Rubén TREJO MUÑOZ (dir.), Las magonistas (1900-1932), México, Ediciones Quinto Sol, 2021, 663 p., ISBN : 978-607-8520-38-1
« Un panorama de l’anarchisme au féminin »

Sofía MATEOS GÓMEZ 

Le volume Las magonistas (1910-1932)1, de l’historien mexicain Rubén Trejo Muñoz, paru en 2021, propose une compilation d'articles de militantes anarchistes publiés dans plusieurs journaux (Regeneración, Revolución, ¡Tierra!, Sagitario et ¡Avante!, entre autres), accompagnés de deux essais introductifs, un index onomastique et une liste de références essentielles pour l'étude de ce sujet.

The volume Las magonistas (1910-1932), by Mexican historian Rubén Trejo Muñoz, published in 2021, offers a compilation of articles by female anarchist activists published in several different newspapers (Regeneración, Revolución, ¡Tierra!, Sagitario and ¡Avante!, among others), accompanied by two introductory essays, an onomastic index and a list of essential references for the study of this subject.

Texte

1L’historiographie de la participation des femmes à la Révolution mexicaine possède une tradition forte et constante depuis plusieurs décennies. Dès les années 1990, des historiennes et chercheuses féministes ont tourné leur regard vers les textes (tant littéraires que journalistiques) de femmes mexicaines engagées dans différentes factions de la Révolution mexicaine. 

2La récupération de ces textes a commencé avec des volumes publiés (fréquemment des œuvres poétiques ou narratives), écrits pour la plupart par des femmes de classe moyenne des grandes villes, qui avaient accès à l’éducation et se trouvaient liées à certaines élites intellectuelles. On peut citer, dans à cet égard l’édition des œuvres complètes (1987, par Luis Mario Schneider) et épistolaires (2005, par Fabienne Fradu) d’Antonieta Rivas Mercado ; la parution de Obra reunida de Nellie Campobello (2007, par Juan Bautista Aguilar) ou bien les études récentes sur Consuelo Delgado (par Sarah Bowskill) et Blanca Lydia Trejo (par Carmen Domínguez Gutiérrez). Peu à peu, l’intérêt pour la participation des femmes mexicaines au journalisme a également augmenté. Bien que ces recherches présentent des difficultés plus importantes (étant donné que la conservation des journaux est moins systématique), elles sont essentielles car elles permettent d’accéder à l’écriture de femmes issues de situations et de contextes différents. 

3Avec le volume Las magonistas (1910-1932), l’historien Rubén Trejo Muñoz apporte une contribution fondamentale à l’étude de la participation des femmes mexicaines au journalisme révolutionnaire et, plus précisément, au mouvement anarchiste magonista. Il nous invite à la découverte d’articles de militantes, presque oubliées par l’histoire officielle, ainsi qu’à celle de leur rhétorique, de leurs préoccupations et de leur force d’appel à l’action. 

4Las magonistas recueille des textes issus de divers journaux anarchistes, notamment Regeneración, Revolución, ¡Tierra!, Sagitario et ¡Avante!. Formé à l’Instituto Mora (Master en Histoire Moderne et Contemporaine), Trejo Muñoz est un spécialiste de l’anarchisme au Mexique. Son approche du mouvement n’est toutefois pas uniquement théorique dans la mesure où il appartient lui-même à plusieurs réseaux militants. Il est notamment affilié au Colectivo Autónomo Magonista et à la Federación Anarquista de México. Il déclare s’être intéressé à l’anarchisme – autant mexicain qu’étranger – au début de ses études universitaires, dans les années 1980. Il a donc un parcours déjà important comme historien engagé de l’anarchisme mexicain. En 2005, il a publié Magonismo 1910-1913: Utopía y Revolución (chez l’éditeur Cultura Libre), une étude centrée sur le développement parallèle d’une théorie et d’une praxis anarchiste durant la Révolution mexicaine. Une deuxième édition de ce livre est parue en 2010, chez l’éditeur catalan Aldarull Edicions, dans le cadre d’un projet ouvertement anarchiste et autogéré, qui a pour but de réunir et de donner accès à une collection de littérature dite « libertaire ». Cohérente en ce qui concerne les principes d’égalité et d’accès à la connaissance et à la culture, la maison d’édition a fait de ce livre un document gratuit, en accès libre.

5Las magonistas suit la même ligne thématique que le volume précédent, mais se concentre, cette fois, sur la pensée anarchiste développée par les femmes au Mexique. Le livre appartient à la collection d’études historiques et sociologiques de la maison d’édition mexicaine Quinto Sol. D’une lignée moins explicite que l’anarchisme de Aldarull Edicions, Quinto Sol publie cependant des textes qui transmettent une pensée critique, tels que 1968-2018. 50 años de represión, despojo y resistencia de Enrique Ávila Carrillo et Odín Ávila Rojas (2018), La perspectiva de género en la Ciudad de México: entre la realidad y el discurso oficial de María Stella Oranday Dávila (2018) et El socialismo por venir de Víctor Acuña Soto et Myrna Alonzo Calles (2018). En ce qui concerne l’histoire politique des femmes mexicaines, Quinto Sol publie, en 2019, Mujeres comunistas en México en los años treinta, de l’historienne féministe Natura Olivé.

6Las magonistas suit la même tendance quant à la mise en lumière du militantisme féminin durant la Révolution. Le volume de 664 pages contient une présentation de Trejo Muñoz, deux essais introductifs de María del Pilar Padierna Jiménez et de Nayeli Morquecho Estrada, une collection d’articles journalistiques organisée en trois grandes parties, une liste de sources et de références bibliographiques et, enfin, un index nominum

7La présentation de Trejo Muñoz relate les circonstances qui ont mené à la création de ce livre, les difficultés rencontrées (notamment la disparition de nombreux numéros de journaux) et la logique présidant à l’organisation des articles en trois groupes. La division est chronologique (1900-1910, 1910-1920, 1920-1932), mais correspond aussi à trois étapes différentes de la Révolution : la période de lutte contre la dictature de Porfirio Díaz, l’époque des guerres entre les factions révolutionnaires et, enfin, la phase de résistance contre les gouvernements du nouveau régime.

8Après cette présentation de la structure du livre, María del Pilar Padierna Jiménez explore la possibilité de considérer les articles des magonistas comme des textes féministes, dans son essai « Las magonistas y los feminismos en México ». Professeure et chercheuse à l’Universidad Nacional Autónoma de México, politologue féministe et auteure de Educarse ciudadanas en los movimientos sociales: las mujeres zapatistas (2012), Padierna offre un panorama général de l’histoire des féminismes au Mexique et propose une série de sujets traités par les magonistas qui correspondent aux inquiétudes féministes, sans nécessairement faire référence de manière explicite au mouvement. Si la localisation et la mise en évidence de ces sujets apparaissant tout au long du journalisme magonista offre un guide précieux, l’essai aurait pu donner davantage d’outils au public lecteur. Il aurait pu citer des études sur l’histoire des féminismes au Mexique, parmi lesquelles on pourrait mentionner les travaux de Patricia Galeana, Ana Lau Jaiven ou Martha Eva Rocha Islas, ces dernières étant spécialistes de la participation des femmes à la Révolution Mexicaine. 

9L’essai « Mujeres anarcomagonistas, la revolución y la tinta » de Nayeli Morquecho Estrada, sociologue anarchiste et féministe ayant publié des études sur la magonista Margarita Ortega Valdés, aborde quant à lui la question de « l’archétype » de la femme anarchiste. En évoquant des figures d’anarchistes comme Louise Michel et Emma Goldman, et à partir de citations tirées des articles des magonistas, l’auteure retrace certaines des positions partagées par ces journalistes : appel à l’action concrète, anticléricalisme, opposition au féminisme « réformiste » (celui qui cherche à intégrer les femmes dans le système, au lieu de le démanteler). Malgré les évocations assez générales du féminisme européen et mexicain, l’essai parvient à inciter à la lecture des articles recueillis. 

10Chaque bloc de la collection d’articles des magonistas est précédé d’une brève introduction de quelques pages, préparée par Trejo Muñoz, qui établit le contexte historique et politique de chaque période traitée et qui introduit les personnages évoqués dans les articles. En outre, chaque texte contient des notes de bas de page qui aident les lecteurs et les lectrices à localiser et à identifier les personnes, les publications et les événements mentionnés. 

11Le volume se termine par une recension des archives et journaux consultés, une très brève liste de références (où l’on constate l’absence des ouvrages sur le journalisme politique des femmes mexicaines au début du XXe siècle, comme les recherches de Yanna Hadatty, Cristina Devereaux, Elvira Hernández ou encore Joel Bollinger, pour ne citer qu’elles) et un index nominum très soigné et complet.  

12Las magonistas fait preuve de deux qualités : tout d’abord, il présente les articles des magonistas comme un ensemble, montrant ainsi que la participation des femmes mexicaines dans le journalisme engagé du début du XXe siècle est loin d’être marginale ou négligeable. Ce volume prouve qu’elles ont participé activement à la construction d’un imaginaire, d’une idéologie et d’une voie d’action anarchistes. En outre, ce volume offre aux chercheurs un outil précieux qui leur permet d’accéder à des textes appartenant à diverses archives – dont certaines ne sont pas ouvertes au public, telles que la collection privée d’Aurora Mónica Alcayaga Sasso. Cet ouvrage est donc une source indispensable pour mesurer et comprendre la portée de la participation féminine au mouvement anarchiste mexicain.