La textométrie et la sémantique interprétative au service de la dégustation œnologique. Analyse des profils sensoriels des vins « méthode nature » Textometry and interpretative semantics at the service of oenological tasting. Analysis of the sensory profiles of “natural method” wines

Audrey MOUTAT 

https://doi.org/10.25965/espaces-linguistiques.531

Cet article propose d’étudier les dispositifs communicationnels engagés dans les commentaires de dégustation des vins « méthode nature » publiés dans le Glou Guide et le blog Vins étonnants. Il s’agit de comparer les descripteurs employés et de mesurer leur pertinence dans la constitution d’une représentation mentale des propriétés organoleptiques des vins décrits. Pour ce faire, une double méthodologie est adoptée : 1. Quantitative : au moyen d’un logiciel de textométrie (IRaMuTeQ), il s’agit de mesurer la fréquence d’usage de certains descripteurs dans le but de déterminer s’ils peuvent être constitutifs d’une terminologie. 2. Qualitative : ces premiers résultats font l’objet d’une analyse sémantique et sémiotique afin d’identifier les profils organoleptiques décrits dans ces discours. Au-delà des résultats féconds qu’elle apporte à cette recherche, c’est la pertinence d’une telle complémentarité entre textométrie, sémiotique et sémantique interprétative que cet article permet d’apprécier.

This article proposes to study the communicative devices used in the tasting comments of “méthode nature” wines published in the Glou Guide and the blog Vins étonnants. The aim is to compare the descriptors used and to measure their relevance in the constitution of a mental representation of the organoleptic properties of the wines described. To do so, a double methodology is adopted: 1. quantitative: using a textometry software (IRaMuTeQ), the frequency of use of certain descriptors is measured in order to determine if they could be part of a terminology. 2. Qualitative: these first results are subject to a semantic and semiotic analysis in order to identify the organoleptic profiles described in these discourses. Beyond the fruitful results that it brings to this research, it is the relevance of such a complementarity between textometry, semiotics and interpretative semantics that this article allows us to appreciate.

Sommaire
Texte intégral

« Je crois que plus j’étudie le vin, plus je vois que c’est compliqué, plus je vois que je suis loin de comprendre. »
Jules CHAUVET

Introduction

1Dans un contexte sociétal marqué par des préoccupations sanitaires fortes et une conscience éco‑responsable, l’offre des vins « méthode nature » se présente comme une résistance éthique aux cahiers des charges imposés par les AOC et les AOP. Cette culture émergente se caractérise par des pratiques viticoles organiques, respectueuses de la nature et de son cycle, et des techniques de vinification non « interventionnistes », sans levures exogènes, sulfites ou autres intrants.

2De ces nouvelles pratiques résulteraient, selon les acteurs nature, des propriétés organoleptiques singulières, « plus représentatives du terroir », en rupture avec les standards gustatifs imposés par la normalisation. Les vins « méthode nature » présenteraient alors un profil organoleptique original et s’opposeraient ainsi à la typicité qui caractérise les vins conventionnels conformes aux appellations. Dès lors se pose la question d’une description œnologique de ces vins, adéquate à leurs particularités, mais également engageante pour les différents publics impliqués (acteurs de la filière, consommateurs amateurs ou plus aguerris).

3Dans ce cadre, cet article propose donc d’étudier les dispositifs communicationnels engagés dans la promotion de ces vins « méthode nature » et d’en mesurer la pertinence. À partir des commentaires de dégustation, et plus spécifiquement des descripteurs employés, il s’agit plus particulièrement d’identifier les profils organoleptiques de ces vins promus comme « singuliers » et de déterminer la (ou les) valeur(s) gustative(s) qu’ils induisent chez les sujets interprétants. Ce premier objectif permettra d’étudier la nature des descripteurs et des dispositifs sémantiques propres à la promotion de ces vins dans le but de vérifier l’existence effective de procédures descriptives particulières pour ce type de vins.

1. L’œnologie « méthode nature » à la recherche de ses codes communicationnels

4Nous avons mené une recherche préalable (Moutat, 2018 ; 2019 ; 2020) sur les différents dispositifs communicationnels mis en œuvre dans la promotion des vins « méthode nature », à savoir les sites web et blogs de quelques négociants, associations et producteurs, mais également les étiquettes présentes sur les bouteilles. Cette première phase a été enrichie par une analyse du film-documentaire de Bruno Sauvard, Wine Calling : le vin se lève.

Note de bas de page 1 :

À cet égard, Antonin Iommi-Amunategui (2015) parle de TAZ (Temporary Autonomous Zones).

5Cette étude préliminaire a ainsi permis de montrer qu’à partir d’un ethos identique (un néo‑archaïsme fondé sur le respect du terroir par un retour à des techniques ancestrales), un double style de vie (Macé, 2016) nature s’est instauré : 1. Raisonné, le premier repose sur l’expérimentation permanente, l’acceptation de l’erreur et adopte des codes communicationnels apolitisés et, par conséquent, « invisibles ». 2. Le second, en revanche, se définit par opposition à l’œnologie conventionnelle. Contestataire, il s’inspire des utopies pirates1 et adopte des modèles communicationnels transgressifs.

6Si le premier adopte un discours modéré, calqué sur les codes classiques des étiquettes conventionnelles (hormis les mentions légales et les appellations), ses modèles communicationnels n’ont rien de différenciants et n’affirment pas la spécificité des vins dits « naturels ». Cette absence de valeur singularisante engendre des difficultés de positionnement de ces vins auprès du publics : si ces codes peuvent séduire les « pro‑conventionnels » sans toutefois attirer leur attention sur la particularité de l’offre qui leur est faite, les « pro‑nature » ne s’y retrouvent pas.

7Le second style de vie, en revanche, est en rupture avec la communication conventionnelle. Le discours est politisé et contestataire, comme en attestent le nom des vins (« Jour de teuf », « raides bulles », « K‑pot’ », « masturbation carbonique » ou encore « You fuck my wine ») mais aussi l’iconographie des étiquettes qui, tantôt adoptent une typographie fantaisiste, tantôt empruntent à la bande dessinée, la caricature de presse ou encore aux affiches et photographies cinématographiques.

8Les noms de domaines (« Les Zincorruptibles », « Les peaux de vins », « Salon des débouchées » en référence aux figures du grand banditisme, réelles ou imaginaires) et le discours adopté sur les sites web et blogs de ces vignerons « frondeurs » radicalisent la position des vignerons nature. Ce discours se fonde par opposition radicale aux vins conventionnels et définit le vin naturel par ce qu’il n’est pas (hors AOC, hors AOP) plutôt que de valoriser ce qu’il est. Dès lors, ce modèle communicationnel s’avère lui aussi problématique : si cette communication fédère des adeptes militantistes du nature, elle ne parvient pas à séduire le grand public qui perçoivent alors ces vins comme altérés, voire artificiels, et par conséquent dénués d’intérêt. D’où le caractère contre‑productif de cette communication qui, à force de vouloir marquer une rupture avec les vins conventionnels, véhicule une image aux antipodes des intentions initiales et de l’ethos de ces producteurs.

2. Profiler les vins « méthode nature » grâce à la sémiotique et la sémantique interprétative

2.1. Problématique de la communication « nature »

9Ces analyses préliminaires ont ainsi permis de constater un défaut de codes communicationnels adéquats dans la valorisation et la promotion des vins nature ; ce qui nous conduit à présent à nous demander si, derrière ces discours tantôt inscrits dans la norme de la communication œnologique, tantôt radicalisés et atypiques, se dissimulent de véritables propositions organoleptiques. En d’autres termes, nous nous interrogeons sur la possibilité de déceler des codes discursifs et une terminologie propres aux singularités organoleptiques des vins nature.

10Ainsi proposons‑nous d’étudier, dans un premier temps, les descripteurs employés pour décrire les vins nature auprès du grand public et d’évaluer l’image gustative que ces discours font émerger.

2.2. Méthodologie et corpus

11Pour mener à bien cette entreprise, nous adopterons une double méthodologie :

121. Quantitative : au moyen du logiciel de qualimétrie IRaMuTeQ, il s’agit de mesurer la fréquence d’usage de certains descripteurs dans le but de déterminer s’ils peuvent être constitutifs d’une terminologie.

13Les différentes fonctionnalités du logiciel (analyses statistiques, nuages de mots‑clefs, classification hiérarchique descendante, analyse des similitudes) nous permettront de définir des profils de classe de mots, la fréquence d’usage de ces mots ainsi qu’une cartographie du « réseau » de chaque mot important, autrement dit ses co‑occurrences avec d’autres mots.

142. Qualitative : cette analyse préliminaire offerte par la textométrie sera ensuite mise en perspective par une étude qualitative fondée sur les principes de la sémantique interprétative (Rastier, 1987) et de la sémiotique (Greimas, 1966). Il s’agira de revenir sur les classes et formes récurrentes relevées par la textométrie et de mettre en exergue leur contenu sémiotique dans le but d’identifier et de comparer les isotopies principales du corpus ainsi que les profils organoleptiques dominants qu’il véhicule.

15Le corpus étudié est composé de deux références, appartenant chacune à l’un des deux styles de vie identifiés. 1. Le site web et le blog du caviste Vins étonnants, spécialisé en vins biologiques et naturels. Éric Bernardin, blogueur et auteur des billets de dégustation, adopte un discours qui relève de la forme de vie « raisonnée ». Apolitisés, ces commentaires se présentent comme une critique objective des qualités et défauts des vins dégustés, sans porter de critiques acerbes à l’encontre des vins conventionnels. Ce premier sous‑corpus rassemble 119 billets de dégustation (35 sur les vins blancs, 5 sur les vins orange, 78 sur les vins rouges, 1 sur le vin rosé).

162. Les deux premiers numéros du Glou Guide. Dans ce guide de dégustation consacré aux vins nature, les auteurs (Antonin Iommi‑Amunategui et Jérémie Couston) expriment des revendications fortes et un militantisme affirmé comme en attestent la préface écrite par Jacques Néauport (Glou Guide #1) et l’introduction de l’ouvrage :

Figure 1 : préface et introduction du premier volume du Glou Guide

Figure 1 : préface et introduction du premier volume du Glou Guide

17Il arrive parfois que les commentaires portent non pas sur les qualités des vins dégustés mais sur les conditions de leur production ou le contexte de leur dégustation. Nous avons donc opéré un tri par pertinence de ces textes afin de ne retenir que ceux qui font mention des propriétés organoleptiques des vins dégustés. Ce second sous‑corpus est ainsi composé de 83 commentaires (17 consacrés aux vins blancs, 58 aux vins rouges et 8 aux vins rosés).

3. Analyse des commentaires de dégustation des vins « méthode nature »

18L’analyse comparative des commentaires proposés par le Glou Guide (#1 et #2) et Vins étonnants a permis de relever des variétés lexicales ainsi que des leviers communicationnels distincts.

3.1. Analyses statistiques préliminaires

Figure 2 : graphiques statistiques du Glou Guide et de Vins étonnants

Figure 2 : graphiques statistiques du Glou Guide et de Vins étonnants

19En effet, les premières analyses statistiques extraites du logiciel IRaMuTeQ montrent que le Glou Guide emploie davantage d’hapax (18.88%) que Vins étonnants (8.21%). Cet écart traduit une différence de style rédactionnel adopté par les auteurs qui, rappelons‑le, appartiennent à deux styles de vie différents : Antonin Iommi‑Amunategui et Jérémie Couston font usage d’un lexique très personnel, très éloigné des standards rédactionnels des commentaires, tandis qu’Éric Bernardin propose des descriptions plus normalisées, en utilisant des termes relevant de la dégustation conventionnelle.

Figure 3 : tableaux statistiques du Glou Guide et de Vins étonnants

Figure 3 : tableaux statistiques du Glou Guide et de Vins étonnants

20Ce premier constat est confirmé par les tableaux de données de chaque sous‑corpus : on observe en effet que les descriptions du Glou Guide n’adoptent pas le découpage classique de la dégustation et que peu de mots sont consacrés à l’analyse sensorielle : « bouche » (61 occurrences), « nez » (49), « robe » (2) et « clair » (9). Les plus fréquemment employés sont « boire » (52) (et non « déguster », ce qui rend compte d’un simple acte de consommation), « fruit » (50) (classe aromatique dominante) et « vigneron » (44) (mettant ainsi le focus sur les acteurs du vin naturel).

21Ce tableau statistique contraste les données extraites du sous‑corpus de Vins étonnants. Elles confirment nos premières constatations, à savoir que les commentaires adoptent le découpage classique et le lexique usuel de la dégustation conventionnelle : si le « fruit » (140 occurrences) domine, les formes « bouche » (122), « nez » (116), « final » (102) et « robe » (101) rendent compte de cette séquence normée de la dégustation.

3.2. Nuages de mots‑clefs

22Nous avons affiné ces premières observations par la réalisation de nuages de mots‑clefs dans le but d’obtenir une représentation visuelle des mots les plus employés dans chaque sous‑corpus et d’identifier, par conséquent, leurs premiers éléments thématiques (Rastier, 1987).

Figure 4 : nuages de mots-clefs du Glou Guide et de Vins étonnants

Figure 4 : nuages de mots-clefs du Glou Guide et de Vins étonnants

23Si mot « vin » reste central pour le Glou Guide, le primat est accordé à la bouche et au nez dont le fruit est dominant et agrémenté de quelques arômes de rose. À la lecture de ce nuage de mots‑clefs, nous en déduisons que le discours du Glou Guide est essentiellement axé sur les arômes fruités, le vigneron, son domaine et ses vignes, les cépages des vins et le coût du produit. Les qualités sensorielles passent au second plan ; en effet, très peu de descripteurs sensoriels sont présents.

24Dans le nuage de mots‑clefs issu du corpus de Vins étonnants, le mot « bouche » est central. Le primat est ainsi accordé aux qualités olfacto‑gustatives comme en attestent les mots « bouche », « nez » et « finale ». La « robe », quant à elle, apparaît comme une qualité secondaire. Beaucoup de descripteurs sensoriels sont à relever. Ils caractérisent ainsi :

  • Les arômes, sur le fruit, essentiellement des fruits noirs mais également des fruits blancs et à noyau. L’espace aromatique s’exprime tout en nuances (« notes », « touche ») ;

  • La structure aromatique (« expressif », « dense ») et sapide (« ample », « amertume », « tonique », « tension ») ;

  • La couleur de la robe (« grenat », « sombre », « pourpre »), sa limpidité (« translucide ») et sa brillance (« intense », « brillante ») ;

  • La persistance en bouche (« persistance »).

3.3. Classifications hiérarchiques descendantes

25La classification hiérarchique descendante permet de relever les isotopies dominantes en regroupant dans des classes les formes utilisées de manière régulière dans des contextes de proximité temporelle et de similarité. Elle est représentée par un dendrogramme, arborescence qui relie et hiérarchise ces classes par des branches et sous‑branches. La première classe étant la plus importante, elle révèle le sens principal du discours.

26Le dendrogramme issu du corpus du Glou guide présente 5 classes, lesquelles correspondent à 5 isotopies dominantes :

Figure 5 : classification hiérarchique descendante issue du Glou Guide

Figure 5 : classification hiérarchique descendante issue du Glou Guide

27La taille des classes est relativement homogène (20% des formes du corpus), à l’exception de la classe 5 de taille inférieure (15,2% des formes). Le dendrogramme se scinde en deux branches principales. La première articule la classe 1 avec le groupe de classes 4 et 3, étroitement corrélées l’une à l’autre. Quant à la seconde branche, elle connecte la classe 2 à la 5, à l’aide de sous‑branches. Chaque classe contient des formes actives, de volume variable et fédérées par une isotopie dominante que nous pourrons déterminer en isolant les sèmes génériques des sémèmes (Rastier, 1987) les plus représentatifs de chaque classe.

28Ainsi, les formes les plus représentatives de la classe 1 sont « final », « buvabilité », « classique », « pur », « gourmandise », « simple » et « matière » qui font référence à la composition et à la matérialité de la bouche.

29La classe 2 comporte quant à elle des formes actives « p » (pour « page »), « lire », « voir », « guide » et « glou » qui renvoient aux remarques anecdotiques et renvois internes au guide.

30Les formes actives de la classe 3 « fin », « nez », « note », « fraise », « réglisse », « gras » et « pamplemousse » thématisent cette classe autour des propriétés aromatiques et sapides des vins.

31Quant à la classe 4, elle renvoie aux cépages et à la catégorie aromatique du fruit (dominante), en activant les formes actives « fruit », « cinsault », « grenache », « cabernet », « syrah », « sauvignon », « assemblage » et « carignan ».

32La classe 5, enfin, caractérise la vie de la vigne et du chai grâce aux formes actives « hectare », « vignes », sulfites », « main », « jo », « litre », « vigneron » et « étiquette ».

33À la lumière de cette thématisation, on constate que la connexion étroite entre les classes 3 et 4 traduit statistiquement le rôle exercé par le cépage sur les propriétés aromatiques et sapides des vins. Une influence qui s’exerce secondairement sur la densité en bouche incarnée par la classe 1. Cet ensemble s’oppose fortement aux classes 2 et 5, éléments annexes qui se focalisent sur la vie de la vigne et des renvois internes au guide, et qui n’apportent aucune information complémentaire sur les qualités organoleptiques des vins.

34Le dendrogramme qui résulte de l’étude du corpus de Vins étonnants comporte 6 classes :

Figure 6 : classification hiérarchique descendante issue du corpus de Vins étonnants

Figure 6 : classification hiérarchique descendante issue du corpus de Vins étonnants

35Les classes 4 (19,2% des formes), 6 (18,4%) et 2 (18%) sont les plus importantes, les classes 1 (15,8%), 3 (14,3%) et 5 (14,3%) étant de taille inférieure.

36La classe 1 fonctionne de pair avec la classe 2, laquelle est connectée à la 5 tandis que les classes 4 et 6 fonctionnent ensemble, la classe 4 étant fortement connectée à la 3. Déterminons les univers lexicaux à partir des profils de classe.

37Parmi les 50 formes actives de la classe 1, les plus représentatives sont « dévoiler », « mâche », « fraîcheur », « final », « posséder » et « dégager ». Ces éléments se réfèrent au procès d’exfoliation des qualités sensibles en lien avec la densité de la matière en bouche.

38La classe 2 comporte 49 formes actives dont les plus récurrentes sont « ronde », « matière », « velouté », « bouche », « ample », « enveloppant », « charnu », « croquant » et « dense ». Ces différentes formes partagent les sèmes isotopants du /volume/ et de la /texture/ du vin en bouche.

39Quant à la classe 3, elle possède 50 formes actives. En tête de la classe, les sémèmes des formes « mâche », « final », « côté », « finesse », « arôme », « intense » partagent le sème générique contextuel /structure aromatique/ qui caractérise la finale en bouche.

40La classe 4 contient 49 segments textuels classés. Ses formes les plus représentatives, « sombre », « translucide », « grenat », « robe », « pourpre » possèdent toutes le sème générique /couleur/ et le sème spécifique /rouge/, permettant ainsi de référencer la classe sur la couleur de la robe des vins rouges.

41La classe 5 référence 38 éléments mais se caractérise essentiellement par les formes « tendu », « élancé », « bouche », « acidité », « enrober », « matière », « crépitant », « soyeux », « fin », « traçant » et « volatil ». Ces éléments textuels manifestent le sème /structure sapide/ en se référant plus spécifiquement à l’acidité et au moelleux des vins dégustés.

42Enfin, la classe 6, qui contient 49 formes, est essentiellement représentée par les descripteurs « trouble », « jaune », « paille », « pomme », « légèrement », « pâle », « citron », et « brillant ». Ils partagent dans leur classème le sème isotopant /couleur/ mais également un sème spécifique de leur sémantème, /blanc/. Cette classe caractérise donc les propriétés visuelles de la robe des vins blancs dégustés.

43Si nous revenons à présent aux connexions entre les classes mises en évidence par ce dendrogramme, on fait une observation similaire à celle que fait l’analyse sensorielle, à savoir le rôle des saveurs sur le volume et la texture du vin en bouche mais également les connexions entre la couleur de la robe et les arômes alors perçues. Or, des travaux en sciences biologiques (Brochet, 2000) ont précisément démontré que ces connexions, bien ancrées dans les esprits des dégustateurs amateurs ou profanes, peuvent parfois s’avérer trompeuses.

3.4. Analyse factorielle de correspondances

44À partir de cette classification hiérarchique, nous avons réalisé une Analyse Factorielle de Correspondances (AFC) de chaque sous‑corpus afin d’étudier les corrélations entre les différentes isotopies soulevées et les stratégies communicationnelles sous-jacentes alors adoptées.

45L’analyse factorielle de correspondances permet de projeter sur deux axes l’ensemble des données par classe. Les données sont graphiquement représentées à l’aide d’un nuage de points répartis dans un plan, les classes étant rendues perceptibles grâce aux différentes couleurs utilisées sur le graphe.

46Cette nouvelle analyse permet notamment de matérialiser les corrélats et les oppositions entre les classes : plus elles se situent en position centrale, moins il y aura de distinguo ; plus elles s’éloignent, plus émergeront des profils discriminants.

47Le graphe ci‑dessous correspond à l’étude des classes relevées dans le corpus du Glou guide.

48Le premier facteur sépare les classes 1, 3 et 4 (abscisses négatives) des classes 2 et 5 (abscisses positives). Quant au second facteur, il distingue entre les classes 1 et 5 d’une part (ordonnées positives), et 2, 3 et 4 (ordonnées négatives) d’autre part. Si les classes 2 (remarques anecdotiques et renvois internes au guide) et 5 (informations sur la vie de la vigne et du chai) sont clairement différenciées sur ce graphe, tel n’est pas le cas des classes 1 (composition et matérialité de la bouche), 3 (propriétés aromatiques et sapides des vins) et 4 (différents types de cépages et au fruit dominant), fortement liées les unes aux autres.

49La combinaison des deux facteurs va ainsi dans le sens des observations faites avec le dendrogramme mais permet également de mettre en évidence trois zones distinctes :

  • Une zone à coordonnées positives, correspondant à la classe 5.

  • Une zone à abscisses positives et à ordonnées négatives qui représente la classe 2.

  • Une zone à abscisses négatives et à ordonnées positives et négatives, corrélant les classes 1, 3 et 4. À cet égard, les classes 3 et 4 sont davantage liées entre elles ; ce qui est cohérent avec les résultats de l’analyse sensorielle selon lesquels les cépages ont une influence sur le profil aromatique des vins.

Figure 7 : analyse factorielle de correspondance du corpus du Glou Guide

Figure 7 : analyse factorielle de correspondance du corpus du Glou Guide

50En outre, une étude sémantique plus approfondie des entrées lexicales articulées dans le graphe permet d’affiner nos constats. Nous observons en effet que :

  • L’axe des abscisses oppose la dégustation sensorielle (à gauche) vs le terroir, dans ses dimensions sociale et territoriale (à droite).

  • L’axe des ordonnées renvoie à la qualité (au nord de l’axe) vs la commensalité (au sud de l’axe).

51Le croisement de ces données met ainsi en exergue l’existence de quatre types de stratégie discursive différents adoptés dans les commentaires du Glou Guide : 1) La dégustation, 2) L’authenticité, 3) L’hédonisme, 4) La collectivité.

Figure 8 : les 4 stratégies discursives adoptées par le Glou Guide

Figure 8 : les 4 stratégies discursives adoptées par le Glou Guide

52Les commentaires suivant une orientation stratégique de dégustation font usage de quelques descripteurs organoleptiques dans le but de décrire l’expérience des vins « goûtés ». On retrouve ainsi des formes lexicales utilisées en dégustation conventionnelle telles que « simple », « délicat », « pur », « riche », « charnu », « finale », « caractère » ou « tanins » mais également des formes plus atypiques : « buvabilité », « croustillant », « picoler », « mâcher » ou « hardcore ».

53La stratégie de discours fondée sur l’authenticité véhicule un discours axé sur le travail du vigneron dans la vigne et le chai. Elle se focalise sur le territoire (les régions et les cépages) comme en attestent les formes « vigneron », « authentique », « main », « appellation », « vigne », « hectare », « litre », « sulfites », etc.

54L’hédonisme consiste à mettre en exergue le caractère gourmand du vin, dont l’expression de ses propriétés aromatiques éveille les sens du sujet. Cette stratégie se concrétise dans l’usage des descripteurs « frais », « festif », « beau », « aromatique », « fameux », « fraise », « pamplemousse », « réglisse », « soif », « bulle », etc.

55La dernière orientation stratégique du Glou Guide est la collectivité. Les formes lexicales ainsi utilisées mettent en évidence les techniques de viticulture et de vinification en se focalisant sur la personne des vignerons, dont le prénom est parfois cité (« Didier », « Frédéric », « Jérémie ») : « cuvée », « biodynamie », « hommage », « père », « montagnes », etc.

56L’AFC issue du corpus de Vins étonnants, en revanche, ne permet pas de discriminer aussi aisément les classes ; et cela parce qu’elles renvoient chacune à un aspect de la dégustation analytique dont les qualités sensorielles sont étroitement liées les unes aux autres.

57Le premier facteur sépare la classe 6 (abscisses positives) des classes 1 à 5 (abscisses négatives) tandis que le second facteur dissocie les classes 1, 2, 5 et 6 (ordonnées positives) des classes 3 et 4 (ordonnées négatives). La classe 6 est la plus isolée du graphe, à la différence des autres classes, étroitement entrelacées ; la classe 3 s’avérant particulièrement centrale.

58Ces connexions inter‑classes confirment les premiers résultats de l’analyse de Reinert. En effet, les classes 1, 2 et 5 renvoient respectivement à la densité de la matière en bouche, au volume et à la texture du vin ainsi qu’à sa structure sapide entre acidité et moelleux. On note donc une cohérence dans cet entrelacs qui se réfère à l’architecture de la bouche, où des corrélations entre les axes sapides exercent une influence sur la densité du vin et sa texture. Nous avons par ailleurs pu faire les mêmes observations lors de nos travaux antérieurs sur le vin (Moutat, 2015) comme structure phénoménale au sein de laquelle s’exercent des inter‑dépendances entre les différentes catégories qui la constituent.

59Les classes 3 et 4, respectivement celles de la structure aromatique de la finale en bouche et de la couleur de la robe des vins rouges matérialisent les corrélations entre la configuration aromatique des vins et les propriétés de leur robe. Certains arômes s’avèrent en effet caractéristiques du type de vin, rouge ou blanc. C’est ce qui explique notamment les positions contraires occupées par les classes 4 (abscisses et ordonnées négatives) et 6 (abscisses et ordonnées positives) et l’absence de connexion entre cette dernière et la classe 3. D’ailleurs, l’isolement de cette classe, qui caractérise les propriétés visuelles des vins blancs, marque la dominance des vins rouges dans le corpus étudié.

60Ainsi, la combinaison des deux facteurs permet de mettre en évidence trois zones distinctes :

  • Une zone à coordonnées positives, correspondant à la classe 6, propriétés visuelles de la robe des vins blancs.

  • Une zone à abscisses négatives et à ordonnées positives, correspondant à l’entrelacs des classes 1, 2 et 5, lequel matérialise un profil gustatif très précis : la structure sapide articulant les axes de l’acidité et du moelleux exerce une influence sur la densité et la matière du vin en bouche, ce qui engendre des effets de texture.

  • Une zone à abscisses et à ordonnées négatives, où s’entremêlent les classes 3 (structure aromatique de la finale en bouche) et 4 (propriétés visuelles de la robe des vins rouges).

Figure 9 : analyse factorielle de correspondance du corpus de Vins étonnants

Figure 9 : analyse factorielle de correspondance du corpus de Vins étonnants

61Si on se focalise à présent sur les axes eux-mêmes, en prenant en considérant le contenu sémantique des sémèmes qu’ils articulent, on observe que :

Note de bas de page 2 :

Par description « structuraliste », nous définissons les discours qui axent leur stratégie sur une mise en évidence de la structure du nez ou de la bouche du vin, articulée en différentes propriétés que la séquence de la dégustation permet de mettre en évidence : attaque‑évolution‑finale pour la bouche, l’évolution reposant sur un principe d’équilibre entre axes sapides.

Note de bas de page 3 :

La description « naturaliste » consiste à utiliser des descripteurs référentiels pour décrire les propriétés organoleptiques du vin. Dans le cas du nez, il s’agit de le définir non pas en décrivant ses qualités aromatiques mais en se référant aux porteurs-types des odeurs (« fraise », « framboise », « bonbon » par exemples).

  • L’axe des abscisses oppose la sensation (notamment les sensations tactiles en bouche) à gauche à la perception (dimension évaluative des qualités sensorielles) à droite.

  • L’axe des ordonnées renvoie à une approche structuraliste2 des qualités sensorielles (en haut) vs une description naturaliste3 (en bas).

62Le croisement de ces deux axes permet ainsi de mettre en exergue quatre stratégies de discours adoptées par le blogueur de Vins étonnants :

Figure 10 : les 4 stratégies discursives adoptées par Vins étonnants

Figure 10 : les 4 stratégies discursives adoptées par Vins étonnants

63La stratégie discursive axée sur la structure ressentie exploite des descripteurs permettant de mettre en évidence la structure sapide des vins et, par conséquent, les sensations tactiles qu’elle occasionne. On retrouve ainsi des formes telles que « gras », « veloutée », « tapisser », « soyeux », « doux », « ample ».

64Les billets de blog dont la stratégie repose sur la structure évaluée se focalisent sur les propriétés visuelles de la robe, et plus particulièrement sa limpidité, comme en attestent les descripteurs « trouble », « brillant », « pâle » ou « dorée ».

65Lorsque le blogueur adopte la stratégie des références sensorielles, il utilise des mots qui décrivent les associations entre les couleurs et les arômes : « grenat », « pourpre », « vermillon », « sombre », « cassis », « framboise », « pivoine », etc.

66La stratégie d’évaluation référentielle, quant à elle, met en œuvre des descripteurs qui procèdent à l’évaluation des qualités sensorielles du vin, et plus particulièrement l’intensité aromatique du nez (« discret », « complexe », « légère »).

67À l’issue de ces deux analyses, nous observons une différence notable dans les stratégies de communication mises en œuvre dans les deux corpus. Si le discours de Vins étonnants se concentre exclusivement sur les propriétés sensorielles des vins décrits, le Glou Guide n’en fait pas sa priorité, les descriptions se focalisant davantage sur le style de vie nature que sur les produits eux‑mêmes.

3.5. Analyse des similitudes

68Afin de pousser la réflexion sur les profils organoleptiques des vins nature décrits dans ces deux corpus, et en dépit de cette différence stratégique notable, nous avons réalisé une Analyse Des Similitudes (ADS) pour les différents types de vins commentés (rouges, blancs, rosés, orange).

69L’analyse des similitudes permet de mettre en évidence la structure d’un corpus, c’est‑à‑dire la manière dont les formes lexicales sont reliées entre elles. En l’occurrence, elle permet de déterminer la fréquence des descripteurs organoleptiques pour chaque type de vin ainsi que les liens qui les unissent, et cela dans le but d’identifier les propriétés organoleptiques dominantes des vins décrits.

70Cette analyse détermine les co‑occurrences de formes dans les segments textuels identifiés au sein du corpus. À l’aide d’un graphique en forme de fleur, le logiciel IRaMuTeQ permet de représenter la fréquence de co‑occurrences entre deux formes grâce à l’épaisseur des arêtes qui les relient. Plus cette arête est épaisse, plus la liaison est forte, et inversement.

71Les deux premiers graphes ci‑dessous relèvent les associations de descripteurs employés dans tous les commentaires de chacun des deux guides. Ils offrent ainsi une première « photographie » des axes de valorisation des propriétés organoleptiques des vins dégustés.

Figure 11 : analyse comparative des similitudes du Glou Guide et de Vins étonnants

Figure 11 : analyse comparative des similitudes du Glou Guide et de Vins étonnants

72Un premier graphe générique des similitudes permet de constater que le Glou Guide utilise très peu d’éléments de description du nez (« corps », « fraise ») et de la bouche (« fin », « frais » auxquels s’ajoute le descripteur hédonique « joli »). Central dans le corpus, le mot « vin » est qualifié très variablement (« pur », « beau », « rouge », « grand », « naturel »). Par ailleurs, le graphe ne met pas en évidence de liaisons spécifiques entre les propriétés organoleptiques. Ainsi, les commentaires adoptent une approche plutôt holistique et non analytique, à la différence de Vins étonnants. L’organisation en halos met en évidence la syntaxe classique de la dégustation en ses différentes phases (« robe », « nez », « bouche », « finale ») ainsi que des connexions très fortes entre les propriétés visuelles (« pourpre », « grenat », « sombre », « translucide »), le nez (« aromatique », « framboise », « cassis », « poivre », « intense »), la bouche (« note », « ronde », « fin », « cerise », « ample », « toucher »), la catégorie aromatique (« fruit noir ») et la finale (« amertume », « crayeuse », « tonique »).

73Afin d’affiner ces premières observations, nous avons réalisé une ADS par type de vins. Dans le cadre de cet article, nous ne retiendrons que les profils les plus discriminants, à savoir les ADS des vins blancs et des vins rouges commentés par le Glou Guide et Vins étonnants.

3.5.1. Analyse des similitudes des vins blancs

Figure 12 : analyse des similitudes des vins blancs commentés dans le Glou Guide

Figure 12 : analyse des similitudes des vins blancs commentés dans le Glou Guide

74On observe ici la position centrale occupée par le mot « vin », à la croisée des halos sémantiques [bouche], [nez], [assemblage cépages], [élevage] et [caractère nature].

75À la lecture de ce graphe, on constate l’importance du cépage, révélateur de l’authenticité des vins pour les auteurs, (Sylvaner, Riesling) ainsi que son rôle sur la structure sapide des vins blancs, entre acidité (« fin », « frais ») et sucrosité (« doux », « gras »). Les commentaires n’utilisent pas ou peu de descripteurs aromatiques : seul le pamplemousse s’avère récurrent, associé aux cépages Chardonnay et Pinot gris. Des subtilités et nuances aromatiques sont évoquées avec le mot « notes ».

Figure 13 : analyse des similitudes des vins blancs commentés dans Vins étonnants

Figure 13 : analyse des similitudes des vins blancs commentés dans Vins étonnants

76Dans le cas de Vins étonnants, c’est la [bouche] qui est au centre du graphe. Elle est étroitement liée au halo du [nez], lui‑même très connecté à celui de la [robe]. L’analyse des similitudes met également en évidence des liaisons entre les propriétés visuelles (« jaune », « paille », « pâle ») et aromatiques (« pomelo », « ananas », « agrumes », « citron », « fruit » pour la bouche et « pomme », « coing », « mirabelle », « abricot » pour le nez). La structure sapide est articulée par le corrélat [acidité‑moelleux] (« fin », « gras »), ce qui engendre des effets de texture et de densité (« pulpeux », « charnu », « ample »). La finale, quant à elle, est sur l’amertume.

3.5.2. Analyse des similitudes des vins rouges

Figure 14 : analyse des similitudes des vins rouges commentés dans le Glou Guide

Figure 14 : analyse des similitudes des vins rouges commentés dans le Glou Guide

77En ce qui concerne les vins rouges, on observe toujours la position centrale du halo [vin], en connexion étroite avec ceux du [cépages], [domaine] et de la [bouche]. Trois halos entretiennent des liaisons moins ténues : [travail du domaine et de la vigne] (représenté par les formes lexicales « vigne », « main », « hectare », « château »), [nez] sur l’« herbe » et la « fraise » et [assemblage] de « syrah » et « grenache ».

78De nouveau, le profil organoleptique est assez pauvre : les propriétés aromatiques restent limitées (« fraise » et « herbes » pour le nez, fruit « noir » et « rouge » pour la bouche). Ce fruit s’expérimente également à travers des effets de texture en bouche (« gourmand », « juteux », « croquant »). La structure sapide s’articule autour de l’acidité (« frais », « fin »), des tanins et de l’alcool (« charnu »), ce qui engendre des effets de densité et de texture (« charnu », « toucher »).

Figure 15 : analyse des similitudes des vins rouges commentés dans Vins étonnants

Figure 15 : analyse des similitudes des vins rouges commentés dans Vins étonnants

79Cette ADS place de nouveau le halo de la [bouche] en position centrale. Il entretient des liens étroits avec ceux du [fruit] et du [nez], lui‑même très lié au halo de la [robe]. On observe ainsi le même corrélat [robe-arômes] que pour les vins blancs (« sombre », « grenat », « pourpre », « opaque » – « cerise », « framboise », « violette », « poivre », « floral »). Le halo de la [bouche] met en exergue la structure sapide articulée par le descripteur « ronde » (qui rend compte de la souplesse des tanins) mais également la richesse et la complexité de l’expression aromatique au moyen des descripteurs « ample », « expressif » et « complexe ». La texture est décrite à travers le « toucher » de la bouche. La finale s’exprime sur le « fruit » ; elle est « crayeuse » et « pure ».

Conclusions

80Au terme de cette analyse, nous pouvons tirer une double conclusion, portant à la fois sur la lecture des résultats offerts par la textométrie mais également sur la méthodologie quali‑quanti employée.

81L’étude comparée des corpus du Glou Guide et de Vins étonnants met ainsi en évidence deux modèles communicationnels distincts, mais néanmoins cohérents avec les deux styles de vie préalablement identifiés.

82Pour ce qui concerne les commentaires du Glou Guide, ils ne permettent pas d’apprécier les profils organoleptiques des vins naturels en raison d’une pauvreté des descripteurs. Ces derniers focalisent l’attention sur des propriétés très limitées des vins telles que la structure sapide des vins blancs et rouges, ou encore l’effervescence des vins rosés. Si les commentaires soulèvent la récurrence de la catégorie aromatique, ils ne donnent guère de détails sur les types de fruits présents. Aucune caractéristique de la robe n’est relevée, hormis l’effervescence de la bulle.

83Les commentaires de Vins étonnants, en revanche, permettent davantage d’esquisser des profils organoleptiques selon les types de vin. Les descripteurs utilisés sont empruntés à la dégustation conventionnelle et se focalisent généralement sur :

  • La couleur, la limpidité et la brillance de la robe,

  • L’harmonie des senteurs et les arômes du nez (catégories aromatiques et porteurs‑types engagés dans une description naturaliste des vins),

  • Les axes sapides de la bouche (acidité, moelleux) engendrant des effets de densité et de texture.

84Là encore, la catégorie dominante reste le fruit (pomme, coing, mirabelle et abricot pour les vins blancs ; cerise et framboise pour les vins rouges).

85Le partage d’expérience de vie du Glou Guide

86Si on observe les mots du halo central de chaque analyse de similitudes, on remarque que le Glou Guide adopte une communication axée sur l’expérience personnelle du dégustateur et la vie autour de la vigne. Centré sur la forme de vie elle‑même, le discours est communautaire et communautariste, suscitant chez le lecteur un sentiment d’appartenance à un groupe. Le Glou Guide s’adresse à des « pairs », un public conquis et déjà adepte du vin nature, qui partage les croyances profondes, la mission et les valeurs qui animent les producteurs de vins nature et qui se reconnaît alors dans les pratiques décrites. Cette focalisation sur le style de vie nature explique la faible proportion de descripteurs sensoriels, l’évaluation organoleptique n’étant qu’accessoire dans cette stratégie de discours.

87Le partage d’expérience sensorielle de Vins étonnants

88La communication adoptée par Vins étonnants se focalise au contraire sur les propriétés sensorielles des vins avec le respect de la séquence classique de la dégustation. Cette communication centrée sur le produit s’inscrit dans un discours consensuel et universel qui peut s’adresser aux adeptes (conquis) du vin nature mais aussi, et surtout, à ceux qui ne le sont pas (encore). Elle s’appuie sur un modèle communicationnel existant (celui du vin conventionnel), ce qui crée une sorte de passerelle entre ces deux « mondes » vitico‑vinicoles. On retrouve ainsi l’utilisation de descripteurs usuels en dégustation, autrement dit des noms et adjectifs naturalistes qui se réfèrent aux propriétés aromatiques. Toutefois, les commentaires apportent peu d’éléments sur la structure sapide des vins.

89La nécessité d’une double méthodologie

90Notre présente recherche, ancrée dans une problématique sociétale visant à optimiser la communication sur les vins nature, par l’identification de descripteurs sémio‑linguistiques adéquats, ouvre des perspectives prometteuses grâce à cette double méthodologie quantitative et qualitative. En effet, si la textométrie offre une première lecture du corpus en isolant les formes textuelles les plus récurrentes et en les regroupant en halos, elle ne permet pas de déterminer la structure sémiotique sous‑jacente qui les configure en taxèmes. L’analyse sémiotique, couplée à la sémantique interprétative, s’avère alors nécessaire pour dégager les effets de sens structurant en « faisant parler » les données quantitatives obtenues. Identifier le sémème de chaque élément des classes permet de comprendre non seulement les isotopies qui les fédèrent mais également la structure sémiotique des corrélations entre les halos. En l’occurrence, la textométrie manifeste visuellement la signifiance du corpus tandis que l’analyse sémio‑linguistique explique l’articulation de sa signification sous‑jacente. Ce couplage est d’une grande portée heuristique car, grâce à la schématisation de la signifiance du corpus, il offre des perspectives que la sémiotique seule ne permet pas d’envisager. On l’aura ainsi compris : la textométrie exerce en cela la fonction d’index (Klinkenberg, 2020) qui fixe les points d’attention du chercheur au cœur de l’architecture du sens. Charge à l’analyse qualitative d’en comprendre les subtilités par la mise au jour du fonctionnement opératoire de cette structuration du sens.

91Ce travail de recherche, articulant approches quantitative et qualitative, nécessite ainsi quelques prolongements, et plus particulièrement une analyse de discours en situation. En effet, un retour au texte s’avère fondamental afin de mettre en exergue les connexions inter‑isotopiques en jeu au sein des textes en identifiant les sèmes spécifiques des unités lexicales relevées par l’analyse textométrique. Une analyse sémantico‑sémiotique permettra également d’étudier les structures énonciatives engagées dans les deux sous‑corpus et d’évaluer la manière dont ils configurent les parcours interprétatifs des lecteurs et les orientent vers des impressions référentielles spécifiques.

92Si la textométrie a permis de d’esquisser les premiers éléments d’une terminologie des vins « méthode nature » et de typologiser les stratégies de discours à l’œuvre dans le Glou Guide et Vins étonnants, l’analyse textuelle qualitative permettra de mettre en évidence les principes opératoires de ces stratégies. Trois orientations peuvent ainsi être proposées : 1) La pauvreté des descripteurs organoleptiques employés dans le Glou Guide nous invite à orienter la recherche vers les leviers communicationnels et dispositifs stylistiques à l’œuvre (Couégnas, 2020) dans la valorisation des vins. Une étude des effets rhétoriques permettra ainsi d’évaluer leur rôle dans la mise en discours de l’expérience, qu’elle soit organoleptique, commensale ou patrimoniale. 2) La convergence terminologique entre vins conventionnels et vins nature observée dans les commentaires de Vins étonnants requiert également un approfondissement. Une analyse comparative des faisceaux isotopiques déployés à l’échelle du texte permettra d’évaluer cette ressemblance et de vérifier si Éric Bernardin transpose simplement le modèle générique (Couégnas, 2014) de la dégustation conventionnelle ou si des spécificités émergent. 3) Enfin, une seconde relecture des résultats de l’analyse textométrique à l’aune de l’analyse sensorielle présente un intérêt certain. C’est un croisement disciplinaire (sémiotique et analyse sensorielle) que nous avons amorcé (Marchand & Moutat, 2022) et qui permet de traduire les résultats quantitatifs à l’aide de leurs propres outils méthodologiques dans l’identification des identités organoleptiques des vins et de leur qualité. Cette transdisciplinarité permettra de vérifier non seulement la singularité organoleptique défendue par les producteurs de vins « méthode nature » mais également la congruence entre les discours engagés et les qualités sensorielles de ces vins.

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Pour citer ce document

MOUTAT, A. (2023). La textométrie et la sémantique interprétative au service de la dégustation œnologique. Analyse des profils sensoriels des vins « méthode nature ». Espaces Linguistiques, (6). https://doi.org/10.25965/espaces-linguistiques.531

Auteur
Audrey MOUTAT
Audrey Moutat est maître de conférences en Sciences du Langage et en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Limoges. Chercheure au Centre de Recherches Sémiotiques (CeReS), elle mène ses travaux sur la sémiotique de la perception et la communication du sensible auxquelles elle a consacré deux ouvrages : Du sensible à l’intelligible. Pour une sémiotique de la perception (2015) aux éditions Lambert-Lucas, et Son et sens (2019), aux Presses Universitaires de Liège. Sa recherche porte sur les dispositifs de médiation et de médiatisation du sensible engagés à travers différents objets, tels que les textes, la photographie, les objets de design, le numérique ou encore le son.
Audrey Moutat is a lecturer in Language Sciences and Information and Communication Sciences at the University of Limoges. She’s a researcher at the Centre de Recherches Sémiotiques (CeReS). Her work focuses on the semiotics of perception and the communication of the sensitive world, to which she has dedicated two books: Du sensible à l'intelligible. Pour une sémiotique de la perception (2015), published by Lambert-Lucas, and Son et sens (2019), published by the Liège University Presses. Her research focuses on the mediation and mediatization of the sensitive experience through different objects, such as texts, photography, design objects, digital media and sound.
CeReS – Université de Limoges
https://orcid.org/0000-0002-2627-4136
audrey.moutat@unilim.fr
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