Introduction des journées d’étude de Bertinoro (FC)- 10-11 décembre 2004
Après les journées de Liège (L’écriture dans l’image, 29-30 avril 2004) et le colloque de Limoges (Affiches et affichages 7-9 octobre 2004), les journées d’études de Bertinoro concluront le deuxième cycle de rencontres sur l’hétérogénéité du visuel. L’objet de notre réflexion, consacrée cette année aux syncrétismes, sera un texte multimodal par excellence : le jardin.
Ensemble complexe, fait d’arbres, d’arbustes et de fleurs, mais aussi d’allées, d’architectures, de sculptures, de monuments, d’épigraphes et d’inscriptions, de grottes, de vraies et fausses ruines, de miroirs d’eau, de ruisseaux, de fontaines, le jardin constitue une combinaison, dans un ensemble relativement homogène, de grandeurs appartenant à des sémiotiques différentes dans leurs formes et dans leurs substances.
Microcosme dans son expression idéale, le jardin accueille, à côté de plantes et d’animaux, des produits de tous les arts. Et s’il sollicite premièrement la vue, il est avant tout un espace qui nous enveloppe, que l’on parcourt, en lequel on écoute des sons, naturels et mêmes artificiels (traditionnellement, le jardin a été le lieu non seulement de la méditation et de la lecture, mais de la musique, des danses et des jeux) ; on y respire des odeurs, on y goûte des saveurs (tout au moins au Moyen Age et à la Renaissance, quand les visiteurs avaient la possibilité de cueillir les fruits et de s’orner avec les fleurs récoltées.) A certaines époques (voir le jardin pré-romantique « à l’anglaise »), le refus des grandes allées, de la géométrie, des perspectives et de toute vue d’ensemble sur le jardin qui caractérisaient le jardin italien et français, semble renier précisément le primat de la vue sur les autres sens, à la faveur de perceptions locales, plus “ intimes ” et variées induites par des parcours tortueux et au sol irrégulier. Une première question qu’on peut se poser est donc celle de la place assignée à la vue et aux autres ordres sensoriels dans la création et la réception, passée et présente, du jardin.
En tant qu’espace organisé signifiant, le jardin, le long de son histoire ne s’est pas borné à susciter des sensations et des « états d’âmes » (surprise, paix, mélancolie...) ; il a pu être demandé à l’observateur une opération de véritable “ lecture ”. C’est le cas, par exemple, du jardin médiéval, renaissant et baroque, à l’intention emblématique et allégorique très marquée, qui était pensé explicitement comme un lieu didactique, comme un grand texte organique à déchiffrer. Plus généralement, en jouant différemment des éléments qui semblent le caractériser (la délimitation et la clôture, l’opposition à l’habitat et au paysage, la dé-fonctionalisation...) le jardin se pose toujours comme une figure du rapport idéal entre homme et nature. Une deuxième question concernera donc l’articulation de ces deux modalités fondamentales de fonctionnement du jardin : comme texte et comme lieu d’une expérience, comme objet de contemplation et comme lieu de pratiques, de parcours perceptifs et passionnels.
Entre le jardin comme « livre » et le jardin comme « théâtre des passions » et forme de vie ; entre le jardin vécu et le jardin représenté (par la littérature, la peinture, le cinéma...), comment les modèles interprétatifs élaborés par la sémiotique peuvent-ils rendre compte, dans sa complexité, de la dimension esthétique, cognitive et passionnelle du jardin ? Peut-on en extraire, au delà du répertoire classique de motifs qu’il manipule, son lexique et sa syntaxe propre ? Enfin résoudre, par une approche analytique « syncrétique », les hétérogénéités d’un objet qui combine plusieurs systèmes sémiotiques spécifiques et joue sur différents niveaux de signification ?