Les Estampes : techniques et portée


Des intervenants multiples

Datant du XVIIIe siècle, les estampes de notre série sont, à une exception près, signées de plusieurs artistes.

Les peintres des tableaux originaux sont signalés par la mention « pinxit ». Ces peintres – Jean-François de Troy, Louis Galloche, Frère André, Jean Restout, Jean-Baptiste Ferret – ont réalisé leurs oeuvres dans l’Eglise de Saint Lazare àParis, après la béatification de Vincent de Paul en 17291.

Ces peintures ont été redessinées afin de les imprimer. C’est pourquoi le nom de Bonnart précède l’indication « delineavit» dans la plupart des illustrations. Le « sculpsit » fait référence aux graveurs, qui ont utilisé deux techniques de gravure sur cuivre : l’eau forte pour Antoine Hérisset et Jean-Baptiste Scotin ; le burin pour Edme Jeaurat, François Cars, et Pierre Dupin.

Deux techniques complémentaires

Les dessins de François-Robert Bonnart ont été reproduits à l’envers sur des plaques de cuivre préalablement recouvertes de vernis. Le graveur a creusé, à l’aide d’une pointe, soit l’image inversée du dessin renvoyée par un miroir, soit les traits du dessin décalqués à partir de l’original badigeonné à la sanguine ou à la mine de plomb.

A l’étape suivante, l’acide nitrique – autre nom de l’eau-forte – est venu mordre le métal dans les sillons esquissés par la pointe, accentuant ainsi leur profondeur. L’acide a été plus ou moins dilué pour l’application, selon la dureté de la plaque etl’effet recherché : plus l’eau-forte était concentrée, mieux elle convenait aux traits épais et écartés. Un bel exemple du rendu de l’eau-forte, proche du flou artistique, est particulièrement visible sur la robe d’Anne d’Autriche dans l’estampe sur la mort de Louis XIII.

Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres ; mis en ordre et publié par M. Diderot,… Et, quant à la partie mathématique, par M. d’Alembert,… Paris : Briasson, David, Le Breton, etc…1751-1777. -35 vol. ; in-fol. – Planches : Tome 5, gravure en taille douce.

Figure I : Le graveur vernit une planche et en figure I bis, le personnage la noircit à l’aide d’un flambeau. La figure II représente un graveur à l’eau-forte qui verse l’acide qui est récupéré dans une bassine. En figure III, le graveur est occupé à graver à la pointe sur le vernis. La figure IV montre comment l’eau-forte mord la plaque en ballotant une boîte qui contient ces deux éléments. La figure V illustre la morsure de l’eau-forte et la figure VI, le graveur au burin.

L’action du burin se superpose à celle de l’eau-forte, avec parfois trois passages successifs. Reconnaissable à ses hachures ou ses traits circulaires, nets et précis, le burin permet de détailler les formes et les contours issus de l’eau-forte. Les graveurs au burin jouent non seulement sur la profondeur du sillon sur la plaque pour déterminer la noirceur du trait, mais aussi sur le sens des hachures, pour délimiter les surfaces.

Des techniques très précises régissent les éléments d’une gravure selon l’effet recherché : draperies, étoffes, peau, architecture et paysage. D’une façon générale, le premier plan est réalisé avec des traits profonds et serrés, alors que plus on s’éloigne vers le fond de l’estampe, moins la taille – le trait – est grosse et nourrie. Cette distinction est particulièrement visible sur l’estampe représentant Vincent de Paul réconfortant les soldats.

La gravure achevée, la plaque de cuivre est enduite d’encre, qui pénètre uniquement dans les sillons. Sous l’effet d’une presse, le dessin est alors restitué à l’endroit, sur une feuille de papier.

Une production artistique particulière

La fabrication de ces estampes témoigne d’interventions successives. Les peintres, dessinateurs, graveurs et imprimeurs ont oeuvré entre le moment de la béatification et celui de la canonisation. Cette iconographie a-t-elle participé au processus de canonisation ? Cela expliquerait le paradoxe apparent entre les images et leur légende : la présence d’un nimbe 2 désigne Vincent de Paul comme un saint, alors que le titre des estampes le qualifie du simple « B. » pour « Bienheureux ».

Sans pouvoir trancher, nous pensons avec Vittorio Casale qu’il existe un art spécifique de la canonisation, qui accompagne, voire parfois suscite le processus de reconnaissance de la sainteté. Cet art se caractérise par des mécanismes spécifiques de production et de reproduction, une catégorie stylistique, et un contexte social marqué par les relations entre différents acteurs (artistes, ordres religieux, commanditaires et destinataires). Vittorio Casale3 conclut qu’il s’agit d’un art de dévotion et de promotion des saints, où la qualité artistique compte moins que le message religieux. Aujourd’hui, ces estampes éveillent des intérêts nombreux et variés : historique, artistique, sémiologique, religieux et linguistique.

1 Voyage pictoresque de Paris… / Dezallier d’Argenville. – Paris : de Bure, 1749.
2 Traité d’iconographie chrétienne / Mgr X. Barbier de Montault. – Paris : Société de librairie ecclésiastique et religieuse, 1898.
3 L’arte per le canonizzationi : l’attivita artistica intorno alle canonizzazioni e alle beatificazioni del Seicento / Vittorio Casale. – Turin : U. Allemandi & C., 2001.