Comment favoriser l’apprentissage des sons de l’anglais par de jeunes locuteurs non natifs ? How to favour early learning of English sounds by non-native speakers?

Christelle EXARE 
et Jacqueline VAISSIÈRE 

https://doi.org/10.25965/espaces-linguistiques.618

Cet article présente la réalisation d’un cours expérimental de prononciation des voyelles et des consonnes de l’anglais en L2, spécialement créé pour les écoliers français âgés de 5 à 9 ans. Le cours, fondé sur les principes de CleanAccent©, est conçu pour un apprentissage phonétique préliminaire à toute acquisition du vocabulaire, visant à éviter la fossilisation d’erreurs de prononciation couramment observées. Après quelques remarques générales sur l’enseignement de l’anglais en France, cet article décrit le but de l’expérience : dix heures offertes en présentiel dans une classe pour un apprentissage complet de tous les phonèmes. Il présente ensuite en détail les stratégies pédagogiques sélectionnées durant ces séances d’entraînement : a) la progression dans les 10 leçons guidée par les oppositions phonologiques à acquérir, b) la représentation de chaque voyelle de l’anglais (API) par une image et par une séquence de gestes, avec l’évitement du recours à l’orthographe, c) un jeu de 20 planches de loto illustrant du vocabulaire répondant à la progression choisie et accessible aux enfants, d) l’utilisation de plusieurs locuteurs pour favoriser la phonologisation, e) des vidéos d’accompagnement sur YouTube, f) des jeux mis en ligne, g) et l’apprentissage passif éveillé. Les ressources, réelles et virtuelles, ont été mises à l’essai en partie dans une école d’Évreux. L’expérimentation mène à de nouveaux projets que nous décrivons à la fin de cet article.

This paper presents an experimental pronunciation course on vowels and consonants, specially made for French schoolchildren aged 5 to 9. The course, based on the principles of CleanAccent©, is designed to avoid the fossilization of commonly observed errors, through a phonetic learning program preceding any vocabulary acquisition. After some general remarks on L2 English teaching in France, this article describes the goal of the experiment: offering 10 teaching sessions covering all the phonemes of English in a classroom setting. Then the choices that were made are presented: a) lesson mapping in ten steps—targeting phonological contrasts, b) an illustrated IPA vowel chart with vowel representation through pictures and gestures, spelling being altogether ruled out, c) a set of 20 lotto boards showing child-friendly vocabulary and matching the lesson plans, d) multiple-speaker auditory inputs to favor phonologization, e) companion videos to the course available online, f) online games, g) passive learning through relaxation exercises. Our real and virtual resource pack was tested in a school in Evreux. The experiment has opened up new projects that are described at the end of this article.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

1 % niveau faible

2Le faible niveau des élèves francophones dans leur apprentissage de l’anglais est bien connu. La première enquête européenne de 2012 (Première Enquête européenne sur les compétences linguistiques 2012) a évalué les compétences en écoute, en écriture et en lecture des étudiants de 14 pays européens et a clairement montré que les étudiants français sont peu performants. Malheureusement, nous manquons de données officielles actualisées et détaillées concernant le niveau des élèves français en anglais oral L2. En effet, CEDRE 2004 et 2010 (Méthodologie du Cycle des Évaluations Disciplinaires Réalisées sur Échantillon (Cedre) en fin d’école et fin de collège, 2004) concerne toutes les compétences langagières sauf l’expression orale. Cette dernière est cependant intégrée aux évaluations à partir de 2016. Le CNESCO (Conseil National d’Évaluation du système SCOlaire) observe qu’au collège, en anglais, « 75 % des élèves ne sont pas capables de produire une langue globalement correcte », avec « une prononciation hasardeuse » (CNESCO, 2019, p. 18). Ce diagnostic médiocre de la situation de l’apprentissage de l’anglais en France est partagé par la communauté scientifique et fait l’objet de nombreux rapports (Legendre, 1995, 2003 ; Halimi, 2012 ; L’état de l’École : 32 indicateurs sur le système éducatif français, 2012 ; Beuzon, Boucé, Garcia, Keskpaik & Marchois, 2013) et propositions (Narcy-Combes, Tardieu, Le Bihan, Aden, Delassalle, Larreya & Raby, 2008 ; Taylor & Manes-Bonnisseau, 2018).

3 % difficulté de la prononciation

4La prononciation de l’anglais est difficile pour les apprenants francophones, pour de nombreuses raisons bien identifiées (Vuletić, 1965 ; Adamczewski & Keen, 1973 ; Faure, 1975 ; Huart, 2002 ; Capliez, 2011). Les problèmes se situent aux niveaux segmental (Delattre, 1965 ; Exare, 2017, entre autres) et suprasegmental (Tortel, 2009 ; Horgues, 2010, entre autres). De nombreux facteurs pourraient expliquer les difficultés des élèves francophones dans leur prononciation de l’anglais L2 : les dispositions articulatoires (Honikman, 1964) et les modes phonétiques différents (Delattre, 1953), les inventaires phonémiques disjoints (Ginésy, 2005), la surdité accentuelle à laquelle sont exposés les Français (Dupoux, Pallier, Sebastian & Mehler, 1997) ou encore une pédagogie inadaptée (Herry-Bénit, 2008) abordant insuffisamment la motivation et l’évaluation (Herry-Benit & Pillot-Loiseau, 2012). Ceci est regrettable, car on sait, par exemple, que l’entraînement phonétique atténue la surdité accentuelle (Carpenter, 2015), améliore la catégorisation des phonèmes (Iverson, Pinet & Evans, 2012) et les réalisations phonétiques des mots commençant par /h/ ou une voyelle (Exare, 2022). On recommande aussi un apprentissage précoce (Gaonac’h & Macaire, 2019), censé être un fort vecteur de motivation (Voise, 2018).

1. Contexte d’enseignement de l’anglais dans les écoles en France en 2022

1.1. Quel public ?

Note de bas de page 1 :

Malgré les dispositions prises par les gouvernements ces dernières années pour 1) former les professeurs des écoles avec l’introduction de la langue vivante étrangère comme épreuve orale facultative d’admission au concours de professeur des écoles depuis 2020 et 2) les motiver, par exemple avec l’ouverture des certifications complémentaires aux enseignants du premier degré à partir de 2019 (cf. aptitude à enseigner une discipline non linguistique en langue vivante).
https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=143919

Note de bas de page 2 :

Evaluations repères CP, CE1 (cours préparatoire et cours élémentaire 1ère année) Document de travail n° 2021-E06. Série Études, Novembre 2021. Ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP).

Note de bas de page 3 :

https://www.education.gouv.fr/renforcement-de-l-apprentissage-de-l-anglais-oral-au-college-et-au-lycee-4931

5En France, l’anglais est théoriquement enseigné dès la scolarité en école élémentaire. Les élèves de 6-7 ans sont censés être initiés à une langue étrangère par un cours hebdomadaire de 90 minutes (Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, 2013). Toutefois, cette politique ambitieuse française peine à être mise en œuvre de manière adéquate pour deux raisons principales. Premièrement, les enseignants du primaire manquent de formation (Voise, 2010)1 pour enseigner sans intermédiaire la deuxième langue que les écoles et les familles privilégient parmi toutes les autres pour l’enseignement : l’anglais (Halimi, 2012, p. 20). Deuxièmement, les mathématiques et le français ont longtemps eu la priorité sur les langues secondes dans notre système scolaire national français2. Or, l’anglais est appris plus tard, au collège et au lycée, par 97 % des élèves dans notre système français (données de 2020)3.

1.2. Qu’enseigne-t-on ?

Note de bas de page 4 :

https://eduscol.education.fr/1726/programmes-et-ressources-en-langues-vivantes-voie-gt ;
https://www.education.gouv.fr/les-programmes-du-college-3203

Note de bas de page 5 :

https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages

6Dans les écoles françaises (Capliez, 2015) tout comme à l’étranger (Frost & Henderson, 2013 ; Pourhosein Gilakjani & Sabouri, 2016), la prononciation de l’anglais n’est pas toujours mise au premier plan. Du primaire au secondaire, l’anglais est enseigné par l’entrée civilisationnelle ou culturelle4, et selon les principes du Cadre européen commun de référence pour les langues (2018)5 qui encourage l’intelligibilité plutôt que la recherche de l’exactitude d’un modèle natif en matière de prononciation. Par exemple, au cycle 3, la figure 1 montre que l’enseignement s’articule autour de quatre activités langagières (expression orale en continu, expression orale en interaction, compréhension auditive, expression écrite).

Note de bas de page 6 :

En juin 2023, le nouveau programme de cycle 3 intègre une compétence supplémentaire en langues vivantes : « Lire et comprendre ». https://eduscol.education.fr/document/50990/download. De plus, le Ministère de l’Éducation Nationale publie un « Guide pour l’éveil à la diversité linguistique en maternelle » qui, tout en renouant avec l’objectif ancien d’éveiller les jeunes enfants du cycle 1 à la pluralité des langues du monde, laisse au lecteur pédagogue la responsabilité de créer les ressources pédagogiques et didactiques lui-même. https://eduscol.education.fr/document/50921/download?attachment

Figure 1. Programme du cycle 3 de consolidation (CM1, CM2, 6ème) en langues vivantes6

Figure 1. Programme du cycle 3 de consolidation (CM1, CM2, 6ème) en langues vivantes6

Source : https://www.education.gouv.fr/les-programmes-du-college-3203

7La langue étrangère est devenue le vecteur socioéconomique de la mondialisation. En conséquence, les apprenants non natifs, en tant que futurs agents économiques et sociaux, sont encouragés à apprendre la langue étrangère par des approches fondées sur des tâches (Manoïlov, 2019), imitant la réalité du marché de l’emploi et des échanges internationaux. La fluidité dans les interactions et la capacité à se faire comprendre sont perçues comme étant plus utiles que l’exactitude grammaticale, lexicale ou phonologique. L’objectif principal est qu’un locuteur comprenne et soit compris. La langue étrangère sert à interagir avec d’autres et à agir sur son environnement et ses pairs. L’essentiel est alors de développer des compétences sociales et pragmatiques en langue étrangère, et non pas d’avoir une « bonne » prononciation. Notons qu’il est difficile de définir exactement ce qu’est une bonne prononciation. Une « bonne » prononciation ou une prononciation suffisamment bonne est, selon nous, une prononciation qui, si elle n’est pas strictement identique phonétiquement à celle d’un natif, évite les glissements sémantiques grâce à la conscience des oppositions phonologiques de la langue (contrastes entre phonèmes) et grâce à l’existence des habitudes articulatoires, rythmiques (répétition de schémas dans le temps) et mélodiques (variation et courbe de la fréquence du fondamental) de la langue cible.

1.3. Comment l’anglais est-il enseigné dans les petites classes ?

Note de bas de page 7 :

https://eduscol.education.fr/164/langues-vivantes-cycles-2-3-et-4

Note de bas de page 8 :

https://eduscol.education.fr/159/guide-pour-l-enseignement-des-langues-vivantes-etrangeres

Note de bas de page 9 :

https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo22/MENE1915455N.htm
À l’école maternelle, l’apprentissage précoce des langues est optimisé lorsque les enfants jouent, réfléchissent, s’exercent et entraînent leurs capacités mnésiques.

Note de bas de page 10 :

Edumoov est connu des enseignants stagiaires de l’enseignement élémentaire https://www.edumoov.com/
Citons aussi La clé des langues : https://cle.ens-lyon.fr/ 
Les sites académiques : https://primlangues.education.fr/references/sites-academiques
Neopass action : http://neo.ens-lyon.fr/neo
Captain Kelly (2022) : https://eduscol.education.fr/2974/enseigner-l-anglais-l-ecole-avec-captain-kelly

Note de bas de page 11 :

Voir la circulaire de 2019 pour les LV en école maternelle : https://eduscol.education.fr/2326/langues-vivantes

Note de bas de page 12 :

https://www.lasalledesmaitres.com/ressources/?swoof=1&product_tag=anglais

Note de bas de page 13 :

Education Endowment Foundation-Evidence Summaries : https://educationendowmentfoundation.org.uk/evidence-summaries/teaching-learning-toolkit/phonics/

Note de bas de page 14 :

https://www.education.gouv.fr/bo/13/Hebdo32/MENE1318869D.htm

8Le ministère français de l’Éducation nationale publie des « programmes articulés au socle commun de connaissances, de compétences et de culture » (Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, 2015) avec des ressources d’accompagnement7, guides8 et circulaires9 pour l’enseignement de l’anglais L2 dans les petites classes. Deux observations doivent être faites. Premièrement, les progressions suggérées reposent peu sur des bases phonétiques et phonologiques. Deuxièmement, les consignes restent des suggestions, des pistes et des exemples, sans qu’aucune directive ni méthode d’enseignement officielle, en version papier, ne soit publiée par le Ministère. Les éditeurs, quant à eux, investissent peu ce domaine. Les enseignants du primaire en formation sont invités à concevoir leur propre matériel. Pour ce faire, ils bénéficient d’un grand nombre de ressources en ligne pour concevoir leurs plans de cours10. Ces ressources, par ailleurs très utiles, ont des inconvénients : i) elles sont éparpillées sur internet, de sorte que leur consultation est chronophage11, ii) elles sont parfois payantes12, iii) elles sont surtout fondées sur des principes communicatifs et culturels et offrent peu d’éclairage sur la prononciation. Finalement, les ressources de type « phonics » (EEF, 2018)13 traitent rarement de l’articulation de la parole proprement dite, mais plutôt de l’orthographe. Or, on sait que l’absence de correspondance stricte graphie-phonie en anglais et en français rend difficile l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour les élèves (Moll, Ramus, Bartling et al., 2014). Notre positionnement est donc d’éviter le recours à l’orthographe pour l’apprentissage de la prononciation de l’anglais dans les petites classes, c’est-à-dire en cycle 1 ou 214.

1.4. Quelle est la situation institutionnelle aujourd’hui ?

Note de bas de page 15 :

https://www.education.gouv.fr/bo/13/Hebdo38/REDE1324999C.htm?cid_bo=74338

9Le partenariat entre enseignants et chercheurs a longtemps été difficile (Desgagné, 1997). Le contexte institutionnel semble dorénavant favorable pour que des expériences de recherche collaborative comme la nôtre soient régulièrement menées dans de vraies classes (Article L. 314-2, Loi pour une École de la confiance, 2019). De plus, la coéducation est devenue une priorité du gouvernement français15, les relations entre les familles et les écoles étant complexes et tendues depuis longtemps (Meirieu & Hameline, 2000). Ce projet a l’ambition de favoriser un triple soutien de l’enfant-apprenant : les maîtres et maîtresses, les familles, et nous-mêmes, enseignants-chercheurs. Les recommandations gouvernementales suggèrent de privilégier des séances d’exposition courtes et régulières des enfants à l’anglais. Il est conseillé 15 à 20 minutes par jour à l’école primaire (Taylor & Manes-Bonnisseau, 2018 ; Un plan d’actions pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères, 2022).

2. Les principes de base de CleanAccent©

10À partir de ces observations, nous avons conçu une méthode modulable, évolutive et ludique. Inspiré par les résultats récents de la recherche en psycholinguistique sur la mémorisation et l’apprentissage passif et actif, l’objectif principal de notre méthode est d’éviter la fossilisation des erreurs de prononciation dans l’apprentissage précoce de l’anglais. La première étape de la méthode CleanAccent© est une pratique intensive de la production et de la perception des sons de l’anglais L2, principalement dans des mots monosyllabiques, avec une approche de l’accent lexical et de la réduction vocalique dans quelques mots dissyllabiques. Les principes de base qui ont été entièrement mis en œuvre sont les suivants :

  • Les 20 voyelles et 24 consonnes de l’anglais britannique sont enseignées avec progressivité dans différents contextes : à l’isolé pour les voyelles, dans des mots de préférence monosyllabiques, dans des groupes nominaux partageant la même voyelle (tel que « green sheep », et l’image d’un mouton vert représente la voyelle /i :/ sur le triangle vocalique).

  • Il est plus facile d’apprendre des sons nouveaux que des sons similaires (Flege, 1987). La progression prend acte des sons anglais les plus confondus avec le français, sur la base de (Delattre, 1965) et (Gimson, 2001), et des résultats sur les difficultés de perception de certains phonèmes (Flege, 1984 ; Hallé, Best & Levitt, 1999 ; Iverson, Pinet & Evans, 2012).

  • Les gestes articulatoires nouveaux (comme l’aspiration des trois occlusives sourdes, la diphtongaison en anglais, une moindre anticipation vocalique, et l’effort articulatoire plus important mis sur la syllabe accentuée sur mot).

  • Les contrastes phonologiques (le recours le plus systématique possible aux paires minimales contrastant des sons proches) sont enseignés (Levis & Cortes, 1995 ; Tuan, 2010 ; Haghighi & Rahimy, 2017).

  • L’association de chaque voyelle de l’anglais et du schéma accentuel des mots multisyllabiques avec des mouvements des mains est utile durant la phase d’apprentissage et s’apparente pour les enfants à un jeu. Notre approche est explicite (Rosenshine, 1986) et multimodale (Jewitt, 2012). Les correspondances entre activités corporelles et acquisition de la prosodie et des sons d’une langue sont un objet d’intérêt certain et croissant pour la communauté scientifique actuellement (Potapushkina-Delfosse, 2014 ; Chan, 2018).

  • Les apprenants sont exposés aux voix de différents locuteurs (2 hommes et 2 femmes au minimum) pour favoriser la catégorisation phonologique (Rost & McMurray, 2009 ; Thomson, 2018 ; Nagle & Baese-Berk, 2022, p. 591).

  • L’apprentissage implicite du triangle vocalique sous forme d’images, une par phonème, est utile (Arleo, 1993). La figure 7 sert de référence constante. L’enfant doit pointer sur l’image représentant la voyelle du mot monosyllabique qu’il entend.

  • Le vocabulaire est présenté sous forme d’un jeu de loto. Ce jeu de société favorise des échanges verbaux simples entre enfants et enseignants. Les règles du jeu peuvent varier à loisir pour ne pas lasser les enfants. Ils peuvent par exemple rassembler les cartelettes concernant les animaux ou les aliments entendus, jouer à un jeu de loto traditionnel avec une planche à compléter en un temps minimal, s’amuser avec des jeux de devinettes etc. Les enfants débutant l’anglais ont ainsi accès à une interaction aisée sous forme de mots simples dans un apprentissage actif et ludique.

  • L’apprentissage passif fait partie du programme de révision après la classe. L’exposition passive aux ressources enregistrées et mises à disposition est assurée de façon quotidienne, pendant les phases de détente en classe et à la maison dans l’espace familial.

  • Le recours aux technologies numériques avec l’accès à un site internet spécifiquement dédié récrée, en dehors de la salle de classe, les conditions d’apprentissage favorables à l’apprentissage de la langue non native (Frost, 2022).

  • La variété choisie pour les leçons en classe est l’anglais britannique standard pour deux raisons. Tout d’abord, l’anglais britannique est encore, par rapport à l’anglais américain, la variété la plus enseignée en France à l’heure actuelle (Michari, 2023). De plus, les deux enseignantes filmées pour l’expérimentation maîtrisent l’anglais britannique standard.

11Concernant les consonnes, on introduit tôt — dès la première et la deuxième leçon — de nouveaux sons : les occlusives sourdes aspirées [ph], [th], [kh] et la fricative glottale sourde /h/. Une feuille de papier placée par chaque élève devant sa bouche rend l’apprentissage de l’aspiration concret et effectif. Notons que la grande majorité des mots choisis ne commençant pas par une consonne aspirée ou /h/ commencent par des consonnes similaires (sauf /r/).

12Concernant les voyelles, la première priorité est de les regrouper en fonction de leur position dans l’espace vocalique: « Difficulty is most predictable in those areas where vowels are closest within the vowel space; thus confusions are very likely within any of the following groups /iː, ɪ/, /e, æ, ʌ/, , ɑː, ɔː/, /uː, ʊ/ » (Gimson, 2001, p. 103). L’intégration précoce des diphtongues constitue une seconde priorité pour le choix de la progression (le français standard ne connaît aucune diphtongue). Les diphtongues sont regroupées selon la voyelle relâchée correspondant à leur premier élément (« onglide »). Par exemple, la leçon 2 porte sur /e/, /eɪ/ et /eə/. La leçon 3 traite de /æ/, /aɪ/, aʊ/, etc. (voir Tableau 1).

13Deux remarques : Il ne nous a pas été possible de suivre le conseil d’une pratique de l’anglais de 10 à 20 minutes par jour, et les 10 cours proposés ont été étalés sur 10 semaines, avec une proposition d’écoute journalière de 5 à 10 minutes pour répéter et fixer les acquis, disponible sur YouTube.

3. Organisation et choix pour l’École d’Évreux

14L’école partenaire est l’École publique élémentaire Victor-Hugo. Cette école fait partie de l’académie de Normandie (zone B). Elle scolarisait 121 élèves au moment de l’expérimentation. Évreux est une ville moyenne d’environ 50 000 habitants, préfecture du département de l’Eure (27). Tout en restant une ville de province, elle devient très attractive pour les navetteurs travaillant sur Paris. Cette école a été choisie parce qu’elle se situait à proximité du domicile de l’une des expérimentatrices. Le quartier est un quartier de centre-ville plutôt favorisé. Le contact a été établi avec le directeur et les enseignantes dès 2020. Le projet a été concrétisé après avoir été doté d’une enveloppe de 5 000 euros dans le cadre du LabEx « Empirical Foundations of Linguistics » (Actions Défis Sociétaux, 2020).

15La maîtresse de l’unique classe de CP de l’école est titulaire d’un DEA de chimie. Nous avons été très bien accueillies par l’école.

16La classe était composée de 23 élèves (12 filles et 11 garçons), réunis en 4 groupes de 5 ou 6. La maîtresse enseignait à 3 groupes pendant que nous étions dans la salle d’étude contiguë avec un groupe pendant 30 minutes, un après-midi par semaine, pendant 10 semaines. Nous portions tous des masques (enfants et enseignants). Les déplacements dans la salle étaient impossibles et nous avons dû travailler en respectant les mesures d’hygiène liées au COVID.

17Notre expérience pilote à Évreux avec quatre groupes de 6 enfants dans 10 sessions hebdomadaires de 30 minutes chacune montre que :

  1. 30 minutes est une durée trop courte pour un apprentissage intensif des sons de l’anglais et laisse peu de temps pour la répétition,

  2. un effectif de 6 élèves est peu porteur pour obtenir une bonne dynamique de groupe, notamment en cas d’absence d’un ou deux élèves,

  3. l’exposition quotidienne recommandée est absolument nécessaire pour compléter le cours intensif. L’apprentissage passif a été peu suivi, d’après le retour des enfants eux-mêmes. Le manque de participation de certains parents, pour des raisons diverses et complexes à résoudre, a posé problème pour la progression de leur enfant.

Figure 2. Répartition des tâches. L’élève, qui est « au centre de son apprentissage » (Boutin, 2004, p. 16), est accompagné de trois soutiens. Son professeur (1) accueille les intervenantes phonéticiennes anglicistes (2) qui font les cours. Sa famille (3) participe en lui faisant écouter et réviser les leçons en ligne.

Figure 2. Répartition des tâches. L’élève, qui est « au centre de son apprentissage » (Boutin, 2004, p. 16), est accompagné de trois soutiens. Son professeur (1) accueille les intervenantes phonéticiennes anglicistes (2) qui font les cours. Sa famille (3) participe en lui faisant écouter et réviser les leçons en ligne.

18Pour réaliser notre méthode, nous avons procédé à des choix concernant : le vocabulaire (quels mots sélectionner ?), la conception des leçons (quels sons pour chaque leçon, quel ordre de succession dans les leçons ?), le choix des illustrations libres de droit, la nature de l’input sonore, la gestuelle associée à chaque phonème, l’illustration de l’API en images et la création de ressources hypnopédiques pour aider les révisions par apprentissage passif. Les supports étaient, pour l’essentiel, prêts avant l’expérimentation à Évreux. Les réactions et commentaires des enfants ont été pris en compte, de semaine en semaine, pour affiner nos choix et notre méthode. Chaque séance (partiellement filmée par la deuxième expérimentatrice) donnait lieu à une concertation collective (deux expérimentatrices, maîtresse, assistante chargée de l’étude du soir) et réflexive (aspects positifs à conserver, aspects négatifs à améliorer, causes des événements, conséquences à prévenir) visant à améliorer nos choix d’enseignement et nos pratiques pédagogiques.

3.1. Vocabulaire

19Le choix du vocabulaire est un choix difficile, parce que nous sommes évidemment limitées par la langue elle-même ! Nous avons essayé de faire le meilleur compromis possible entre les contraintes suivantes :

  • Le vocabulaire sélectionné décrit des choses concrètes que les enfants apprécient, en particulier la nourriture et les animaux.

  • Les mots lexicaux monosyllabiques sont privilégiés pour l’apprentissage des segments, car ils présentent souvent des paires minimales. Par exemple, « sheep » s’oppose à « ship », « cat » à « kite » (Figure 3).

Figure 3. Paires minimales CV ou CVC avec V = /æ, , /

Figure 3. Paires minimales CV ou CVC avec V = /æ, aʊ, aɪ/

Note de bas de page 16 :

Par exemple, Bouvet (2021, p. 175), à la suite de Chen-Géré et al. (2000), propose de faire produire /ʊ/ avec « The Jungle book is a good book! ».

  • Des mots plus longs de 2 ou 3 syllabes sont utilisés pour une première approche de l’accent lexical et pour faire prendre conscience de la réduction des voyelles. Citons par exemple « tomato, hippo, banana, potato ».

  • Des mots d’emprunt ou des mots similaires sont utilisés pour mettre en valeur la différence de prononciation entre le mot français et le mot anglais, tout en réduisant la difficulté d’accès au sens (Rogers, Webb & Nakata, 2015). Citons par exemple « rat, toast, tennis, carrot, tiger », etc.

  • Les mots sont enseignés en paires ayant le même son cible pour faciliter la mémorisation, en faisant varier les environnements phonémiques et en entraînant les élèves à apprendre les mots en contexte et dans des collocations (Pawley & Syder, 1983 ; Nattinger & DeCarrico, 1992 ; Schmitt, 2004 ; Boer & Lindstromberg, 2005)16. Le triangle vocalique (Figure 6) présente des syntagmes (surtout nominaux) : « a green sheep, a little pig, a grey train, a red hen, a bear with a pear ». Le nombre d’images est limité pour certains phonèmes, comme /ʊə/, en raison de l’absence d’images concrètes pour les illustrer.

  • Les mots sont présentés sur des cartelettes réunies dans des planches permettant des jeux de loto, de devinettes etc. L’intérêt des mémo-cartes, d’une part, et de l’apprentissage des mots à l’isolé, d’autre part, bien qu’apparemment en contradiction avec les méthodes communicatives, semble très utile pour la communication entre très jeunes enfants (Hilton, 2022, p. 140-144).

  • Chaque élève a appris à prononcer son nom anglicisé ainsi que celui de ses camarades.

3.2. Progression

20Le tableau ci-dessous décrit le déroulé des 10 leçons pour l’enseignement des phonèmes de l’anglais à des apprenants francophones débutants.

Tableau 1. Déroulé des 10 leçons pour l’enseignement des phonèmes de l’anglais à des apprenants francophones débutants

Phonèmes

Titre de la leçon

16 mots

8 mots

Mots en contexte

/p, t, k, h/

Pat’s pet Hello! Kate’s kite Hi!

Hello, hi, hippo, hotdog, potato, panda, pizza, Pat, toast, tennis, tiger, tomato, camera, caramel, karate, carrot

Panda, pizza, tiger, tennis, carrot, karate, hotdog, hippo

/e, , /

Hey! let’s play a game! Hey! Let’s paint a pear!

Pear, parents, tennis, train, red, grey, hen, hair, air, pepper, play, friend, wear, square, paint, paper

Hen, red, pear, bear, grey, train, hair, air

Grey train, red hen. The bear has a pear.

/æ, , /

Hi Dad! Bye bye my cat!

Cat, kite, hat, rat, mouse, mice, right, flower, ouch, black, white, brown, fly, flyer, sky, cow

Cat, hat, black, white, kite, cow, mouse, brown

Black cat, brown cow, white kite

/ɔɪ, ɒ/

What an odd toy in this orange box! Boing !

Box, coffee, dog, doll, donkey, fox, frog, waffle, boy, coin, coy, enjoy, foil, noisy, toy, turquoise

Dog, fox, box, frog, doll, boy, toy, noisy

Orange fox, odd frog, noisy toy, coy boy. A doll in a box.

/ə, əʊ/

Hello! No, no, no, no!

Toast, nose, rose, goat, soda, boat, yellow, old, banana, gorilla, pizza, sugar, river, water, sister, brother

Yellow, rose, toast, goat, banana, gorilla, water, river

Yellow rose. The gorilla has a banana.

/ʌ, ɜː/

Yummy Mum, Yum yum cucumbers, Yuck Yuck burgers and gherkins

Bird, turtle, girl, turkey, earth, dessert, dirty, purple, bus, duck, brush, cup, plum, monkey, funny, young

Girl, purple, bird, turtle, bus, duck, monkey, funny

Purple bird, funny monkey. A duck on a bus

/ɪ, ɪə,/

Easy peasy itsy bitsy

Ship, sheep, big, little, bee, beer, pink, green, kiss, pierce, peace, slip, sleep, pig, king, queen

Ship, pink, pig, big, beer, green, bee, sheep

Green sheep, big ship, pink pig, green tea, green pea

/ɑː, ɔː/

A horse at the door and a car in the garden!

Dance, garden, car, castle, park, bar, heart, arm, ball, horse, door, boar, pork, draw, small, tall

Horse, ball, small, tall, car, park, heart, star

Small horse, a car in the park

/ʊ, , ʊə/

Good cook !

Cook, pull, look, poor, blue, pool, Luke, tooth, moon, scooter, goose, book, wolf, curious, furious, sure

Blue, moon, pool, book, pull, cook, wolf, poor

The blue moon, a good cook

Les consonnes

/ʃ/ like sheep, /ʧ/ like cheap

Rice, lice, sheep, cheap, bus, buzz, led, red, sink, think, ship, chip, fan, van, tree, three

Cheap, jeep, think, sink, rice, lice, jeans, gin

The cheap Jeep

21À chaque leçon correspondent des planches de loto. Les images de Cleanaccent© sont libres de droits. La plupart ont été récupérées sur Pixabay. De nombreuses images ont été transformées et adaptées manuellement pour répondre à nos besoins.

Figure 4. Planche pour la voyelle /ɑː/

Figure 4. Planche pour la voyelle /ɑː/

3.3. Déroulement d’une leçon

22Une leçon se concentre sur 2 ou 3 phonèmes. Chaque leçon s’appuie sur 2 planches de 8 mots ou plus, avec les images et sons associés, les gestes correspondants, une image positionnant le phonème dans le triangle vocalique, des exercices et jeux pour réactiver les connaissances à la maison. Le français — ou la langue maternelle des apprenants — peut être utilisé pour lever les ambiguïtés sémantiques potentielles (Littlewood & Yu, 2011).

23Après les salutations et la prise de renseignements autour des devoirs faits (coloriages, écoute des fichiers en ligne, etc.), la leçon commence par une description de l’objet de la leçon : l’articulation, accompagnée des gestes, de phonèmes différents dans des mots « simples » (transparents, courts, participant d’une thématique aimée des enfants), comme par exemple : « Hi ! » comparé à « aïe », « Hello », « toast », « panda », « carrot ». Ces mots-ci, enseignés à l’étape 1, permettent d’introduire l’aspiration phonétique des occlusives sourdes (un petit souffle doit faire trembler la feuille) en parallèle du son /h/ inconnu de l’inventaire du français ainsi que le /r/ apical. Dès la première leçon, les enfants sont encouragés à porter leur attention sur leurs articulateurs (la glotte et la langue notamment). Ils sont amenés à expérimenter et sentir la formation de la voix dans leur corps et non seulement dans leur cerveau. Le port du masque étant obligatoire, des visières transparentes couvrant le bas du visage des expérimentatrices sont utilisées pour cette présentation.

24Après cette phase liminaire se concentrant uniquement sur la perception des phonèmes et de leurs caractéristiques phonétiques dans des mots courts et isolés, les enfants (un par un, puis en chœur) sont invités à reproduire les sons enseignés à l’isolé. Après la présentation des phonèmes, les enfants apprennent les 16 mots des deux planches dont ils disposent devant eux. Les mots, présents sur les cartelettes individuelles composant les planches, sont aussi projetés sur un mur blanc grâce à un vidéoprojecteur. On s’assure dans un premier temps que les référentiels des images sont bien identifiés en français. Puis les enfants prononcent les mots anglais après le modèle (l’expérimentatrice ou une autre voix enregistrée et disponible sur le site privé en ligne). Certains enfants accompagnent spontanément leurs productions des gestes enseignés au préalable.

25En cas de fatigue ou d’excitation extrême des enfants, le vocabulaire est diffusé grâce aux fichiers d’apprentissage passif éveillé.

26Plusieurs fois par séance (début, fin ou milieu) de petits tests (évaluations intermédiaires) fréquents et donnés à un rythme tonique permettent de consolider les acquis (Schwieren, Barenberg & Dutke, 2017), tout en stimulant les élèves et leur plaisir de relever des défis. En production, il s’agit par exemple pour l’enseignant de projeter 10 images en demandant aux enfants de nommer les objets en anglais le plus rapidement possible. Il peut être demandé aux élèves de se questionner entre eux, en montrant une image. En réception, les enfants aiment compléter leur grille de loto le plus vite possible, ou pointer du doigt les images correspondant au mot entendu sur des tableaux montrant tous les objets de la leçon rassemblés dans un même paysage bucolique (Figure 5).

Figure 5. Planche de révision des mots appris durant les trois premières leçons

Figure 5. Planche de révision des mots appris durant les trois premières leçons

27À ce niveau élémentaire, et parce que notre objectif est phonético-phonologique (mises en place des sons, de l’accent lexical et de la réduction vocalique), tout le travail est mené au niveau du mot ou du syntagme nominal.

28La séance se termine par l’explication des révisions à faire à la maison. Les consignes sont données oralement aux enfants et à l’écrit à l’attention des parents (avec un bref message et le lien vers le site privé). La transmission d’information peut être dupliquée grâce à l’intermédiaire de la maîtresse (par mail, de visu).

29Des renforçateurs et des objets personnalisés sont utilisés pour soutenir la motivation des enfants. Chaque élève a un classeur qui lui est propre, et avec un chevalet sur lequel est inscrit son prénom anglicisé et transcrit en API, avec un espace pour colorier et dessiner son autoportrait ou un animal fétiche.

Figure 6. Les supports offerts à la première leçon

Figure 6. Les supports offerts à la première leçon

30Quand c’est possible, des objets sont apportés comme référentiels complétant les images (café, gaufre, tomate, banane, pomme, carotte, panda en peluche). Les rétroactions verbales sont systématiques, avec au moins une félicitation en cas de production satisfaisante. En cas de production insatisfaisante, un recours aux pairs, une demande de répétition après le modèle, accompagnée d’un geste et éventuellement des précisions articulatoires sont fournies par l’enseignante. Nous nous imposons une négociation de la forme et du sens (Hendrickson, 1978 ; Lyster & Ranta, 1997 ; Lyster, 1998) jusqu’à ce qu’une réalisation acceptable soit perçue (le glissement sémantique est évité, les sons bien catégorisés, l’accent de mot bien placé et l’intonation appropriée). Le renforcement positif optionnel (Wheatley, West, Charlton et al., 2009 ; Diedrich, 2010) consiste en la distribution d’autocollants à placer sur une feuille d’évaluation formative et positive personnalisée (« reward chart »).

3.4. Ressources d’accompagnement

31Les ressources d’accompagnement sont de deux types : papier et numérique.

3.4.1. Ressources en papier pour la classe

32Comme indiqué plus haut, on confie aux enfants des pochettes à leur nom anglicisé contenant les planches de lotos, leur fiche d’évaluation qu’ils complètent au fur et à mesure avec les stickers reçus (« reward chart »), le triangle vocalique et les courriers aux parents, avec le lien vers le site privé. On offre à l’école des affiches de grande taille qui sont collées sur le tableau disponible de la salle d’étude. Parmi ces posters, on trouve :

Note de bas de page 17 :

Par exemple, Lindsey (2019) propose de transcrire /e/ par /ɛ/, tout comme Lilly & Viel (2001). Il observe aussi que les diphtongues centralisantes sont en réalité prononcées comme des monophtongues longues :/ɪə/ et // seraient prononcées [ɪː] et [ɛː]. Le blog de Geoff Lindsey présente de nombreux exemples montrant l’écart entre la prononciation RP et l’anglais britannique standard actuel (https://www.englishspeechservices.com/). Cependant, en l’absence d’études expérimentales dans ce domaine, nous avons choisi comme repères pour nos transcriptions les deux dictionnaires LPD et CEPD (Wells, 2008 ; Jones, 2011).

  • Un tableau permettant de classer les mots par champ lexical. Les enfants peuvent jouer à aimanter les mots tout en les répétant pendant leur temps d’étude.

  • Un tableau des pronoms personnels, des articles et des adjectifs possessifs les plus courants, avec leur prononciation. Sans être utilisé pour cette phase d’apprentissage des phonèmes, il sera néanmoins utile les années ultérieures, quand les élèves passeront du mot à la phrase.

  • Enfin et surtout, l’API sous forme d’images. En effet, l’emploi de symboles de l’API et de mots clés semblent être des stratégies appréciées des apprenants pour améliorer leur prononciation de l’anglais L2 (Mompean & Fouz-González, 2021). Notons que le rapport entre les symboles utilisés pour décrire le système phonologique d’une langue et la correspondance de ces symboles avec la réalité phonétique évolue avec le temps.17 L’essentiel pour les enfants est d’associer la bonne image (« green sheep ») avec le son d’un nouveau mot (par exemple « read ») et non avec un symbole de l’API.

  • Un triangle vocalique (« vowel chart ») sous forme d’images représentant les voyelles de l’anglais britannique standard est présenté dans la figure ci-dessous. Il présente les sons illustrés par des syntagmes comportant deux fois le même son dans des syllabes ouvertes ou fermées. Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, on a: a green sheep, a little pig, a grey train, a red hen, a bear with a pear, a white tiger, a deer has beer, a black cat, a good wolf, a car in a park, an orange fox and a dog, a duck on a bus, a brown cow, a pizza, a girl with a turtle, a horse and a ball, a blue moon, a good-looking wolf, he’s surely poor, a yellow rose, a boy with a toy.

Figure 7. Le triangle vocalique illustré de Cleanaccent© pour l’anglais

Figure 7. Le triangle vocalique illustré de Cleanaccent© pour l’anglais

3.4.2. Ressources numériques

Note de bas de page 18 :

https://www.youtube.com/@cleanaccentcom

33Tout le matériel est accessible en ligne sur un espace privé et les vidéos sont dupliquées et doublées sur la chaîne youtube. Elles sont disponibles sur demande. Pour y accéder sur Youtube, il suffit de rechercher « youtube cleanaccent »18.

34Le recours à des gestes pédagogiques dans l’enseignement d’une langue étrangère est réputé (Herry-Benit & Cadet, 2014 ; Hilton, 2022, p. 158). Il connaît un regain d’intérêt dans l’idée de la phonologie incarnée (Tellier, 2010 ; Cauna, Tellier & Colé, 2021 ; Bottineau, 2022). Des études expérimentales cherchent à mesurer l’efficacité des gestes pédagogiques accompagnant l’enseignement de la prononciation aux niveau segmental et suprasegmental, mais peu d’effets ont cependant été observés (Alazard-Guiu, Roa, Ferrané, et al., 2022).

35Au plan segmental, les vidéos de Maëlle Amand, fondées sur Gattegno (1972), montrent des gestes utiles pour articuler les voyelles. La tension des voyelles tendues apparaît sous la forme d’un élastique qu’on étire, comme dans la figure ci-dessous. Les voyelles relâchées sont associées à un geste tranchant vertical, de bas en haut. Ces vidéos sont disponibles sur Youtube.

Figure 8. Geste de Maëlle Amand. Illustration de //

Figure 8. Geste de Maëlle Amand. Illustration de /aɪ/

Source : https://cleanaccent.com/british_english/miming-english-vowels-online/

36Au plan suprasegmental, nous représentons :

  • les syllabes portant l’accent lexical par des gestes d’ouverture de la main vers l’avant

  • les syllabes inaccentuées par un repli de la main vers l’arrière, poing serré. La Figure 10 illustre un exemple. Plusieurs schémas sont utilisés pour illustrer le profil prosodique de chaque syllabe dans le mot, en fonction de la position de la syllabe par rapport aux frontières du mot et à l’accent lexical. Le schwa est indiqué de façon particulière.

Figure 10. Le mot « panda » illustré. Dans l’ovale rouge : les gestes des mains pour la succession des syllabes (accentuée puis inaccentuée). Dans l’ovale bleu : le dessin représentant la courbe mélodique. Les chiffres ainsi que la taille des ronds et des ovales indiquent la saillance perceptive des deux syllabes

Figure 10. Le mot « panda » illustré. Dans l’ovale rouge : les gestes des mains pour la succession des syllabes (accentuée puis inaccentuée). Dans l’ovale bleu : le dessin représentant la courbe mélodique. Les chiffres ainsi que la taille des ronds et des ovales indiquent la saillance perceptive des deux syllabes

3.4.3. Vidéos de révision pour les leçons et vidéos pour un apprentissage passif

37De nombreux chercheurs avancent que l’apprentissage passif éveillé peut avoir des effets bénéfiques sur la mémorisation d’une langue étrangère. Les travaux de l’époque de la Guerre Froide (Hoskovec, 1966 ; Pinsker, 1971) connaissent un regain d’attention (Odendaal, 1987 ; Bancroft, 2005 ; Kapsi, Katsantoni & Drigas, 2020 ; Kapsi, Katsantonis & Drigas, 2021).

38Nos films sonorisés accessibles en ligne suivent les principes de l’apprentissage en boucle : les mots sont présentés de façon itérative. Les vidéos peuvent être utilisées dans différents contextes non exclusifs les uns des autres : en début de séance pour réviser ou pour se plonger dans le bain, pour un rebrassage distal et même à tout autre moment de la semaine pour se détendre ou pour se concentrer.

4. Discussion

4.1. Résultats de l’expérience pilote

39L’objectif premier de notre expérimentation à Évreux était de vérifier la pertinence de nos choix pour améliorer nos supports cartonnés et numériques. Par exemple, nous avions intégré le mot « oyster » à la liste de mots enseignés dans une phase préliminaire. Devant le dégoût exprimé par les enfants lors de notre expérimentation à Évreux, nous avons décidé de remplacer ce mot par un autre mot.

40Pendant la dernière séance d’évaluation, nous avons fait des enregistrements. Malheureusement, les masques, le bruit ambiant et l’absence de plusieurs enfants partis en vacances d’été rendent impossibles des analyses statistiques sur les acquis. Nous avons cependant pu compter le nombre de mots différents bien prononcés, produits spontanément à partir des images. Sur un total de 109 mots enseignés, en 7 séances de 25 minutes par élève, les 18 enfants enregistrés ont restitué, de façon correcte, en moyenne 15 mots chacun. Les 4 enfants qui ont été le plus accompagnés par leurs parents pour des révisions à la maison à partir de nos ressources en ligne (d’après leurs dires et ceux de la maîtresse) ont, eux, produit 26 mots correctement.

41Globalement, les enfants n’ont pas produit d’erreurs sémantiques lors de l’interrogation orale finale. Notons cependant que les confusions en production concernent essentiellement des mots commençant par la même consonne : « donkey/duck », « pepper/pear », « queen/cow », « turkey/turtle ». Ceci va dans le sens du modèle psycholinguistique de la cohorte de Marslen-Wilson (Marslen-Wilson & Welsh, 1978) qui théorise que le lexique est classé par la première consonne du mot dans le lexique mental des auditeurs.

4.2. Coordination avec les familles

42Cette première expérience nous a permis de tirer la leçon suivante. Plus de collaboration avec les familles sera nécessaire pour encourager les entraînements à domicile qui ont peu été suivis.

43Nous avons convenu, lors d’une prochaine expérimentation,

  1. de convier les parents au tout début à une réunion informelle pour exposer les objectifs et les méthodes de notre intervention, solliciter les familles en négociant ce à quoi elles peuvent s’engager et distribuer les formulaires de consentement éclairé pour les vidéos privées hebdomadaires,

  2. de les tenir au courant à un rythme hebdomadaire de la progression du cours et de leurs enfants (un courriel et une séquence filmée par cours),

  3. de montrer aux familles les progrès faits par leurs enfants et de discuter de la suite à donner à la fin des cours.

4.3. Comment mesurer l’efficacité d’une méthode ?

44Une expérience permettant de dire qu’une méthode est efficace ou meilleure qu’une autre méthode nécessite un contrôle des paramètres tels que la motivation, les langues maternelles de chaque apprenant, la participation des parents, le nombre d’heures d’exposition à la langue, l’âge, les révisions à la maison, etc. Ces mêmes paramètres doivent être partagés à l’identique par deux groupes appariés (cible et contrôle). C’est très difficile à réaliser dans les salles de classe actuellement, même si des chercheurs s’y essaient avec bravoure (Krzonowski, Ferragne & Pellegrino, 2016). De plus, il faut que les méthodes à comparer partagent exactement le même but, qui est ici d’acquérir peu de mots, mais avec une bonne prononciation.

4.4. Projets

45Différents projets sont en cours :

Note de bas de page 19 :

Bouvet (2021, p. 113) suggère le recours aux comptines traditionnelles anglo-saxonnes comme « Humpty Dumpty » ou « Twinkle Twinkle  », auxquelles il suggère d’associer une gestuelle particulière.

  • le dépôt d’un projet ANR Jeune chercheur avec deux buts : 1) établissement d’une base de données audio avec des enfants anglophones d’un âge comparable, permettant d’ajouter des voix d’enfants comme références et d’ouvrir la voix à des mesures de distance automatique et 2) expériences dans deux écoles permettant d’évaluer par des tests hebdomadaires la progression des enfants les acquis à court, moyen et à long terme, pour régler le nombre de répétitions nécessaires. Notre expérimentation sera conçue sur le modèle de celle de Melnik & Peperkamp (2021).

  • les différences entre phonèmes de l’anglais et du français proches mais non identiques seront mises en figurines, comme la différence entre la monophtongue /i/ française et le /i :/ et /ɪ/ anglais, ainsi que des gestes illustrant les différentes habitudes articulatoires, comme une diminution, voire suppression de l’arrondissement anticipatoire des lèvres dans le contraste anglais « peel-pool » par rapport au contraste français « pile-poule », etc.

  • la création de comptines sur une base phonétique. Nous avons entamé une réflexion sur le recours à des comptines originales et mises en musique, qui seraient fondées sur un ou deux schémas accentuels répétitifs pour chaque leçon. Par exemple, pour la leçon n° 2 : « Let’s play a game » est scandée OOoO (où O est accentuée et o inaccentuée)19.

  • un projet de conte philosophique, illustré et sonorisé, est en cours d’écriture par Maëlle Amand et Éloïse Amand. Il s’intitule The Purple Bird Travels the World et relate les aventures d’un petit oiseau mauve qui voyage et fait des rencontres. Les prénoms des personnages comportent la même voyelle que l’animal désigné : Dolly the orange fox, Myrtle the purple bird, Tucker the funny duck, etc.

Conclusion

Note de bas de page 20 :

Nous remercions le LabEx EFL pour le soutien au projet et les relecteurs anonymes de cet article pour leurs remarques et suggestions très utiles. Notre gratitude va également à Maëlle Amand pour sa participation et sa créativité, à Sachie Shioya pour les illustrations et à Gabriel Colomer pour l’écriture du script Python et la musique de fond utilisées pour les vidéos dédiées à l’apprentissage passif par itération.

46La méthode que nous proposons pour obtenir la meilleure prononciation possible dès le début de l’apprentissage est préalable et complémentaire des méthodes communicatives et interactionnelles, et ne devrait pas leur être opposée. Une bonne prononciation facilite la communication et désinhibe les apprenants20.