Projet ALOHA : Interféromètre fibré à conversion de fréquence dans le moyen et lointain infrarouge ALOHA project: Fibred up-conversion interferometer in mid and far infrared

Julie Magri ,
Ludovic Grossard ,
Laurent Delage 
et François Reynaud 

https://doi.org/10.25965/lji.83

Les moyens d’observation en astronomie n’ont cessé d’évoluer au fil des siècles. L’utilisation de réseaux de télescopes permet aujourd’hui d’avoir des détails de plus en plus fins dans les images obtenues (grande résolution). Dans ce contexte, le projet ALOHA propose une approche totalement originale consistant à changer la couleur de la lumière de l’objet observé au niveau de chaque télescope du réseau avant de la détecter. Cela permet d’éviter d’utiliser des systèmes de cryogénie très coûteux et complexes nécessaires lors de la collecte de lumière moyen et lointain infrarouge. Ce document présente quelques éléments sur nos activités de recherche sur le projet ALOHA.

The means of observation in Astronomy have continued to evolve over the centuries. The use of telescope arrays allows astronomers to have finer and finer details in the images obtained (high resolution). In this context, the ALOHA project proposes a completely original approach consisting in changing the color of the light of the object observed at the level of each telescope of the array before the detection. This avoids the use of the very expensive and complex cryogenic systems required when collecting medium and far infrared light. This document presents some elements of our research activities on the ALOHA project.

Sommaire

Texte

Introduction

Les moyens d’observations en astronomie n’ont cessé d’évoluer au fil du temps depuis la lunette de Galilée au XVIe siècle, jusqu’à la création de grands télescopes comme, par exemple, le Canada-France-Hawaii Télescope (Mauna Kea, Hawaii, USA) de 3,58 mètres de diamètre au XXe siècle ou l’installation au XXIe siècle au Chili de plusieurs VLT (Very Large Telescope) de 8 mètres de diamètre chacun.

Les observations en astronomie nécessitent des télescopes toujours plus grands, d’une part pour collecter un maximum de lumière et ainsi imager des objets toujours moins lumineux, mais également pour obtenir davantage de détails fins dans les images enregistrées. On parle alors de résolution angulaire. Les dimensions des miroirs primaires des télescopes sont toutefois limitées à une dizaine de mètres actuellement pour les télescopes monolithiques existants, et jusqu’à 39 mètres pour le futur télescope géant européen EELT, qui devrait voir sa première lumière en 2027, et dont la construction débute tout juste.

Ce document présente quelques éléments sur nos activités de recherche sur le projet ALOHA : l’interféromètre à conversion de fréquence dans le moyen et lointain infrarouge.

1. Intérêt de l’imagerie par un réseau de télescopes

La synthèse d'ouverture est une technique d'imagerie haute résolution qui permet de dépasser les limites de performance des grands télescopes monolithiques (Figure 1) en terme de résolution angulaire. La méthode consiste à utiliser plusieurs télescopes de « petit diamètre », mais fonctionnant en réseau (Figure 2). Le réseau de télescopes se comporte alors comme un interféromètre optique.

Figure 1 : Résolution angulaire limitée avec des télescopes classiques monolithiques avec des diamètres allant de 1 à 10 mètres.

Figure 1 : Résolution angulaire limitée avec des télescopes classiques monolithiques avec des diamètres allant de 1 à 10 mètres.

Figure 2 : Grande résolution angulaire mesurée avec l’utilisation d’un réseau de télescopes et de l’interférométrie. Les distances entre les télescopes peuvent atteindre jusqu’à 300 mètres.

Figure 2 : Grande résolution angulaire mesurée avec l’utilisation d’un réseau de télescopes et de l’interférométrie. Les distances entre les télescopes peuvent atteindre jusqu’à 300 mètres.

L’utilisation de l’interférométrie permet donc d’avoir une grande résolution angulaire. Ainsi, plus la résolution angulaire est grande et plus les détails que l’on peut observer sont fins. Pour avoir des ordres de grandeurs, dans le visible pour une longueur d’onde de 500 nm : la résolution d’un œil humain (diamètre de pupille de 2mm) permet de voir une balle de ping pong (2,5 cm) à 100 m, la résolution d’un télescope de 2 mètres de diamètre permet de voir cette même balle de ping pong à 100 km et la résolution d’un réseau de télescopes de 200 mètres de diamètre permet de voir la balle de ping pong à 10 000 km. On comprend alors l’intérêt d’avoir une grande résolution angulaire.

Avec un interféromètre, on ne réalise pas directement une image mais on combine les faisceaux issus de chacun des télescopes afin de créer des interférences entre les ondes lumineuses. On mesure alors la ressemblance entre les deux ondes collectées par les télescopes. Plus les ondes se ressemblent, plus les franges d’interférences sont contrastées (zones brillantes très brillantes et zones sombres très sombres) (Figure 3). On ne peut obtenir des interférences que si les distances parcourues par chacune des ondes lumineuses sont identiques. Pour égaliser toutes ces distances, on va utiliser des « Lignes à retard » afin de retarder certaines ondes par rapport à d’autres.

Figure 3 : Mesure d’interférences à l’aide de deux télescopes, c’est-à-dire la mesure de la ressemblance entre les deux ondes lumineuses collectées par les télescopes.

Figure 3 : Mesure d’interférences à l’aide de deux télescopes, c’est-à-dire la mesure de la ressemblance entre les deux ondes lumineuses collectées par les télescopes.

Ce signal obtenu permet d’obtenir des informations sur le spectre spatial de la source observée pour, ensuite, reconstruire une image de l’objet observé par des algorithmes de calcul adaptés.

Il existe à ce jour plusieurs grands instruments fonctionnant sur ce principe, comme le VLTI (Very Large Telescope Interferometer), situé au sommet du Mont Paranal au Chili, ou encore le réseau de télescopes CHARA (Center for High Angular Resolution Astronomy) à l'observatoire du Mont Wilson en Californie (Figure 4). Ces réseaux de télescopes permettent d’obtenir la même résolution angulaire qu’un télescope unique de plusieurs centaines de mètres de diamètre !

Figure 4 : Observatoire du Mont Wilson, Californie. ©CHARA

Figure 4 : Observatoire du Mont Wilson, Californie. ©CHARA

2. Projet ALOHA : Le mariage de l’astronomie haute résolution et de l’optique non linéaire

Les réseaux de télescopes tels que le VLTI ou CHARA sont très performants dans le domaine du visible et du proche infrarouge (entre 400 nm et 1800 nm), grâce à la disponibilité de composants et de capteurs efficaces et peu bruités dans ces domaines spectraux. En revanche, la transposition de ces techniques dans le domaine du moyen infrarouge ou de l'infrarouge lointain (pour l'observation d'exoplanètes, de naines brunes ou plus généralement d’objets plutôt froids) est à l'heure actuelle très difficile, voire impossible, du fait de l'absence de composants adaptés et de la nécessité d’utiliser des systèmes de cryogénie coûteux et complexes.

2.1. Intérêt et présentation du projet ALOHA

Depuis bientôt 15 ans, notre équipe de recherche propose, par le biais du projet ALOHA (Astronomical Light Optical Hybrid Analysis) [1], une approche totalement originale consistant à changer la couleur de la lumière de l’objet observé au niveau de chaque télescope du réseau. La lumière est transposée du domaine de l'infrarouge moyen et lointain vers le domaine de l’infrarouge proche, sans toutefois détériorer les précieuses informations sur l’objet observé portées par les photons (grains de lumière) collectés. Nous utilisons pour cela des cristaux dits « non linéaires », qui permettent d’effectuer ce changement de couleur. Ce phénomène est appelé conversion de fréquence : les photons venant de l’espace sont mélangés dans les cristaux non linéaires avec un faisceau laser, appelé laser de pompe, dont le rayonnement est d’une grande pureté spectrale. Ce changement de couleur évite l’utilisation de systèmes de cryogénie complexes et permet d’utiliser des composants très performants et peu bruités pour la détection. Il permet également l’utilisation de fibres optiques pour acheminer la lumière collectée par chacun des télescopes vers la station de recombinaison et rend ainsi possible le développement de réseaux de télescopes dont la distance entre les télescopes peut être kilométrique, donnant alors accès à des résolutions angulaires inatteignables actuellement !

2.2. Stratégie du projet ALOHA

Figure 5 : Stratégie du projet ALOHA

Figure 5 : Stratégie du projet ALOHA

La Figure 5 présente un schéma de notre stratégie pour le projet ALOHA. Afin de mettre en œuvre des instruments travaillant à des longueurs d’ondes élevées (moyen et lointain infrarouge), la première étape a consisté à démontrer que le principe fonctionne effectivement à des longueurs d’ondes plus petites. L’année 2015 a marqué un tournant dans notre projet de recherche, où nous avons réussi pour la première fois à obtenir des interférences sur le ciel avec notre système, où nous avons converti de la lumière proche infrarouge (1,5 µm) émis par des étoiles vers le domaine du visible. L’expérimentation a eu lieu avec l’instrument américain CHARA, au sommet du Mont Wilson, et a donné lieu à une publication dans la revue Physical Review Letters l’année suivante [2].

Ensuite, en 2020, un banc convertissant de la lumière à 3,5 µm vers 820 nm a été mis en œuvre en laboratoire (Figure 6 – gauche) et les résultats obtenus sont très encourageants pour la mise en œuvre sur le ciel [3]. Une adaptation et une miniaturisation de l’instrument est en cours pour s’adapter aux conditions réelles à CHARA (Figure 6 – droite).

Figure 6 : Une partie du premier interféromètre à conversion de fréquence en laboratoire fonctionnant à 3,5 µm (gauche). Miniaturisation et adaptation pour CHARA de cette partie de l’interféromètre (droite).

Figure 6 : Une partie du premier interféromètre à conversion de fréquence en laboratoire fonctionnant à 3,5 µm (gauche). Miniaturisation et adaptation pour CHARA de cette partie de l’interféromètre (droite).

Figure 7 : Schéma du projet ALOHA avec une conversion 3,5 µm (moyen infrarouge) vers 820 nm (proche infrarouge).

Figure 7 : Schéma du projet ALOHA avec une conversion 3,5 µm (moyen infrarouge) vers 820 nm (proche infrarouge).

La Figure 7 présente un schéma de la future mise en œuvre du projet à 3,5 µm à CHARA. La lumière à 3,5 µm est collectée via deux télescopes, puis convertie en un signal à 820 nm à l’aide de cristaux non linéaires (Figure 8). La lumière convertie passe alors dans des fibres optiques de 240 m de long puis dans les lignes à retard de CHARA (Figure 9). Les lignes à retard permettent d’égaliser la longueur du parcours de la lumière dans les deux parties de l’interféromètre avant la recombinaison des ondes lumineuses. Après avoir recombiné les signaux, on mesure à l’aide de deux détecteurs des franges d’interférences à 820 nm.

Figure 8 : Cristaux non linéaires réalisant le changement de couleur des photons.

Figure 8 : Cristaux non linéaires réalisant le changement de couleur des photons.

Figure 9 : Lignes à retard du réseau de télescopes CHARA

Figure 9 : Lignes à retard du réseau de télescopes CHARA

Lorsque la mise en œuvre de l’instrument à 3,5 µm sera terminée et que des résultats seront obtenus sur le ciel, une étude à 10 µm (lointain infrarouge) en laboratoire puis sur le ciel sera réalisée. Un instrument fonctionnant à 10 µm permet de détecter des corps célestes émettant à température ambiante. Un tel instrument pourrait permettre de potentiellement détecter des exoplanètes pouvant abriter la vie.

Conclusion

Le projet ALOHA est une belle aventure scientifique avec un principe innovateur, mais aussi humaine que ce soit au laboratoire XLIM à Limoges, mais aussi dans le cadre de collaborations fructueuses avec d’autres équipes de recherche comme la Georgia State University aux États-Unis, et toute l’équipe du réseau de télescopes CHARA au Mont Wilson, le laboratoire FEMTO-ST et le centre d’ingénierie FEMTO Engineering à Besançon avec qui nous travaillons pour la mise au point des cristaux non-linéaires ou encore l’équipe de l’observatoire de la Côte d’Azur (OCA), qui nous a permis notamment de réaliser des tests sur l’instrument C2PU (Caussols, France).

La concrétisation de ce projet pourrait révolutionner le domaine de l’astronomie en apportant de nouvelles possibilités d’observations stellaires.