Quelques propos1 extraits d’un entretien entre Madeleine David (épouse Guilbot) actrice, et Michel Poupin, accompagné de Gérard Bonneau2

Entretien entre Madeleine David,
Michel Poupin
et Gérard Bonneau

Le style oral a été conservé

Texte

Note de bas de page 3 :

MP : Michel Poupin. GB : Gérard Bonneau. MD : Madeleine David, née en 1933. Sa mère morte en 1944 du tétanos. Elle est partie du Gué en 1954 pour aller à Saint-Jean de Liversay. (…) passage inutile à la compréhension. (???) passage inaudible. [aide à la compréhension].

Légende3

(…)

MD : Un intermède, c’était La femme en caoutchouc. J’avais mes cheveux là, qui étaient assez longs, et derrière j’avais le masque de la femme en caoutchouc. Alors tout ce que je faisais prenait des airs de femme en caoutchouc. Ils riaient tellement aux répétitions, on a pas répété beaucoup d’ailleurs, que je l’ai fait faire à une amie. Je lui ai dit : « Fais moi le coup, parce… qu’au moins je voie ! » Ah oui, c’était pas mal trouvé, un masque et, avec ce masque, il fallait que tu fasses les gestes comme si c’était l’inverse quoi, les cheveux étaient devant… Ça consistait à épousseter les meubles…

MP : C’était un intermède ? De quelle pièce ?

MD : Ça, je ne m’en rappelle plus… C’est Mlle Lucas qui m’avait imposé ce truc. Parce que… on n’était pas toujours d’accord.

MP : C’était dans le petit théâtre de la cure ?

MD : C’était dans le théâtre neuf, la salle paroissiale.

MP : En quelle année il a été neuf ? Vous êtes de quelle année ?

MD : 1933 ! Comme Monique (Fillon), Cécile, Denise Ollivier, ton frère Marcel [Bonneau] ? Non, il avait un an ce moins.

GB : 34, oui.

MP : Donc, c’était dans la nouvelle salle. Est-ce que ça s’appelait Le rosaire ? Qui a été joué en 1949.

MD : 49 ! J’avais 16 ans. Je ne m’en rappelle pas.

MP : L’intermède, vous l’avez joué toute seule ?

MD : La femme en caoutchouc, oui. Avec des instruments pour meubler… [rires]

Note de bas de page 4 :

En première page de l’entretien avec Cécile Ferret.

Note de bas de page 5 :

Épouse Papin, décédée dans un accident de voiture à l’époque.

MP : Sur cette photo4, là, Fernande5 est déguisée en bonne sœur… Dans quelle pièce ? Sa sœur, Denise, ne sait pas. Cette photo, elle est de quelle année ?

MD : On devait avoir 15 ou 16 ans toutes les trois, là. J’étais partie de l’école.

MP : Cécile était en bayadère. C’était quoi, bayadère ?

MD : Bayadère, c’était un rôle de tsigane, un peu.

MP : Pourquoi Fernande est habillée en religieuse. Dans quelle pièce ?

MD : Ah ! Je ne sais plus ! (…) Nous, on faisait des intermèdes, surtout. Une seule fois j’ai joué une pièce. J’étais la fiancée qui était papillonaire, un peu [rires]. Et puis juste, je fréquentais Joël… Ça m’avait fichu un coup !

GB : À quel âge ?

MD : J’avais 19-20 ans.

MP : [Lecture de quelques pièces]

MD : Les mystères de Paris, ça me dit quelque chose. La farce du charbonnier, ça ne me dit rien. Le petit Jacques, La femme aux yeux fermés, Les Oberlés… non plus. Moi, je suis partie du Gué à mes 21 ans, donc en 54.

MP : Et vous n’avez joué dans le petit théâtre en face ? Au presbytère. Il y a deux garages dans la cure…

MD : Avant que l’autre soit construit.

MP : Oui .

MD : Si, mais des danses. Pas de théâtre.

MP : Quel genre ?

AM : Bayadère… des quadrilles des lanciers… entre autres. Et puis des ballets qu’on faisait en intermède.

MP : L’intermède, c’était pendant le changement de décors ?

MD : Voilà !

MP : C’était pas pendant l’entracte ?

MD : Aussi ! Il y avait beaucoup Guy Ollivier qui chantait. Et puis il y avait Jean Guérin [MD imite un peu Jean Guérin].

GB : Effectivement, Jean Guérin yodelait. Tout à fait.

MP : Dans le petit théâtre, Monique Fillon-Renaudin a joué.

MC : Oui. Cécile…

MP : C’était des saynètes, ou c’était du vrai théâtre ?

MD : Je m’en rappelle pas. La femme en caoutchouc, c’était un intermède, donc c’est moi qui l’ai fait. Et autrement, après, c’était des chants, avec Guy Ollivier. Et puis Jean Guérin ?

Note de bas de page 6 :

Napoléon Jourdain. Cf. l’entretien de Denise et Yves Jourdain.

GB : Et puis Polon6 ?

MD : Ah, je m’en rappelle pas.

MP : C’était Mlle Lucas qui pilotait tout ?

MD : Elle chaperonnait tout ça, avec M. le Curé.

MP : Gadé ?

MD : Après ça a été le Curé Bonnin. Ça s’affrontait !

MP : Pourquoi ?

MD : Parce que Monsieur le Curé Bonnin avait des idées plus modernes. Alors que Mlle Lucas…

MP : C’était Bonnin, contre Lucas.

MD : Voilà. Une fois je lui ai entendu dire : « Vous m’emmerdez, hein ! ».

MP : À Mlle Lucas ?

MD : Oui. Elle voulait le monopole. Comme toujours avec l’abbé Gadé.

MP : Parce que l’abbé Gadé laissait faire ?

MD : Oui, parce que l’abbé Gadé et elle fricotaient tout à leur façon. Voilà. Et puis M. Bonnin, il a dit : « Écoutez ! Moi je viens de faire la guerre, hein ! Faut pas m’emmerder ». Alors là, elle a été mise à sa place, hein ! Fallait le faire, hein ? [rires].

MP : À l’époque, oui !

MD : Mais, bon, il en a vu sûrement plus que Mlle Lucas en a vu, hein ? (…) Autrement, ce qui menait le privé, on va dire, c’était M. le curé, Mlle Lucas, hein ? Ils ont fait du bien, mais ils ont fait du mal aussi. Ils faisaient des mariages, ils arrangeaient des mariages.

MP : Toute une époque ! Mais pas avec Bonnin ?

MD : Non ! Pas avec Bonnin. Avec Gadé, oui ! Ah oui ! Telle famille, il fallait qu’elle aille avec telle famille, parce qu’il y avait les terres et…

MP : Ah oui, c’était quand même réfléchi, calculé…

MD : Oui. Ç’a peut-être fait des bons ménages, hein, je ne dis pas, mais bon… (…) C’était une époque où les filles, les chanteuses, ont encore été soumises jusqu’à 20 ans avec Mlle Lucas.

MP : Jusqu’au mariage.

MD : Ah oui. Pratiquement (…).

MP : Mais Bonnin était là en même temps que Gadé, un peu. Mais combien de temps ont-ils été ensemble ? Un an ?

MD : Peut-être un peu plus. 1 ou 2 ans, pas beaucoup plus… Parce que M. Bonnin s’est pas laissé monter sur les pieds. Il était coadjuteur, ou quelque chose comme ça…

MP : Vicaire.

MD : Vicaire, voilà. Et il s’assumait, hein ! Avec M. Gadé et Mlle Lucas, fallait pas dire bonjour à tout le monde ! Celui qui n’allait pas à la messe, il avait pas le droit à serrer la main. Et quand M. Bonnin est arrivé, il est allé serrer la main à tous les gens du pays. Et ç’a pas plus à M. Gadé et à Mlle Lucas. Eh oui ! Ah ça, je m’en rappelle. Parce que mes parents qui étaient pas pratiquants et qui étaient commerçants, ouverts le dimanche, eh bin, ils étaient bannis ces gens-là.

MP : Vous êtes allée à l’école privée, vous ?

MD : Oui.

MP : Et ç’a été accepté ?

Note de bas de page 7 :

Bouchers.

Note de bas de page 8 :

Institutrice, mais en seconde position.

MD : Au contraire, ils étaient commerçants7 et ils étaient censés… Moi je me rappelle, quand j’ai passé mon certificat, le soir même mon père m’a envoyée porter un rôti à Mlle Lucas, grand comme ça ! J’aurais eu des poules, elle aurait eu un poulet ou un canard [rires]. Mlle Lucas qui mangeait une escalope grande comme ça [petite dimension]… [rires] À part son petit thé… une escalope par semaine, elle mangeait ! Mlle Maria8, je me rappelle pas qu’elle mangeait de la viande, elle. Je me le demande…

MP : De quoi elles vivaient ?

MD : Des légumes. Et puis alors… un qui donnait un poulet une semaine, l’autre qui donnait un lapin…

MP : Elles n’avaient pas de salaire ?

MD : (…) Vers la fin, y a eu une loi qui a fait qu’elles étaient salariées. C’est un Monseigneur de Luçon, je crois, qui a fait passer cette loi.

MP : Cazaux (…). En 1951, il y a eu la loi Baranger…

MD : Pour faire reconnaître leur… On avait autant de bons résultats que les laïcs, des fois meilleurs (…).

MP : Cazaux. Il est venu au Gué, d’ailleurs, plusieurs fois (…).

MD : Je m’en rappelle, hein ! Tous ceux qui avaient des chevaux étaient montés à cheval pour aller au devant du Monseigneur Cazaux. C’était grandiose, hein ! Et c’était le jour de notre confirmation. Il n’y avait que l’évêque qui donnait la confirmation à l’époque (...).

Note de bas de page 9 :

Boulanger (Marcel Guilbot).

MP : On sait que les demoiselles Méchin faisaient de très bons gâteaux avec la recette de votre beau-père9 ! On cherche la recette des gâteaux. Mlle Méchin avait promis à Marcel qu’elle ne la donnerait pas. Vous n’êtes pas au courant ?

MD : Moi, j’ai vu la belle-mère faire ces gâteaux familiaux. Mais elle n’a jamais donné la recette. Elles les brassait d’ailleurs à la main. Moi, j’ai voulu l’avoir parce que c’était très commercial. Y en a un qui a fait sa fortune avec la recette de ça, un des environs de La Rochelle. Il me l’a dit d’ailleurs. Moi j’ai fait fortune avec la recette des gâteaux. Il en a envoyé au Japon, il en envoyait… Il a fait ça sur une grande échelle. Un gâteau très moelleux, très bon. C’était un peu genre quatre-quarts (…).

MP : Dans quelle pièce vous avez joué, alors ?

Note de bas de page 10 :

Jeanne.

MD : Je sais pas. Tout ce que je sais… Je devais avoir 19 ans. On commençait à se fréquenter avec mon futur mari. Et dans cette pièce, on était en train de me voler mon mari. C’était Mlle Gaignet10, qui était sourde, chapeau hein… c’était elle ma rivale !

[Examen de photos]

Note de bas de page 11 :

Il s’agit toujours de la même photo.

MP : Là vous avez 15 ans11 ?

MD : Oui !

MP : Donc ça fait la photo en 1948.

MD : Oui, à la sortie de l’école. On participait à l’époque au théâtre après la sortie de l’école. Et avant d’être mariée. Et avant : les garçons d’un côté, les filles de l’autre, hein !... Ah la la…

MP : Les filles avec Mlle Lucas…

MD : Voilà.

MP : Et les garçons avec le curé ?

MD : Après il y a eu quand même… l’abbé Bonnin. Qui a fait des théâtre mixtes.

MP : Ah… C’est le premier ?

MD : Le premier. Qui a dit à Mlle Lucas, « Vous m’emmerdez ! » [rires].

MP : Donc le théâtre mixte a commencé à ce moment-là…

MD : Parce qu’elle voulait que la répétition se fasse comme ci et comme ça… Et M. Bonnin voulait que ça se fasse autrement. Qu’il y ait plus de mixité, un peu.

MP : Pourtant il était sévère, parce que… je crois que le curé Bonnin a été plus ou moins chassé du Gué de Velluire.

MD : Oh oui ! Il disait bonjour à tout le monde ! Il serrait la main à tout le monde ! Ah, ça plaisait pas, hein ! Il a été chassé du Gué de Velluire mais il a emmené sa dame de compagnie…

MP : Quelqu’un du Gué ?

MD : La dame de compagnie est partie avec M. Bonnin à…

GB : Nesmy.

MP : Qui c’était cette dame ?

MD : Une très jolie femme… née au Gué. Mme Raison, une belle-sœur à Mlle Lucas. M. Bonnin a fait parler beaucoup de lui… Il a fait des jaloux. Moi, je m’en rappelle !... Ah, c’était un sacré curé ! Avec lui on en a fait des théâtres, et puis il était vraiment bien.

MP : C’était un vicaire, donc il était jeune.

MD : Oui.

MP : Le curé Gadé est arrivé au Gué en 1913 !

MD : Ah la ! Il a fait du travail (…). Oh, Bonnin s’est fait critiqué parce qu’il disait bonjour à tout le monde !

MP : Mais critiqué par le curé Gadé ou par les paroissiens ?

MD : Ben, y avait des clans. Il y avait les grenouilles de bénitier. Alors fallait pas parler à celui qui allait pas à la messe… Le mal qu’il a fait le curé Gadé… Il était obligé par sa hiérarchie…

Note de bas de page 12 :

Bonneau.

Note de bas de page 13 :

À une cinquantaine de km en direction de la Roche-sur-Yon. 1300 habitants en 1954.

Note de bas de page 14 :

GB avait 6-7 ans.

GB : Pour te donner une image, moi je suis allé… parce que mon père était au conseil curial. Et avec Bonnin, mon père était moderne ; il faisait partie des modernes, le père Marcel12. Et quand Bonnin est parti, on est allé manger à Nesmy13, invités (mon père, ma mère et moi14) par Bonnin. On est arrivé à la cure… C’était un Monsieur, Bonnin, quand même (…). On est passé à table. Il y avait une sonnette sur la table. Et nous mangions, mais la bonne n’était pas à table au grand regret de ma mère. Et elle venait après l’action de la sonnette ! (…).

MD : Quand M. Bonnin est parti, il a emmené sa mère avec lui. Comme gouvernante, ou…

GB : Nesmy était une grosse commune par rapport au Gué de Velluire (…)

MD : Et puis les gens donnaient beaucoup à Monsieur le curé. Toutes les semaines Monsieur le curé avait son panier garni par ses paroissiens.

MP : Mlle Lucas aussi ?

MD : Mlle Lucas aussi… Il faut dire que c’était une bonne directrice (…). Mon frère allait à l’école laïque - parce qu’on était commerçant, les garçons allaient à l’école laïque, et les filles à l’école libre – mon frère allait servir la messe au prêtre le matin.

MP : Et l’instituteur le savait ? Ça marchait ?

MD : Ça marchait. Oh oui, il était bien l’instituteur.

MP : Et vous avez entendu parler de l’instituteur Coutant ?

MD : Coutant, c’était l’instituteur privé pour les garçons (…).

MP : Quels étaient ses rapports avec le curé Gadé ?

MD : Bons rapports. Monsieur Coutant faisait son métier, je ne pense pas que ça allait plus loin (…).

MP : Et alors, M. Coutant et M. Bonnin ?

MD : Monsieur Bonnin était à sa place et Monsieur Coutant était à sa place.

MP : M. Coutant ne jouait pas au théâtre ?

MD : Je crois qu’il avait des éléments qui jouaient, des élèves. Lui n’a pas joué. Ni lui, ni Mlle Lucas.

MP : Ce Monsieur Coutant était moderne ?

MD : Il a été prisonnier et il était normal, quoi. Seulement, il y avait l’emprise de l’église… Il s’impliquait beaucoup pour les répétitions. D’ailleurs, des fois, avec Mlle Lucas, il y avait des frictions… Il fut un temps où il y avait la pièce des garçons et la pièce des filles. Après on a été mixte.

MP : Donc quand c’était séparé, lui s’occupait des garçons.

MD : Oui.

MP : Mais quand ça a été mixte ?

MD : C’était tous les deux. Mais bon, ça allait comme ça pouvait. Ils étaient tous les deux, mais il y avait Monsieur le curé aussi, Bonnin. Qui était là pour mettre son grain de sel et veiller au grain [rires].

MP : Il était du côté de Coutant ou du côté de Lucas ?

MD : Il était juste. A mon avis, il était juste Monsieur le curé Bonnin (…) Nous, notre classe, on l’a regretté parce qu’on discutait de tout avec lui, pas simplement de la religion. Et on avait des conférences – si on peut appeler ça… - avec lui. Tous les mois peut-être. Les 14-15 ans, les 16-18 ans… pour être anonyme, on avait une petite boîte, puis on mettait la question qu’on voulait, c’était anonyme, on signait pas.

MP : C’était son système à lui ?

MD : Oui, parce qu’autrement il pouvait pas faire parler. Ça je m’en souviens ! (…)