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Juger le crime d’agression contre l’Ukraine : réveil d’un débat juridique autour d’une infraction oubliée

Juger le crime d’agression contre l’Ukraine : réveil d’un débat juridique autour d’une infraction oubliée

Yann MOCAËR, ATER en droit privé et sciences criminelles, Université de Limoges – OMIJ (EA-3177) – 24 mars 2022

Le jeudi 24 février 2022, le Président Vladimir Poutine annonçait le déclenchement d’une offensive militaire contre l’Ukraine visant à « protéger les personnes qui, depuis huit ans, sont victimes d’intimidation et de génocide de la part du régime de Kiev. Et, pour cela, nous nous efforcerons de démilitariser et de dénazifier l’Ukraine »[1]. La Fédération de Russie a manifestement dénaturé la notion de génocide pour fonder le déclenchement d’une agression injustifiée, sous couvert de légitime défense préventive. Cette tentative de justification a été rejetée par la Cour internationale de Justice (ci-après CIJ) en son ordonnance du 16 mars 2022 qui a prononcé des mesures conservatoires en faveur de l’Ukraine, ordonnant notamment à la Fédération de Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine »[2]. La CIJ rappelle dans le même temps que les mesures provisoires, telles que prévues par l’article 41 de son Statut[3], sont contraignantes et  « créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées »[4]. Il était bien entendu prévisible que Moscou rejetterait totalement ce jugement et refuserait d’appliquer les mesures ordonnées par la CIJ[5]. Cette ordonnance est une illustration supplémentaire de l’impuissance du droit international face à un conflit actuel[6]. Le droit international ne serait finalement pertinent qu’a posteriori par son volet pénal, impuissant et incompétent pour restaurer la paix car il a vocation à poursuivre des objectifs tant punitifs que mémoriels.

Unanimement condamnée par la communauté internationale, l’« opération militaire spéciale »[7] déclenchée le 24 février 2022 par la Fédération de Russie est ponctuée de nombreux crimes de guerres, consistant notamment en des attaques dirigées contre des populations civiles ou encore de l’utilisations d’armes non-conventionnelles. Mais bien avant la commission de crimes de guerre, le déclenchement d’un conflit armé non-justifié par la légitime défense ou par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (ci-après CSNU) est en lui-même une infraction internationale, incriminée par la Cour pénale internationale (ci-après la Cour ou CPI) sous la qualification de « crime d’agression ».

L’article 8bis du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après le Statut) définit ce crime comme « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies »[8]. Cet article poursuit en définissant l’ « acte d’agression » par référence au droit des Nations Unies, tout en énumérant certaines formes d’agression telles que « l’attaque par les forces armées d’un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d’un autre État », ou encore « le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État »[9]. Le crime d’agression correspond finalement à la responsabilité pénale individuelle du dirigeant politique ou militaire d’un État responsable d’un acte d’agression.

Définie en 1974 par l’Assemblée Générale des Nations Unies (ci-après AGNU)[10], l’acte d’agression équivaut au volet conventionnel de ce que le Tribunal de Nuremberg baptisa en 1945 le « crime contre la paix »[11]. Ce dernier a par la suite été renommé « crime d’agression » par la Cour pénale internationale. Cette nouvelle qualification permet de distinguer le crime d’agression du crime contre la paix. Si l’esprit de l’infraction demeure identique, à savoir préserver la paix et prévenir la commission d’infractions au droit humanitaire, le régime juridique est légèrement différent. Le crime d’agression engage uniquement la responsabilité pénale d’un haut dirigeant politique ou militaire[12] ayant déclenché un acte d’agression au sens de la résolution 3314 des Nations Unies précitée[13], sans nécessiter la caractérisation d’un « complot contre la paix » tel que cela était nécessaire devant les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et Tokyo[14]. Ce crime présente donc un lien très fort avec l’acte d’agression, formant ensemble les deux volets, pénaux et conventionnels, du jus contra bellum[15].

Initialement prévu comme faisant partie des quatre crimes[16] formant ensemble la compétence matérielle de la Cour pénale internationale, le crime d’agression occupe une place particulière dans le Statut de Rome de la CPI, tant par l’historique de son adoption que par la procédure particulière dont il fait l’objet. La recherche d’un consensus relatif à la définition de ce crime par la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale ayant initialement échoué, son adoption a été repoussée à une date ultérieure. Lorsque le Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002, le crime d’agression faisait seulement l’objet d’une disposition à l’article 5 prévoyant qu’il serait postérieurement intégré à la compétence ratione materiae de la Cour[17]. La conférence de révision du Statut de Rome du 11 juin 2010, dite « Conférence de Kampala », a ajouté un article 8bis au Statut de Rome qui définit le crime d’agression. Cet article conditionne son applicabilité à la ratification des accords de Kampala par au moins trente États parties au Statut de Rome[18]. Il fut également convenu lors des négociations que la compétence ne pourrait être ouverte dans tous les cas qu’à partir de 2017 et sous réserve d’une décision prise à la majorité des deux tiers des États parties[19]. Cette compétence sera finalement activée le 17 juillet 2018, jour du 20ème anniversaire du Statut de Rome.

Appliqué en tant que crime contre la paix par les tribunaux militaires internationaux, le crime et l’acte d’agression n’ont, quant à eux, fait l’objet d’aucune application utile en droit international. Les travaux juridiques relatifs à ceux-ci furent passagers, regroupés autour de trois dates clés : 1974 et la définition de l’acte d’agression, 1998 et la première tentative de définition du crime d’agression, enfin 2010 et la définition actuelle du crime d’agression. Grand oublié des quatre crimes formant la compétence de la Cour[20], le crime d’agression fait aujourd’hui l’objet d’un regain flagrant d’intérêt au sein de la communauté juridique suite aux menaces et attaques militaires lancées à l’encontre de l’Ukraine depuis le début du mois de février 2022. Entre débats publics et discussions juridiques, la question de potentielles poursuites contre les dirigeants de la Fédération de Russie pour crime d’agression est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Quelles sont alors les difficultés auxquelles pourrait être confronté celui qui souhaite poursuivre et juger ce crime, et quels sont les apports des travaux récents relativement à cette question ? Est-il alors possible de juger un crime d’agression commis par la Fédération de Russie à l’encontre de l’Ukraine ? Cette étude vise à apporter une photographie, en cours de conflit, des premiers travaux universitaires, principalement anglo-saxons, relatifs aux particularités du crime d’agression commis contre l’Ukraine. Se bornant à constater sans proposer, cet article explore les différentes solutions envisagées par la doctrine afin de juger ce crime, tout en cherchant à identifier les difficultés auxquelles celles-ci pourraient être confrontées.

Bien qu’elles aient toutes deux signé le Statut de Rome en 2000, l’Ukraine comme la Russie ne l’ont jamais ratifié et ne sont donc pas parties à la Cour pénale internationale[21]. À ce titre l’Ukraine ne peut pas en principe voir les crimes commis sur son territoire ou contre sa population faire l’objet d’une enquête – et donc a fortiori d’un jugement – par la CPI. L’objectif de lutte contre l’impunité, si chère aux organisations et juridictions internationales, pourrait cependant être respecté par une application audacieuse du droit international qu’il soit pénal ou public, et permettrait à la Cour pénale internationale d’enquêter sur les faits criminels d’agression allégués (I). A défaut, la communauté internationale pourrait – individuellement ou collectivement – pallier les lacunes de la justice internationale pénale en se saisissant elle-même du crime d’agression (II).

I – La compétence juridiquement incertaine de la Cour pénale internationale quant à l’agression contre l’Ukraine

La compétence matérielle de la Cour ne semble en aucun cas faire obstacle à des poursuites pour crime d’agression. Cinq des sept formes d’agression prévues par l’article 8bis du Statut de Rome semblent déjà être caractérisées[22]. Pour que la CPI puisse juger le crime d’agression, deux possibilités paraissent envisageables. La première, très technique et incertaine, nécessiterait de combiner la ratification par l’Ukraine du Statut de Rome avec une éventuelle interprétation favorable du Statut par la Chambre préliminaire de la CPI. Cela permettrait au Procureur d’ouvrir une enquête pour crime d’agression, soit proprio motu soit sur renvoi par un État partie (A). La seconde possibilité, géopolitiquement délicate et très théorique, consisterait en un renvoi de la situation ukrainienne par le Conseil de sécurité des Nations Unies, et permettrait de contourner les spécificités procédurales sui generis du crime d’agression (B).

A – L’enquête proprio motu ou sur renvoi juridiquement très incertaine

La première possibilité, spéciale et technique, trouve son origine dans l’article 12 (3) du Statut qui permet à un État, non partie à la Cour, de déposer au greffe une déclaration par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour des faits identifiés matériellement et temporellement dans ladite déclaration[23]. Ce mécanisme a été à deux reprises utilisé par l’Ukraine, par une première déclaration concernant les crimes commis sur son territoire du 21 novembre 2013 au 22 février 2014[24], puis par une seconde concernant les crimes commis sur son territoire depuis le 20 février 2014[25]. Prenant principalement appui sur cette seconde déclaration, dont la durée de validité est indéterminée, le Bureau du Procureur est légitime à enquêter sur la situation ukrainienne, étant donné qu’il avait déjà établi en 2020 au titre d’une enquête préliminaire qu’il existait un base raisonnable pour ouvrir une enquête[26].

Conformément à la prérogative que lui accorde l’article 15 du Statut, le Procureur a le 28 février 2022 annoncé son intention d’ouvrir une enquête sur la situation en Ukraine[27]. Il a, à cette occasion, invité les États parties au Statut de Rome à renvoyer la situation ukrainienne à son bureau, cela afin d’économiser la saisine de la Chambre préliminaire[28] de la CPI et être directement et plus rapidement[29] compétent pour enquêter. Sensibles à cet appel, 42 États parties à la Cour pénale internationale ont renvoyé la situation au Procureur, dessaisissant ainsi chambre préliminaire et donnant de jure la compétence au Bureau du Procureur pour enquêter sur les faits criminels allégués[30]. Cependant, tel que cela a été rappelé par ce dernier[31], le principal obstacle à des poursuites pour crime d’agression est l’absence de ratification du Statut de Rome, et plus précisément es accords de Kampala, par les États belligérants. La ratification de ces accords apparait en effet indispensable pour juger un crime d’agression, quand bien même les États utiliseraient l’article 12 (3) du Statut pour accepter une compétence ad hoc de la Cour. C’est la raison pour laquelle de nombreuses organisations internationales encouragent depuis 2010 les États parties au Statut à ratifier les accords de Kampala[32].

L’Ukraine en ratifiant aujourd’hui le Statut de Rome se verrait opposer l’article 126 du Statut. Celui-ci prévoit que la compétence ratione temporis de la Cour commence « le premier jour du mois suivant le soixantième jour après le dépôt par cet État de son instrument de ratification »[33]. A titre d’exemple, si l’Ukraine ratifiait le Statut de Rome et les accords de Kampala le 11 avril 2022, la CPI ne pourrait connaitre des faits commis avant le 1er juillet 2022, date à laquelle le conflit – et donc l’agression – pourrait hypothétiquement avoir pris fin. Toutefois, il apparait que la Chambre préliminaire aurait la possibilité d’interpréter le Statut en considérant que ce délai posé par l’article 126 du Statut n’est pas pertinent dès lors qu’un État a préalablement à son adhésion à la CPI accepté une compétence ad hoc de celle-ci[34]. En reproduisant ce raisonnement, tel que précédemment utilisé pour la situation en Ouganda[35], la Chambre préliminaire pourrait faire “rétroagir“ l’adhésion au Statut de Rome à la date d’acceptation de la compétence de la CPI par l’Ukraine, c’est-à-dire à partir du 21 novembre 2013[36]. Cette analogie pourrait se voir opposer par certains que s’agissant du crime d’agression cette méthode n’est pas transposable. Elle doit pourtant être vue comme envisagée initialement par l’Assemblée des États Parties à travers son Groupe de travail spécial sur le crime d’agression[37]. D’aucuns pourraient toutefois arguer que l’acte d’agression commis contre l’Ukraine remonterait à l’annexion de la Crimée en 2014, et l’exclurait à ce titre de la compétence ratione temporis de la Cour. À cela, il est opposé que l’agression peut prendre la forme d’une infraction complexe, composée de plusieurs actes d’agression au sein d’un même conflit armé[38]. La Cour serait donc finalement, en cas d’adhésion complète au Statut de Rome et à ses amendements, compétente pour juger tout crime d’agression commis contre l’Ukraine depuis le 17 juillet 2018, date d’activation de l’article 8bis du Statut.

Reste cependant à savoir si la Cour est compétente pour juger, pour crime d’agression, les ressortissants d’un État non partie au Statut pour les faits d’agression commis contre un État partie. Cette question de compétence a fait l’objet de divergences doctrinales pendant des années[39]. Ce débat tend cependant à s’éclaircir. L’apparente absence de volonté du Procureur de poursuivre l’agression[40] combinée aux travaux juridiques récents semble trancher en faveur d’un régime plus strict du crime d’agression. Celui-ci imposerait alors la ratification des accords de Kampala par l’État agresseur afin de poursuivre ce crime, quand bien même l’État agressé les aurait ratifiés[41].

Ces incertitudes procédurales, associées à un potentiel défaut d’intention du Bureau du Procureur de se lancer sur un terrain matériel nouveau[42] ainsi qu’à une impossibilité actuelle que le président Vladimir Poutine soit remis à la Cour[43], font du jugement pour crime d’agression devant la CPI une hypothèse très peu probable dans l’immédiat[44]. Cela conduit de nombreux auteurs à privilégier une voie procédurale différente en insistant sur le rôle supposé du Conseil de Sécurité des Nations Unies face à une menace à la paix et à la sécurité internationale.

B – L’enquête sur renvoi du Conseil de sécurité des Nations Unies conventionnellement débattue

La seconde possibilité, permettant de juger le crime d’agression devant la Cour pénale internationale, consisterait en l’ouverture d’une enquête par le Procureur faisant suite au renvoi d’une situation par le Conseil de sécurité des Nations Unies, mécanisme prévu par l’article 13 (b) du Statut de Rome[45]. Cette procédure, utilisée à deux reprises par le Conseil de sécurité[46], permet d’ignorer les limites à la compétence ratione loci de la CPI en lui permettant d’enquêter et de juger des faits commis sur le territoire d’États qui ne sont pas parties au Statut de Rome. Conformément à l’article 15ter du Statut, cette procédure permettrait directement au Procureur d’ouvrir une enquête notamment pour crime d’agression. Dans ce cas de figure, il serait indifférent que les États belligérants soient parties ou non à la Cour, qu’ils aient ou non ratifié les accords de Kampala de 2010. Un renvoi par le CSNU serait donc la solution idéale aux incertitudes juridiques liées à une enquête proprio motu ou consécutives au renvoi de la situation par un État partie.

Cette hypothèse reste toutefois hautement improbable en présence d’une agression commise par un membre permanent du Conseil de sécurité, qui dispose d’un droit de véto au titre de l’article 27 de la Charte des Nations Unies[47]. Ce véto a d’ailleurs été utilisé par la Russie le 25 février 2022, faisant ainsi obstacle à l’adoption d’une résolution constatant « l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine »[48], et donc à toute hypothèse de renvoi de la situation ukrainienne à la CPI. Cependant, la résolution « Union pour le maintien de la Paix » de l’AGNU[49] permet, en cas de manquement par le CSNU à son obligation de « s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales »[50], à l’Assemblée Générale de se réunir en session extraordinaire pour se substituer au Conseil de sécurité. Ce dernier a utilisé cette résolution le 27 février 2022[51] pour saisir l’Assemblée Générale en session extraordinaire. Deux résolutions pertinentes ont pu être adoptées, l’une par l’AGNU[52] et l’autre par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies[53], mais celles-ci sont toutefois dénuées de force contraignante. En effet, si la résolution 377 (V) précitée permet à l’AGNU de se substituer au CSNU en cas de défaillance de celui-ci, elle ne lui permet pas d’utiliser les mesures contraignantes et coercitives dont dispose uniquement le CSNU[54].

Suite à ce véto de la Fédération de Russie, paralysant le CSNU et avec lui tout espoir d’actions onusiennes concrètes, de nombreux juristes spécialisés se sont penchés sur la validité de celui-ci. Généralement présenté comme un droit absolu des cinq membres permanents, il ressort cependant des travaux récents une grande incertitude sur la légalité de ce véto prévu par l’article 27 de la Charte des Nations Unies. En effet, l’interdiction du recours illicite à la force entre dans le domaine du jus cogens[55] dès lors que cet usage de la force n’est pas justifié par le chapitre VII de la Charte ou par la légitime défense au sens de l’article 51. Les résolutions du CSNU ne devant pas être contraire au jus cogens[56], le droit de véto détenu par un membre permanent ne devrait pas être lu indépendamment des règles qui incombent aux organes des Nations Unies et ne devrait pas pouvoir avoir pour conséquence de violer – ou maintenir une situation de violation – du jus cogens[57]. De manière plus générale, l’article 27 (3) de la Charte prévoyant le véto est un article procédural. Il serait donc inférieur aux articles substantiels prévoyant des obligations, tels que l’article 24 qui dispose que le CSNU (et donc par extension ses membres) doit agir « conformément aux buts et principes des Nations Unies »[58]. Au regard de ces deux arguments, le véto utilisé par la Fédération de Russie serait illicite[59].

Cette étude du véto est toutefois postérieure à la paralysie du CSNU. Ce véto ayant été utilisé, que faire désormais ? Bien que certains juristes condamnent cet usage illicite du véto et explorent des manières de le contourner[60], d’autres constatent plus généralement l’inefficacité du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour prévenir et lutter contre l’agression[61]. Il ne resterait finalement à l’AGNU qu’un rôle aussi déclaratif que symbolique, qui n’aurait pour éventuelle utilité que d’assister à la délocalisation du procès criminel pour crime d’agression vers d’autres juridictions que celle qui a été pourtant conçue pour juger de tels faits[62].

II – La compétence émergente de la communauté internationale pour juger l’agression contre l’Ukraine

Puisqu’il apparait peu probable que la Cour pénale internationale puisse se saisir du crime d’agression commis à l’encontre de l’Ukraine, la lutte contre l’impunité impose de rechercher des solutions juridictionnelles alternatives. Ce défaut de compétence de la CPI ne devrait pas être entendu par les dirigeants comme un aveu de faiblesse de la communauté internationale. Il ne s’agit pas de laisser les plus hauts responsables politiques et militaires échapper à leur responsabilité pénale individuelle. Les spécialistes envisagent aujourd’hui deux solutions pour rappeler que le crime d’agression n’est pas seulement une incrimination spéciale de la Cour pénale internationale, mais bien un crime appartenant au jus cogens que chaque État doit activement rechercher à punir. Pour cela, la première alternative consiste en l’activation des compétences territoriales et universelles nationales qui permettraient à certains États, incriminant déjà l’agression, de juger les criminels agresseurs (A). Une seconde alternative prévoit la création – que ce soit par l’ONU ou par une autre coalition d’États – d’un nouveau tribunal international ad hoc spécialement compétent pour juger le crime d’agression commis à l’encontre de l’Ukraine (B).

A – L’appel anticipé aux juridictions nationales pour pallier la compétence restreinte des institutions internationales

Agnes Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, a appelé le 1er mars 2022 la communauté internationale à apporter son soutien – notamment financier – à la CPI. Énonçant à cette occasion « comprehensive accountability in Ukraine requires […] initiatives at the national-level pursuant to the principle of universal jurisdiction »[63], Amnesty International invite expressément les États à faire usage de leur compétence universelle. Ce crime d’agression ne pouvant en principe pas être jugé par la Cour[64], une lutte complète contre l’impunité pourrait néanmoins être réalisée à travers la complémentarité.

Parmi les 43 États qui ont ratifié les amendements de Kampala, seuls neuf[65] ont transposé dans leur droit national, comme cela est régulièrement recommandé par les organisations internationales[66], le crime d’agression tel que défini par l’article 8bis du Statut[67]. L’Allemagne connait, par exemple, au titre de sa compétence universelle et de son Code des crimes contre le droit international, un crime d’agression dont la définition est très proche de celle contenue à l’article 8bis du Statut de Rome[68]. Ayant récemment fait un usage historique et courageux de sa compétence universelle pour juger les exactions commises en Syrie par le régime de Bachar el-Assad[69], cet État pourrait se placer comme un candidat idéal aux poursuites pour crime d’agression, ne semblant pas craindre les potentielles répercussions géopolitiques de sa compétence universelle[70]. Cette compétence est toutefois loin d’être d’actualité concernant le crime d’agression commis contre l’Ukraine. L’Allemagne dispose en effet d’une compétence universelle particulièrement étendue ne nécessitant en principe aucun lien avec son territoire ou sa population[71]. Le crime d’agression y fait néanmoins l’objet d’une disposition particulière prévoyant que les juridictions allemandes seront compétentes pour juger celui-ci uniquement s’il a été commis par un ressortissant allemand ou contre son territoire[72]. À l’instar des restrictions apportées au crime d’agression lors des négociations de 1998 et 2010 par les États parties, ces derniers ont reproduit des limitations particulières au crime d’agression lors de son intégration dans leur droit interne, le plaçant une fois de plus dans un régime dérogatoire aux autres infractions internationales[73].

Il semblerait, contre toute attente, que les compétences pénales nationales les plus pertinentes soient celles des trois principaux États belligérants – Biélorussie, Russie et Ukraine – dont la compétence pénale relative au crime d’agression est préexistante aux accords de Kampala de 2010[74]. La Russie, qui dispose elle-même d’un crime d’agression dans son droit national[75], pourrait, postérieurement au conflit, juger les hauts dirigeants responsables de l’agression devant ses juridictions nationales[76]. L’Ukraine, dans l’hypothèse d’une victoire, pourrait également demander l’extradition des responsables du crime d’agression pour les juger au titre de sa compétence non plus universelle mais territoriale. En effet, l’Ukraine contient déjà une incrimination de l’agression dans son arsenal pénal dont la définition matérielle est particulièrement large[77], et qui a déjà été éprouvée à deux reprises[78]. Étant le seul État à avoir déjà condamné pour crime d’agression, cette expérience ferait de l’Ukraine le candidat idoine à des poursuites pénales, tant par sa position de victime que par celle de précurseur en matière d’agression.

La situation particulière de ces États parties au conflit laisse cependant planer un doute sur leur capacité matérielle à juger le crime d’agression postérieurement au conflit. Si le conflit s’étend et s’enlise pendant des mois voire des années, l’État ukrainien et sa justice ne seront peut-être plus en mesure d’assurer de telles poursuites. Par ailleurs, la place de victime dévolue à l’Ukraine pourrait la pousser à exercer une justice vengeresse, tandis que la place d’auteur pourrait conduire un hypothétique nouveau régime russe à rendre une justice exagérément rédemptrice et expiatoire. Dans ces deux cas, face à un crime si géopolitiquement teinté, il peut être objecté un doute sur les capacités de ces juridictions étatiques à rester parfaitement impartiales et efficaces, tout en risquant au surplus de souffrir d’une défense fondée sur l’immunité pénale attachée aux chefs d’États et membres de gouvernements[79]. Face à ces incertitudes, une dernière solution avancée serait alors de créer une nouvelle juridiction ad hoc compétente pour juger le crime d’agression commis en Ukraine.

B – La discutable création sur mesure d’un tribunal ad hoc pour juger effectivement le crime d’agression

Le 7 mars 2022, le Ministre des affaires étrangères ukrainien Dmytro Kuleba a communiqué publiquement son soutien à une « initiative de la communauté internationale des universitaires de créer un tribunal spécial visant à rendre justice pour le crime d’agression de la Russie contre l’Ukraine »[80]. Cette communication fait écho à la récente initiative de l’ancien premier ministre britannique Gordon Brown qui, constatant les difficultés évoquées ci-dessus à poursuivre le crime d’agression, propose de créer un « Special Tribunal for the Punishment of the Crime of Aggression against Ukraine »[81]. Soutenu par un grand nombre d’éminents juristes et spécialistes tels que Benjamin et Don Ferencz, Gordon Brown soutient la nécessité de créer un tribunal ad hoc qui serait appelé à connaitre uniquement du crime d’agression commis contre l’Ukraine. Cette juridiction, qui n’est pas sans rappeler le Tribunal militaire international de Nuremberg[82], pourrait être mise en place rapidement afin de juger le plus efficacement et le plus impartialement possible par le biais de la coopération de nombreux États[83].

Certains juristes voient cependant cette proposition comme une « mauvaise idée »[84], énonçant que la prétendue célérité de la mise en place de cette nouvelle juridiction serait fictive car fondée sur une analogie avec le Tribunal de Nuremberg. Or, les conditions de mise en place de ces juridictions ne sont pas identiques. Le Tribunal de Nuremberg a été mis en place en 1945 par les Alliés assurés de leur victoire et de la coopération forcée des États de l’Axe. Il serait prématuré de prétendre en cours de conflit pouvoir agir aussi aisément contre la Fédération de Russie. D’autant que contrairement aux crimes de guerre, la preuve de la prise de décision et l’organisation stratégique préalable de l’agression est géographiquement située en Russie, et nécessiterait donc pour être recueillie une pleine coopération, fictive dans l’immédiat, des institutions publiques de l’État agresseur. Le rôle symbolique de ce Tribunal, incontestable au demeurant, ne le serait pas beaucoup plus que la décision collective des 143 votants à l’Assemblée Générale des Nations Unies qui ont déploré et condamné l’intervention militaire russe[85]. Ce tribunal présenterait cependant le risque non négligeable, s’il était mis en place, de ne pas réussir à condamner et d’enterrer par là même définitivement le crime d’agression.

La constitution d’un tribunal ad hoc nécessiterait pléthore de conditions incertaines en l’état actuel du conflit. Il s’agit notamment de l’hypothèse peu probable d’une pleine coopération post-conflit de la Fédération de Russie et de la Biélorussie[86]. En effet, si ces États, postérieurement au conflit, décidaient de coopérer avec ce nouveau tribunal, pourquoi ne le feraient-ils pas avec la Cour pénale internationale en adhérant au Statut de Rome ? La nécessité d’un tribunal ad hoc ne se justifierait que dans le cas étrange où la Russie refuserait de ratifier le Statut de Rome mais accepterait pourtant la compétence d’une nouvelle juridiction ad hoc créée par l’AGNU ou une convention internationale[87]. Ce nouveau tribunal serait, post-conflit, aussi superfétatoire que risqué. Il se présenterait en effet comme un risque pour la CPI, tant sur le précédent qu’il pourrait créer relativement au crime d’agression, que sur l’image et la légitimité de la Cour pénale internationale dont la compétence est de juger ce type d’exactions et lutter contre l’impunité. Il se présenterait également comme un risque pour la légitimité de la justice internationale pénale dans son ensemble. Il serait certainement objecté à la communauté internationale de créer une justice sélective, se préoccupant davantage de certains crimes d’agression par rapport à d’autres, réalité avec laquelle les États puissants s’accommodent généralement[88].

Il est par conséquent peu probable que les mécanismes judiciaires internationaux puissent permettre un jugement international pour le crime d’agression commis à l’encontre de l’Ukraine. Cet éventuel futur échec de la justice internationale pénale, au-delà de la très regrettable impunité qu’il laisserait derrière lui, pourrait cependant être interprété comme une occasion de tirer de nombreux enseignements juridiques. En effet, les évènements récents, combinés à une production doctrinale densifiée en période de conflit[89], devront être pris comme une opportunité majeure de repenser l’agression – interétatique comme criminelle – et plus largement la justice internationale pénale.

[1] Éléa Pommiers, « Guerre en Ukraine : comment Vladimir Poutine réécrit les faits pour justifier l’invasion », Le Monde, 25 février 2022, disponible [en ligne] : < https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/25/guerre-en-ukraine-comment-vladimir-poutine-reecrit-les-faits-pour-justifier-l-invasion_6115222_3210.html >.

[2] Cour internationale de Justice, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), Ordonnance du 16 mars 2022, p. 19.

[3] L’article 41 (1) du Statut de la Cour internationale de Justice dispose que « la Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun doivent être prises à titre provisoire ».

[4] CIJ, ordonnance du 16 mars 2022, cf. supra note 2, § 84.

[5] V. la déclaration officielle du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, « Russia cannot consider UN court order on Ukraine, says Kremlin », TASS, 17 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://tass.com/politics/1423623 >.

[6] V. notamment la célèbre affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique tenue devant la CIJ entre les années 1984 et 1991, à laquelle les États-Unis ont refusé tant de participer à la procédure que d’appliquer la sanction. Cf. CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), Vue d’ensemble de l’affaire, disponible [en ligne] : < https://www.icj-cij.org/fr/affaire/70 >.

[7] Formule employée par les institutions russes afin de justifier leurs actions militaires en évitant d’utiliser le terme de « guerre ».

[8] Article 8bis (1) du Statut de Rome du 17 juillet 1998.

[9] Article 8bis (2) du Statut de Rome.

[10] Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 3314 (XXIX) – Définition de l’agression, 29e Session, 2319e séance plénière, 14 décembre 1974, A/RES/29/3314.

[11] V. l’article 6 (a) du Statut de Nuremberg du 8 août 1945 qui définit le crime contre la paix comme « la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent ».

[12] Article 25 (3bis) du Statut de Rome.

[13] La caractérisation d’un acte d’agression au sens de la Charte des Nations Unies et de la résolution 3314 de 1974 (cf. supra note 10) est un préalable nécessaire à la responsabilité pénale pour crime d’agression. Il revient, en premier lieu, au CSNU le rôle de se prononcer sur l’existence d’un acte d’agression. Il reviendra ensuite à la CPI de se prononcer définitivement sur l’existence d’un acte d’agression. Le rôle du CSNU n’est en principe que consultatif.

[14] V. article 6 (a) du Statut de Nuremberg, cf. supra note 11, et article 5 (a) de la Charte du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient du 19 janvier 1946.

[15] Le jus ad bellum désigne le droit de faire la guerre, c’est-à-dire des justifications prévues par le droit international pouvant légitimer celle-ci. Le jus contra bellum, concept plus moderne, désigne quant à lui le droit du maintien de la paix entre États et correspond aujourd’hui au droit international de la paix. Sur l’articulation et le basculement entre ces deux notions, v. Gerhard Kemp, « From Jus Ad Bellum to Jus Contra Bellum: The Prohibition of the Use of Force in Normative and Institutional Perspective », in Individual Criminal Liability for the International Crime of Aggression, 2e éd., Intersentia, 2015,  pp. 47-70.

[16] Génocide (article 6), crimes contre l’humanité (article 7), crimes de guerre (article 8) et crime d’agression (article 8bis).

[17] Préalablement à sa modification par l’annexe 1 de la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010, l’article 5 (2) du Statut de Rome disposait que « la Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies ».

[18] Le 26 juin 2016, le nombre de trente États a été atteint avec la ratification des accords par l’État de Palestine. À ce jour, 43 États parties au Statut de Rome ont ratifié les accords de Kampala. V. en ce sens la liste à jour de l’état des ratifications des amendements au Statut de Rome de la Cour pénale internationale relatifs au crime d’agression [en ligne] : < https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XVIII-10-b&chapter=18&clang=_fr >.

[19] Cette décision a été prise par l’adoption de la résolution ICC-ASP/16/Res.5 lors de la 16e Assemblée des États Parties au Statut de Rome du 14 décembre 2017.

[20] Ce crime n’a presque jamais été évoqué par les organes de la CPI et est régulièrement absent des rapports, communiqués et déclarations officielles de la Cour. V. par exemple la fiche d’information de la Cour « Le Bureau du Procureur », ICC-PIDS-FS-03-004/21_Fra, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/Publications/otpFRA.pdf >.

[21] Pour une liste actualisée de l’état des adhésions, signatures et ratifications du Statut de Rome du 17 juillet 1998 : V. Nations Unies, « Chapitre XVIII Questions pénales – 10. Statut de Rome de la Cour pénale internationale », Collection des traités, disponible [en ligne] : < https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XVIII-10&chapter=18&clang=_fr#5 >.

[22] Elisabeth Baier, « The Sadly Neglected Crime of Aggression : On the Missed Opportunity of Prosecuting the Ukraine War as an International Crime », Völkerrechtsblog, 3 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://voelkerrechtsblog.org/the-sadly-neglected-crime-of-aggression/ >.

[23] Article 12 (3) du Statut de Rome. V. Nicolas Haupais, « Article 12 : Conditions préalables à l’exercice de la compétence », in Julian Fernandez, Xavier Pacreau, Muriel Ubeda-Saillard (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale : Commentaire article par article, 2e éd., Paris, Pedone, 2019, pp. 747-774.

[24] Ambassade d’Ukraine aux Pays-Bas, Première déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour pénale internationale en application de l’article 12 (3) du Statut de Rome, 9 avril 2014, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/997/declarationRecognitionJuristiction09-04-2014.pdf >.

[25] Ministère des affaires étrangères d’Ukraine, Seconde déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour pénale internationale en application de l’article 12 (3) du Statut de Rome, 8 septembre 2005, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/iccdocs/other/Ukraine_Art_12-3_declaration_08092015.pdf#search=ukraine >.

[26] Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale, Rapport sur les activités menées en 2020 en matière d’examen préliminaire, 14 décembre 2020, pp. 73-78, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/2020-PE/2020-pe-report-fra.pdf >.

[27] Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale, Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan QC, sur la situation en Ukraine, 28 février 2022, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20220228-prosecutor-statement-ukraine&ln=fr >.

[28] Dans le cadre d’une saisine proprio motu par le Procureur, la Chambre préliminaire de la Cour doit donner son autorisation à l’ouverture d’une enquête préalablement à toute investigation (article 15 du Statut de Rome, alinéas 3 à 5). Cet examen par la Chambre préliminaire n’est toutefois pas nécessaire si la situation est déférée au Procureur par un État partie (article 14 du Statut de Rome).

[29] La Chambre préliminaire dispose d’un délai de 120 jours pour répondre à une demande d’autorisation d’ouverture d’une enquête en application de l’article 15 (4). CPI, Guide pratique de procédure pour les Chambres, novembre 2019, § 2, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/iccdocs/other/191129-chamber-manual-fra.pdf >.

[30] Chambre préliminaire II, CPI, Notification on receipt of referrals and on initiation of investigation, 7 mars 2022, ICC-01/22-2 07-03-2022 1/6 EC PT.

[31] Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale, Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan QC, sur la situation en Ukraine, 25 février 2022, disponible [en ligne] : < https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=20220225-prosecutor-statement-ukraine&ln=fr >.

[32] Concernant le cas spécifique de l’Ukraine depuis 2019 : V. Coalition for the International Criminal Court, High time for Ukraine to ratify the Rome Statute of the ICC, 23 juillet 2019, disponible [en ligne] : < https://www.coalitionfortheicc.org/ukraine-ratify-now >. Pour des recommandations plus récentes, v. Center of civil liberties et al., Appeal of Euromaidan SOS regarding urgent ratification of the Rome Statute of the International Criminal Court, 4 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://zmina.ua/en/statements-en/appeal-of-euromaidan-sos-regarding-urgent-ratification-of-the-rome-statute-of-the-international-criminal-court/ >.

[33] Article 126 (2) du Statut de Rome.

[34] Sur les conflits de normes dans le temps et les contradictions ratione temporis entre les articles 11, 12 (3) et 126 du Statut : V. Julien CAZALA, « Article 11 : Compétence ratione temporis », in Julian Fernandez, Xavier Pacreau, Muriel Ubeda-Saillard (dir.), op. cit. note 23, pp. 734-739.

[35] CPI, Chambre préliminaire II, Kony, Otti, Odhiambo, Ongwen, Décision relative aux demandes de participation des victimes, 14 mars 2008, ICC-02/04-01/05-282, § 78.

[36] V. Ambassade d’Ukraine aux Pays-Bas, Première déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour pénale internationale en application de l’article 12 (3) du Statut de Rome, cf. supra note 24.

[37] Assemblée des États Parties, Rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, ICC-ASP/7/20/Add.1, §§ 40-41.

[38] Kleczkowska Agatha, « Acts of Aggression During an Ongoing Armed Conflict : How Can We View the Events of February 24 ? », OpinioJuris, 24 mars 2022, disponible [en ligne] : < http://opiniojuris.org/2022/03/14/acts-of-aggression-during-an-ongoing-armed-conflict-how-can-we-view-the-events-of-february-24/ >.

[39] V. notamment Xavier Pacreau, « Article 15bis : Exercice de la compétence à l’égard du crime d’agression (Renvoi par un Etat, de sa propre initiative) » in Julian Fernandez, Xavier Pacreau, Muriel Ubeda-Saillard (dir.), op. cit. note 23, pp. 842-844 ; Elisa Freiburg, Andreas Zimmermann, « Article 15bis : Exercise of jurisdiction over the crime of aggression (State referral, proprio motu) », in Kai Ambos, Otto Triffterer (dir.), The Rome Statute of the International Criminal Court : A Commentary, 3e éd., Munich, C.H. Beck, Hart, Nomos, 2016, §§ 34-36 ; Stefan Barriga, Niels Blokker, « Conditions for the Exercise of Jurisdiction Based on State Referrals and Proprio Motu Investigations », in Stefan Barriga, Claus Kreß (dir.), The Travaux Préparatoires of the Crime of Aggression, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, pp. 658-659.

[40] Bureau du Procureur, Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan QC, sur la situation en Ukraine, 25 février 2022, cf. supra note 31.

[41] Göran Sluiter, « Almost 25 years after its creation, the Russia-Ukraine conflict sadly shows the increasing irrelevance of the International Criminal Court », Rethinking Secondary Liability for International Crimes, 25 février 2022, disponible [en ligne] : < https://rethinkingslic.org/blog/criminal-law/105-almost-25-years-after-its-creation-the-russia-ukraine-conflict-sadly-shows-the-increasing-irrelevance-of-the-international-criminal-court#_ftnref12 >.

[42] Göran Sluiter, cf. supra note précédente.

[43] La CPI ne juge pas par défaut, c’est-à-dire qu’elle n’ouvre aucun procès sur le fond tant que l’accusé n’est pas présent physiquement à la Cour (cf. article 63 du Statut de Rome).

[44] Bien que des poursuites, ainsi qu’un jugement, pour les crimes commis en Ukraine ne soient probablement pas d’actualité, il convient de souligner l’importance symbolique de l’initiative prise par le Procureur. Les évènements récents, au-delà de la mise en lumière des difficultés juridiques relatives au crime d’agression, permettent de replacer la CPI au centre d’un débat qui devrait à terme produire des effets juridiques, politiques et budgétaires bénéfiques. V. en ce sens : Sergey Vasiliev, « Aggression against Ukraine: Avenues for Accountability for Core Crimes », European Journal of International Law : Talk !, 3 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://www.ejiltalk.org/aggression-against-ukraine-avenues-for-accountability-for-core-crimes/ >.

[45] Cet article 13 (b) prévoit la compétence de la Cour « si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été́ commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». Concernant le crime d’agression, cette disposition est complétée par l’article 15ter qui précise en son 4ème alinéa que la constatation de l’acte d’agression par le CSNU ne lie pas la Cour quant à sa propre constatation de ce dernier. Cet article apporte également des précisions concernant l’application temporelle de cette prérogative du CSNU, mais qui sont dénuées de sens depuis l’activation officielle du crime d’agression par la Cour le 17 juillet 2018.

[46] Les situations renvoyées par le CSNU sont celles du Darfour (CSNU, Résolution 1593, 5158e séance, 31 mars 2005, S/RES/1593) et de la Lybie (CSNU, Résolution 1970, 6491e séance, 26 février 2011, S/RES/1970).

[47] Conformément à la pratique moderne, cet article doit s’interpréter en ce que seul un vote négatif de l’un des cinq membres permanents constitue un véto. Cela permet ainsi à l’un de ces États de s’abstenir pour signifier son désaccord sans pour autant bloquer l’adoption d’une résolution.

[48] Nations Unies, « Conseil de sécurité : projet de résolution déplorant “l’agression“ contre l’Ukraine rejeté en raison du veto russe », ONU Info, 25 février 2022, disponible [en ligne] : < https://news.un.org/fr/story/2022/02/1115192 >.

[49] AGNU, Résolution 377 (V), 302e séance, 3 novembre 1950, A/RES/377(V). Cette résolution avait par ailleurs été adoptée en 1950 pour faire face au véto de l’URSS à l’occasion de la guerre de Corée.

[50] Résolution 377 (V), cf. supra note précédente, al. 1.

[51] CSNU, Résolution 2623,  8980e séance, 27 février 2022, S/RES/2623. Cette résolution de nature procédurale ne nécessite qu’un vote à la majorité de neuf voix sans possibilité de véto (cf. article 27 (2) de la Charte des Nations Unies).

[52] AGNU, Agression contre l’Ukraine, 11e session extraordinaire d’urgence, 2 mars 2022, A/ES-11/L.1.

[53] Conseil des droits l’homme des Nations Unies, Situation des droits de l’homme en Ukraine à la suite de l’agression russe, résolution adoptée le 4 mars 2022, 49e session, A/HRC/RES/49/1.

[54] Pour une analyse des moyens limités dont dispose l’AGNU pour lutter contre l’agression : V. Rebecca Barber, « What can the UN General Assembly do about Russian Aggression in Ukraine? », European Journal of International Law : Talk !, 26 février 2022, disponible [en ligne] : < https://www.ejiltalk.org/what-can-the-un-general-assembly-do-about-russian-aggression-in-ukraine/ >.

[55] CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 1986, § 190.

[56] V. en ce sens : Opinion individuelle du juge Lauterpacht, CIJ, Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), arrêt du 11 juillet 1996, §§ 102-103.

[57] Jennifer Trahan, « Aggression and the Veto », OpinioJuris, 28 février 2022, disponible [en ligne] : < http://opiniojuris.org/2022/02/28/aggression-and-the-veto/ >.

[58] Article 24 (2) de la Charte des Nations Unies.

[59] Jennifer Trahan, cf. supra note 57.

[60] Il est par exemple proposé d’amender le Statut de Rome, afin de donner la compétence à l’AGNU (en plus du CSNU) de renvoyer des situations à la CPI : Shane Darcy, « Aggression by P5 Security Council Members: Time for ICC Referrals by the General Assembly », Just Security, 16 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://www.justsecurity.org/80686/aggression-by-p5-security-council-members-time-for-icc-referrals-by-the-general-assembly/ >. Plus généralement sur le problème du véto et les solutions envisageables : V. Jennifer Trahan, Existing Legal Limits to Security Council Veto Power in the Face of Atrocity Crimes, Cambridge University Press, 2020, 356 p.

[61] Jennifer Trahan, Ibid. ; Elvira Dominguez Redondo, « Russian misuse of international law is final nail in coffin of post WW2 order »,  IntLawGrrls, 10 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://ilg2.org/2022/03/10/russian-misuse-of-international-law-is-final-nail-in-coffin-of-post-ww2-order/ >.

[62] Larry D. Johnson, « United Nations Response Options to Russia’s Aggression : Opportunities and Rabbit Holes », Just Security, 1er mars 2022, disponible [en ligne] : < https://www.justsecurity.org/80395/united-nations-response-options-to-russias-aggression-opportunities-and-rabbit-holes/ >.

[63] Amnesty International, Russia/Ukraine : Invasion of Ukraine is an act of aggression and human rights catastrophe, 1er mars 2022, disponible [en ligne] : < https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/03/russia-ukraine-invasion-of-ukraine-is-an-act-of-aggression-and-human-rights-catastrophe/ >.

[64] Cf. supra.

[65] Autriche, Croatie, Finlande, Liechtenstein, Luxembourg, Macédoine du Nord, République Tchèque, Samoa et Slovénie.

[66] V. notamment Mission permanente de la Principauté du Liechtenstein auprès des Nations Unies, Global Institute for the Prevention of Aggression, Manuel de ratification et de mise en œuvre des amendements de Kampala au Statut de Rome de la CPI, Princeton, novembre 2012, pp. 15-21, disponible [en ligne] : < https://crimeofaggression.info/documents/1/handbook-FRE.pdf >.

[67] Mission permanente de la Principauté du Liechtenstein auprès des Nations Unies, État de la ratification et de la mise en œuvre des amendements de Kampala sur le crime d’agression – mise à jour No. 36, 3 février 2022, disponible [en ligne] : < https://crimeofaggression.info/the-role-of-states/status-of-ratification-and-implementation/#_ftn1 >.

[68] Section 13 du Code de droit pénal international allemand (Völkerstrafgesetzbuch) du 26 juin 2002.

[69] Pour un résumé de l’affaire : V. Madjid Zerrouki, « A Coblence, verdict historique contre un Syrien », Le Monde, 14 janvier 2022, disponible [en ligne] : < https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/14/la-condamnation-d-un-officier-syrien-pour-crimes-contre-l-humanite-un-espoir-de-justice-pour-les-victimes-du-regime-de-bachar-al-assad_6109421_3210.html >.

[70] Il est à noter que l’Allemagne en utilisant sa compétence universelle a fait un parfait usage de la complémentarité, se suppléant à la Cour pénale internationale qui n’a pas pu être compétente pour enquêter sur la Syrie puisque la Russie et la Chine ont utilisé le 22 mai 2014 leur véto pour faire obstacle à une résolution du CSNU visant à saisir la CPI conformément à l’article 13 du Statut de Rome. V. en ce sens : Nations Unies, « La Chine et la Fédération de Russie bloquent un projet de résolution sur la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes graves commis en Syrie », Couverture des réunions & communiqués de presse, 22 mai 2014, disponible [en ligne] : < https://www.un.org/press/fr/2014/CS11407.doc.htm >.

[71] Section 1, § 1 du Code de droit pénal international allemand, cf. supra note 68.

[72] Section 1, § 2 du Code de droit pénal international allemand, cf. supra note 68.

[73] Il est toutefois à noter que certaines organisations internationales recommandent de ne pas intégrer dans les droits nationaux une compétence universelle pour crime d’agression afin de ne pas se substituer à la compétence de la CPI. V. en ce sens : Mission permanente de la Principauté du Liechtenstein auprès des Nations Unies, Global Institute for the Prevention of Aggression, Manuel de ratification et de mise en œuvre des amendements de Kampala au Statut de Rome de la CPI, op. cit. note 66, pp. 20-21.

[74] Pour une liste des États qui disposaient déjà d’une compétence pénale relativement au crime d’agression avant sa définition par les accords de Kampala : V. Mission permanente de la Principauté du Liechtenstein auprès des Nations Unies, État de la ratification et de la mise en œuvre des amendements de Kampala sur le crime d’agression – mise à jour No. 21, 29 mars 2016, § 40, disponible [en ligne] : < https://crimeofaggression.info/documents/1/Etat_de_progres-FRE.pdf >.

[75] Article 353 du Code pénal de la Fédération de Russie du 1er janvier 1997.

[76] Ce qui nécessiterait bien entendu la mise en place d’un nouveau régime politique à Moscou, opposé à celui du président Vladimir Poutine.

[77] L’article 437 du Code criminel ukrainien du 1er septembre 2001 incrimine les faits suivants : « Planning, preparation or waging of an aggressive war or armed conflict, or conspiring for any such purposes » (1.) ainsi que « Conducting an aggressive war or aggressive military operations » (2.).

[78] Tribunal de district de Kiev Obolonsky, Jugement Yanukovych, 24 janvier 2019, affaire n°756/4855/17 ; Sergey Sayapin, « The Yanukovych Trial in Ukraine : A Revival of the Crime of Aggression? », Israel Yearbook on Human Rights, 2020, vol. 50, pp. 63-79. V. également Tribunal de district de Kiev Golosyysky, Jugement Alexandrov et Yerofeyev, 18 avril 2016, affaire n°752/15787/15-k ; Sergey Sayapin, « A Curious Aggression Trial in Ukraine : Some Reflections on the Alexandrov and Yerofeyev Case », Journal of International Criminal Justice, 2018, n°5, vol. 16, pp. 1093-1104.

[79] V. Carrie Mcdougall, « Why Creating a Special Tribunal for Aggression Against Ukraine is the Best Available Option : A Reply to Kevin Jon Heller and Other Critics », OpinioJuris, 15 mars 2022, disponible [en ligne] : < http://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/ >. Devant la CPI en revanche, aucune immunité fondée sur la qualité officielle d’un accusé ne peut constituer un motif d’irresponsabilité pénale ou de réduction de peine (article 27 du Statut de Rome).

[80] Ministère ukrainien des affaires étrangères, Statement by Minister of Foreign Affairs of Ukraine Dmytro Kuleba on the initiative to create a Tribunal for bringing the leadership of the Russian Federation to justice for the crime of aggression against Ukraine, 7 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://www.kmu.gov.ua/en/news/zayava-ministra-zakordonnih-sprav-ukrayini-dmitra-kulebi-shchodo-stvorennya-tribunalu-dlya-pokarannya-kerivnictva-rosijskoyi-federaciyi-za-zlochin-agresiyi-proti-ukrayini >.

[81] Gordon Brown et al., Statement Calling for the Creation of a Special Tribunal for the Punisment of the Crime of Aggression against Ukraine, 4 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://gordonandsarahbrown.com/wp-content/uploads/2022/03/Combined-Statement-and-Declaration.pdf >.

[82] Le Tribunal de Nuremberg est par ailleurs évoqué dans la déclaration à titre de modèle. V. Gordon Brown et al., ibid.

[83] Ibid.

[84] Kevin Jon Heller, « Creating a Special Tribunal for Aggression Against Ukraine Is a Bad Idea », OpinioJuris, 7 mars 2022, disponible [en ligne] : < http://opiniojuris.org/2022/03/07/creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-a-bad-idea/ >.

[85] AGNU, Agression contre l’Ukraine, cf. supra note 52.

[86] Sergey Vasiliev, cf. supra note 44.

[87] Carrie Mcdougall, cf. supra note 79.

[88] Kevin Jon Heller, cf. supra note 83

[89] Barrie Sander, « On Critique and Renewal in Times of Crisis », Vôlkerrechtsblog, 16 mars 2022, disponible [en ligne] : < https://voelkerrechtsblog.org/on-critique-and-renewal-in-times-of-crisis/> ; Ralph Wilde, « Hamster in a Wheel: International Law, Crisis, Exceptionalism, Whataboutery, Speaking Truth to Power, and Sociopathic, Racist Gaslighting », OpinioJuris, 17 mars 2022, disponible [en ligne] : < http://opiniojuris.org/2022/03/17/hamster-in-a-wheel-international-law-crisis-exceptionalism-whataboutery-speaking-truth-to-power-and-sociopathic-racist-gaslighting/ >.

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