Les Méchants The Villains

Xaviez RUIZ 

Dans une première partie, Méchant prend la parole et pioche dans les propos des intervenants de la journée d’étude Autopsie du méchant : de l’ombre à la lumière. À partir de ces bribes de discours, il brosse son portrait avant d’annoncer son assassinat dans une seconde partie. Cette partie sera un dialogue burlesque entre le médecin légiste Ducasse et l’inspecteur Moriarty durant la dissection de Méchant.

In the first part, Villain takes the floor and draws in the words of the speakers of the study day Autopsy of the villain: from the shadow to the light conference day. From these fragments of speeches, he paints his self-portrait before announcing his assassination in a second part. This part will be a burlesque dialogue between the forensic pathologist Ducasse and Inspector Moriarty during the dissection of Villain.

Sommaire
Texte

1. « Je me présente je m’appelle [méchant] ».

1Si la terre est une orange bleue
Quelle est la mécanique de cette orange ?
Levons le rideau et laissons la scène
– Pour parler du héros qui sa vérité assène –
À celui qui est dit méchant par la bonne société
Et qui devra se taire pour ne pas être décapité.
Votre serviteur est donc depuis longtemps dans vos pages
Et les pages du malin y exercent leurs rages.
Avant d’aller plus loin, je demande « Is there a murder here […]?».
Je te conseille de te cacher ou l’on te fera frire.
Reste bien planqué au fond, profite du spectacle :
C’est ton heure de gloire où l’on te porte au Cénacle,
Où enfin de la fête tu deviens le roi
Quand bien souvent on te traque telle une proie.
Il faut bien dire du régnant en place
Que c’est un tyran pour que le peuple s’en lasse.
Ainsi, le méchant se terre un peu en chacun de nous.
Nous pouvons à tour de rôle être lions ou gnous.
          […] Le fabricateur souverain
          Nous créa besaciers tous de même manière
          Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui.
          Il fit pour nos défauts la poche de derrière
          Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
Dès lors, du haut d’une grande vertu s’exécute l’exécution.
L’exécuteur n’est qu’exécutant d’un sadisme en perdition.
Quand le bourreau arrache les dents de celui dit vilain,
Le parquet du roi n’est pas ciré, le sang n’est pas huile de lin.
Votre sire est bien bon, dit-on du roi
Et par ses décrets, sont instaurées les humaines lois.
Je suis chasseur ou si vous voulez pêcheur
Surtout que selon moi pour la messe ce n’est jamais l’heure.
Mes propos ne sont pas catholiques, me direz-vous.
Je réponds ce n’est que la confession qui est catholique.
Être le mal la semaine et s’acheter le bien le dimanche
En donnant aux mendiants devant l’église ?
Mais qui fait vraiment la manche ?
Les fautes de Faust fustigées furent en alcôve les vôtres
Mais donnant à voir en société un visage d’apôtre.
Si le méchant prend ses lettres de noblesse aujourd’hui,
C’est pour ce trajet de la lumière à l’ombre dans la réalité,
Qui dans la fiction est passé de l’obscur vers ce qui luit.
Lautréamont nous interroge sur ce par quoi je suis habité.
Je ne suis peut-être qu’un barbier voulant raser le barbu
Et qui soliloque son aigreur quand il a trop bu.
Quand je réfléchis sur moi-même, il y a la phrase que voici :
« J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon
Pendant ses premières années où il vécut heureux, c’est fait ».
Alors oui peut-être le méchant naquit bon
Mais qui donc aura pu sur lui avoir un tel effet ?
Peut-être tel Rameau ai-je pour objectivation
De mes exactions celles de mes contemporains.
Me justifiant dans mon vice par le vice ;
La « reproduction » devient un fatal horizon.
Vous me voulez méchant, alors je le demeure.
Ainsi je suis gentil jouant mon rôle, et alors je meurs.
Si vous vous mettez à ma place le gentil est mon Némésis.
Or, qui s’essaye à cette curieuse mimesis ?
Mettez-vous dans ma peau et le gentil est mon méchant.
Mes chants sont de ceux qui vont à travers champs.
Le méchant est celui qui nourrit des ambitions
Poussant en chardon dans les rangs des civilisations.
Il faut le désherber ; le maïs doit pousser.
N’est quelquefois méchant qu’un pauvre type courroucé
De voir que le sportif est un héros acclamé
Pour son exploit de rouler dans le luxe en berline et en coupé.
En parlant de coupé, je pense à le lamer,
Car cette gloire usurpée commence à me faire souper.
Applaudissez-vous le maçon au pied de son mur ?
Non, mais plutôt le ballon dans les pieds puis qui passe le mur.
Vient alors le moment de la philosophie au marteau piqueur.
Le « marteau » ne suffit plus, le mur est en béton armé.
Je souhaite la métaphore assez vive pour Paul Ricœur
Et que les plus érudits que moi Méchant ne soient alarmés.
Il faut bien que je me prenne un pseudo pour me désigner,
Moi, l’esprit criminel à la morale ignée.
Méchant, me voici, Méchant, je vous vois là,
Avec une moue affligée face à mon cas.
Ce tantôt se racontera comment l’on m’a tué
Et depuis mon enfer je verrai mon rôle par une doublure jouer.

2. IL n’est pas un héros

Note de bas de page 1 :

Ducasse est ici médecin légiste ; il faut bien que le narrateur s’amuse.

2Ducasse1 : « Bonjour où se trouve mon patient ?

Note de bas de page 2 :

Moriarty, génie du mal et adversaire de Sherlock Holmes, endosse le temps de cette nouvelle le rôle de l’inspecteur. Un rien amuse le narrateur.

3Moriarty2 : Vous l’appelez comme ça. On peut dire qu’il ne peut pas y avoir plus patient que lui à l’heure actuelle.

4D : Ne triturez pas les mots. Ici, le seul qui triture c’est moi.

5M : Très bien monsieur le médecin légiste. Procédez.

6D : Qui est la victime ?

7M : Il s’appelle Méchant.

8D : Où va-t-il avoir été retrouvé celui-là ?

9M : Dans le fleuve près de la boîte de nuit Le Styx.

10D : Bientôt, vous me direz que vous l’avez repêché des enfers. Qui était ce Méchant ?

11M : Quelqu’un « sans valeur, sans compétence ». C’était un méchant énergumène : « extraordinaire, fameux, remarquable » dans son désir de « provoquer, occasionnellement ou non, la souffrance physique ou morale d'autrui ». Il remplissait parfaitement sa fonction et au moins pour cela on ne pouvait appliquer ce sens de méchant à Méchant.

12D : Vous me récitez le TLFI pour me décrire toute sa « méchantise ».

13M : Vous êtes bien cruel envers cet écrivain qui pouvait jusqu’à vous avoir au moins son hapax legomenon dans la littérature.

14D : Vous ne pouvez pas dire que je sois méchant. Il est mort. Rapprochez-moi la table. Que Monsieur Méchant passe de l’ombre à la lumière.

15M : Vous allez opérer l’autopsie cadavérique.

16D : Non, je vais me mettre en relation avec les dieux. Quelle question ! Que voulez-vous que je fasse d’autre monsieur l’inspecteur ? Et vu que vous semblez parler avec un dictionnaire dans le cul, le Littré considère que l’autopsie ne saurait être que cadavérique, et notez que je n’opère pas une autopsie mais que je procède à.

17M : Pouvons-nous aller dans le vif du sujet ?

18D : Revenez dans une heure et je vous dirai ce qu’il en est de la mort de « Méchant ».

19J’avais trouvé cette mort suspecte et je n’avais pas voulu conclure à la noyade accidentelle. Aussi, j’avais appelé le médecin légiste pour qu’il éclaire les zones d’ombre de ce qui me semblait un crime. L’heure passa longuement vu qu’on m’avait réveillé à 04 heures 44 pour sortir le corps du fleuve et que le médecin légiste était arrivé à 05 heures 55. L’autopsie délivra son diagnostic à 06 h 66. Si cet emmerdeur de médecin légiste était derrière mon épaule au moment d’écrire mon récit, il m’aurait repris et dit 7 heures 06. Aucun humour qu’il a. Autant vous dire que je ne m’attendais pas à du drôle au moment de connaître les résultats.

20M : « Alors ?

21D : Mort par empoisonnement… Brûlure…. Strangulation… Balle… Ecartèlement… Poignard…. Noyade…Sans compter le viol.

22M : Comment ? C’est possible de mourir de tout ça à la fois ?

23D : Non, mais surtout je ne sais pas ce qui a provoqué en premier sa mort. Une seule chose de sûre c’est qu’il n’a pas été épargné.

24M : On l’a violé avant ou après.

25D : Que voulez que j’en sache ? Qu’est-ce que cela pourrait changer ? Cela enlèverait un chef d’inculpation pour le coupable.

26M : N’oubliez pas que c’est le héros de cette histoire, enfin disons plutôt de mon enquête.

27D : Un héros sans doute pas dans le sens originel du terme. Je n’y vois pas un héros. Que vous vouliez en faire le personnage principal d’un récit, passe encore, mais un héros.

28M : Pourquoi lui enlèveriez-vous cette possibilité ?

29D : Désolé, mais quand j’entends héros, j’entends valeurs et prouesses nullement vices et bassesses.

30M : Cela intéresserait n’importe quel réalisateur de faire un film sur un tel méchant.

31D : Vous avez raison. C’est une mode de raconter leurs vies à ces méchants mais permettez que je garde comme acception du terme héros cette vision du héros mythologique.

32M : Côté mythologie, on repassera sur la moralité avec certains de vos antiques. Jason abandonnant Ariane, Hercule tuant ses enfants, Ulysse fanfaronnant devant Polyphème. Tous avaient leurs travers.

33D : Mais ils réalisaient des exploits, avaient une force surhumaine, ou une ingéniosité hors du commun.

34M : Pensez-vous que Méchant n’ait jamais eu une forme de génie du mal ?

35D : S’en servir à de telles fins ne ferait pas de lui un héros, tout au plus le personnage principal d’un récit pour nous entraîner dans la construction d’un criminel.

36M : Les gens sont fascinés, perplexes, je ne sais pas moi-même qu’en penser des criminels. Alors, je ne saurais pas vraiment ce que peuvent en penser les gens.

37D : Ce sont des loups frileux au bras d'une autre mort
Piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal.
Ils ont cru s'enivrer des chants de Maldoror
Et maintenant ils s'écroulent dans leur ombre animale.

Note de bas de page 3 :

Ce qui fait que nous avons sur la table de dissection une machine à coudre et un parapluie.

38M : C’est parfait qu’avec Thiéfaine vous parliez de votre homonyme. J’ai oublié de vous préciser que nous avons retrouvé Méchant avec une machine à coudre attachée à son poignet et dans son fondement un parapluie3. Cela faisait une étrange baleine échouée. Vous auriez cru à une blague si j’avais amené ainsi cette victime imposante sur votre table de dissection.

39D : Vu tous vos jeux de mots, je pourrais croire encore à une blague. Mais j’ai noté des traces de liens à son poignet droit et je connais maintenant l’instrument de torture.

40M : C’est tout ce que j’aurai pour le moment.

41D : En effet.

42M : Au revoir, monsieur le comte.

Note de bas de page 4 :

Pour rappel, Conan Doyle fit mourir Sherlock Holmes dans sa nouvelle Le dernier problème en 1891. Cela se passa au cours d’une lutte contre le professeur Moriarty, qui périt avec lui dans les chutes de Reichenbach.

43D : Passez le bonjour à Sherlock4.

44M : Très drôle.

Note de bas de page 5 :

Ceci n’était vraiment pas un pastiche du candidat Valéry Giscard d’Estaing avec « Vous n’avez pas le monopole du cœur », face à son adversaire François Mitterrand le 10 mai 1974, à l’occasion du débat des élections présidentielles.

45D : Vous n’avez pas le monopole de l’humour5.

46L’enquête s’annonçait mal. Or, le mal se voulait mort. Cependant, le méchant courait toujours, quelles que fussent ses raisons pour tuer Méchant.