Représentations contemporaines de la féminité et de la masculinité : de l’hétérogénéité de corpus à la (re)construction du sens linguistico‑socio‑culturel au prisme des (pré)(inter)discours genrés Contemporary representations of femininity and masculinity: from the heterogeneity of corpora to the (re)construction of the linguistic-socio-cultural sense to the prism of (pre)(inter)gendered discourses
Situé dans la lignée de l’appréhension de représentations linguistico‑socio‑culturelles dans/par le croisement de discours genrés, cet article tente de mettre en évidence les conceptions sur la féminité et la masculinité à l’ère actuelle dans deux espaces d’Occident : en Colombie et en France. Au prisme de l’hétérogénéité de données, ce travail analyse trois corpus (lexicographique, presse, et sociologique) pour saisir notre objet d’étude, en vertu de l’argument interdiscursif. La saisie des manifestations énonciatives convoque les emprunts de trois sémantiques : sémantique discursive, sémantique des possibles argumentatifs et sémantique de corpus, qui favorisent le décryptage des positionnements sur un phénomène social comme le genre. Il est constaté que les matérialités discursives d’intérêt esquissent un répertoire varié de possibles argumentatifs reflétant, chez les populations, des constructions idéologiques au carrefour de langues et des cultures.
In line with the apprehension of linguistic-socio-cultural representations in/by the intersection of gendered discourses, this article attempts to highlight conceptions of femininity and masculinity in the current era in two Western spaces: in Colombia and France. At the prism of heterogeneity of data, this paper analyzes three corpora (lexicographic, press, and sociological) for grasping our object of study, under the interdiscourse argument. Now, the awareness of the enunciative manifestations evokes the borrowings of three semantics: discursive semantics, semantics of argumentative possibilities and corpora semantics, promoting hence the decryption of discernments on a social phenomenon like gender. It is found that the pretended discourses’ materialities outline a diverse repertoire of argumentative possibilities that reflect, among the populations, ideological constructions at the crossroads of languages and cultures.
Oui. Les mots sont de vrais magiciens. Ils ont le pouvoir de faire surgir à nos yeux des choses que nous ne voyons pas.
Érik Orsenna.
Introduction
1Aujourd’hui, traiter la question de la féminité et de la masculinité sur le plan socioculturel et politique s’avère un acte complexe. L’identité et l’expression de genre semblent s'écarter des préceptes hétéronormatifs. Sous ce prisme, de nouvelles existences se (re)(dé)construisent troublant le statuquo. De nombreux individus en font preuve : ceux qui assument ouvertement des comportements et des caractéristiques n’étant exclusifs que du sexe opposé, ceux qui voient dans la transition de leur corps la possibilité d’exister, ceux qui mettent en question le binarisme au travers de leurs agissements, entre autres. Par conséquent, d’autres féminités et masculinités émergent, et sont mises dans et par le discours, « en tant qu’acte de sémiotisation » (Garric, 2014). Cette problématique rapporte le besoin d’analyser les représentations genrées actuelles, au sein des dires en circulation, à une époque où la diversité identitaire existe, malgré le fait que celle‑ci soit la cible de tensions, d’invisibilisations, voire de discriminations. Leur cause apparaît être reliée à l’institutionnalisation d’une doxa dominante sémiotisée différemment (dont le discours) dans les sociétés d’Occident.
2Accentuons corrélativement le constat suivant : le regard qu’un individu porte sur la (re)(dé)construction identitaire de soi et d’autrui, est avant tout, un résultat historique, socio‑culturel et éducatif. Parmi plusieurs domaines, l’éducatif détient notamment une responsabilité énorme dans l’affermissement, la stabilisation, la naturalisation ; ou au contraire, dans l’affaiblissement, la remise en cause, et/ou le déploiement de toute doxa dominante qui invisibilise les nouvelles manières d’exister sur le plan identitaire. Cela cristallise le fait que l’éducation et ses acteurs, dont l’enseignant.e, sont responsables de favoriser quelconque construction idéologique sur la féminité/la masculinité, car leurs lectures/agissements sont politiques. D’où notre intérêt pour interpeller la question du genre : comment les visions sur la féminité et la masculinité propres aux aires socioculturelles contemporaines ont‑elles été échafaudées/agencées/idéologisées ? Jusqu’à quel point ces visions se sont‑elles introduites dans les discours éducatifs et particulièrement ceux en didactique du FLE ? Notre objectif prend corps : examiner, dans les rapports de forces, les constructions discursives des images identitaires propres à deux territoires d’Occident, par l’analyse comparée des discours (qui reposent sur l’exploitation des corpus hétérogènes), au prisme des dynamiques de langues et de cultures. De ce propos découle notre hypothèse suivante : l’articulation entre les occurrences de la langue en discours sur le genre, et ses conditions de réception/production propres aux territoires/temporalités/sujets, exerce une influence sur la manière de se positionner socio‑culturellement face à soi/autrui, et sur les pratiques des enseignant.e.s. S’agissant de la didactique du FLE où nous positionnons les répercussions de toute construction identitaire, le croisement de langues et de cultures se justifie ici : apprendre/enseigner le FLE dans des contextes exo/endolingues engage le développement de différentes compétences, dont l’interculturelle, qui reconstruit le monde francophone à partir de la langue cible aussi bien que de la langue source de/chez tout usager.
3Dans la réflexion que nous proposons dans cet article, notre question de recherche s’explicite ainsi : quels sont les positionnements discursifs genrés émergents de la comparaison, à l’intérieur de deux horizons socioculturels occidentaux : l’un colombien et l’autre français ? En vue d’y répondre, cette étude propose différents corpus (les discours lexicographiques associés aux mots feminidad/masculinidad en espagnol, et féminité/masculinité en français ; 50 articles de presses en Colombie et 50 en France sur notre objet d’étude et les discours genrés de 20 futur.e.s enseignant.e.s du FLE dans les contextes d’intérêt). La confrontation de ces corpus permettra de saisir, de toutes les forces qui entrent en jeu dans les matérialités discursives, comment les représentations sur les constructions identitaires sont introduites dans les discours du FLE. Notre dispositif se veut catalyseur de pratiques, de performativités et des doxas, permettant la construction du sens « au carrefour de la langue, du discours et de la culture » (Moirand, 2011, p. 165).
4Dans le cadre de cette contribution, nous introduirons d’abord quelques éléments théoriques qui mettent en exergue les apports de la Sémantique des Possibles Argumentatifs (SPA), de la Sémantique de Corpus, et surtout de la Sémantique Discursive dans l’appréhension du sens et du discours. Ensuite, nous apporterons des précisions sur les principes théoriques en analyse du discours qui orientent notre étude : le préconstruit, l’interdiscours et l’intradiscours (Pêcheux). Nous poursuivrons avec la présentation de nos trois corpus et du protocole méthodologique appelant l’hétérogénéité de corpus et de données reliée à un aspect d’actualité comme celui de la féminité et la masculinité. Par la suite, nous mettrons en œuvre nos emprunts théorico‑méthodologiques sur nos corpus recueillis. Pour illustrer la démarche entreprise, nous présenterons les principaux résultats quant aux analyses du discours dictionnairique, de presse en Colombie et en France, et du discours des participant.e.s. Enfin, dans la conclusion, nous élargirons nos réflexions sur la dimension applicative de la sémantique dans l’analyse de discours genrés mobilisant des conceptions socioculturelles de l’identité inscrites à l’intérieur des/par les mots.
1. Perspectives limitrophes sémantico‑discursives : des alliances opératoires entre les théories sémantiques et l’analyse des discours contemporains
5Nombreux sont les courants sémantiques qui contribuent, par un processus dialogique, au développement des travaux en Analyse du discours. Les confluences qui en dérivent interviennent dans la (re)construction du sens discursif et permettent l’appréhension des phénomènes sociaux. Dans cette première section, nous nous proposons d’esquisser différentes perspectives conceptuelles associées à trois théories en sémantique : la Sémantique Discursive (Pêcheux), la Sémantique des Possibles Argumentatifs (Galatanu) et la Sémantique de Corpus (Condamines, Mayaffre, Garric), ainsi que leurs apports/applicabilités pour l’étude des discours contemporains qui circulent dans les sphères socio‑culturelles actuelles, et qui caractérisent, définissent ou construisent les représentations genrées sur la féminité et la masculinité. Réfléchir ainsi aux alliances entre sémantiques et analyse du discours, permettra d’appréhender des questionnements sur l’un des phénomènes sociaux : la (re)(dé)construction du genre, à une époque où la diversité identitaire suscite de revendications et des tensions, à maintes reprises.
1.1. Pour une compréhension de la Sémantique Discursive : une approche explicative des conditions de production/interprétation du sens
6Relevant du fait que le sens ne se produit pas de manière transparente, ni existe de manière préenregistrée dans les mots et/ou les propositions, la Sémantique Discursive (SD) s’intéresse à la relation intrinsèque et indissociable entre discours et contexte externe où le premier a lieu. Il en découle que différents facteurs d’ordre socio‑historiques ainsi que des positionnements idéologiques sont transversaux à la production de sens, constituant donc l’objet d’étude de la SD. Elle met aussi en évidence toute réciprocité entre sens et discours, et convoque, en empruntant la perception du discours chez Rastier (2001), « les usages linguistiques codifiés » (p. 298) qui convergent à l’intérieur de toute « pratique sociale ». Cela favorise l’idée que la SD positionne la complexité du discours sur le plan social, en adéquation avec les (inter)actions de la parole ; d’où le fait que le discours est déterminé par des mécanismes extérieurs (Maldidier, 1990, p. 15).
7En reprenant les réflexions de Veniard et Lecolle (dans Biglari et Ducard, 2022, p. 335), six postulats fondent la SD, comme suit :
- Note de bas de page 1 :
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Nous comprenons qu’une formation discursive (en convoquant les postulats de Foucault ainsi que de Pêcheux) est « la structuration de l'espace social par différenciation des discours. Cette différenciation repose sur des accumulations de “textes” dans un même voisinage, ce que j'appellerai registres discursifs » (Achard, 1995, p. 84) à nature idéologique.
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Dépasser dans l’analyse des faits de sens, l’opposition entre « langue » et « discours », au bénéfice d’une articulation dynamique de ces pôles. La notion de « langue » surpasse l’idée d’être une abstraction (au sens saussurien). Les usages de la langue sont pluriels car les contextes et les situations sociales où celle‑ci est convoquée pour appréhender la réalité en discours, sont multiples, se répercutant différemment dans chaque formation discursive1.
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S’appuyer tout à la fois sur les formes et sur les usages, contextualisés et rapportés à des discours et genre textuels. Il s’agit de saisir la manière dont le discours en contexte intervient dans la production et l’interprétation du sens dans l’étude du phénomène social. Le recours à l’extralinguistique est repérable : les structures linguistiques entrent en rapport avec le réel et les pratiques discursives.
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Étudier la construction du sens telle qu’elle est instaurée par des unités des rangs différents – mot, syntagme, phrase, séquence textuelle –, et rendre compte de l’interface entre différents niveaux de construction de sens – syntagmatique textuel, énonciatif, discursif. Le sens, en tant que produit, se construit et s’interprète grâce au discours. Celui‑ci devient à la fois une source sémantique pour l’activité énonciative, et une forme de contextualisation. Si la langue permet la construction du sens, les niveaux du lexique, de la syntaxe et de l’interdiscours contribuent dans l’ensemble à la production du sens, ayant un même degré d’importance.
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Prendre acte de la labilité de phénomènes sémantiques, en accordant une place de choix à la polysémie, à l’ambiguïté, mais aussi au jeu et aux phénomènes de reconstruction du sens. L’authenticité des pratiques discursives peut conduire à « des scories – vague, imprécision, incertitude et ambiguïté, glissement de sens » (p. 338). Ces phénomènes peuvent rendre compte des manifestations sémantiques ou discursives complexes, qui se répercutent sur la construction/production/interprétation/réception du sens.
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Tenir compte de l’influence qu’exercent les valeurs, les croyances, les connaissances partagées dans la construction et évolution du sens, et dans l’interprétation. Les valeurs et les connaissances partagées sont mobilisées dans et par le discours, et celles‑ci entrent dans une zone de force, de rapport et de confrontation avec d’autres discours, établissant un processus d’interdiscours, qui, avec la complexité du contexte, rendent possibles la construction et interprétation du sens. Les valeurs, les connaissances et la doxa présentes dans les discours se matérialisent à partir des traces qui se trouvent dans les textes et dans les interactions verbales, à travers, dans, et entre les mots, qui inscrivent des enjeux sociaux à des temporalités diverses.
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Décrire la manière dont les usages se fixent, dont des formes émergentes se routinisent pour devenir des ressources partagées. Ce dernier postulat rend compte de la stabilisation des unités, des constructions, voire du/des sens, par la procédure de figement. Celle‑ci entre en rapport avec le contexte permettant d’analyser le phénomène tant dans sa constitution que dans les effets produits quand ces figements deviennent des ressources partagées.
8Somme toute, la SD est une démarche qui ne cherche pas à focaliser l’attention sur une unité en particulier, mais à mettre en rapport (articuler) les niveaux d’analyse. L’horizon est le texte en tant que production située. Cette démarche prône l’idée que toute représentation (comme celle de la féminité et de la masculinité) peut être volatile car les conceptions en discours que se font les êtres humains dépendront de leurs rapports au monde, de leur appréhension et systématisation de leurs vécus et de leurs réalités, ainsi que du contexte socio‑culturel. En revanche, toute stabilité est accomplie grâce à la potentialité sémantique qu’inscrivent les mots, car leur fonctionnement montre la manière dont ceux‑ci se trouvent « connectés à un environnement discursif socio‑historiquement situé » (p. 343). Cette potentialité des mots est donc mise en rapport avec les compétences des (inter)locuteurs, qui interviennent dans l’identification d’une source de nature énonciative, discursive et argumentative, vers le sens. À l’interface de la sémantique et du discours, la SD fait preuve d’un rapport de force à deux perspectives. La première renvoie à une sémantique qui est propre aux usages de la parole dans un contexte socioculturel particulier. La seconde revendique la linguistique du discours dans l’entrecroisement de différents niveaux de l’analyse.
1.2. La Sémantique des Possibles Argumentatifs (SPA) : l’une des approches discursives pour le saisissement du sens en discours
9La SPA est une approche du sens linguistique créée et développée par Galatanu (1999, 2018) se revendiquant des filiations des sémantiques argumentatives (Ducrot, 1995) et des sémantiques du stéréotype (Putnam, 1975). Selon l’auteure, la SPA focalise son attention sur la signification ainsi que sur la construction du sens des mots en situation discursive. Cette approche fait affluer géométriquement des questionnements d’ordre sémantique et pragmatique à l’interface des interrogations en analyse du discours. Or, ayant pour objet la construction/production et interprétation du sens linguistique, le modèle de la SPA précise que celui‑ci est « appréhendé comme argumentatif, aussi à potentiel descriptif, ancré dans l’expérience collective (marquée culturellement) et individuelle » (Galatanu, 2018, p. 311). Il en résulte que grâce à la dimension descriptive de la signification des mots, à laquelle s’associe le potentiel discursif (argumentatif), le monde est stabilisé par la modélisation langagière. La signification des entités, convoquées dans l’(inter)action discursive, peut être la cible du cinétisme compris comme la présence de nouvelles associations d’un concept, possibles grâce aux conditions co(n)textuelles et discursives. Cette « mouvance » intervient dans la construction du sens.
1.2.1. Le modèle de représentation sémantique de la SPA
10Galatanu (2018) propose un modèle de représentation sémantique composé des deux versants. Le premier fait référence à trois strates : le noyau, les stéréotypes et les possibles argumentatifs, tandis que le second évoque une manifestation discursive : les déploiements argumentatifs. Respectivement, l’auteure exprime les conceptualisations suivantes (p. 163‑170) :
Noyau (N) : configuration stable dans une culture donnée, d’associations argumentatives correspondant à des propriétés essentielles, identitaires de la signification, apprise et partagée, d’un mot.
Stéréotypes (Sts) : ont un ancrage relativement stable, culturel, se construisent par l’association de représentations aux éléments du noyau, constituant un ensemble ouvert, qui récupère les changements expérientiels culturels et individuels.
Possibles argumentatifs (PA) : séquences discursives virtuelles associées à un élément du stéréotype au mot. Les PA sont des potentialités de sens discursif. Ces séquences virtuelles, potentielles, prédictibles, sont des séquences qui correspondent à des argumentations externes à la signification du mot, mais ont la particularité d’être calculées et prédites dans et par la signification du mot, apprise et partagée.
Déploiements argumentatifs (DA) : peuvent apparaître sous une forme argumentative séquentielle, mais également par la présence des éléments du stéréotype dans l’environnement discursif sémantique du mot (avec des degrés de proximité variables), ou même dans des définitions naturelles ou des reformulations. Ils peuvent être aussi juste évoqués par la présence du mot dont les PA orientent l’interprétation vers ces DA.
1.2.2. La modalisation discursive (les valeurs modales) depuis le regard de la SPA
11Partant du fait que les usagers d’une langue inscrivent leurs attitudes, vis‑à‑vis du monde, par les mots qu’ils emploient dans les occurrences de la parole, le modèle de la SPA fournit la Théorie Sémantique Unifiée de la Modalisation Discursive (TMD) (Galatanu, 2021) composée de trois niveaux de complexité des valeurs modales lexicalisées, et permettant de déterminer le potentiel axiologique des mots : à savoir, les valeurs modales fondamentales ou fines (nécessaire, obligatoire, probable, incertain, bien, mal, etc.), les valeurs modales épaisses (empathie, égalité, liberté, fraternité, etc.), et les valeurs sociales complexes (famille, féminité, masculinité, mariage, etc.). Cette évaluation appréciative/dépréciative des interlocuteurs se révèle surtout valorisante/dévalorisante, et se matérialise grâce au discours, intervenant dans la construction du sens. Signalons l’exemple suivant pour illustrer la mobilisation des valeurs selon la TMD :
[1] Pedro l’a demandée en mariage
12L’entité lexicale mariage inscrit plusieurs valeurs. En premier, ce mot mobilise des valeurs fondamentales ou fines (facultatif, bien, mal, utile, inutile, heureux, malheureux) qui activent diverses zones d’application : déontique, éthique‑morale bivalente, pragmatique bivalente, hédonique‑affective bivalente en raison des circonstances discursives. Mais ce terme représente une valeur épaisse car le mariage réfère à quelque chose : un engagement et une manière de se comporter envers autrui. D’ailleurs, mariage est aussi une valeur sociale complexe dans la mesure où il se répercute sur la vie sociale par rapport à une situation réelle dans une communauté.
13La figure suivante illustre la manière dont la TMD opère dans l’activité discursive, comme suit :
Figure 1 : le fonctionnement de la TMD dans la construction du sens discursif
Construction propre à partir des perspectives théoriques de Galatanu (2018, 2021)
14Pour cette étude, nous emprunterons à la TMD les valeurs modales fines qui renvoient à des champs de l’expérience humaine. Galatanu (2021) indique que ce type de valeurs sont aussi connues comme des valeurs « primaires […] ou des mots qui désignent les pôles de la zone modale déontique, par exemple, devoir, ou encore de la zone aléthique, pouvoir » (p. 8).
1.3. La Sémantique de Corpus : de la confrontation à la construction du sens
15S’intéressant à l’appréhension du sens, la linguistique fait preuve d’une tension concomitante : comment parvenir à saisir la mise à jour du système (la langue) vis‑à‑vis de la variation langagière existante ? De ce questionnement il découle une alliance omniprésente entre sémantique et corpus, retraçant ainsi des usages multiples d’une langue dans la prise en compte, l’interprétation et l’explication du/des sens inscrit.s dans la confrontation des textes que ces usages procurent. En effet, la triangulation de textes en corpus témoigne non seulement du fait que « le sens n’est jamais posé par rapport à un extérieur non langagier ; il se bâtit à travers des dispositifs d’archive où se manifeste la matérialité de la langue (Guilhaumou, Maldidier & Robin, 1994, p. 195), mais aussi que cet entrecroisement devient « frontière et subversion de la frontière, négociation entre des lieux de stabilisation de la parole et des forces excédant toute localité » (Maingueneau, 2005, p. 74, cité par Garric, 2015, p. 61). Le traitement des corpus textuels, contenant des textes à effet miroir car dans le rapprochement l’intertextualité se produit, favorise l’interprétation de phénomènes (dont sociaux) inscrits dans/par le discours, puisque « les mots, les phrases, les textes prennent sens pour l’analyste ; c’est au sein du corpus que s’explicitent et s’organisent des stratégies de lecture interprétatives » (Mayaffre, 2008, p. 59).
16Certes les textes sont des manifestations langagières qui attestent des discours produits dans des situations particulières, mais qui, dans la confrontation, favorisent la construction du sens. Cet aspect retrace le constat fait par Condamines (2007) pour qui la situation de production de même que d’interprétation des textes est possible grâce à la Sémantique de Corpus. Il s’agit d’une approche permettant d’expliquer « comment ces éléments [les natures des textes, l’objectif de l’interprétation et la méthode d’analyse] s’organisent pour construire un sens et comment on peut essayer de stabiliser ces interactions, les expliquer et éventuellement les reproduire » (Condamines, 2005, p. 17). Son objet d’étude est le texte lui‑même, soit dans sa dimension privative, soit dans l’intertextualité. Notre recours à cette sémantique se centre sur la possibilité d’ordonner les phénomènes linguistiques propres aux trois corpus à l’étude, permettant la prise d’un/des sens pour déterminer herméneutiquement parlant d’éventuelles régularités dans le fonctionnement des représentations discursives sur la féminité et la masculinité propres aux deux aires culturelles. L’ensemble de nos corpus mis en œuvre constituent indubitablement un terrain d’interprétation qui favorise la construction du sens sur les images identitaires dans l’espace interdiscursif.
2. L’(inter)/(intra)discours et le préconstruit : le trio notionnel opératoire
17Aucun discours n’est jamais inédit. Cette prémisse fait écho à la complexité du discours car celui‑ci entre en confrontation/rapport/tension avec d’autres discours conditionnant ainsi l’accès au sens. Ce qui précède renvoie à la notion d’interdiscours qui, au sens propre de Pêcheux (1975), correspond à « tout complexe à dominante » (p. 146). Celui‑ci est donc compris comme « un espace discursif, un ensemble de discours (d’un même champ discursif ou des champs distincts) qui entretiennent des relations de délimitation réciproques les uns les autres » (Charaudeau et Maingueneau, 2002, p. 324). Il en résulte qu’un discours possède de nombreux liens avec d’autres discours à partir d’un dialogisme interne qui participe à la construction des unités de discours : un discours sur la féminité et/ou la masculinité mobilise d’autres discours genrés qui interviennent dans la consolidation des représentations sur l’identité. Deux autres concepts accompagnent la notion d’interdiscours (formant un trio notionnel issu de la perspective de Pêcheux) : le préconstruit et l’intradiscours. Il s’agit, par ce trio, de parvenir à comprendre la construction du sens des textes, en agençant du social et du langagier. Courtine (1981) en précise que :
[Le préconstruit] désigne une construction antérieure, extérieure, indépendante, par opposition à ce qui est construit dans l’énonciation. Il marque l’existence d’un décalage entre l’interdiscours comme lieu de construction du préconstruit, et l’intradiscours, comme lieu de l’énonciation par un sujet […] (p. 35).
- Note de bas de page 2 :
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Ces cadres sont construits par la circulation des discours hétérogènes avec lesquels le sujet a expérimenté un contact, peu importe sa nature non plus les circonstances l’ayant rendu possible, et qui sont incorporés dans sa mémoire consciemment ou inconsciemment par l’action cognitive.
18Tandis que le préconstruit renvoie à un référent externe qui inscrit dans les énoncés l’effet de l’antériorité, un dire d’ailleurs véhiculé dans les représentations en discours, l’intradiscours est la matérialité discursive, sous forme d’observables, qui montre les effets de l’interdiscours à partir des marques linguistiques. Paveau (2007) vient enrichir la notion de préconstruit par ce qu’elle appelle prédiscours : les avants du discours (et en aucun cas les discours manifestés avant comme si c’était du discours rapporté) qui soulèvent « des cadres de savoirs, de croyances et des pratiques qui informent directement les discours produits (information de nature encyclopédique ou stéréotypique) » (p. 18). Sa perspective est conditionnée par une approche cognitive dont nous nous inspirons dans ce travail, et qui explique l’opérabilité des prédiscours. Cet emprunt est en effet adéquat pour l’appréhension socioculturelle de conceptions genrées car toute représentation se produit par la construction qu’en fait l’individu, sur la base de ce que sa société autorise ou proscrit, et qu’il intègre à sa propre vision du monde par la cognition. Grâce à cette activité cognitive pointée par le collectif, le locuteur parvient à mobiliser ou à éviter l’inscription des cadres discursifs2 (des prédiscours, par exemple) dans ses occurrences verbales. Des opérations cognitives y sont convoquées et mettent en rapport le discours produit avec les prédiscours disponibles (stockés dans la mémoire), conditionnant ainsi toute situation discursive.
3. Des données et des corpus aux protocoles méthodologiques : les échos de l’hétérogénéité et du principe de variation
- Note de bas de page 3 :
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Ceux-ci s’ancrent dans le champ des Sciences du langage et côtoient celui des sciences humaines et sociales du fait de la nature des données qu’ils inscrivent (recueillis dans un cadre socioculturel précis), favorisant la saisie du sens discursif du phénomène sociétal du genre. Or, nos corpus peuvent aussi aider à la consolidation de « nouveaux terrains […] qui propose[nt] désormais un espace de données qui circulent, un espace […] particulièrement riche […] pour le chercheur […] » (Garric, Ledegen, Pugnière-Saavedra, 2020, p. 1).
19L’analyse des représentations contemporaines genrées sur la féminité et la masculinité, dans deux territoires socioculturels différents en Occident – en Colombie et en France – se penche sur la triangulation de plusieurs sources textuelles. Pour la construction/examen/employabilité de nos corpus3, et convaincu du fait que la manière la plus saillante d’appréhender les conceptions sur le genre (à partir de l’action langagière) se situe dans l’interdiscours, nous empruntons à Garric et Longhi (2012) les réflexions sur l’hétérogénéité de données. Celle‑ci est entendue comme une procédure méthodologique dans/par la richesse de données, qui traite un objet d’analyse en commun (et plusieurs autres, d’ailleurs), en vue de son appréhension, et participant « à la diversité de pratiques et des matériaux, et à l’implication de cette diversité dans la constitution, l’analyse et l’exploitation des corpus » (p. 3). Focalisant l’attention sur les données, notre étude convoque trois corpus authentiques s’intéressant « aux différents matériaux sémiotiques » susceptibles par la suite d’intégrer « une hétérogénéité maitrisée des données » (p. 4). Une telle procédure encourage l’actualisation « des contextes pluriels larges qui seuls sont susceptibles de délimiter les conditions d’une construction intertextuelle » (p. 4), liées au phénomène social propre aux images sur la féminité et la masculinité qui exhortent le genre.
20En retraçant chacun de nos corpus, nous apportons les précisions suivantes :
- Note de bas de page 4 :
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Nous adhérons à Galatanu (2021) l’idée que le dictionnaire explicatif est un « discours expert de l’usage du lexique d’une langue à un moment donné de son histoire » (p. 12). Les dictionnaires hispanophones recensés sont : la RAE – Diccionario de la Real Academia Española en ligne (2022), le Larousse diccionario general de la lengua española (2021), le Diccionario SOPENA ARISTOS (2018), et le Diccionario de uso del español María Moliner, (2016). Or, les dictionnaires francophones consultés sont : Le Petit Robert de la Langue Française (2021), le Dictionnaire HACHETTE (2021), Le Grand Robert de la Langue Française (2019), et Le Robert micro (2018).
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Premier corpus : les discours lexicographiques
Les énoncés définitionnels des dictionnaires4 de l’espagnol et du français quant aux entités lexicales feminidad/masculinidad en espagnol, et féminité/masculinité en français. -
Deuxième corpus : les discours de presse
Un répertoire de 200 articles de presse qui traitent la question de la féminité et de la masculinité en Colombie et en France : 50 sur la féminité et 50 sur la masculinité dans chaque territoire. Ces articles proviennent des journaux les plus consultés dans les pays, et datent de 2018 jusqu’à nos jours. -
Troisième corpus : les discours à caractère sociologique
Des énoncés recueillis à l’aide d’une enquête sociologique à laquelle 20 futur.e.s enseignant.e.s de FLE, de nationalité colombienne et française, ont répondu au cours du premier semestre de 2023. Les 40 réponses obtenues rendent compte du positionnement de ces sujets en formation face aux images identitaires. Les principales variables associées à la population ont été l’origine, la formation (tous les participant.e.s sont inscrit.e.s en dernière année de leur études), et la langue professionnelle en commun. Les questions posées (qui adoptent l'approche de sémantique expérimentale proposée par la SPA) sont les suivantes :
Quels sont les mots qui vous viennent à l’esprit lorsque vous entendez/lisez les termes suivants : féminité et masculinité ? Énumérez les mots/termes que vous associez à « féminité » et à « masculinité ».
D’après vous, qu’est-ce que féminité et masculinité ? Proposez une définition personnelle, la plus complète possible, contenant les termes « féminité » et « masculinité », avec vos propres mots.
21L’hétérogénéité des données recensées fait preuve de notre intention d’analyser notre objet d’étude depuis différents points de vue et matérialités discursives, comme manifestation de légitimité et représentativité dans la construction/interprétation du sens linguistique et social en discours. L’appréhension de notre objet oblige la constitution de corpus divers qui entrent dans une dynamique dialogique de croisement de manière à atteindre l’interdiscours sur le genre dans des dimensions socioculturelles situées. Ce carrefour analytique est « susceptible de faire agir non seulement des genres, mais aussi des œuvres, des formations discursives, des types de textes, des champs, des registres, des pratiques ou encore des domaines, par exemple » (Garric et Longhi, 2012, p. 6). Dans la complexité d’alliances entre la sémantique et l’analyse du discours que nous envisageons, nos corpus accorderont certainement une opportunité d’élargir les apports des confrontations pour répondre à la problématique identifiée. Or, le premier et troisième corpus seront traités depuis la SPA, tandis que le deuxième le sera à l’aide de la sémantique textuelle dans le cadre de la Sémantique de Corpus, en rapport avec notre corpus/des sous‑corpus de référence. Ces procédures garantissent la consolidation d’une voie d’accès à la réalité sociale propre aux territoires en question.
4. Regards croisés sur les images identitaires liées à la féminité/la masculinité en Colombie/en France : analyse sémantico‑discursive du dicible/des corpus
22Le dépouillement de nos corpus, et particulièrement les données qui les composent, relèvent des indices de nature linguistique convoquant le socioculturel. Ceci permet de rendre compte des représentations sur la féminité et la masculinité en Colombie et en France. Certes les dicibles mobilisent des marques linguistiques (d’ordre énonciatif, modal, lexical, argumentatif) qui peuvent notamment renseigner sur la manière dont les images identitaires sont établies dans chaque territoire, et sur le positionnement qui s’y construit vis‑à‑vis de la diversité. Dans les sections suivantes, nous présentons l’applicabilité des sémantiques pour l’appréhension du sens dans les dires sur la féminité et la masculinité propres aux espaces qui convoquent cette étude.
4.1. Construction de la signification lexicale de termes feminidad/féminité et de masculinidad/masculinité : une forme des discours préexistants
23Quelles représentations pour quelles communautés ? Dans cette phase, nous présenterons la construction de la signification des termes qui nous intéressent afin d’appréhender les conceptions du genre construites par les communautés linguistiques hispanophones et francophones à l’ère actuelle. Les données résultantes permettront de comprendre la manière dont le collectif conçoit la féminité et la masculinité selon la culture et les regards consensuels, matérialisés dans/par la langue espagnole et française. Suivant le dispositif de la SPA, nous aborderons ci‑dessous les caractéristiques saillantes à la reconnaissance et à l’emploi des mots, tel qu’il est partagé par lesdites communautés linguistiques. Nous privilégierons une organisation vectorielle (motivée par les connecteurs donc et pourtant) pour en déterminer les cheminements argumentatifs, et la série durable d’associations ouvertes propres à ces éléments. À remarquer, nous n’expliciterons pas les possibles argumentatifs pour des raisons d’économie, mais rappelons que les associations des entités lexicales avec leurs stéréotypes génèrent autant de possibilités que l’ouverture des stéréotypes l’autorisent.
4.1.1. Les représentations lexicographiques de feminidad/féminité
24L’examen attentif du discours lexicographique des mots en question, nous a permis d’identifier les propriétés essentielles constitutives du noyau, et par la suite, les éléments qui sont durablement associés aux propriétés identifiées (les stéréotypes). Observons la construction de la signification résultante de nos analyses :
Tableau 1 : représentations sémantiques de feminidad
Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
Rasgos [características biológicas/físicas/psicológicas] que permiten a una mujer M [+humano/sexo femenino] existir
Traits [caractéristiques biologiques/physiques/ psychologiques] qui permettent à une femme M [+humain/sexe féminin] d’exister
ENTONCES/DONC |
Aléthiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES pubertad, comportamientos de dama, ser honrada, persona justa, tener carácter, belleza, encanto, gracia, atractivo sexual … SIN EMBARGO rasgos que pueden asociarse algunas veces al hombre …
DONC puberté, comportements de dame, être honnête, personne juste, avoir du caractère, beauté, charme, grâce, attirance sexuelle … POURTANT des traits qui peuvent parfois être associés à l’homme … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (puberté, comportements de dame). Déontiques/doxologiques/éthiques-morales [+] /pragmatiques [+] (comportement de dame, être honnête, personne juste, avoir du caractère, charme, grâce, attirance sexuelle). Déontique/doxologique/esthétiques [+] /pragmatiques [+] (beauté). Déontiques/doxologiques/éthiques-morales [+/-] /pragmatiques [+/-] / volitives (l’homme ressemble à la femme). |
M posee órganos sexuales reproductores propios a su estructura biológica
M possède des organes sexuels reproducteurs propres à sa structure biologique
ENTONCES/DONC |
Aléthiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES cuerpo, vagina, óvulos, menstruación …
DONC corps, vagin, ovules, menstruation … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (corps, vagin, ovules, menstruation). Déontiques/doxologiques (corps). Hédoniques-affectives [+/-] (menstruation). |
M puede hacerse fecundar
M peut se faire féconder
Y/ET |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES fecundación, fertilidad, placer sexual …
DONC fécondation, fertilité, plaisir sexuel … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (fécondation, fertilité, plaisir sexuel). Déontique (fécondation). Désidératives (plaisir sexuel). |
M puede casarse con un hombre
M peut épouser un homme |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES esposa, matrimonio, quehaceres domésticos, dedicación al hogar … SIN EMBARGO mujer fatal, prostitución …
DONC épouse, mariage, tâches ménagères, implication au foyer … POURTANT femme fatale, prostitution … |
Déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (épouse, mariage, tâches ménagères, implication au foyer). Doxologique/pragmatiques [+] / éthiques-morales [-] (femme fatale, prostitution). |
Tableau 2 : représentations sémantiques de féminité
Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
Traits [caractéristiques biologiques/physiques/ psychologiques] qui permettent à une femme F [+humain/sexe féminin] d’être reconnue comme telle
DONC |
Aléthiques Pragmatiques [+] |
DONC menstruation, ovulation, taille fine, timbre argentin de la voix, charme, douceur, délicatesse, crainte, comportement sentimental … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (menstruation, ovulation, taille fine, timbre argentin de la voix, charme, douceur, délicatesse, crainte, comportement sentimental). Déontiques/doxologiques (taille fine, timbre argentin de la voix, charme, douceur, crainte, comportement sentimental). |
F possède une image stéréotypée sociale conforme aux regards de la communauté
DONC |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC certain âge, ménage, parité, profession, émancipation, bonne coiffure, football, objet … POURTANT homme sans force … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (certain âge, ménage, parité, profession, émancipation, bonne coiffure). Déontiques/doxologiques/pragmatiques [+/-] (football, objet, homme sans force). Éthiques-morales [-] (objet, homme sans force). Hédoniques-affectives [+/-] /volitives (homme sans force). |
F peut concevoir des enfants
ET |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC sexualité, gynécologie, grossesse, maternité, contraception … POURTANT avortement … |
Aléthiques/déontiques/pragmatiques [+] (sexualité, gynécologie, grossesse, maternité, contraception). Doxologiques/éthiques-morales [-] / pragmatiques [-] /hédoniques-affectives [+/-] (avortement). |
F peut épouser un homme
|
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC épouse, mariage, implication au foyer … POURTANT lesbianisme … |
Déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (épouse, mariage, implication au foyer). Doxologiques/pragmatiques [-] /éthiques-morales [-] /esthétiques [+/-] /volitives/désidératives (lesbianisme). |
25Les représentations de la féminité à partir des discours lexicographiques, dans les deux langues, convoquent différents domaines. Le factuel et les valeurs modales inscrites dans la signification des termes démontrent que la féminité repose sur les propriétés naturelles/anatomiques/psychologiques qui caractérisent la femme comme sujet différentié d’autre type d’humain. La sphère biologique est énormément convoquée dans les représentations des deux communautés linguistiques, et constitue un mécanisme en rapport avec la sphère expérientielle. La féminité reconnaît ainsi une dimension essentialiste de la femme, qui peut expérimenter la fécondation et l’attachement social à un homme. Néanmoins, en espagnol, la reproduction et la sexualité sont plus déterminantes qu’en français, langue qui met plutôt en exergue les attributs propres à la femme, auprès du regard social. Ces propriétés de la féminité sont au même temps animées par les représentations qui dérivent des stéréotypes, et qui confortent majoritairement les propriétés essentielles. Malgré cela, nous avons identifié certaines transgressions au niveau des associations. En espagnol, certains traits de la femme peuvent être assemblés à l’homme qui, par sa volonté, se reconnaît autrement. Une autre transgression est visible au niveau du mariage. En effet, la femme semble être représentée comme dangereusement sensuelle pouvant donc causer du tort à l’homme, et comme déshonorée par le travail sexuel qu’elle peut exercer. En français, la transgression se présente au niveau social : l’homme faible peut/semble être associé à la féminité, l’avortement empêche la procréation, et l’homosexualité féminine détourne ainsi les degrés de corrélation à l’homme étant nécessaires pour être femme. La part évaluative souligne dans les deux langues, que l’aléthique (l’ordre naturel), et le pragmatique positif (son utilité) sont révélateurs de l’épaisseur de la féminité, ainsi que la norme sociale par le déontique. Les valeurs stéréotypiques activent pourtant une féminité qui peut être transgressée (valeurs négatives) par certaines zones de l’expérience : les manières d’agir propres au sujet, en français, mais l’affectivité ressentie par la femme lors des menstrues, en espagnol.
4.1.2. Les représentations lexicographiques de masculinidad/masculinité
26Pour les lexèmes masculinidad/masculinité, nous proposons les description ci‑contre, comme suit :
Tableau 3 : représentations sémantiques de masculinidad
Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
Rasgos [características biológicas/físicas/psicológicas] que permiten a un hombre H [+humano/sexo masculino] existir
Traits [caractéristiques biologiques/physiques/ psychologiques] qui permettent à un homme H [+humain/sexe masculin] d’exister
ENTONCES/DONC |
Aléthiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES adultez, macho, musculatura, corpulencia, combate, barba, vigor, entereza, serenidad, valor, energía, valentía, fuerza física, calvicie …
DONC âge adulte, macho, musculature, corps masculin, corpulence, combat, barbe, vigueur, détermination, sérénité, valeur, énergie, courage, force physique, alopécie … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (âge adulte, musculature, corpulence, barbe, vigueur, énergie, force physique, alopécie). Déontiques/doxologiques/éthiques-morales [+] /pragmatiques [+] (macho, combat, détermination, sérénité, valeur, courage). |
H posee órganos sexuales reproductores propios a su estructura biológica
H possède des organes sexuels reproducteurs propres à sa structure biologique ENTONCES/DONC |
Aléthiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES testículos, espermatozoides, cuerpo masculino, lívido …
DONC testicules, spermatozoïdes, corps masculin, libido … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (corps masculin, testicules, spermatozoïdes, libido). Déontiques (corps masculin). Désidératives (libido). |
H puede fecundar
H peut féconder
Y/ET |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES fecundación, favor sexual …
DONC fécondation, faveur sexuelle … |
Aléthiques/ déontique /pragmatiques [+] (fécondation). Déontique/pragmatiques [+] /désidératives (faveur sexuelle). |
H puede casarse con una mujer
H peut épouser une femme
ENTONCES/DONC |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
ENTONCES pareja, esposo …
DONC conjoint, époux … |
Déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (conjoint, époux). |
H cuenta con un reconocimiento laudatorio social
H bénéficie d’une reconnaissance avantageuse sociale |
Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [+] |
ENTONCES facultad, conocimiento, ciencia, influencia social, honor, confianza, respeto, ser racional, trabajo, machismo …
DONC faculté, connaissance, science, influence sociale, honneur, confiance, respect, être rationnel, travail, machisme … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (faculté, être rationnel). Déontique/doxologiques/ pragmatiques [+] (influence sociale, honneur, confiance, respect, travail). Déontiques/épistémologiques/pragmatiques [+] (connaissance, science). Éthiques-morales [+] (respect). Éthiques-morales [+/-] (machisme). Intellectuelles [+] (connaissance, science, influence sociale, travail). |
27Nous relevons certains points particuliers de la masculinité en espagnol. Les enchaînements argumentatifs offrent une image centrée sur des traits de caractérisation de différentes natures propres à l’homme, et qui reposent sur le factuel/l’expérientiel. L’appareillage biologique, la reproduction humaine et la conformité d’actions/performativités attribuées à l’homme, viennent complémenter les conceptions de la communauté hispanophone. Le noyau rapporte l’inscription de la masculinité dans les zones aléthique, déontique et pragmatique (charge positive) ; aspect qui rend compte de ce qui est nécessaire pour différentier l’homme d’autres individus, motivé par l’utilité chez toute perception sociale. Les stéréotypes confortent les propriétés essentielles à la reconnaissance de la masculinité, activant la zone expérientielle largement positive, en plus des valeurs nucléaires.
28En français, voir tableau 4, les propriétés essentielles aussi que les liens argumentatifs sont semblables à ceux en espagnol, mais il y existe un regard temporel, et des transgressions qui diffèrent. Pour la communauté francophone, la signification du mot est associée à l’ordre de la loi naturelle, mobilise des images nécessaires à la reconnaissance de l’homme comme sujet acteur de la masculinité, et marque une grande influence sociale dans les représentations construites. Contrairement à ce qui est observé en espagnol, en français l’âge adulte est une propriété essentielle à la masculinité. L’épanouissement intégral de l’homme représente la mesure propice, en termes temporels, pour lui attribuer des propriétés masculines confortées par le regard collectif. Par l’inscription de valeurs, nous observons surtout l’imbrication des dimensions factuelle et expérientielle (individuelle, intellectuelle et sociale) majoritairement positive étant affermies par les valeurs stéréotypiques. Or, les valeurs modales épaisses macho, autorité, phallocratie apparaissent parmi les stéréotypes nucléaires, car celles‑ci représentent la conformité aux normes de vie en société marquées par les regards de l’unanimité. Leur charge est bivalente puisque les actions auxquelles ces valeurs se réfèrent peuvent être bien vues, ou causer des dévalorisations pour conceptualiser la masculinité à l’époque actuelle. En outre, la valeur épaisse homosexualité apparaît sous une forme transgressive : < association non conforme à l’image sociale >, qui fait appel à des regards positifs/négatifs (d’où l’ambivalence identifiée), mais qui semble ne pas être utile pour la reconnaissance de la masculinité en français. En somme, comme nous l’avons démontré dans un travail antérieur (Contreras, 2021), les affordances normatives et prescriptives de la masculinité dans les langues à l’étude, reposent sur l’aléthique, sur le déontique et sur le pragmatique au partage du biologique et du social.
Tableau 4 : représentations sémantiques de masculinité
Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
Traits [caractéristiques biologiques/physiques/ psychologiques] propres à un homme H [+humain/sexe masculin] qui marquent son existence
DONC |
Aléthiques Pragmatiques [+] |
DONC voix grave, corpulence, virilité, courage, force, bravoure, noblesse, franchise, personnalité, passion, intelligence … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (voix grave, corpulence, force). Déontiques/doxologiques/ pragmatiques [+] (virilité, courage, bravoure, noblesse, franchise, personnalité, passion, intelligence). Déontiques/doxologiques (corpulence). Éthiques-morales [+] (courage, bravoure, noblesse, franchise). Intellectuelles [+] (personnalité, intelligence). |
H parvient à l’âge adulte
DONC |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Hédonique-affectives [+] |
DONC maturité, adulte, mûr … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (maturité, adulte, mûr). Intellectuelles [+] (maturité, adulte). Hédoniques-affectives [+] (adulte). |
H se procure une image sociale conforme aux normes de la communauté |
Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [+] |
DONC vêtements masculins, conquête féminine, séduction, appétences masculines, parentalité, profession, insensibilité, bienfaiteur, responsabilité, époux, reconnaissance, science, recherche, capacité, savoir, raison, nécessité, convenance, travail, cadre, guidage, business, macho, autorité, phallocratie …
POURTANT homosexualité … |
Aléthiques/pragmatiques [+] (capacité, appétences masculines, raison). Déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (vêtements masculins, conquête féminine, séduction, appétences masculines, parentalité, profession, insensibilité, bienfaiteur, époux, reconnaissance, nécessité, convenance, travail, cadre, guidage, business, macho, autorité, phallocratie). Épistémologiques (science, recherche). Éthiques-morales [+] (responsabilité, parentalité). Éthiques-morales [+/-] (macho, autorité, phallocratie). Intellectuelles [+] (savoir, science). Volitives/désidératives (conquête féminine, séduction, appétences masculines). Volitives (parentalité). Doxologiques/éthiques-morales [+/-] /esthétiques [+/-] /pragmatiques [-] /volitives/désidératives (homosexualité). |
4.2. Configurations sémantico‑discursives des valeurs sociales feminidad/féminité et masculinidad/masculinité dans la presse : regards socio‑culturels de l’identité
29Quelles représentations genrées circulent à l’intérieur de la sphère culturelle (imbriquée dans la presse écrite) au sein de la société colombienne et française ? Pour y répondre, nous présenterons nos analyses du corpus presse à l’aide de la sémantique textuelle. Un tel recours permet ainsi d’avoir accès aux univers sémantiques des publications journalistiques afin d’appréhender les images identitaires et l’expérientiel qui en découle sur les formes de l’existence humaine. Avant de traiter notre deuxième corpus, et dans la perspective de la TMD à l’égard de la SPA, il nous faut apporter une précision : la féminité et la masculinité sont des valeurs sociales complexes puisque ces notions convoquent le factuel et des situations identitaires des individus, mais aussi car celles‑ci sont intégrées dans la société et conditionnent des pratiques sociétales diverses.
- Note de bas de page 5 :
-
Nous avons consulté cinq journaux colombiens de grande circulation nationale et régionale : El Tiempo (22 articles), El Espectador (26 articles), El Colombiano (24 articles), El País (18 articles) et Vanguardia (10 articles), répartis entre les deux objets d’études qui nous convoquent.
- Note de bas de page 6 :
-
Grâce à Europress, nous avons dépouillé six journaux : Le Monde (12 articles), L’Humanité (28 articles), Libération (22 articles), La Croix (14 articles), Le Figaro (6 articles) et Ouest-France (18 articles), concernant la féminité et la masculinité.
30À partir du corpus presse et grâce au logiciel Iramuteq, nous avons mis en place deux types de traitements : primo, l’analyse de similitudes (ADS) ; secundo, l’analyse factorielle de correspondances (AFC). Le premier permet de comprendre le voisinage des relations entre les éléments qui traitent la question de la féminité et de la masculinité en espagnol5 et en français6. Il en découle un calcul produit d’un indice de co‑occurrences, présenté sous forme de résultante visuelle : la taille des mots souligne la fréquence tandis que la taille des arrêts est corrélative à la puissance des mots dans les représentations sur notre objet. Le second renseigne les rapports de proximité/distance lexicale à l’égard d’une distribution en couleurs qui marque les univers lexicaux, et leur conformité avec les termes qui les composent.
4.2.1. Les images identitaires de la feminidad/féminité dans la presse écrite
31L’ADS permet de visualiser que les représentations sur la féminité en Colombie (voir figure 2 ci‑dessous) se construisent à partir de trois univers lexicaux : les images identitaires associées à son actrice principale, la problématique sociale qui la concerne, et des pratiques genrées. Nous y observons que mujer (femme) est le terme de plus grande taille, qui concentre plusieurs associations dont hombre (homme). Cela souligne que la femme est par excellence l’individu qui fait preuve de féminité dans la société colombienne, et son existence est possible, socialement parlant, en rapport avec l’homme. Les images de la femme s’associent à différentes manifestations factuelles et aussi expérientielles, par exemple : vida (vie), tiempo (temps), cuerpo (corps) ; à des pratiques/conditions de vie : trabajo (travail), madre (mère), moda (mode), feminismo (féminisme) ; enfin, à des espaces variés où la féminité s’accomplit/s’exerce : social (social), cultura (culture), país (pays), familia (famille), hogar (foyer). Les entités : violencia (violence) et sexual (sexuel) retracent les abus et les menaces auxquels la femme est objet en Colombie, tandis que femenino (féminin) et fútbol (football) pointent sur le comportement et la pratique sportive autorisés par la société, permettant de particulariser l’image de la femme.
32Respectivement à la figure 3 (ci‑dessous), celle‑ci conforte les représentations obtenues à l’aide de l’analyse de similitudes par la consolidation de trois univers lexicaux. L’univers vert est le contraste de celui en rouge. Le premier fait échos à l’identité et aux pratiques (à la doxa dominante) propres à la féminité : femenino (féminin), moda (mode), revista (revue), tandis que le deuxième s’oriente plutôt sur les dimensions féminines établies par la société : querer (aimer), hijo (enfant), esposo (époux), sentimiento (sentiment). L’univers en bleu retrace la violencia (violence) à laquelle la femme colombienne est directement confrontée et qui correspond à différents aspects : sexual (sexuel), género (genre), víctima (victime), indígena (indigène). L’entité lexicale caso (cas) vient renforcer ces situations d’agression contre/envers elle.
33Les figures suivantes illustrent ces réflexions qui précédent :
Figure 2 : analyse de similitudes du sous‑corpus presse contenant « feminidad » et ses dérivés
Figure 3 : analyse factorielle des correspondances par catégories sur la féminité en Colombie
34Quant aux représentations en France, nous observons plusieurs relations. D’abord, la féminité s’associe à la femme qui est en rapport à l’homme, soit car il lui permet d’avoir une relation sentimentale, soit car sur le prisme de la diversité, il peut devenir femme à partir d’un changement de catégorie sexuée. D’ailleurs, la féminité se caractérise également par l’accentuation de traits physiologiques, de pratiques vestimentaires, et de l’expression de la condition féminine propre à la femme. Observons la figure ci‑contre :
Figure 4 : analyse de similitudes du sous-corpus presse contenant « féminité » et ses dérivés
35Or, la figure 5 ci‑dessous illustre la représentation de la féminité en France à partir de trois univers lexicaux qui confortent clairement les conceptions socioculturelles identifiées dans la figure 4. Celles‑ci convoquent des caractères associés socialement à la femme (en rouge), et revendiquent ses actions politiques sur le plan comportemental, sur ses pratiques corporelles et sur le collectif. L’univers en bleu marque un contraste par rapport à la dimension politique de la femme, et souligne des caractéristiques de nature prototypiques sur son apparence sociale quant à sa physionomie et son allure. La figure suivante met en lumière l’ensemble de réflexions avancées, comme suit :
Figure 5 : analyse factorielle des correspondances par catégories sur la féminité en France
4.2.2. Les images identitaires de la masculinidad/masculinité dans la presse écrite
36En adoptant l’ADS, la masculinité en Colombie s’associe à l’homme et à différentes expressions socialement acceptées qui le concernent : sa virilité [cuerpo (corps), masculino (masculin), machismo (machisme) et macho (mâle)], les manifestations et les degrés de force qu’il peut exercer [violencia (violence), homicidio (homicide), miedo (peur)] et les différents espaces où l’existence de l’homme est visible [sociedad (société), cultura (culture), mundo (mode), género (genre)]. Nous observons aussi une relation directe de la masculinité à mujer (femme) : celle‑ci pointe la place privilégiée de l’homme dans la société, comme la figure 6 (ci‑dessous) le renseigne.
37D’ailleurs, la figure 7, par l’AFC, montre la consolidation de six univers lexicaux qui contribuent à cette représentation de la masculinité. Le premier, en gris, convoque principalement le côté biologique propre à l’homme [testosterona (testostérone)]. Celui en vert s’oriente vers deux champs d’action masculins : homicidio (homicide) et policía (police). Proche de l’axe, nous remarquons, en bleu, certaines manifestations de l’homme comme sociedad (société), paternidad (paternité), niño (enfant). En rouge, il y a des actions telles que hacer (faire), decir (dire), conquistar (conquérir) montrant l’influence de l’homme, tandis qu’en bleu clair, les lemmes decisión (décision), idea (idée), imponer (imposer) retracent ses capacités en collectivité. Finalement, en fuchsia, femenino (féminin) semble relier la masculinité à des manifestations partagées avec les femmes. Nous présentons les figures évoquées pour éclairer ce qui a été dit, comme suit :
Figure 6 : analyse de similitudes du sous‑corpus presse contenant « masculinidad » et ses dérivés
Figure 7 : analyse factorielle des correspondances par catégories sur la masculinité en Colombie
38Respectivement en France, la figure ci‑contre montre que la masculinité correspond à l’homme ayant des traits socialement établis, qui entraîne des rapports divers avec la femme. Cet individu masculin se caractérise par la construction d’une identité principalement hétéronormative. Même si l’homme passe par la lentille du regard genré, la masculinité retrace l’autorité/l’influence que l’homme exerce en société. Voici la figure 8 :
Figure 8 : analyse de similitudes du sous‑corpus presse contenant « masculinité » et ses dérivés
Figure 9 : analyse factorielle des correspondances par catégories sur la masculinité en France
39Finalement, la figure 9 (ci‑dessus), convoque des conceptions présentes dans la figure 8, mais une nouvelle idée s’y impose : la masculinité s’associe aussi à la perspective religieuse. La presse française rend visible le fait que parler de l’homme et de la masculinité concerne les acteurs de l’église. En outre, l’univers violet rend compte des images sur la masculinité associées à la production cinématographique : c’est par ce biais qu’en France circulent des conceptions sur l’homme et sur ses actions à différents niveaux.
4.3. Des représentations genrées chez les futur.e.s enseignant.e.s du FLE
- Note de bas de page 7 :
-
Nous privilégions les travaux de Hanna Arendt (1995, 1996) sur la complexité de l’action et l’éducation.
40Quels positionnements identitaires pourraient circuler à l’intérieur des contextes éducatifs du FLE dans un futur immédiat ? Partons du constat que « Dès la naissance (et parfois même avant), la socialisation basée sur le genre conduit les individus à adopter ainsi qu’à reproduire des normes “féminines” ou “masculines” » (Brunet, 2020, p. 5). Tout enseignant, en tant qu’acteur politique, contribue à cette socialisation, peu importe sa discipline. De surcroît, ses actions7 ont un impact dans la sphère socioéducative. À l’aide de la SPA, nous comptons appréhender le sens propre aux conceptions des participant.e.s en langue française, comme nous le présentons dans les lignes qui suivent.
4.3.1. Les dicibles sur la féminité chez les futur.e.s professionnel.le.s en FLE
41Les énoncés recueillis auprès des étudiant.e.s des derniers semestres de licence en FLE, pour féminité, en Colombie et en France, favorisent l’identification de déploiements discursifs/argumentatifs. Les tableaux suivants exposent les réponses données par les participant.e.s et permettent, par la suite, leur traitement.
Tableau 5 : les déploiements discursif/argumentatifs de féminité chez les étudiant.e.s en Colombie
Définitions en Colombie |
[1] La féminité répond à une manière idéale ou souhaitée d'être, à partir des comportements sociaux et d'apparences des femmes. Il ne s’agit pas que d’une question biologique mais aussi identitaire. [2] La féminité consiste à des caractéristiques associées à un genre spécifique qui vont dépendre de la culture et de l'individu. C’est une création qui a permis de distinguer les rôles des gens, assemblée à un statut inférieur en termes de participation et acceptation sociale. [3] La féminité est composée de tous les éléments qui ont été culturellement attribués aux femmes, ce qui les éloigne d'une position de pouvoir, puisque c'est normalement l'espace des hommes. Ainsi, dans un effort pour transférer la différence biologique au niveau civique, la société a accentué ces différences de la femme dans des domaines tels que l'image, le comportement, les devoirs et les droits. [4] La féminité est une construction sociale propre à certaines caractéristiques spécifiques des femmes, en leur faisant acquérir des attitudes avec lesquelles elles peuvent ne pas se sentir identifiées. Ce terme cherche leur normalisation dans la société. [5] La féminité est un moyen pour l'expression d’états, émotions et pensées. Elle est performative lors qu’elle provoque une réaction sur les autres, et finalement historique car elle a joué un rôle dans la création de prototypes chez l’humain, en fonction de la race et la classe sociale des personnes. [6] L’ensemble de comportements, actions, expressions, sentiments et caractéristiques physiques qu’a une personne qui se sent identifiée/bien avec certaines caractéristiques imposées au genre féminin. La féminité fait partie d’un concept social que quelqu’un peut adopter. [7] Manière dont une personne s'identifie à partir des caractéristiques qui sont associés socialement à la femme : ses comportements, ses manières d´utiliser les vêtements, de s'exprimer, mais qui passent par la domination des hommes. [8] Concept qui nous aide à représenter ce que l'on conçoit du genre féminin en termes biologiques et sociaux. [9] Ce sont les caractéristiques associées traditionnellement aux femmes, à l'image qu'on peut avoir d'une femme dans notre tête selon les rôles qu'elles jouent en société. [10] Concept qui définit d'une manière très excluante à la femme. La féminité n'est pas une question biologique mais une adaptation à notre entourage, aux règles conventionnelles que les femmes suivent communément et qui donnent, de certain manière, un ticket pour être collectivement acceptées. [11] La féminité est la lutte constante des femmes contre ce que l’hégémonie a établi par rapport à leur corps et à leur volonté. [12] Ensemble de constructions sociales qui causent des facettes sur la personnalité de tout le monde, sur la pensée complexe, la sensibilité et une longue lutte de revendications. |
Définitions en Colombie |
[13] La féminité fait référence à la dimension de la force émotionnelle. C'est l'ouverture à la sensibilité, l'expérience du monde non pas par la force physique ou l'agressivité, mais par le calme, l'analyse et la compréhension. [14] Construction personnelle et caractéristiques physiques en relation plutôt avec les femmes qui forment leur identité. [15] La féminité est un terme qui répond à une construction sociale dans laquelle on associe une manière d'être et d'agir avec une orientation sexuelle spécifique, propre à la femme hétérosexuelle. [16] La féminité est une construction sociale qui explique comment les femmes doivent agir et se construire en termes identitaires. [17] La féminité est un terme qui inclut toutes les idées sociales d’être, propres aux femmes. C’est le côté délicat et esthétique des femmes. [18] Il s'agit d'une attitude liée aux sentiments d'une femme. [19] C'est l'acte d'être délicate et belle donc d’être femme. [20] C'est une construction sociale qui désigne certaines caractéristiques féminines associées aux comportements des femmes : la maternité ou la protection des enfants, l'élégance, la sensualité, la tendresse ou même la résistance. |
Les associations |
Délicatesse (x9), beauté (x8), compagnie, amour (x5), paix, nature (x5), désir, création, équilibre (x2), être propre, subtile, liberté, perspicace, organisée, intelligence (x5), ballet, sensibilité (x5), sentiments, féminisme, stéréotype (x2), tendance vestimentaire dépendante de l'époque, conditionnement des comportements de femmes, impositions, expression du genre, aimable, polyvalente, élégance, pénalisation, suprématie blanche, construction sociale, lutte historique, langage inclusif, fierté, menacée, pensée complexe, pouvoir, force (x5), couleur, fleurs, esthétique (x2), forme, mode, détermination, vie, homme, femme (x3), lutteuse, survivante, fragile, différente, catastrophique, intéressante, changeante, calme, construction sociale, empathie, curiosité, organisation, intuition, rationnelle, fertilité, rose, tendresse, douleur, soumission, courage, identité, féminin, mère, douceur, égalité, sensualité, solidarité, s'occuper d’autrui, fragilité, charisme, violet, vert, maternité, sororité, émancipation. |
Tableau 6 : les déploiements discursifs/argumentatifs de féminité chez les étudiant.e.s en France
Définitions en France |
[1] La féminité est l'expérience unique que vit toute personne qui se définit en tant que femme, et sa manière de l'exprimer, mais chaque femme a sa propre féminité. [2] Stéréotypes associés au sexe féminin. [3] La féminité est un concept relativement abstrait désignant les caractéristiques que la société considère comme féminines. Elle peut regrouper les attributs physiques tout comme le côté psychologique. Ce sont des traits que l'on a considérés comme représentatifs de la femme. [4] La féminité est un adjectif propre à la femme et correspond à toutes les caractéristiques qui lui permettent de se démarquer des hommes en tant que femme. Cela passe par l'accoutrement, les bonnes manières et les traits de caractères communs, que l'on attend de retrouver chez les femmes. [5] La féminité résulte d'un ensemble d'attitudes et de réactions qui émane de l'essence même de ce qu'être une femme. C'est une harmonie, un amour sain et profond envers son propre sexe biologique. [6] La féminité c'est le fait d'accepter d'être une femme, d'être respectée en tant que telle et d'accepter son corps de femme et sa sexualité de femme. [7] La féminité est selon moi assumer sa condition (personnelle ou stéréotypée) de femme et en être fière. [8] Représentations de la femme, à un moment donné, dans un lieu donné. Mot attribué à quelqu'un selon des critères sociaux et jugements. [9] Ensemble de caractères stéréotypés ou non appartenant au sexe féminin. [10] Tout ce qui se réfère à l'univers de la femme. [11] L’image traditionnelle liée à la femme. [12] Ce qui représente la femme en contraposition de l’homme. [13] Ensemble de caractéristiques stéréotypées propres à la femme, différentes de celles des hommes, qui sont acceptées socialement à partir des caractères physiologiques et psychologiques propres à elle. [14] Traits de caractères des femmes conformes aux idées acceptées par la société. [15] Aspects physiques et psychologiques qui marquent l’existence d’une femme ou qui affaiblissent la virilité d’un homme selon le milieu social. [16] La féminité est une construction sociale traditionnelle qui encadre la manière dont les femmes doivent se comporter, s’habiller, parler. [17] Étiquette sociale attribuée pour définir une femme, son corps, ses goûts, sa sexualité, ses comportements et les différentier de l’image masculine. [18] Acceptation de soi en tant que femme, avec ses attributs physiques et psychiques. [19] Condition de tout ce qui a été accompli par quelqu’un qui se sent femme. [20] Les différentes manières (libres ou imposées) d’être femme : comportements, attitudes, décisions, la différenciant des hommes. |
Les associations |
Élégance (x2), subtilité, pouvoir, affirmation, connaissance, résistance (x3), combativité, survivante, sensualité (x2), manipulation, maternité, injustice, domination (est dominée par), douceur (x3), amour, compassion, jugement, critiques, prévoyance, légèreté, rancunière, amour maternel, patience, agilité, femme (x9), injonction, soin, robe, talons hauts, rouge à lèvre, bijoux, laque, délicatesse (x3), bonne tenue, Vénus, Aphrodite, sororité (x3), féminisme (x4) et pas extrémisme, corps (x4), règles, émotion, lumière, harcèlement, beauté (x7), acceptation de son corps, sexualité (x3), maquillage (x2), couleur rose, cheveux longs, émotivité, codes féminins, intelligence, indépendance, combat, collectif, amie, copine, pote, style, genré, épilation, tendresse, charisme, foyer, passion, esthétique, vêtements de femmes, couleurs, subjectivité, poitrine, hanche, rondeurs, force féminine, récursivité, caractère, méchanceté, curiosité, compréhension. |
42En regardant de près les données, les représentations sur la féminité, dans les deux contextes, s’orientent vers les traits essentiels (du point de vue biologique et social) qui sont associés à la femme. Nous observons que les conceptions convergent et pointent spécialement sur l’influence sociale dans la consolidation de l’image féminine. Le tableau ci‑contre présente les propriétés essentielles à la reconstruction de la signification et les stéréotypes nucléaires, permettant de saisir les représentations en question tant en Colombie qu’en France. Les futur.e.s enseignant.e.s évoquent ainsi, dans les deux contextes, l’influence de la société/culture quant à la construction identitaire de la femme. Leurs conceptions semblent mettre en cause le recours au regard essentialiste pour ratifier son existence. Or, tandis qu’en contexte colombien les conceptions genrées s’axent davantage sur la validation socio‑culturelle, en France, il est saillant la démarcation de la femme vis‑à‑vis de l’homme. Un autre aspect observé est le fait qu’en Colombie, l’individu qui se reconnaît/est reconnu comme femme, peut aussi s’identifier et construire une identité propre. Certes les stéréotypes raffermissent chacune des propriétés et offrent une image stéréotypée de la féminité, mais ceux‑ci revendiquent les luttes féminines pour changer ces images normatives imposées, et visibilisent la féminité comme collectif.
Tableau 7 : les représentations de féminité chez la population dans les deux contextes
Reconstruction de la signification lexicale de féminité en contexte colombien |
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Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
X possède des traits biologiques et physiques qui font de X une femme
ET |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC nature, intelligence, vie, fertilité, rationnelle … |
Aléthiques/déontiques/pragmatiques [+] (nature, intelligence, vie, fertilité, rationnelle). Intellectuelles [+] (intelligence, rationnelle). |
X fait preuve d’un ensemble particulier de comportements, caractéristiques, sensibilités, émotions, personnalités et codes
DONC |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] |
DONC amour, paix, subtile, perspicace, organisée, ballet, sensibilité, sentiments, tendance vestimentaire dépendante de l'époque, conditionnement des comportements de femmes, aimable, polyvalente, pensée complexe, empathie, curiosité, organisation, intuition, tendresse, douceur, sensualité, solidarité, charisme … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (amour, paix, subtile, perspicace, organisée, ballet, sensibilité, sentiments, tendance vestimentaire dépendante de l'époque, conditionnement des comportements de femmes, aimable, polyvalente, empathie, curiosité, organisation, intuition, tendresse, douceur, sensualité, solidarité, charisme). Éthiques-morales [-] (tendance vestimentaire dépendante de l'époque, conditionnement des comportements de femmes). Intellectuelles [+] (polyvalente, curiosité). Hédoniques-affectives [+] (paix, amour, sentiments). Désidératives (sensualité). |
X passe par un processus de reconnaissance / acceptation de conformité à la société et à la culture
DONC |
Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [-] |
DONC délicatesse, beauté, construction sociale, compagnie, être propre, stéréotype, impositions, élégance, pénalisation, suprématie blanche, lutte historique, couleur, fleurs, esthétique, forme, mode, détermination, homme, fragile, différente, catastrophique, intéressante, changeante, rose, douleur, soumission, mère, s'occuper d’autrui, fragilité, violet, vert, maternité, calme … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (délicatesse, beauté, construction sociale, compagnie, être propre, stéréotype, impositions, élégance, pénalisation, suprématie blanche, lutte historique, couleur, fleurs, esthétique, forme, mode, détermination, homme, fragile, différente, catastrophique, intéressante, changeante, rose, douleur, soumission, mère, s'occuper d’autrui, fragilité, violet, vert, maternité, calme). Esthétiques [+] (beauté, être propre, élégance). Éthiques-morales [+] (lutte historique). Éthiques-morales [-] (fragilité, s'occuper d’autrui, suprématie blanche, catastrophique, douleur, soumission). Intellectuelles [+] (intéressante, changeante). Hédoniques-affectives [-] (douleur). |
X construit une identité propre / conditionnée à partir de la manière dont X s’identifie / est identifiée |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [+] (construction propre) Éthiques-morales [-] (construction conditionnée) Volitives |
DONC identité, femme, féminin, féminisme, expression du genre, désir, création, équilibre, langage inclusif, menacée, fierté, pouvoir, force, lutteuse, survivante, courage, égalité, liberté, sororité, émancipation … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (identité, femme, féminin, féminisme, expression du genre, désir, création, équilibre, langage inclusif, menacée, fierté, pouvoir, force, lutteuse, survivante, courage, égalité, liberté, sororité, émancipation). Éthiques-morales [+] (féminisme, expression du genre, langage inclusif). Éthiques-morales [-] (menacée) |
Reconstruction de la signification lexicale de féminité en contexte français |
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Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
X dispose d’attributs physiques / psychologiques lui permettant de s’accepter / être acceptée comme femme
ET |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC corps, règles, sexualité, intelligence, poitrine, hanche, passion, émotion, caractère, méchanceté, curiosité, compréhension … |
Aléthiques/déontiques/pragmatiques [+] (corps, règles, sexualité, intelligence, poitrine, hanche, passion, émotion, caractère, méchanceté, curiosité, compréhension). Intellectuelles [+] (intelligence, curiosité, compréhension). Désidératives (passion). |
La société établit un ensemble de caractéristiques, comportements, expériences associé à X
DONC |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [-] |
DONC beauté, acceptation de son corps, élégance, bonne tenue, cheveux longs, agilité, subtilité, manipulation, douceur, amour, compassion, jugement, critiques, prévoyance, légèreté, rancunière, patience, injonction, soin, lumière, maquillage, couleur rose, amie, copine, pote, style, genré, épilation, tendresse, charisme, foyer, esthétique, couleurs, subjectivité, émotivité, rondeurs, récursivité … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (beauté, acceptation de son corps, élégance, bonne tenue, cheveux longs, agilité, subtilité, douceur, amour, compassion, jugement, critiques, manipulation, prévoyance, légèreté, rancunière, patience, injonction, soin, lumière, maquillage, couleurs, couleur rose, amie, copine, pote, style, genré, épilation, tendresse, charisme, foyer, esthétique, subjectivité, émotivité, rondeurs, récursivité). Éthiques-morales [-] (manipulation, rancunière). Esthétiques [+] (beauté, esthétique). |
X se démarque de l’homme |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Intellectuelles [+] |
DONC femme, robe, talons hauts, rouge à lèvre, bijoux, laque, maternité, amour maternel, délicatesse, Vénus, Aphrodite, sororité, féminisme et pas extrémisme, combat, injustice, harcèlement, codes féminins, indépendance, vêtements de femmes, force féminine, collectif … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (femme, robe, talons hauts, rouge à lèvre, bijoux, laque, maternité, amour maternel, délicatesse, Vénus, Aphrodite, sororité, féminisme et pas extrémisme, combat, injustice, harcèlement, codes féminins, indépendance, vêtements de femmes, force féminine, collectif). Éthiques-morales [+] (sororité, féminisme, combat, indépendance, force féminine, collectif). Éthiques-morales [-] (injustice, harcèlement). |
43Quant à l’activation de valeurs, les représentations dans les deux contextes inscrivent l’aléthique (ce qui est nécessaire mais aussi la possibilité, ou non, sur l’existence d’un trait en particulier), le déontique (la société établit une image de femme motivée aussi par les lois naturelles), et le pragmatique (ces marques deviennent utiles dans les représentations). Le fait que la société/culture impose/imposent une image de la femme et de ses manifestions d’existence, véhicule la charge minoritaire des valeurs éthiques‑morales négatives car les discours évaluent comme négative cette influence sociale marquée, sur la construction de l’être humain.
4.3.2. Les dicibles sur la masculinité chez les futur.e.s professionnel.le.s en FLE
44Observons les précisions données par les deux populations à l’étude pour masculinité. Les tableaux suivants explicitent les dicibles sur la masculinité en termes de définitions et associations, comme suit :
Tableau 8 : les déploiements discursif/argumentatifs de masculinité chez les étudiant.e.s en Colombie
Définitions en Colombie |
[1] L’ensemble de caractéristiques associées à l’homme, qui ne sont pas universelles et qui dépendent de la culture et de l'individu. [2] Construction sociale qui fait référence aux caractéristiques propres aux hommes. [3] C’est une construction faite par la société pour pouvoir établir les règles sur le comportement "propre" à un homme. [4] C'est l’ensemble d’aspects biologiques, comportements, actions, expressions, et sentiments d’une personne qui se sent identifiée ou bien avec certaines caractéristiques imposées socialement au genre masculin. [5] Stéréotype social qui est proportionnellement inverse à ce qu’est la féminité. C'est-à-dire que c'est une manière de conditionner le comportement des hommes, et bien sûr, leur image virile favorisée. [6] Condition biologique et identitaire de l’homme qui lui permet d’avoir une place privilégiée dans la société. [7] Manière dont une personne s´identifie à partir des caractéristiques établies en relation à la figure de l'homme dans la société. La masculinité concerne les comportements, manières de communiquer en collectivité et types de relations que l´homme établit dans la société. |
Définitions en Colombie |
[8] Ensemble de constructions sociales qui caractérisent le corps, la personnalité et les comportements des hommes à partir d’une pensée colonisatrice. [9] Il s'agit des caractéristiques qu'on attribue traditionnellement aux hommes : ceux qui sont chargés de l'économie domestique, ceux qui ont une image virile, moins vulnérable, et ceux qui jouent les rôles les plus reconnus dans la politique, l'économie et la science. [10] La masculinité est un concept social qui à l'heure actuelle indique l’image physique et psychologique de l’homme et explique comment il doit se comporter pour être accepté dans la société et donc bénéficier d’une légitimité non questionnée. [11] C'est une caractéristique conçue par la société au cours des années pour définir l’homme : ses comportements, sa manière de vivre et de penser. [12] Je vois la masculinité comme un ensemble de caractéristiques physiques et de caractère plus associé aux hommes, à la force et à la protection. [13] La masculinité concerne des idées plutôt liées à cette image traditionnelle de l'homme, ça veut dire, à la personne qui est chargée de travailler, de fournir le nécessaire pour sa famille. [14] Les différentes manières d'être et d'agir sur une base stéréotypée associée directement à un homme hétérosexuel. [15] La masculinité est la condition de l’homme qui montre sa force et son pouvoir. La masculinité n'admet pas la peur, la faiblesse ou les larmes. La masculinité, c'est avoir un ton de voix grave et une barbe fournie. [16] La masculinité fait référence à la dimension de la force physique et tangible de l’homme. Elle n'est pas le contraire de la féminité, mais son complément. En tout cas, son existence est plus avantagée que celle de la femme. [17] Je trouve la masculinité comme une condition propre à l’homme, de contribution émotionnelle, économique et de protection. Il s’agit aussi d’être résistant et cohérent avec ses capacités physiques et psychologiques. [18] Il s'agit de l‘attitude, du physique, des capacités biologiques et des sentiments liés à l’homme qui a une reconnaissance sociale marquée. [19] La masculinité est une construction sociale associée à la force, au travail dur, à la reproduction et au pouvoir attribués aux hommes. [20] La masculinité est l’ensemble de caractéristiques qui définissent un homme et qui sont orientées vers l’idée que celui a du pouvoir sur la femme. |
Les associations |
Être fort (x2), voix grave, persistance, arts martiaux, être stoïque, violence (x3), pouvoir (x2), pensée réductionniste, précision, imposition, fiable, strict, commodité, sérénité, privilège, stéréotype (x2), dominant, force (x13), téméraire, hétérosexuel, virilité (x4), protection, chasse, avantages, sens de l'humour, amour, prudence, intelligence (x4), amitié, capacité, homme (x4), masculin, invulnérabilité, affaires, indépendance compétitivité, inexpressivité, homme (x7), endurance, travail (x3), mode, puissance (x2), machisme (x2), hostilité, sérieux (x3), sport, hégémonie, raison, drôle, sympathique, beau, sûr, sérieux, sécurité, résilience, voiture, soin, résistance, estime de soi, énergie, conquête, fierté, charme, ténacité, domination, insensibilité, conservateur, désorganisation, fils, époux, père, frère, courtois, maison, fournisseur, persévérant, aimable, indépendant, courage, détermination, logique, autonomie, opportunité, muscles, cruauté, patriarcat, exploitation. |
Tableau 9 : les déploiements discursif/argumentatifs de masculinité chez les étudiant.e.s en France
Définitions en France |
[1] L'expérience unique que vit toute personne qui se définit en tant qu'homme, et sa manière de l'exprimer. Il faut donc dire que chaque homme a sa propre masculinité. [2] Stéréotypes associés au sexe masculin et qui permettent de différentier l’homme de la femme à partir des idées socialement acceptées. [3] La masculinité est un adjectif propre à l'homme et correspond à toutes les caractéristiques qui lui permettent de se démarquer des femmes en tant qu'homme. Cela passe par l'accoutrement, la façon de se tenir ainsi que des traits de caractères communs, que l'on attend de retrouver chez les hommes tels que la virilité ou encore la fermeté. La masculinité est un adjectif regroupant les attendus sociétaux qui permettent de juger si un homme correspond suffisamment à l'image modèle en fonction de son pays de résidence. [4] La masculinité résulte d'un ensemble d'attitudes et de réactions qui émane de l'essence même de ce qu'être un homme. C'est une harmonie, un amour sain et profond envers son propre sexe biologique. [5] C'est un concept relativement abstrait pour désigner les traits essentiels des hommes. Celui-ci comprend l'absence d'émotion, la virilité, la raison. [6] La masculinité c'est le fait d'accepter d'être un homme, cela devrait être respecter les femmes. [7] Le terme masculinité me fait penser à une construction sociale associée au machisme et au patriarcat, je trouve ce terme péjoratif. [8] Représentations sociales de l’homme à un moment donné, dans un lieu donné. [9] Mot attribué à quelqu'un selon des critères sociaux et jugements pour le différentier des femmes. [10] Ensemble de caractères appartenant au sexe masculin. [11] Tout ce qui se réfère à l'univers de l'homme. [12] Ce qui représente l'homme en général. [13] L’image traditionnelle liée à l’homme. [14] Ensemble de caractéristiques stéréotypées propres à l’homme et qui sont acceptées socialement à partir des caractères propres à lui. [15] Ensemble de traits acceptés par une société genrée pour définir ce qu’est un vrai homme. [16] Caractéristiques propres aux hommes sur leur apparence, leurs attitudes et leurs émotions. [17] Condition de tout être humain qui se reconnait comme homme et qui adopte les traits sociaux établis pour le différencier des femmes. [18] Étiquette qui permet à toute société genrée d’attribuer des traits propres à l’homme, de les accepter et de s’en servir pour déterminer ce qu’est un homme dans le regard hétéronormatif. [19] La masculinité s’agit de se reconnaître comme un individu qui possède des caractéristiques, comportements et attitudes attendus chez un homme, mais qui peuvent être expérimentés différemment selon les contextes et les individus dans leur quotidienneté. [20] Attitudes, manières de penser, expressions corporelles et décisions associées aux hommes et qui sont validées par l’individu qui les accepte ainsi que par la société. |
Les associations |
Pouvoir (x3), domination, musculature (x3), organisation, misogynie, bricoleur, ambitions, tempérance, brutalité, dignité, courage (x3), force (x6), amour paternel, endurance, passionné, parfum boisé, barbe (x2), injonction, fermeté, virilité (x5), toxique, homme (x7), sombre, barbe, machisme (x2), sport (x2), sexualité (x5), hétérosexualité, alcool, ami, copain, pote, raison, carrure, costard, beauté, style, genré, patriarcat, hégémonie, privilège, fierté, athlétique, respect à l’égard des femmes, éloquence, sentiments, rationalité, subjectivité (x3), projets (x2), intelligence, expérience, ténacité, accompagnement (x2), compagnie, affection, pulsions, caractère, responsabilités (x2), amitié, protection, macho, sensualité, militantisme, féminisme, empathie, travail, vivacité, existence, subjectivité, comportements d’homme. |
Tableau 10 : les représentations de masculinité chez la population dans les deux contextes
Reconstruction de la signification lexicale de masculinité en contexte colombien |
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Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
X présente des propriétés biologiques, physiques et psychologiques qui font de X un homme
ET |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC force, virilité, muscles, être fort, voix grave, masculin, capacité, raison, intelligence, logique, estime de soi, énergie … |
Aléthiques/déontiques/pragmatiques [+] (force, virilité, muscles, être fort, voix grave, masculin, capacité, raison, intelligence, logique, estime de soi, énergie). Intellectuelles [+] (capacité, raison, intelligence, logique). |
X s’identifie / est identifié à partir des caractéristiques, comportements, actions, expressions, sentiments que la société et la culture lui ont prescrits
DONC |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [-] Volitives |
DONC stéréotype, sérieux, persistance, arts martiaux, être stoïque, strict, sérénité, téméraire, hétérosexuel, protection, chasse, amour, prudence, amitié, endurance, travail, mode, machisme, hostilité, sport, drôle, sympathique, beau, sûr, sérieux, résilience, voiture, soin, résistance, charme, ténacité, insensibilité, conservateur, désorganisation, fils, époux, père, frère, courtois, maison, fournisseur, persévérant, aimable, courage, détermination … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (stéréotype, sérieux, persistance, arts martiaux, être stoïque, strict, sérénité, téméraire, hétérosexuel, protection, chasse, amour, prudence, amitié, endurance, travail, mode, machisme, hostilité, sport, drôle, sympathique, beau, sûr, sérieux, résilience, voiture, soin, résistance, charme, ténacité, insensibilité, conservateur, désorganisation, fils, époux, père, frère, courtois, maison, fournisseur, persévérant, aimable, courage, détermination). Éthiques-morales [-] (machisme, hostilité, insensibilité). Esthétiques [+] (beau). Hédoniques-affectives [+] (amour, amitié). |
X bénéficie d’une reconnaissance / condition privilégiées dans différentes sphères de l’existence |
Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [-] |
DONC homme, violence, cruauté, pouvoir, puissance, pensée réductionniste, précision, imposition, fiable, commodité, privilège, dominant, avantages, invulnérabilité, affaires, hégémonie, sécurité, conquête, fierté, domination, indépendant, autonomie, opportunité, patriarcat, exploitation … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (homme, violence, cruauté, pouvoir, puissance, pensée réductionniste, précision, imposition, fiable, commodité, privilège, dominant, avantages, invulnérabilité, affaires, hégémonie, sécurité, conquête, fierté, domination, indépendant, autonomie, opportunité, patriarcat, exploitation). Éthiques-morales [-] (violence, cruauté, pouvoir, puissance, pensée réductionniste, imposition, commodité, privilège, dominant, avantages, invulnérabilité, affaires, hégémonie, conquête, domination, patriarcat, exploitation). |
Reconstruction de la signification lexicale de masculinité en contexte français |
|||
Noyau |
Valeurs nucléaires |
Stéréotypes |
Valeurs stéréotypiques |
X fait preuve d’un ensemble de traits, comportements, attitudes, réactions, émotions qui marquent sa condition masculine / qui font de X un homme
DONC |
Aléthiques Déontiques Pragmatiques [+] |
DONC force, virilité, musculature, courage, organisation, tempérance, endurance, passionné, parfum boisé, barbe, injonction, fermeté, sombre, sport, ami, copain, pote, raison, carrure, costard, beauté, style, athlétique, respect à l’égard des femmes, éloquence, sentiments, rationalité, subjectivité, projets, intelligence, expérience, ténacité, travail, accompagnement, compagnie, affection, pulsions, caractère, responsabilités, amitié, protection, empathie, vivacité, existence, subjectivité, comportements d’homme … |
Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (force, virilité, musculature, courage, organisation, tempérance, endurance, passionné, parfum boisé, barbe, injonction, fermeté, sombre, sport, ami, copain, pote, raison, carrure, costard, beauté, style, athlétique, respect à l’égard des femmes, éloquence, sentiments, rationalité, subjectivité, projets, intelligence, expérience, ténacité, travail, accompagnement, compagnie, affection, pulsions, caractère, responsabilités, amitié, protection, empathie, vivacité, existence, subjectivité, comportements d’homme). Éthiques-morales [+] (respect à l’égard des femmes) Intellectuelles [+] (rationalité, intelligence). Hédoniques-affectives [+] (sentiments). |
X est conforme aux diktats identitaires sociaux genrés favorisant son détachement de la femme |
Aléthiques Déontiques Doxologiques Pragmatiques [+] Éthiques-morales [-] |
DONC homme, sexualité, amour paternel, pouvoir, domination, misogynie, bricoleur, ambitions, brutalité, dignité, machisme, toxique, alcool, genré, patriarcat, hégémonie, privilège, fierté, macho, sensualité, hétérosexualité …
POURTANT militantisme, féminisme …
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Aléthiques/déontiques/doxologiques/pragmatiques [+] (homme, sexualité, amour paternel, pouvoir, domination, misogynie, bricoleur, ambitions, brutalité, dignité, machisme, toxique, alcool, genré, patriarcat, hégémonie, privilège, fierté, macho, sensualité, hétérosexualité). Éthiques-morales [-] (pouvoir, domination, misogynie, brutalité, machisme, toxique, alcool, genré, patriarcat, hégémonie, privilège, fierté, macho, sensualité, hétérosexualité).
Aléthiques/déontiques/doxologiques/ éthiques-morales [+] /pragmatiques [+] / intellectuelles [+] / volitives (militantisme, féminisme) |
45Le tableau précédent manifeste une conception discursive de la masculinité en tant que construction sociale propre à l’homme, conforme aux préceptes/régulations de la société, tantôt en Colombie, tantôt en France. Néanmoins, en Colombie, les représentations convoquent des traits essentialistes et retracent la condition privilégiée que la société accorde à l’homme. Ces propriétés essentielles ne sont pas remarquables dans les conceptions en France, même si dans les deux contextes, il existe une série de marques qui lui appartiennent. Or, même si les déploiements en France cartographient, sur le plan social, le fait que la masculinité se détache de la femme, nous y observons aussi une transgression au niveau des stéréotypes qui promeut une certaine idéologie, en revendiquant l’égalité et le rôle de la femme dans le collectif. L’imposition sociale dans les deux contextes montre, par ailleurs, qu’au‑delà d’une manière d’être préétablie, cette construction devrait plutôt être moins normative. L’inscription de valeurs confortent, enfin, les regards en Colombie et en France.
Conclusion
46L’analyse menée sur les trois corpus montre que les représentations sur la féminité et la masculinité inscrivent une conception sociale/culturelle marquée, motivée, entre autres, par des propriétés de natures différentes (biologique, physique, psychologique, comportementale, corporelle et performative) validées par la norme socioculturelle. Les conceptions des discours dictionnairiques, en espagnol et en français, pointent sur les caractéristiques biologiques de la femme et de l’homme, sur leur reproduction, et sur leurs agissements, les différenciant l’un de l’autre. Les discours de la presse s’orientent vers les images identitaires de la femme et de l’homme (comme acteurs majeures de la féminité/masculinité) ainsi que vers leurs pratiques genrées. Or, tandis qu’en Colombie les représentations s’axent sur la différence marquante (vicissitudes et rôles) entre femme/homme, en France le rapport entre ces deux individus est plus présent, malgré le fait que l’emprise masculine dans la sphère sociale soit évidente. Quant aux discours des futur.e.s enseignant.e.s du FLE, les conceptions radiographient une influence sociale attribuée à la femme et à l’homme, inscrivant la féminité et la masculinité dans des zones aléthiques/déontiques/pragmatiques (le regard social semble influencé par des traits biologiques qui s’avèrent utiles pour définir chacun d’entre eux) ; mais une faible charge axiologique négative y apparaît. La construction discursive des populations soulève ainsi : des préconstructions faisant appel à un savoir sémantico‑linguistique (opéré par la cognition), la présence des discours multiples sur les différences socioculturelles d’être femme/homme dans les deux pays, voire l’inscription épistémologique de savoirs sur le genre pour comprendre l’existence humaine. Les représentations des futur.e.s enseignant.e.s, dans les deux aires, apparaissent reprocher la norme sociale liée à la féminité et la masculinité, permettant ainsi d’établir l’hypothèse que leurs conceptions défendent la non-catégorisation ou l’étiquetage de l’identité, sous prétexte de revendiquer que celle‑ci est une construction qui ne concerne que le sujet lui‑même.
47Finalement, l’ensemble de réflexions, à l’égard de l’hétérogénéité de corpus et du traitement des textes, confirme les apports de différentes sémantiques dans l’analyse des discours propres au phénomène social de l’identité et du genre. Le recours à trois sémantiques a permis d’appréhender le sens discursif sur la féminité et la masculinité, aussi d’esquisser des traces d’(e) (in)visibilisation, de reconnaissance, de naturalisation, voire de discrimination liées aux identités diverses, qui se construisent sur la sphère socioculturelle en Colombie et en France, et se matérialisant dans le discours des futur.e.s acteurs.trices politico‑éducatif.ve.s. Le chemin à suivre pour saisir ce questionnement social est d’observer le discours d’autres dispositifs culturels avec lesquels les populations sont en contact (des séries, les discours des réseaux sociaux, etc.), et/ou le discours des futur.e.s apprenant.e.s à la charge de notre population participante. Ceci pourrait notamment favoriser l’appréhension des représentations genrées dans/par les dicibles à une époque où la diversité est réclamée.