moderne et des espaces coloniaux.